Le projet de courrier supersonique Boeing 2707-300 soumis le 15 janvier dernier à la FAA a déjà fait l’objet d’un article dans Interavia 2/1969. Comme on le sait, le type d’appareil finalement retenue (cf. figure 1 pour les dimensions) comporte, au lieu de la voilure en flèche variable initialement étudié, une aile delta fixe sous laquelle sont installés les réacteurs et se caractérise en outre par un empennage horizontal.


Figure 1. Plan trois-vues du prototype du Boeing 2707-300, le courrier supersonique américain. Les dimensions sont indiquées en pieds et pouces.


Quelques renseignements ont été publiés récemment sur le coût et le financement du programme TSS americain. Selon les estimations officielles, les travaux de mise au point, y compris les 100 premières heures de vol des prototypes, reviendront à 1,2 milliard de dollars environ, à savoir 798 millions pour la cellule et 364 millions, pour les réacteurs. Le financement sera assuré par l’Etat à raison de 90% et par les constructeurs pour le reste jusqu’à concurrence d’un montant déterminé, puis à raison de 75% et 25% respectivement. Les acomptes versés par les compagnies aériennes intéressées viennent en déduction de la somme représentant la participation de l’Etat et aucune aide gouvernementale n’est accordée pour les investissements que nécessitent les nouvelles installations de production. Au fur et à mesure de la vente des TSS, l’Etat récupérera les fonds avancés, Le dernier remboursement devant avoir lieu lors de la livraison du 300ème appareil.

Le président Nixon s’est prononcé récemment en faveur de la poursuite du programme TSS mais plusieurs tranches de crédits doivent encore être débloquées par le Congrès : 96 millions pour 1970, 314 millions pour 1971, 189 millions pour 1972, 48 millions pour 1973 et 15 millions pour 1974, soit un montant global de 662 millions de dollars pour les cinq exercices à venir.

Selon le calendrier actuel, le premier prototype doit voler vers la fin de 1972 et le second prototype trois à quatre mois plus tard. Ce n’est qu’après l’accomplissement de la 100ème heure de vol, vers la mi-1973, que commenceront les préparatifs en vue du lancement de la production, l’appareil de série pouvant ainsi bénéficier des enseignements recueillis pendant la première phase des essais. Les prototypes, dont l’homologation n’est pas envisagée, compteront au total 1700 heures de vol lorsque sera délivré le certificat de navigabilité pour la version de série. L’homologation du réacteur General Electric GE4 (30.400 kilos de poissée environ) est prévue pour le second trimestre 976 et le premier appareil de série volera vers la fin de la même année. Trois autres appareils de série effectueront leur premier vol en 1977. Les livraisons du TSS américain pourraient commencer peu après la certification de type, escomptée pour le deuxième trimestre 1978.

Avant la modification complète du projet en 1968, Boeing tenait beaucoup à la formule de l’aile en flèche variable, qui assure d’excellentes qualités de vol, notamment aux basses vitesses. D’après les calculs, les vitesses et les longueurs de roulement à l’atterrissage d’un avion à géométrie variable sont nettement inférieures à celles d’un avion à voilure fixe, à condition que l’augmentation de la masse à l’atterrissage par suite de la plus grande complexité de l’aile n’excède pas 4% environ. Le principe de la géométrie variable semblait offrir aussi des avantages pour le vol à vitesse élevée avec une voilure en flèche et vrillage adéquats. Ainsi que devaient le démontrer les essais maquettes en soufflerie, aurait permis d’obtenir une finesse de l’ordre de 9 à Mach 3. Etant donné son efficacité aux vitesses supersoniques et l’effet favorable de sa grande envergure en position déployée pour le vol subsonique, on pouvait escompter une économie de carburant au minimum équivalente à l’accroissement du poids de la voilure. L’ancienne formule prévoyant un ensemble voilure-empennage intégré impliquait l’installation des réacteurs dans des nacelles distinctes afin d’éviter des perturbations simultanées dans l’entrée d’air de deux moteurs, l’utilisation de tout le volume utile de l’aile pour l’emport du carburant et l’implantation de l’empennage de façon à le soustraire à l’action des gaz d’éjections. Par rapport à la configuration à empennage non intégré, cette formule offrait, à épaisseur de profil égale, un caisson de voilure de plus grande profondeur, donc la possibilité d’emporter davantage de carburant.

