Article de Jacques MORISSET
Une nouvelle étape du programme « Concorde” a été franchie la semaine dernière à Toulouse avec la fin des essais statiques ”à froid » effectués depuis août 1969 sur une cellule complète de l’avion. Sils sont évidemment moins spectaculaires que les essais en vol, ces essais statiques de fatigue, sont absolument vitaux pour le nouvel avion. C’est ce qu’ont fait ressortir, en les commentant, M. Guista, Directeur Général de l’Aérospatiale, et l’Ingénieur Général Faury, Directeur du CEAT (Centre d’Essais Aéronautique de Toulouse), où se sont déroulés pendant quinze mois ces essais.
L’installation utilisée à cet effet a été réalisée spécialement pour Concorde à l’établissement de l’Hers. La vérification expérimentale de la résistance statique d’une cellule d’avion permet d’en connaître avec précision les limites d’utilisation, et de procéder éventuellement à temps à tout renforcement de structure qui se révèlerait nécessaire. Des vérins hydrauliques pilotés permettent de simuler les charges aérodynamiques et les forces d’inertie encaissées par l’avion dans les différentes configurations de vol. Les vérins hydrauliques sont maintenant préférés aux vérins électriques télécommandés, car ils sont plus précis, d’un emploi plus souple et de performances supérieures. Ces essais sont évidemment très longs dans leur exécution, car ils exigent des montages très complexes à réaliser, ils représentent une charge de travail très importante.
Lors des essais, des mesures d’efforts, de déformations, de contraintes sont effectués ; pour ce faire, 8000 capteurs sont répartis sur la surface de la cellule ; ils permettent d’enregistrer et d’analyser, grâce à un ordinateur (le dépouillement des mesures s’effectue automatiquement), le comportement e l’avion.
Dans cette tâche difficile, le CEAT est passé maître ; ses équipes disposent d’une expérience extrêmement étendue. Ces mêmes équipes vont maintenant s’attaquer à d’autres essais statiques sur le même avion, mais cette fois « à chaud”. Pour ce faire, on procède déjà à la mise en place d’une enveloppe composée de nombreux éléments dotés de tubes infrarouges. Ces tubes seront ”pilotés » dans le temps, afin que puisse être stimulé avec la plus grande exactitude un vol réel, avec ses phases d’échauffement et refroidissement très brutales. La puissance électrique utilisée est énorme : 20.000 kW ; encore faut-il la domestiquer, comme indiquée déjà, et prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter des surchauffes accidentelles (d’autant plus que l’appareil est peint en noir, afin de mieux absorber la chaleur). Un système énergique de refroidissement par circulation d’air froid est donc également mis en place. Cet air est refroidi par injection d’azote liquide.
Ces essais statiques à chaud devraient commencer fin mai début juin 1971, et seront achevés fin 1972. A noter encore qu’un nouveau hall d’essais est en édification à côté du hall « Concorde” : destiné à l’Airbus européen A300B, il sera achevé dès l’an prochain.
Les essais de fatigue seront effectués en Grande-Bretagne, par le RAE, sur une autre cellule complète de Concorde. Délicats, très longs à préparer, ils ne commenceront qu’en 1972. Mais les essais sur une cellule complète doivent être précédés par des essais partiels, effectués sur des tronçons de l’appareil. De tels essais s’effectuent également au CEAT, ils n’ont évidemment de sens que s’ils sont reproduits un grand nombre de fois et s’ils s’effectuent là aussi dans une ambiance thermique reproduisant celle d’un vol. A Mach 2, ne l’oublions pas, les points les plus chauds de Concorde (nez avant, bords d’attaque) seront portés à 120-130 degrés C.
En fait, les premiers essais ont commencé à Toulouse, il y a 8 ans, d’abord sur des éléments, puis sur des sous-ensembles, enfin sur des ensembles (tronçons de fuselage et de voilure). Les installations utilisées, extrêmement perfectionnées, ont déjà permis de simuler plus de 60% de la durée de vie de l’avion, soit 26.000 vols sur les 40.000 prévus Un vol de trois heures est simulé en 45 minutes au moyen d’un cycle accéléré. Le carburant contenu dans la voilure s’échauffe puis cède de la chaleur accumulée, exactement comme cela se produit dans un vol réel. A Pont-de-l’Hers, les essais se poursuivent ainsi depuis 1967 sur le tronçon dit 26-27 (fuselage et aile arrière), avec une installation automatisée et surveillée à distance.
Lors de cette visite, nous avons pu voir également, en fonctionnement, deux machines d’essais très spectaculaires : l’une est utilisée pour les essais de fatigue d’un train principal de l’avion de présérie (162 tonnes) ; depuis novembre 1969, ce train a subi 23.000 vols au moyen de 120.000 cycles (coefficient 5). L’autre machine est celle qui permet d’essayer les pneumatiques en temps réel, avec simulation de la charge (20 tonnes), de la vitesse de roulement (jusqu’à 400 km/h) et de l’élévation de température (avec de l’air chaud à 150 degrés C, on simule les trois heures à 80 degrés C d’un vol réel). Malgré cela, les pneumatiques devront tenir 50 vols. On en est déjà, sur le prototype, à 30 vols.
Le nouveau président de la BOAC est, à priori, favorable à Concorde
Interviewé au lendemain de sa nomination à la présidence de la BOAC, le nouveau président : Mr Keith Granville, a fait état, en ce qui concerne Concorde, de son optimisme prudent. La BOAC est en faveur de l’avion de transport supersonique franco-britannique et à condition que le côté technique aille bien, nous trouverons les moyens de faire de Concorde un succès. En effet, nous voulons passer au supersonique, c’est une étape nécessaire mais nous ne voulons la franchir que dans des conditions économiques raisonnables.
La BOAC a échangé des informations avec les constructeurs et il est clair que l’appareil devra être exploité avec un supplément de prix important. Mr Granville n’est pas d’accord avec la suggestion de Mr Najeeb E. Halaby, présidents de la PAN AM, selon laquelle les compagnies devraient effectuer des essais préliminaires,
car ceci retarderait la fabrication. Mais les constructeurs ont encore beaucoup à faire pour convaincre les compagnies aériennes d’acheter l’appareil. Nous espérons, a conclu Mr Granville, qu’il est possible de gagner de l’argent avec Concorde, encore qu’il soit difficile, à l’heure actuelle, de voir dans quelle mesure l’appareil pourrait ajouter d’une manière significative quelque chose au succès financier de la BOAC.