Boeing a surpris les milieux aéronautiques en annonçant le 15 juin un projet de SST entièrement nouveau, étudié pour répondre aux spécifications de la FAA en matière d’avion commercial supersonique. Si ce dernier projet porte encore la désignation 733 et s’il est encore fondé sur une voilure à géométrie variable, il n’y a qu’une ressemblance très lointaine avec le projet initial présenté par le constructeur. Son concurrent direct, le L-2000-7 de la Lockheed California Company, a également été maintes fois modifié et amélioré au cours des vingt-quatre derniers mois, mais il n’a pas été l’objet d’une transformation aussi radicale que celle qui a affecté le Boeing 733.
Dans la nouvelle configuration, le bord de fuite de la voilure à géométrie variable en position de flèche maximale vient se souder pratiquement au bord d’attaque de l’empennage horizontal ; en vol supersonique, l’appareil a donc pour ainsi dire une voilure ”delta ». Autre modification importante : les quatre réacteurs sont maintenant fixés sous l’empennage horizontal et non plus sous la partie centrale de l’aile. Cette nouvelle disposition a sans doute restreint la marge de déplacement du centre de gravité, mais elle a permis d’apporter une série d’améliorations qui sont exposées en détail dans les lignes qui suivent. Il va de soi que le projet 733 subira encore quelques modifications mineures avant d’être soumis le 6 septembre prochain au comité de la FAA, mais les grandes lignes du projet sont maintenant tracées. Le constructeur souligne que le 733, dans sa nouvelle version, pourra franchir des distances supérieures à 2400 kilomètres et que son exploitation sera plus rentable que celle du Boeing 707-320 actuel, grâce aux modifications apportées à la voilure d’une part, mais aussi grâce à l’augmentation du poids maximal autorisé au décollage et du nombre de passagers (trois cents dans la nouvelle version).

Un porte-parole de Boeing a exposé les raisons qui ont décidé le constructeur à apporter des modifications au projet initial ; l’installation de réacteurs sous l’empennage horizontal a permis de rapprocher du fuselage les axes d’articulation de la partie pivotante de la voilure, ce qui a pour double effet d’augmenter la surface utile de la voilure en position déployée et de faciliter la résolution des problèmes de stabilité dus aux variations de la position de l’aile.
Ci-dessous, le plan deux-vues du Boeing 733 permet de distinguer un certain nombre de détails de la version la plus récente du projet SST de Boeing ; la partie pivotante de la voilure a été représentée entièrement déployée. Les lignes en pointillé indiquent d’une part la position des volets sortis lorsque la voilure est déployée au maximum, d’autre part la position de la voilure lorsque la flèche est maximale. Les jambes extérieures et intérieures des atterrisseurs principaux s’escamotent respectivement vers l’avant dans l’aile et vers l’arrière dans le fuselage ; elles comportent chacune quatre roues disposées par paires. Si l’on ajoute les deux roues de l’atterrisseur avant, cela ne fait pas moins de 18 roues au total.

Longueur du fuselage 90,80 mètres. – Hauteur hors tout 16,60 mètres – Empattement 32,90 mètres Envergure (avec flèche maximale) 32,60 mètres – Envergure (voilure entièrement déployée) 54,10 mètres

L’augmentation de la portance, lorsque l’aile est déployée au maximum, ajoutée aux effets des nouveaux types de dispositifs hypersustentateurs a permis d’améliorer sensiblement les performances de l’appareil aux basses vitesses. Plusieurs facteurs ont dicté le choix du nouvel emplacement des réacteurs sous l’empennage horizontal. La disposition adoptée sur le premier projet – réacteurs sous la voilure – posait de difficiles problèmes de construction pour l’empennage et la partie arrière du fuselage soumis à des ondes de choc intenses et à des températures élevées. Ainsi par exemple dans l’ancienne configuration, la disposition de l’empennage horizontal posait de graves problèmes de stabilité qui ne pouvaient être résolus, qu’en surdimensionnant le plan fixe.

