Après la commande de trois « Concorde” par Continental Airlines, l’Administration US s’efforce de concrétiser un programme sauvegardant les positions de l’industrie aéronautique américaine.
Continental Airlines a commandé trois ”Concorde »
Tout d’abord, il convient de faire le point des commandes du « Concorde”. A la commande de la Pan American World Airways, portant sur six appareils, et balancée par des positions, dans les chaînes de fabrication, à la disposition de la BOAC (chef de file des acheteurs du Commonwealth) et à disposition d’Air France (chef de file des Européens du continent), il faut ajouter une seconde commande américaine : celle de Continental Airlines (1). Cette importante et dynamique société mettra les ”Concorde » en service sur des axes tels que Chicago-Los Angeles à partir de 1970.
Une telle perspective ne pouvait laisser indifférentes les grandes compagnies intérieures US. Le Président d’American Airlines, Mr. C.R Smith, a pris nettement position au début d’août en faveur de la création rapide par les USA d’un appareil de la classe Mach 2,4-2,5, laissant entendre qu’à défaut d’une solution prochaine sa compagnie devrait négocier une commande de Concorde. Le Président de la TWA, Mr. Charles Tillinghast, faisait valoir de son côté que la position de sa compagnie, soumise à la concurrence de la Pan Am sur le plan international, et de Continental sur le plan intérieur US, est encore plus délicate. Mr. Tillinghast confirmait que des pourparlers étaient en cours avec Sud Aviation et la BAC, en vue d’une éventuelle commande de Concorde, par la TWA.
(1) Plusieurs autres compagnies, et notamment, la Panair do Brasil, ont réaffirmé au cours des dernières semaines, leur intention d’acquérir des « Concorde”.
Evolution US de l’avion ”Mach 3″ à l’avion « Mach 2,2”
Du côté des constructeurs US, diverses réactions étaient simultanément enregistrées. M. H. M Horner, Président du Groupe United Aircraft, qui englobe Pratt and Whitney, prenait nettement position en faveur d’un appareil de la « classe Mach 2.2-2,3 ». Il déclarait que les constructeurs US ne pourraient offrir une participation substantielle à la création d’un appareil de la « classe Mach 3”. L’Aluminium Company of America, affirmait de son côté que seule la construction d’un appareil de la « classe Mach 2,4 » en aluminium permettait à l’industrie américaine de sauvegarder sa position sur le marché mondial en face du « Concorde” franco-britannique.
Il semble que de nombreux constructeurs et utilisateurs questionnés par la Federal Aviation Agency aient eu des réacteurs identiques. Cela explique que, contrairement aux documents antérieurs de la FAA se référant à un appareil supérieur à Mach 2,2, les spécifications transmises le 15 août par l’agence aux constructeurs se réfèrent à un appareil de la « classe Mach 2,2 » ou mieux.
Les Européens ont donc incontestablement gagné une première manche en choisissant un projet Mach 2,2 puisque, maintenant, les Américains calibrent à nouveau leur projet autour de cette réforme.
Les constructeurs US devront soumettre leurs propositions à la FAA avant le 15 janvier
Pour contrer la pénétration de « Concorde” sur le marché mondial, l’administration américaine vient de prendre un certain nombre de mesures.
Tout d’abord, elle a révisé son échéancier. Elle soumet aux constructeurs des demandes de propositions à lui adresser à partir de nouvelles normes. Ce questionnaire s’applique à un appareil de la ”classe Mach 2 » ou mieux, pouvant être mis en service en 1970. Les constructeurs devront faire part de leur éventuel intérêt à la FAA dès le 10 septembre. A partir du 15 novembre, les constructeurs de moteurs devront transmettre leurs spécifications aux constructeurs de cellules. Les compagnies aériennes ayant, dans l’intervalle, été consultées par la FAA, les constructeurs devront, pour le 15 janvier, soumettre leurs propositions complètes à la FAA. Du 20 au 24 janvier, ces propositions feront l’objet d’une discussion par les compagnies au cours de réunions organisées par la FFA. Les compagnies étant étroitement associées au travail de sélection qui suivra, la FAA fera connaitre son choix le 1er mai. A ce moment, ou bien un projet de moteur et un projet de cellule seront considérés comme nettement supérieurs et définitivement retenus pour exécution, ou bien deux projets seront retenus et développés concurremment pendant un an. Au 1er mai 1965, une sélection sans appel devrait donc intervenir.
