Concorde, Tupolev-144 et le programme SST ont défrayé les chroniques des semaines de vacances

On a appris, dans les derniers jours de juillet, que la Commission des Dépenses Publiques de la Chambre des Communes avait recommandé que le système de répartition des dépenses relatives à ”Concorde » entre la France et la Grande-Bretagne soit revu at que, devant l’augmentation constante des investissements afférents au lancement de ce programme, les conditions de contrôle de ces dépenses soient réexaminées. Bien qu’il soit incontestable qu’aussi bien en France qu’en Grande-Bretagne, le système du contrôle de l’affaire « Concorde” appelle à une amélioration, rien ne permettait, comme l’a fait, le 31 juillet, l’hebdomadaire ”The Economist », d’affirmer que les techniciens qui s’occupent du projet estiment que « Concorde” ne sera pas construit. Une déclaration énergique de la British Aircraft Corporation, en date du 4 août, a fait justice de la position systématique anti-Concorde adoptée par l’Economist (1). Le 3 août, M. Roy Jenkins, Ministre de l’Aviation, faisait à notre confrère le ”Figaro » une déclaration dans laquelle il réaffirmait que Concorde sera construit comme prévu. Après les discussions que nous avons eues avec le gouvernement français, nous sommes résolus de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour assurer au projet, in succès aussi grand que possible, a affirmé M. Jenkins, qui a ajouté : ”C’est tout à fait faux de considérer le développement futur du ”Concorde » comme étant an danger. Aucune enquête n’est en cours à son sujet. Notre plan d’avenir est d’aller de l’avant. Tout indique qu’il se taillera, sur le marché, une part plus grande que prévue et qu’il sera en service vers la fin de 1971 ou au début de 1972« .

(1) L’Economist a d’ailleurs publié, le 28 août, une réponse cinglante d’un commandant de bord de la BOAC à son article du 3 août.

Au sujet de ces délais, on a noté la déclaration du ministre adjoint de l’Aviation Civile de l’URSS, le Colonel-Général Georgy Schetnikov, qui a affirmé, sans aucune autre précision, que l’URSS espérait construire plus vite son premier avion de transport supersonique que la Grande-Bretagne et la France.

Cependant, aux USA, le Président Johnson a demandé au Congrès des crédits supplémentaires d’un montant de 700 millions de francs (140 millions de dollars) pour financer le développement du programme SST. La période de dix-huit mois couvrant l’utilisation de ces crédits court à partir du 1er août. Les dépenses se répartiront à peu près également entre les constructeurs de moteurs et les constructeurs de cellules. Tandis que, pour les cellules, cette « Phase II” du programme SST permettra d’atteindre le stade des maquettes détaillées en vraie grandeur et des  essais d’éléments de cellules, on vise, pour les réacteurs, à des essais  de cent heures. La phase de lancement effectif de la construction des prototypes ne commencera pas avant le début de 1967. Les techniciens US estiment que plusieurs mois sont ainsi inutilement perdus dans le démarrage du SST. Mais ils reconnaissent que le développement des moteurs d’un appareil de transport de la classe Mach 3, présente des difficultés qui ne sont pas résolues. Les mêmes techniciens US soulignent d’ailleurs le sérieux avec lequel les techniciens français et britanniques se sont attaqués au développement de ”Concorde ». Les autorités US  se sont tellement bien rendu compte de tout ceci que la FAA vient de réorganiser sa structure pour permettre au Général William F. McKee d’intervenir directement en liaison étroite avec le Général Jewell C. Maxwell qui remplace, à la date du 15 septembre, M. Gordon M. Bain. Avant de quitter ses fonctions à la FAA, M. Bain a déclaré à « Aviation Daily” qu’à son avis, la règle de répartition des dépenses de développement du STT entre l’Etat et les constructeurs (75%-25%) serait modifiée. M. Bain estime aussi que les constructeurs devraient s’engager à honorer  la liste d’attente des compagnies tenue par la FAA, que le prix unitaire de 25 à 30 millions de dollars (125 à 150 millions de francs) doit être envisagé pour le STT et, qu’à son avis, une différence de deux ans entre ”Concorde » et le « SST” ne constitue pas un handicap majeur pour le programme US.

« Concorde” volera en 1967

Une très intéressante conférence a été prononcée récemment à Londres par M. Jakimiuk, Directeur des Ventes de Sud Aviation, sur le thème de la ”coopération dans l’industrie aérospatiale européenne« . Le problème de Concorde était au centre de ce thème, et la franchise avec laquelle M. Jakimiuk l’a abordé ne pouvait que hausser l’intérêt suscité par sa conférence ; les critiques épisodiques dont est l’objet l’avion de transport supersonique franco-britannique nous incitent à en reproduire certains passages.

Le premier exemple

« Concorde” sera le premier exemple d’un projet important pris depuis le début par une équipe mixte. Malgré les difficultés de langue, d’unités de mesure et de normes, le rendement global déjà obtenu est au moins aussi bon que dans le cas d’un projet réalisé par une équipe constituée à partir de deux ou plusieurs organisations d’un même pays. Les inconvénients cités sont largement compensés par des contreparties positives résultant de l’application de deux techniques à la résolution d’un même problème.