Par ailleurs, la position du train d’atterrissage entre les réacteurs posait également quelques problèmes difficiles à résoudre. L’aménagement des réacteurs sous l’empennage horizontal a supprimé tous ces problèmes et a permis, en plus, de réduire considérablement le niveau de bruit à l’intérieur de la cabine, beaucoup trop élevé dans l’ancienne configuration avec l’utilisation de la post-combustion. L’installation des réacteurs sous l’empennage horizontal (dont la surface est supérieure à celle d’une aile de Boeing 707) a obligé bien entendu le constructeur à prolonger considérablement la partie avant du fuselage ; il en est résulté une augmentation du volume de cabine et de la capacité offerte, mais aussi une augmentation du poids au décollage. Le fuselage a été allongé de presque trente mètres ; dans sa nouvelle version, le Boeing 733 mesure en tout 90,80 mètres de longueur.
Les volets de différents types qui sont montés sur la voilure du nouveau Boeing 733 sont d’une facture particulièrement intéressante ; la cinématique de sortie de ces volets est expliquée sur le schéma ci-dessous. Ils sont installés sur plus de 85% de l’envergure et permettent de faire atterrir le Boeing 733 à une vitesse qui n’excède pas la vitesse d’atterrissage du Boeing 707.

Vue en coupe du profil de l’aile extérieure, avec les volets à double fente sur le bord de fuite et les carénages qui recouvrent les fentes. Le dessin A montre la voilure en configuration de vol supersonique ; le bord de fuite de la voilure coïncide très exactement avec le bord d’attaque de l’empennage horizontal de sorte que les intrados de la voilure et de l’empennage horizontal forment un profil commun. En configuration de vol subsonique (B), les volets de bord de fuite de la voilure sont légèrement sortis ; les carénages à l’extrados et l’intrados recouvrent entièrement l’espace entre la voilure et les volets. En configuration d’atterrissages (C), avec les volets de bord d’attaque et de bord de fuite sortis, le carénage inférieur présente un décrochement, de manière à former avec le carénage supérieur une surface légèrement inclinée dirigeant les filets d’air vers les volets de bord de fuite.
Deux maquettes de la nouvelle version de l’avion de transport supersonique Boeing 733. Celle de gauche représente l’appareil avec sa voilure entièrement déployée et tous les volets de bord d’attaque et de bord de fuite sortis ; celle de droite représente le Boeing 733 en configuration de vol supersonique. Ces deux maquettes, réalisées il y a quelques mois déjà, ne comportent pas encore les dernières modifications qui ont été apportées à la structure de la voilure et de l’empennage horizontal et que l’on peut voir sur le plan deux-vues. Les volets de déflexion que l’on distingue à l’arrière de la voilure sont destinés essentiellement à diriger une quantité d’air suffisante vers les entrées des réacteurs intérieurs aux basses vitesses. Ces volets déflecteurs servent également à augmenter la portance lors de décollages et des atterrissages.

La surface alaire totale de la voilure avec flèche maximale est légèrement supérieure à 840 m2. Des volets déflecteurs ont été disposés de chaque côté du fuselage à l’emplanture du bord de fuite de la voilure, juste en avant de l’empennage horizontal. Ces volets contraignent une partie des filets d’air s’écoulant sur la voilure à se diriger vers les entrées des deux réacteurs intérieurs à travers une fente pratiquée dans l’extrados. Lorsqu’ils sont sortis, ces volets sont également hypersustentateurs.
En vol subsonique, le contrôle en tangage est assuré par les gouvernes de profondeur et par les sections extérieures pivotantes de l’empennage horizontal, lorsque ces sections sont actionnées dans le même sens. Par action différentielle, ces parties pivotantes servent au contrôle en roulis. Celui-ci est en outre assuré aux basses vitesses par des ailerons et des spoilers. En vol supersonique, avec la voilure en flèche maximale, les contrôles longitudinal et latéral sont assurés uniquement par les élevons (parties pivotantes de l’empennage horizontal).
Pour le revêtement de la voilure et du fuselage ainsi que pour la construction de certains éléments de la structure, il sera fait appel à des alliages de titane mis au point par le constructeur à la suite de plusieurs années de recherches. Grâce à la nouvelle configuration de la voilure et de l’empennage, l’épaisseur relative de l’aile a été augmentée, ce qui a permis d’accroître le volume pour le carburant. Il y a des réservoirs dans la partie pivotante de l’aile, il y en a deux dans le caisson central de l’aile et il y en a encore dans l’empennage horizontal. Le carburant n’est pas utilisé comme moyen d’équilibrage de l’appareil lors de l’accélération transsonique.