Vers le début de 1968, on s’aperçut cependant qu’un projet d’avion de ligne à géométrie variable serait irréalisable pour diverses raisons. Il s’avéra en effet impossible de rapprocher les pivots suffisamment du fuselage pour tirer pleinement parti des avantages offerts par l’aile à flèche variable dans le domaine des vitesses subsoniques et pour justifier l’augmentation de poids et la plus grande complexité. La position des pivots est déterminée par celles des moteurs et du train d’atterrissage. Par ailleurs, l’empennage horizontal devant être situé en dehors des jets de gaz des moteurs, quels que soient les angles d’incidence et de dérapage, il importe d’installer les moteurs à une certaine distance de l’axe longitudinal du fuselage. L’utilisation de nacelles doubles n’est en outre pas indiquée pour les raisons exposés plus haut.

Le décalage vers l’extérieur des pivots aurait nécessité l’utilisation d’un apex de plus grandes dimensions, ce qui se serait traduit par des déplacements assez importants du foyer aérodynamique en cas de modification de la vitesse ou de l’incidence. Il aurait donc fallu choisir un plan de dimensions relativement élevées pour la configuration à empennage non intégré, voire un canard pour l’autre configuration, afin de réaliser un appareil

caractérisé par une stabilité et une maniabilité longitudinales satisfaisantes dans l’ensemble du domaine de vol. A rigidité égale, une augmentation de la surface de l’empennage aurait toutefois entraîné un accroissement sensible de la masse du fuselage.

Aucune solution d’ordre aérodynamique ne s’offrait pour obtenir la finesse requise aux vitesses subsoniques et supersoniques, la réalisation d’une aile pivotante appropriée s’avérant techniquement impossible (problèmes posés par le chevauchement de certaines parties de la voilure, par les caractéristiques des pivots qui déterminent l’épaisseur de l’aile etc.) et la faible envergure des demi-ailes mobiles ne permettant de disposer que d’une surface réduite pour obtenir la portance requise aux basses vitesses.

On savait parfaitement qu’il est difficile de loger des réservoirs de carburant dans une voilure à flèche variable. Pour assurer l’autonomie de vol désirée ; la voilure aurait donc dû être surdimensionnée. D’autre part, la formule à empennage intégré aurait présenté l’inconvénient de la mauvaise répartition des masses propres à toutes les configurations de TSS sans empennage, ainsi que celui d’exiger des systèmes de commande relativement lourds pour permettre un bon contrôle en tangage et en lacet.

Après avoir effectué tous les calculs en vue de satisfaire aux exigences en matière d’autonomie et de qualités de vol aux basses vitesses ; on constata que dans le cas de l’avion à géométrie variable, l’augmentation du poids de l’aile eût représenté non pas 4% environ mais 6 à 7% du poids total à l’atterrissage. C’est pourquoi l’ancien projet fut abandonné.
Pour les travaux de réévaluation entrepris au début de 1968 conjointement avec la FAA et la NASA, les ingénieurs fixèrent divers critères de conception fondés sur les Tentative Airwortyhiness Standards de la FAA, les Federals Air Regulation et des normes établies par Boeing.
Voici quelques-uns de ces critères :
– Quel que soit l’angle d’incidence du moment aucun mouvement de cabrage ne devra entraîner un décrochage incontrôlable ; cette condition est à remplir sans qu’il soit nécessaire d’utiliser un pousseur de manche automatique.

– Les qualités de vol de l’appareil dans sa phase d’approche et à l’arrondi devront permettre d’effectuer des atterrissages de précision comparables à ceux que l’on réussit avec les avions de ligne subsoniques actuels.

– Pour le cas du redressement au cours d’un piqué avec les moteurs développant la pleine puissance (utilisation de la PC), l’appareil devra répondre aux normes nouvellement proposées même si l’un de ses circuits hydrauliques est en panne.

– En cas de modification anormale de l’assiette par suite d’une panne de l’un quelconque des moteurs en vol horizontal ou pendant une manoeuvre, le contrôle de l’appareil devra être possible par une simple action sur le volant.

– Il importe qu’aucune partie de la cellule ne soit touchée par les gaz d’éjection des moteurs.

Par exemple, l’adjonction d’un empennage horizontal à un appareil doté d’une aile delta se traduit par une nette amélioration de la stabilité aux angles d’incidences élevés. Pour l’obtention du couple piqueur nécessaire à la reprise du contrôle dans les conditions du “deep stall”, tant les avions à géométrie variable que les avions à aile delta et sans empennage nécessite d’ailleurs soit un plan horizontal supplémentaire, soit un système complexe de transfert de carburant.

Ainsi que l’ont démontré des essais sur simulateur, les configurations caractérisées par des masses réparties autour du centre de gravité et par un empennage à grand bras de levier permettent de réaliser sans trop de difficultés des appareils ayant un assez bon comportement à l’arrondi sous l’effet de rafales.