Pour ceux qui sont familiers avec les théories des civilisations d’Arnold Toynby on peut dire que le principe de relever le défi s’applique au cas considéré.

L’utilisation de deux méthodes différentes pour résoudre un problème donné peut permettre de trouver une troisième méthode dans laquelle les inconvénients des deux premières sont éliminés et qui présente des avantages nouveaux apparaissant au cours de la superposition des deux méthodes.

Les discussions résultent de la nature des problèmes et non de la nationalité des interlocuteurs. La confrontation des idées conduit à un enrichissement certain, car l’expérience consiste surtout à savoir ce qu’il ne faut pas faire ; de sorte que l’addition des données françaises et anglaises aura permis de diminuer considérablement les futurs aléas.

L’efficacité d’abord

Vue aérienne des ateliers de Sud Aviation à Toulouse-Saint Martin. Halls de montage ou seront installées les chaînes d’assemblage de Concorde. Centre des essais en vol.

Pour éviter une collaboration se limitant à des circuits de papiers et assurer une efficacité maximum dans la conduite du projet, l’organisation industrielle a été établie comme s’il s’agissait d’une société unique. Les fonctions ont été précisées en descendant dans le détail et en indiquant sans ambiguïté possible : qui fait quoi et qui est responsable devant qui, les responsabilités étant exercées par des personnes appartenant à l’une ou l’autre société.

Au lieu d’avoir une seule pyramide à base forcément trop large, on a obtenu ainsi deux pyramides juxtaposées ; les homologues de chacune d’elles se connaissent, s’estiment et sont devenus des amis.

Cette amitié a été d’autant plus facile que la crainte de perdre sa place au profit de son ”opposite member », qui existerait certainement s’il s’agissait de sociétés de même nationalité, est absolument exclue.

Avant tout, les gens se considèrent non comme anglais ou français, mais comme appartenant au bureau d’études, à la production ou aux ventes et, s’il devait y avoir des lignes de tranchées, elles passeraient entre les professions et non entre les nationalités.

Les problèmes du langage

Installation d’un réacteur Olympus sur le banc1H8 nouvellement construit par la SNECMA

Le personnel français et britannique faisant partie des bureaux techniques et de la production, possède généralement quelques éléments des langues respectives étudiées au cours des études supérieures ; les Français ayant participé à la seconde guerre mondiale ont appris l’anglais durant les années passées dans l’armée. D’une façon générale l’anglais est mieux connu parmi les Français que le français parmi les Anglais, l’instruction dans les pays anglo-saxons, étant beaucoup plus spécialisée que dans ceux de l’Europe continentale. Les cours de langues sont organisés dans les deux pays et des progrès sensibles ont été réalisés. Tous les documents sont bilingues.

Mesures et normes

La différence des systèmes de mesure représente un problème probablement plus difficile, car les universités de mesure sont utilisées par l’homme de l’atelier qui n’a pas la moindre idée de la dimension du pouce, ou, le cas échéant, du centimètre.

Le personnel de production français a toutefois des connaissances étendues des mesures anglaises ; plusieurs avions britanniques et américains ont été construits sous licence par Sud Aviation.

Tronçon-fuselage voilure de Concorde en cours de montage dans les ateliers de Sud Aviation à Toulouse Saint Martin.

La connaissance du système métrique est moins approfondie en Grande-Bretagne ; en dépit de cela, une décision a été prise de considérer le système métrique comme un système de base pour les dimensions de Concorde. Ainsi, les dessins sont cotés en mm (dans beaucoup de cas, les dimensions en pouces sont mises à côté, entre parenthèses, sans que cela soit une obligation).

La plupart des pièces standard sont choisies en utilisant les normes américaines (fils, boulons, roulements, etc) certaines sont conformes aux normes A.I.C Européennes (rivets) et certaines normes BNaé françaises (cannelures) ; d’une façon générale toutes les pièces détachées qui se trouvent habituellement dans les stocks des Compagnies sont fabriquées suivant les normes américaines de façon à faciliter leur approvisionnement. Ainsi, un pas important vers l’unification des pièces de rechange standard a été réalisé.

Fabrication d’outillage

La plupart des procédés (soudure par points, traitement de surface, etc) sont ceux de Sud Aviation. Pour l’usinage automatique (panneaux à raidissage intégral) l’expérience a été accumulée grâce aux méthodes de fabrication appliquée au Mirage et au VC-10.

Une liberté considérable a été laissée aux deux pays en ce qui concerne la fabrication des ensembles alloués à chaque pays. Toutefois, l’interchangeabilité est assurée au moyen de gabarits identiques et l’assemblage final suivant la même méthode aussi bien à Toulouse qu’à Filton.

Le programme

  1. Jakimiuk a rappelé enfin que le programme comporte la réalisation de deux prototypes et d’un avion d’avant-série de chaque version : moyen et long-courrier.

Deux chaînes de montage seront établies et la cadence globale prévue pour la série est de 3 appareils par mois, en régime de croisière.

Le calendrier estimé est le suivant :

– Premier vol du premier prototype, seconde moitié de 1967.

– Premier vol du premier avion de série, fin de 1969.

– Certification, fin de 1970.