L’installation des réacteurs sous l’empennage horizontal a par ailleurs permis de modifier également le train principal donc chaque atterrisseur est constitué désormais par deux jambes de quatre roues chacune, disposées par paires. Les jambes extérieures se trouvent pratiquement sous les pivots de la voilure. Comme l’atterrisseur avant a deux roues, le train complet comprend dix-huit roues, ce qui a permis de limiter la pression au sol de chaque roue à une valeur qui est même inférieure à celle des roues d’un Boeing 707-320 à pleine charge. Les jambes extérieures s’escamotent vers l’avant dans l’aile et les jambes intérieures vers l’arrière dans le fuselage.

Toutefois l’installation des réacteurs en arrière de train principal comporte un inconvénient ; il est possible que les compresseurs des réacteurs aspirent la boue ou les corps étrangers projetés bers l’arrière par les roues du train. D’autre part, lorsque la voilure est déployée et que les volets sont sortis, il se pose le problème de l’alimentation en air des réacteurs intérieurs. C’est la raison pour laquelle les volets déflecteurs mentionnés plus haut ont été installés des deux côtés du fuselage. Ces volets font fonction de boucliers contre les impuretés projetées vers les réacteurs par le train d’atterrissage et dirigent en même temps l’air
pur de l’extrados vers les entrées d’air. Les réacteurs extérieurs reçoivent l’air qui s’écoule le long de l’extrados de la voilure déployée et qui est dirigé vers le bas au moyen de volets à double fente.

Trois ingénieurs de la Boeing Company ont étudié et mis au point une entrée d’air pour écoulement supersonique comportant un diffuseur réglable, ce qui réduit considérablement le sifflement du compresseur sur la trajectoire d’approche et lorsque l’appareil roule au sol. Par suite d’une modification géométrique de la partie centrale du diffuseur – plus précisément par une augmentation de son diamètre – l’air qui pénètre dans le canal d’entrée à une vitesse subsonique est accéléré jusqu’à atteindre une vitesse supersonique avant qu’il n’entre dans le compresseur, de sorte que les ondes de choc produites dans le canal d’entrée empêche dans une large mesure les bruits de haute fréquence du compresseur de se répandre dans l’air. Le réglage de la section du diffuseur peut s’effectuer plus rapidement que celui de la poussée des réacteurs. Si, dans le cas d’une approche manquée par exemple, il est nécessaire de pouvoir disposer rapidement de la poussée maximale, le diffuseur peut être ouvert au maximum de son diamètre bien avant que le compresseur n’ait besoin d’une arrivée d’air supplémentaire.

Bien que le Boeing 733 effectue son approche sous un angle qui est inférieur à l’angle d’incidence du Lockheed L-2000-7, Boeing a néanmoins décidé de munir son appareil d’une pointe avant qui peut basculer vers le bas. Cependant, à part l’équipement de navigation et le pilote automatique qui ont été améliorés, peu de choses ont été modifiées dans le poste de pilotage par rapport à celui de la version antérieure.
Le fuselage suit la loi des aires ; il semble d’autre part que la partie avant du fuselage ait été quelque peu élargie. En tout cas, chaque groupe de sièges de chaque côté du couloir central mesure 160 centimètres de largeur (contre 151 centimètres sur le Boeing 707).
Le plan deux-vues du Boeing 733 font apparaître un grand nombre de hublots de très petites dimensions, ce qui semble représenter un compromis entre la solution idéale (du point de vues structural) d’une cabine sans hublot et les désirs des passagers d’avoir une bonne visibilité en vol subsonique à basse vitesse. Les plans de cabine correspondent à trois possibilités d’aménagement pour des versions touriste et mixte (première classe/classe touriste).