Les commandes seront reçues à partir du début 1966. Les essais en vol du prototype débuteraient en 1968 et les formalités d’homologation devraient être terminées pour que l’avion soit opérationnel en 1970.
Caractéristiques et performances de base retenues par les USA
L’appareil dont la Federal Aviation Agency entend promouvoir la création serait un avion de la « classe Mach 2,2” ou mieux, ayant une capacité lui permettant de transporter de 125 à 160 passagers et 2250 kilos de fret et de poste. Le rayon d’action serait de l’ordre de 6400 kilomètres, soit, dit la FAA, un peu mieux que Paris-New York sans escale, objectif qui, on le sait, doit également être atteint par ”Concorde ». Une réserve de combustible correspond à 7% de la capacité totale en combustible et permettant des déroutements de l’ordre de 480 km, ou encore de 30 minutes de vol à 15.000 pieds doit en outre être prévue.
En ce qui concerne le bruit, on doit parvenir à des normes comparables à celles des quadriréacteurs subsoniques, la déflagration supersonique ne devant pas excéder 9,7 kg-m2 à l’altitude à laquelle interviendra le passage à la vitesse supersonique, ou encore 7,3 kg-m2 en croisière.
L’appareil supersonique US devra se contenter de l’infrastructure aéroportuaire actuelle. Sa cabine devra comporter des fenêtres. L’écartement des fauteuils devra être de 86 cm, et le couloir central entre les sièges devra avoir une largeur minimale de 46 cm.
Pour les moteurs, les constructeurs devront développer des matériaux ayant un potentiel initial entre révisions de 600 heures, potentiel qui devra atteindre ultérieurement 3000 heures.
Les USA veulent empêcher la pénétration du marché par le « Concorde”
Sur ces bases, toute l’action américaine vise maintenant à empêcher une pénétration plus profonde du marché mondial par le ”Concorde ». Il reste pourtant encore des points faibles dans le programme US. Pour conférer à celui-ci une plus grande fermeté et affirmer la position de la FAA comme maître d’œuvre, M. Gordon S. Bain a été désigné comme adjoint de M. N.E Halaby, administrateur de la FAA. M. Bain est spécialement chargé de suivre le développement du programme de l’avion de transport supersonique. M. Halaby a souligné que la FAA était le catalyseur des intérêts de la NASA, du Département de la Défense, de l’US Air Force pour le programme du transport supersonique.
Des ressources financières considérables
Comme les bases financières de l’opération restent encore assez floues et qu’en particulier l’ampleur de la participation des constructeurs et des utilisateurs continue à faire l’objet de vives discussions, M. Eugène R. Black, ancien président de la BIRD, a été appelé comme conseiller financier pour ce programme. Il aura comme adjoint M. Stanley J. Osborne, Président de l’Olin Mathieson Chemical Co. L’administration US maintient la condition d’une participation de 25% des constructeurs au financement de l’affaire, à moins que les constructeurs n’aient à formuler une suggestion meilleure. Il s’agit de savoir si, compte tenu des positions déjà prises en faveur de ”Concorde », les constructeurs US pourront réunir les ressources leur permettant de satisfaire cette condition. L’engagement pourrait aller jusqu’à 1,25 milliard de francs.
Rejet de l’idée d’une coopération avec l’Europe sur le plan des fabrications
L’administration US se défend d’être en retard sur son échéancier. Elle affirme qu’à quelques mois d’intervalle, elle sera en mesure de promouvoir la mise à disposition des utilisateurs d’un avion supérieur au « Concorde” franco-britannique. Elle fait état de plus de 40.000 heures d’expérience du vol supersonique accumulée par l’industrie US. Un point qui mérite cependant de retenir l’attention est le fait que l’industrie américaine ne dispose pas d’un moteur approprié pour équiper le transport supersonique dont elle envisage la création. Le moteur du RS-70 ne convient pas, M. Halaby lui-même l’a souligné. M. Horner, Président d’United Aircraft, a indiqué qu’il faut compter trois ans et demi à quatre ans pour amener un moteur au stade opérationnel et cinq ans au moins, pour la fabrication.
United Aircraft coopérant étroitement avec Bristol-Siddeley et la SNECMA, on pourrait trouver ultérieurement ici, un point de coopération entre Européens et Américains dans le domaine des fabrications. Pour le moment, les Américains rejettent l’idée de toute coopération à ce stade. M. Halaby admet seulement que les administrations intéressées des deux continents doivent promouvoir une harmonisation des normes de l’environnement opérationnel des avions de transport supersoniques.