Préface : Jacky Ramon
Chacun sait que Concorde est une formidable aventure, à la fois technique et humaine Dans ces pages, parlent certains qui, en le conduisant, ont eu la grande chance de leur vie et ont participé à l’Histoire de l’Aéronautique, tant pis pour notre modestie
Nous eûmes des moments prenants, parfois drôles, toujours forts.
Mais parler du Concorde au passé, déjà, ça fait mal. Qu’en restera-t-il, qu’en garder ?
Au-delà de quelques nostalgiques morceaux de métal, Concorde sera toujours un rêve. Raison supplémentaire pour le faire connaître et le graver dans nos mémoires : qu’est-ce qu’une vie sans rêve
Jacky Ramon, bonjour !
CAC – Vous avez été le dernier commandant de bord qualifié sur Concorde, six mois avant l’arrêt des vols, c’est-à-dire une carrière très courte sur cet avion. A quel moment avez-vous pensé devenir pilote Concorde : un rêve, un défi, un aboutissement ?
Jacky Ramon
J’ai été pris un peu par surprise parce qu’en fait, chaque année, dans la rédaction des vœux de changement d’avion, moi comme j’étais bien sur mon 747/400, je ne disais rien du tout ou alors le Concorde et puis, je l’oubliais. Et puis, un beau jour, « vous pouvez y aller », alors là, c’était une très, très bonne surprise. Cela dit, quand moi, à l’âge d’environ 22/23 ans, j’avais vu le 1er vol de cet avion à la télévision, jamais je n’aurais imaginé me retrouver à ses commandes quelques temps plus tard. Donc, c’était quand même évidemment un couronnement de carrière, puisque, au point de vue aéronautique civile, on ne pouvait pas rêver quelque chose de plus intéressant que ça.
CAC – Vous souvenez-vous de votre premier vol ?
Jacky Ramon
Moi, j’étais marqué essentiellement, alors que j’étais élève stagiaire, par mon premier décollage de New York. Parce qu’au moment où on était sur la piste, tout était fait, tout était prêt, tout le monde se tournait vers le pilote aux commandes et puis attendait qu’on balance les manettes en l’avant. Parce qu’on savait très bien qu’à partir de ce moment là, dans les minutes qui suivaient, tout allait très vite, et j’oserais dire, on n’avait pas droit à l’erreur. Et que, pour la moindre petite chose qui nous aurait fait dévier de la trajectoire, ou une petite faute dans la procédure anti-bruit, non seulement on était regardé par les collègues dans le cockpit et les autres avions qui roulaient sur le taxiway, mais il y avait bien quelques milliers de personnes au sol, qui avaient la main sur le téléphone pour déposer plainte parce qu’on avait fait encore plus de bruit que d’habitude. J’avoue, que, moi, j’ai hésité quelques secondes en me disant : j’ai un petit sursis avant de me lancer dans la course ; ça m’a assez frappé cette chose-là. Quant on fait évidemment le décollage du n° 001, on sait qu’on vous a confié quelque chose d’important.
CAC – N’avez-vous fait que du vol régulier, pouvez-vous-nous en parler, il y en a-t-il un en particulier qui vous a marqué ?
Jacky Ramon
A part du Paris – New York où encore je n’ai pas eu la chance de dégager sur Newark, le nombre d’aéroports fréquentés est extrêmement réduit. J’ai fait une seule boucle supersonique, que j’ai évidemment beaucoup appréciée, puisque, comme le dit Béatrice, il y avait une noria de passionnés qui était là-dedans.
CAC – Parlez-nous du dernier vol New York – Paris avec une remise des gaz spectaculaire au-dessus de Roissy. Un émouvant salut aux spectateurs venus pour la circonstance, mais surtout pour toutes celles et tous ceux qui venaient vous attendre à chaque vol.
Jacky Ramon
A la fois un enterrement et ce qui était difficile, c’était de se dire, il faut qu’on jouisse, et absolument, de chacune des dernières minutes de cet avion, mais comment voulez-vous jouir de ça alors que c’est un enterrement, quoi ?. Et donc, ça me faisait très bizarre et une pensée en particulier je me disais : et bien voilà maintenant je suis comme on dit entre guillemets « seul maître à bordé mais je peux toucher un peu les commandes, m’amuser un peu avec, comme par exemple la remise de gaz, mais dans quelques semaines, quand cet avion, c’était le Fox Alpha, sera au musée de Washington, si j’arrive là en touriste que je tends le doigt pour toucher un morceau de l’avion, je vais me faire matraquer par les vigiles et je disais, comme quoi les choses peuvent changer très rapidement et dans un sens qui, pour mon petit cas personnel, était évidemment très malheureux. C’était donc quelque chose de beau et triste à la fois.
CAC – On peut associer également je pense un émouvant salut que vous avez fait aux spectateurs venus pour la circonstance, mais surtout toutes celles et ceux qui venaient vous attendre à chaque vol et là vous avez marqué un temps d’arrêt.
Jacky Ramon
Oui, parce que pour diverses raisons et par exemple je me disais, excusez-moi de parler finances, mais vue la proportion d’argent engagé par l’état, dans l’étude, la conception de cet avion, j’estime qu’il appartenait en quelque sorte à tous les contribuables français pour ne pas dire tous les citoyens et que donc si quelques milliers d’individus avaient eu la chance de pouvoir en bénéficier, à l’intérieur, il fallait quand même au moins faire un petit quelque chose pour tous ceux qui n’ayant pas malheureusement les moyens suffisants avaient quand même, qu’ils le veuillent ou non, contribué à la fabrication de cet avion et que donc, on devait d’une façon ou d’une autre saluer ces gens là et leur faire un petit plaisir en arrêtant, faisant une remise de gaz, en faisant des choses comme ça. C’était ma conception de la chose, ce n’était pas simplement pour mon plaisir égoïste à moi, mais je savais qu’en faisant ça, je pouvais faire plaisir à quelques dizaines de millier de personnes.
CAC – Vous attendiez-vous à un tel engouement populaire ?
Jacky Ramon
Oui, finalement oui, j’étais content de voir cet engouement, s’il y en avait eu beaucoup moins ça m’aurait bien déçu, mais oui, je ne peux pas dire que j’étais fondamentalement surpris.
CAC – Si c’était à refaire, repartiriez vous pour 10/15 ans ?
Jacky Ramon
Les yeux fermés : je les ouvrirais pendant le vol quand même.
Jacky Ramon, merci.