Article de Pierre CONDOM

Concorde a volé. Des centaines de reporters photographes étaient là. L’enthousiasme des premiers jours était revenu. L’émotion était grande devant ce nouveau pas vers le succès d’un programme maintes fois remis en cause.
Concorde vole et vole même mieux qu’on ne l’espérait. Sa stabilité à basse vitesse semble supérieure à celle d’un Boeing 707. Mais le 001 est-ce bien Concorde ? On savait depuis longtemps que les appareils de série seraient profondément différents des prototypes bien que leur aspect extérieur ne le laisserait voir, fuselage agrandi, atterrisseurs modifiés et probablement, voilure améliorée. Mais depuis quelques mois on apprend jour après jour ce que chacun pensait, mais espérait encore éviter, le remplacement par des matériels américains de la plupart des équipements d’origine.
Etait-ce possible ? On peut le croire, mais on peut aussi le nier avec autant de raison. La question serait plutôt de savoir si tout a été fait pour éviter cette issue.
Les services officiels français et britanniques quoi qu’on en dise parfois les industriels, ont fait de leur mieux pour protéger le matériel national et c’est au niveau des utilisateurs que se situe le mal. Nous avons maintes fois expliqué le processus qui conduit presque automatiquement à l’échec de toute tentative pour lancer sur le marché de l’aviation commerciale des équipements importants, il est malheureux que là où les constructeurs devraient trouver leur unique soutien, c’est-à-dire en France même, ils ne rencontrent pas beaucoup de compréhension.
Devant l’impossibilité de vendre aux compagnies exploitant les grandes lignes intercontinentales des matériels importants, la seule solution pour pénétrer sur le marché civil semble être, en fin de compte, d’essayer de prendre position, en coopération avec d’autres pays européens, sur des appareils moyens ou court-courriers pour lesquels le problème du service après-vente et de l’entretien des stocks se posera de façon moins cruciale. L’Airbus et peut-être plus encore le ”Mercure » pourrait permettre aux fabricants d’équipements d’obtenir dans le domaine de l’aviation commerciale la place que leurs efforts méritent, et en écrivant cela, nous ne pensons pas exclusivement aux fabricants français.

Le système de navigation à inertie

Nous avons à plusieurs reprises parlé du remplacement du système de navigation à inertie développé conjointement par la société française SAGEM et la firme britannique Ferranti par une plate-forme américaine Litton LTN-51. A la suite des nombreux commentaires que ce remplacement a suscité, dans l’ensemble de la presse, la SAGEM a diffusé le communiqué que nous publions ici.
Dès la fin 1963, il apparaissait à Sud Aviation – BAC que le pilotage et la navigation de « Concorde” imposaient de remplacer les équipements de référence conventionnels par un système à inertie ; ”Concorde » était ainsi le premier avion commercial conçu pour être équipé d’un système de navigation par inertie.
SAGEM-Ferranti, étaient choisis, début 1965, pour l’étude et la réalisation du système à inertie répondant aux besoins de Concorde. C’est ce système, le SF500-AE51 qui après plus d’une centaine de vols satisfaisants sur « Caravelle” du CEV, effectués depuis fin 1967, a fourni pour le premier vol de Concorde, les informations nécessaires au pilotage et à la navigation.

Qu’apporte donc un système de navigation par inertie ?

1 – Il fournit, avec une excellente précision (10 minutes), la verticale vraie totalement indépendante des évolutions de l’avion. On sait qu’une centrale de verticale conventionnelle tend à suivre la verticale apparente et qu’il faut user d’artifices (constantes de temps – coupures d’érection) pour que l’indication qu’elle fournit ne s’éloigne pas trop de la verticale vraie. Ces artifices sont inefficaces pour un avion comme ”Concorde » dont les phases d’accélérations durent longtemps.

2 – Après s’être aligné lui-même de façon autonome, en trouvant sans aide extérieure la direction du Nord, il conserve cette référence et fournit donc le cap géographique avec une précision inertielle (les gyroscopes d’un système inertiel ont des dérives qui sont de quelques centièmes de degrés par heure) ; une centrale de cap conventionnelle ne fait que conserver le cap qui lui a été fourni au départ, en dérivant de quelques dixièmes de degrés par heure.

3 – Il élabore, à partir de ses senseurs gyroscopiques et accéléromètriques, la vitesse-sol et la position. Ces informations ne sont pas soumises aux aléas de propagation de réflexion des ondes radioélectriques : c’est le système « tout temps” parfait.

4 – Connaissant à tout moment la position et ayant en mémoire les coordonnées du point de destination ou de points tournants intermédiaires, son calculateur digital effectue les calculs de guidage : route à suivre, écarts par rapport à cette route, ordres à envoyer au pilote automatique pour la rejoindre, etc.