Des conditions ont également été fixées pour ce qui concerne l’exploitation, notamment les suivantes :

– Dès le stade prototype, l’appareil devra être suffisamment au point pour permettre, de manière rentable, le transport de passagers sur les étapes ayant au moins la longueur de la ligne New York-Paris.

– Pour ce qui est du bruit au voisinage aéroports et dans le secteur d’approche, l’appareil devra répondre aux nouvelles normes proposées pour les avions subsoniques.

– L’appareil devra pouvoir utiliser à pleine charge tous les aéroports internationaux actuels et satisfaire aux normes de sécurité relatives au vol à vitesse réduite.

– Sur les lignes étudiées par les compagnies de transport aérien, les services devront pouvoir être assurés en partie à vitesse supersonique et en partie à vitesse subsonique sans qu’il soit nécessaire de limiter la charge marchande.

Lors de la réévaluation du TSS américain, effectuée par plusieurs groupes d’études concurrents, toutes les configurations possibles furent examinées une nouvelle fois. Sur une quinzaine d’avant-projets ainsi élaborés, trois firent l’objet, à partir de juillet 1968, d’une étude approfondie. Le premier, désigné 969-404, était celui d’un appareil à aile en flèche variable et empennage non intégré (Figure 2).
Grâce à l’installation des moteurs dans des nacelles doubles et à l’implantation adéquate de l’empennage, celui-ci aurait bien été soustrait à l’action des gaz d’éjection. Le deuxième avant-projet, qui portait la dégnation 969-320, se caractérisait par une voilure à flèche, cambrure et vrillage très prononcés (Figure 3).
Une variante du même type d’appareil étudiée ultérieurement (désignation 969-321) possédait un petit empennage horizontal et des élevons. Du point de vue de la rentabilité en vol de croisière à vitesse supersonique, ce projet paraissait particulièrement prometteur. Le troisième type d’appareil, désigné 969-302, préfigurait le Boeing 2707-300.
Il représentait l’aboutissement de plus de dix années de travaux d’études consacrées à un TSS à aile delta classique. Cet appareil possède une voilure équipée de dispositifs hypersustentateurs de bord de fuite et de bord d’attaque, ainsi qu’un stabilisateur à incidence variable avec gouverne de profondeur.

Les figures 4 à 8 donnent un aperçu des principaux résultats auxquels ont abouti les travaux d’études préliminaires. Comme on peut le constater, l’avant-projet 969-302 est le plus intéressant, ce qui explique le choix de la configuration 2707-300 qui en dérive. Notons que les graphiques sont fondés sur des données concernant le prototype du TSS américain. Bien entendu, les performances de la version de série seront encore supérieures, celle-ci bénéficiant de toutes les améliorations que permettront de lui apporter les techniques modernes en constante évolution.

Figure 4. Distance franchissable en fonction du poids de chacun des trois appareils préalablement étudiés par Boeing. Conditions atmosphérique standard + 8°C ; utilisation de réacteurs GE4/J5P dotés de silencieux et caractérisés par un débit d’air de 287 kg/s ; +/- distance franchissable totale, y compris 650 km parcourus à vitesse subsonique.
Figure 5 Distance totale franchissable en fonction de la distance parcourue à vitesse subsonique.
Légende :
► M = nombre de Mach ;
► RF = facteur de distance ;
► MTW = poids maximum au roulage.
Figure 6. Conditions d’exploitation des trois types d’appareils qui ont fait l’objet d’études préliminaires (atmosphère standard + 8°C ; utilisation de réacteur GE4/J5P ; en trait continu = vol à vitesse supersonique seulement en trait interrompu = y compris 650 km parcouru à vitesse subsonique
Figure 7 : Performances au décollage des trois types d’appareils (longueur de piste nécessaire ; atmosphère standard, + 15°C ; niveau de bruit ; atmosphère standard + 10°C, utilisation de silencieux et pente de montée de 6% à partir d’un point situé à 6,5 kilomètres de l’aéroport ; en trait continu = vol à vitesse supersonique seulement, en trait interrompu = y compris 650 kilomètres parcourus à vitesse subsonique.
Figure 8 : Performances à l’atterrissage des trois types d’appareils (longueur de piste nécessaire ; atmosphère standard, piste sèche, sans inversion de poussée ; niveau de bruit : à 1,85 kilomètres du seuil de la piste, avec utilisation de silencieux) ; en trait continu = vol à vitesse supersonique seulement ; en trait interrompu = y compris 650 kilomètres parcouru à vitesse subsonique.



Figure 9 : Cette photo montre sur un banc d’essais un moteur de démonstration General Electric GE4 dont le canal d’entrée d’air a été réalisé par Boeing.