A la question de savoir s’ils sont favorables au transport supersonique, la majorité des usagers des lignes aériennes répondraient certainement par la négative. Il y a fort à parier que la plupart des dirigeants des compagnies de transport aérien auraient la même réaction, à condition de faire part de leur opinion en toute franchise. En ce qui concerne les avions à réaction à grande capacité, les usagers exprimeraient encore probablement leur opposition ou refuseraient de se prononcer ; quant aux dirigeants des compagnies, ils se montreraient extrêmement réservés.
Abstraction faite des questions litigieuses telles que le bang sonique, le bruit au voisinage des aéroports, les voies d’accès, les formalités de douane et d’immigration et autres désagréments du transport aérien, que l’avènement d’une nouvelle génération d’avions ne fera probablement qu’amplifier, l’avis défavorable des usagers serait injustifié, car nombreux sont les avantages du trafic supersonique. La réduction du temps de vol à la moitié ou au tiers de celui des avions à réaction actuels offrira les plus vastes possibilités : elle doit permettre d’allonger les étapes et de rendre le voyage plus attrayant. Mieux vaut réduire la durée de vol que tenter d’en atténuer la monotonie par la projection de films, par des programmes de musique enregistrée, par la qualité des mets, par la distribution gratuite ou la vente à tarif réduit de boissons alcoolisées.
Cette vitesse accrue offrira-t-elle aux passagers les avantages escomptés ? Cela est plus douteux. Si sur quelques routes transocéaniques particulièrement longues, la durée du vol sera certainement moindre, sur d’autres itinéraires, en revanche, les compagnies aériennes, pour des raisons qui leur sont propres, limiteront au maximum les avantages que permettrait d’espérer le remplacement des avions à moteurs à pistons par des avions à turboréacteurs, plus rapides. Dans certains cas, cette augmentation de vitesse est même devenue un inconvénient pour le passager. C’est aussi que sur les avions à turboréacteurs, la réduction de la durée de vol – une heure et quart pour un trajet parcouru en deux heures et demie sur un avion à moteurs à pistons – a trop souvent pour effet de nuire à l’agrément du voyage, le personnel de cabine se hâtant, désormais de servir les repas pour vendre cigarettes hors taxe et boissons alcoolisées. Le renouvellement de ces opérations sur les six ou sept secteurs d’une liaison Europe-Extrême Orient, outre les paroles de bienvenue en quatre langues et les consignes de sécurité, ne laissera plus aux passagers le temps de dormir, si ce n’est par brefs intervalles. De même, si les vols sur étapes moyennes ne permettent pas de mettre à profit la supériorité, en matière de vitesse, du TSS sur les avions à réaction actuels, nombreux seront les passagers qui regretteront l’ère révolue des voyages ponctués par des haltes nocturnes dans des hôtels confortables.
Sur les avions à réactions à grande capacité, chaque passager disposera, en principe, de plus d’espace et d’un service de cabine nettement supérieur au service actuel. Mais comment espérer que l’industrie du transport aérien, soumise aux impératifs d’une augmentation des coûts que les recettes, en en diminution, sont loin de compenser, pourrait, pour les mêmes tarifs, offrir un service supérieur ? Il est bien plus probable que l’espace disponible sera en définitive mis à profit pour installer des fauteuils supplémentaires et que l’accroissement du nombre de passagers par vol sera un motif pour automatiser davantage le service de restauration à bord. Afin d’augmenter le coefficient d’occupation, partant les recettes, on s’efforcera de multiplier le nombre des escales, ce qui ne fera qu’accroître l’encombrement des salons de transit.
La ruée générale des compagnies sur le TSS et les avions géants a pour effet remarquable d’accentuer la tendance à l’augmentation des coûts et à la réduction des bénéfices. Onze compagnies américaines ont récemment examiné avec le CAB les problèmes financiers que l’industrie du transport aérien devra affronter à bref délai : la nécessite de tripler les investissements en matériel, d’entreprendre d’importantes dépenses pour résoudre les problèmes du bruit et de la pollution atmosphérique, ainsi que de l’encombrement des aéroports, améliorer la sécurité et régulariser la courbe des coûts unitaires. Des conclusions analogues ont été exprimées à la récente Assemblée Générale de l’IATA à Manille ; selon un expert financier, un grand nombre des problèmes auxquels doit faire face l’industrie du transport aérien sont dus au fait que certaines compagnies, désireuses de s’assurer un avantage immédiat, prennent des décisions sans se soucier des conséquences à plus long terme. Elles devraient, ajouta-t-il, exercer un contrôle plus rigoureux avant d’effectuer des dépenses supplémentaires ou d’accroître la capacité de leurs avions.
Pour résoudre le problème d’une capacité excédentaire, qui s’est déjà posé par le passé, les exploitants ont tenté d’accroître le volume de trafic en recourant au principe des tarifs promotionnels. Cette mesure, simple palliatif, loin d’offrir aux usagers les avantages à longue échéance, constitue même pour un grand nombre d’entre eux une véritable injustice ; c’est ainsi que des personnes âgées, dont une maigre pression constitue les seules ressources, devront payer leur billet deux fois plus cher qu’un étudiant membre de l’équipe de football de son collège, bénéficiaire d’un tarif réduit.
Pour résoudre leurs problèmes financiers, les compagnies envisagent des fusions. Cette solution peut, dans certains cas, apparaître justifiée, mais elle ne présente que peu d’avantages pour l’ensemble des usagers. Aux Etats-Unis, où le CAB protège leurs intérêts, il semble bien que des fusions permettant de réduire des coûts sans incidences sur la qualité du service de bord soient la solution idéale, mais il est douteux qu’elle puisse s’appliquer valablement dans le reste du monde et plus particulièrement en Europe. Les compagnies doivent veiller à améliorer leur productivité et à réduire leurs dépenses en simplifiant le service à bord. A l’Assemblée Générale de Manille, un orateur, traitant du problème des ventes et du développement des marchés, a déclaré : « l’industrie du transport aérien reste attachée à certains principes commerciaux datant de l’époque des avions à hélices”. Il en est de même, aurait-il pu ajouter, pour les principes d’exploitation. ”Avant l’apparition d’une nouvelle génération d’avions, déclara-t-il également, il est encore temps de procéder à des études de marché notamment plus poussées que par le passé ». Une telle franchise n’est pas fréquente ; trop rare dans l’industrie du transport aérien sont les experts qui reconnaissent l’existence d’immenses marchés encore inexplorés. En effet, le transport aérien ne représente encore, qu’une faible part de l’industrie du transport.
La nouvelle génération d’avions offre maints avantages aux exploitants : une meilleure productivité, des coûts d’exploitation moins élevés, des performances améliorées, une fiabilité accrue. C’est à eux et non aux constructeurs qu’il appartient de décider si ces avantages seront mis à profit pour améliorer le service, accroître les coefficients de remplissage et augmenter les bénéfices.