Boeing n’a malheureusement pas encore publié de diagrammes précis indiquant les distances franchissables en fonction de la charge marchande, mail il a été annoncé que l’appareil pourrait franchir 6 400 kilomètres (distance imposée par la FAA) avec une charge maximale de 277 passagers. Pour des raisons de structures, la charge marchande de la version actuelle est limitée à 34.000 kilos. La capacité maximale en carburant est d’environ 180.000 litres. Avec un poids maximum au décollage d’environ 270 tonnes, le nouveau Boeing 733 est considérablement plus lourd que le SST proposé par Lockheed.

Ci-dessus aménagement de la cabine dans trois différentes versions du Boeing 733. Le dessin du haut représente la version touriste aménagée pour 300 passagers ; espacement entre les sièges, 86,50 centimètres. Au milieu, une version mixte destinée au trafic intérieur américain et aménagée pour 198 passagers en classe touriste et 48 passagers en première classe ; espacement entre les sièges : 91,50 centimètres en classe touriste et 96,50 cm en première classe. En bas, une version mixte pour les services internationaux, aménagée pour le transport de 249 passagers en classe touriste et 28 passagers en première classe ; espacement entre les sièges : 86,50 centimètres en classe touriste et 1,02 mètres en première classe.
Selon les déclarations du constructeur, le coefficient d’utilisation quotidienne d’un avion supersonique de la dimension du Boeing 733 ne pourra pas être du même ordre que celui du Boeing 707-320C, par exemple, qui a atteint parfois dix-sept heures, à l’occasion de vols d’affrètement militaires. Huit à neuf heures de vol par jour, cinq à six heures de servitude au sol et huit heures de service d’entretien – voilà ce qui représente probablement les possibilités d’exploitation optimales de l’appareil. Le constructeur s’efforce surtout de parvenir à un degré de fiabilité très élevé et de faciliter au maximum l’entretien de tous les systèmes de bord. La vitesse de vol prévue – correspondant à Mach 2,7 – ne pourra probablement pas être dépassée pendant la première année d’exploitation de l’appareil, mais par la suite, avec des réacteurs plus puissants, il sera sans doute possible d’atteindre Mach 3.

Mentionnons enfin que, selon le constructeur, le Boeing 733 pourrait atterrir avec la voilure en flèche maximale ; la vitesse à l’impact serait de l’ordre de 300 km/h.
En juin dernier, des représentants de Boeing ont effectué sous la direction de M. Maynard Pennell, vice-président de la société, une vaste tournée d’informations à travers l’Europe, l’Asie et l’Australie pour mettre au courant du nouveau projet toutes les compagnies intéressées. A cette occasion M. Pennell a déclaré que durant les seuls mois d’avril et de mai plus de 1000 heures d’essais en soufflerie avaient été effectués pour étudier avec le maximum de précision la nouvelle configuration du SST sur toute la plage de vitesses. Actuellement la compagnie dépense plus de trois millions de dollars par mois et emploie 2300 à 2400 personnes (qui travaillent exclusivement sur le programme Boeing 733) pour accélérer le développement de l’appareil.

La Boeing Company s’est fixé comme but de parvenir à des performances supérieures aux normes exigées par la FAA pour ce qui concerne la vitesse d’atterrissage, les performances au décollage et la rentabilité de l’appareil en régime de croisière subsonique. Elle considère qu’elle peut répondre ainsi à l’appel d’offres de la
FAA avec le maximum de chances de succès, offrant un avion qui, malgré sa structure compliquée, représente à l’heure actuelle, sur le plan de l’exploitation la plus économique d’un avion supersonique, la solution la meilleure. Pour ce qui concerne le prix de l’appareil, ce n’est qu’à la fin des travaux de construction que l’on pourra connaître si le prix de vente avancé à l’origine – 30 à 35 millions de dollars – pourra être maintenu. Mais c’est surtout le mode de financement du programme SST américain qui déterminera finalement le prix de vente de l’unité.