Commentaires : Jean PINET
A 36.000 pieds, premier passage du mur sonique ; Mach 1,05 pendant 9 minutes. Equipage : Jean Pinet, André Turcat, Henri Perrier, Michel Retif.
Jean Pinet raconte…. Le vol était prévu dans les premiers jours d’octobre et il ne faisait aucun doute dans mon esprit qu’André Turcat allait tenter lui-même l’épreuve. Qui serait le second pilote n’était pas de mes soucis. Jean Franchi, pilote d’essais prestigieux, venait rejoindre l’équipe et sa place aux côtés d’André eut été quasi normale. En revanche, responsable des essais QDV (qualité de vol), étais anxieux des résultats. Aussi lorsqu’André m’appelle dans mon bureau, la veille du vol, pour revoir les essais de simulateur, je m’empresse de m’y rendre avec mes documents.
J’ai la surprise de le trouver seul. Avec l’un de ses sourires sérieux dont il a le secret il me dit seulement que nous serons tous deux du vol, et il ajoute une petite phrase qui me surprend à froid : « Tu seras à gauche“, ce qui signifie que je serai le pilote…. Nous enchaînons immédiatement sur le briefing auquel s’est joint Henri PERRIER, patron incontesté des ingénieurs navigants d’essais de Concorde.
Nous définissons exactement les manoeuvres à exécuter, les évasions éventuelles et la limite maximum à ne pas dépasser dans ce vol avant de dépouiller les résultats enregistrés. Mach 1,05.
Le 1er octobre, nous décollons avec le 001 et montons rapidement à l’altitude de l’essai. La visière est relevée et le cockpit devient relativement silencieux, dans une ambiance de « sous-marin” car la visière est métallique et ne permet qu’une vision parcimonieuse vers l’avant.
Dans les vols précédents, nous étions allés progressivement vers le haut subsonique et nous nous étions arrêtés à l’apparition du phénomène d’instabilité en vitesse, lorsqu’il faut tirer sur le manche alors qu’on accélère.
Tous automatismes coupés, en vol horizontal, j’accélère lentement à partir de Mach 0,95 prêt à décélérer si nécessaire. Lentement, les chiffres du machmètre défilent pendant que j’analyse les effets en les commentant de vive voix. Rien d’anormal alors que je lis les 0,96 – 0,97 – 0,98 – 0,99. Il me semble que l’inversion prévue des déplacements du manche est moindre que calculée. L’indication Mach 1,00 surgit sans autre effet que son apparition. Puis 1,01 – 1,02 – 1,03 – 1,04. L’inversion est nette mais sans problème.
J’ai physiquement l’impression de contenir une machine ne demandant qu’à bondir de l’avant. Mach 1,05. La limite fatidique est là. Je stabilise et fais quelques évolutions, toujours sans problème.
Un peu déçu de n’avoir pas poursuivi je redescends et j’atterris à Blagnac.
A l’arrivée au parking, il y a du monde et dès les moteurs coupés, une échelle est vivement placée devant le nez de l’avion et un mécanicien y accroche ce qui semble être une pancarte trouée. Puis nous descendons l’escalier de coupée et je suis assailli par une poignée de journalistes avec caméras, micros et bloc-notes… André et moi allons vers les représentants du bureau d’études, SERVANTY en tête, pour qu’ils aient la primeur de nos constatations…. (revenons à l’avion) nous fûmes poussés devant (lui) et sa pancarte accrochée au nez. Elle figurait un panneau brisé avec écrit :
Ils l’ont FRANCHI !