5 – Les informations sont disponibles sous une forme directement exploitable, la charge de travail de l’équipage s’en trouve grandement allégée (rappelons que « Concorde” a une équipe à trois).

6 – Son calculateur digital exerce en permanence une surveillance du fonctionnement interne (détection de pannes).

Toutes ces fonctions réalisées par le SF500-AE51 qui a participé activement au premier vol ”Concorde », intéresse particulièrement les compagnies aériennes pour les avions en service (Boeing 707, DC-8) et les avions à venir (Boeing 747, Concorde). Elles ont défini, en décembre 1966, la spécification, ARINC 561 pour le système à inertie standard utilisable sur tous les avions subsoniques ou supersoniques.
Le système SF500-AE51, défini plus de trois an auparavant, ne répondant pas à cette spécification, ne pouvait être comparé à des systèmes personnalisés.
Les crédits nécessaires à l’adaptation de ce système à cette norme n’ayant pu être dégagés, Sud Aviation, qui a la responsabilité des équipements de navigation du « Concorde”, a été amené, pour les avions de présérie et de série, à choisir, en juillet 1966, un système d’origine américaine.
Le système retenu est le système LTN-51 Litton qui, actuellement, est le seul système de navigation par inertie conforme à la norme ARINC 561 à être certifié FAA, et ceci depuis le mois d’avril 1968.
Le LTN-51 équipe déjà les avions commerciaux de plusieurs compagnies aériennes ; entre autres, SAGEM en assure l’installation à bord des Boeing 747 d’Air France (1).
(1) La société Air France qui avait commandé une première tranche de 15 plate-formes LTN-51 en a par la suite commandé une deuxième tranche du même nombre. Les premiers appareils livrés sont maintenant en service et ont donné jusqu’ici, satisfaction.
Il est à noter que depuis le mois de juillet 1967, la SAGEM a signé avec Litton un contrat de vente et de licence de fabrication et que le système LTN-51, pour l’équipement du TSS ”Concorde », serait, de ce fait, fabriqué par elle en France avec la participation éventuelle de l’industrie britannique
Il est à déplorer que, faute de crédits, l’industrie franco-britannique n’ait pu développer un système de navigation par inertie ARINC 561 ; mais par suite des accords pris, les systèmes installés à bord des TTS « Concorde” pourront tout de même être de réalisation franco-britannique.

L’atterrisseur de ”Concorde ».

Lors du premier vol du prototype du supersonique franco*britannique, l’une des choses qui ont le plus frappé les personnes présentes, c’est sûrement le train d’atterrissage qui, comme c’est la coutume, est resté sorti pendant toute la durée de l’expérience.
Ce train qui possède un air de famille avec celui du « Mirage IV”, a été réalisé sous la maîtrise d’oeuvre de deux sociétés françaises.
Le train avant et sa commande d’orientation, ainsi que la béquille arrière, ont été conçus et construits par Messier, alors que le train principal, réalisé par Hispano-Suiza, a été dessiné en coopération avec Messier.
Le train avant réalisé par Messier, est le développement normal de celui du ”Mirage IV », conçu par la même société, il y a dix ans. Sur les deux photos, on reconnait facilement les mêmes éléments constitutifs.

Ci-dessous. Vue du train principal gauche du prototype 001 réalisé par Hispano-Suiza en coopération industrielle avec Messier.
Pneus chauds.


Pneus chauds.

Lors de son premier vol, le Concorde 001 était équipé de pneumatiques développés spécialement pour ce type d’application par Kléber-Colombes. Le problème principal qu’avaient à résoudre les techniciens était plus dur aux conditions d’utilisation, qu’aux dimensions.
En effet, il est impossible de refroidir complétement le logement du train et la température y atteint jusqu’à 80°C (la paroi de l’avion elle-même est portée à plus de 130°C). Les échauffements des pneus proviennent en définitive du travail propre du pneu en roulement sous charge, à forte dépression au décollage et à l’atterrissage, de la température régnant dans le logement des pneus et enfin de la chaleur dégagée par les freins se communiquants aux roues et aux pneus.
Le train principal était équipé de huit pneus 45 x 15.75-21 (1.146 x 398 mm) et le train avant de deux pneus 31 x 10. 75-14 (787 x 273 mm). Ces pneus ont été calculés pour une charge totale de l’avion de 145 tonnes et sont gonflés à la pression de 12,4 bars (180 PSI). Kléber étudie, pour la version de série de l’appareil, des pneus capables de supporter 165 tonnes.