Le congrès de l’IFALPA à permis de faire le point sur l’avion de transport supersonique.

Le Congrès sur l’avion de transport supersonique organisé à Londres par l’IFALPA du 12 au 14 novembre a soulevé un très vif intérêt. Nous avons demandé à Charles Choki, qui suivit de bout en bout ce congrès, d’en effectuer la synthèse, mais la richesse des matières traitées nous conduit à scinder en deux parties son compte rendu.

Pour la première fois, un congrès international de pilotes a étudié les rapports intimes de l’homme et la machine. Le symposium organisé à Londres par l’International Federation et Air Line’s Pilots Association (IFALPA) sous l’égide du Syndicat National des Pilotes de Ligne de France et de la British Airline Pilot’s Association a permis aux usagers N° 1 des avions qui voleront à 2500 km/h dans six ans de faire le point des connaissances acquises par les ingénieurs les plus qualifiés. Les 400 délégués représentant 6000 pilotes de ligne de 40 nations sont maintenant parfaitement informés des problèmes qui restent à résoudre pour que l’aviation de transport supersonique soit une grande réussite. Le Congrès de Londres, remarquablement organisé, avait d’ailleurs attiré les experts les plus connus, et la présence de tous ces techniciens, des représentants des sociétés Sud-Aviation, BAC, SNECMA, Bristol Siddeley, North American, Boeing, Douglas, Lockheed et des observateurs des administrations aéronautiques de nombreux pays a prouvé qu’ils avaient le souci de connaitre le point de vue des pilotes.

Les navigants seront dans le coup

La mise en service des premiers avions à réaction s’était faite rapidement. Personne n’y était préparé, ni les compagnies, ni les services de la circulation aérienne, ni les pilotes. Il n’en sera pas de même avec les avions supersoniques.

Au Congrès de Londres, Mr Julian Amery, Ministre de l’Aviation de Grande-Bretagne, a annoncé que les pilotes britanniques seront consultés. Ils pourront étudier tous les aspects de cette nouvelle aviation.

Côté français, M. René Lemaire, Président de la Commission Permanente du Transport Supersonique, à suivi les travaux. Le Commandant F. Andreani, Président du SNPL, a eu l’occasion de lui dire combien les camarades souhaitaient être représentés auprès des constructeurs de “Concorde ».

L’avion franco-britannique “Concorde » a été, bien entendu, la grande vedette du symposium. Les pilotes du monde entier ont pu constater combien l’entente était parfaite entre les ingénieurs de Sud-Aviation et de la BAC.

Et Mr. Amery, répondant publiquement au “New York Times” qui avait écrit : « le projet « Concorde” est un projet de discorde”, à pu dire : “au contraire, si les politiciens des deux pays n’ont pas été d’accord ces derniers temps, l’entente est parfaitement « Concorde” entre les deux groupes industriels”.

La première séance

Le Duc d’Edimbourg a présidé la première séance, marquant ainsi tout l’intérêt qu’il portait à la sécurité du transport aérien.

Nous sommes ici pour étudier du point de vue opérationnel les avions supersoniques que nous piloterons dans six ou sept ans. Nous ne prendrons aucune décision, nous espérons apprendre bien des choses encore obscures pour nous. Nous nous intéressons surtout à la sécurité des vols et nous espérons que ces travaux seront utiles aux constructeurs comme aux exploitants“ avait dit M. C.N Sayen, Président de l’IFALPA, en ouvrant les débats.

Le Congrès fait d’abord connaissance avec l’avion supersonique. Les travaux de la première commission présidée par le Commandant Spooner (BALPA), permettront d’en connaitre différents aspects. L’appareil à géométrie variable est décrit par M. M.L.P Greene, de North American, qui appartient au Bureau d’Etudes ayant créé le B-70 et le X-15.

La géométrie variable n’est pas une nouveauté » a-t-il dit ; ”depuis les débuts de l’aviation nous connaissons des surfaces variables : train d’atterrissage, volets, etc.

Dans la gamme subsonique, le contrôle à basse vitesse sera plus facile avec une voilure à géométrie variable. Vous aurez plus de stabilité et vous pourrez modifier votre configuration au fur et à mesure qu’augmentera le nombre de Mach“.

Au cours de la discussion, plusieurs pilotes demanderont s’il existera des dispositifs éliminant les risques de gel des parties mobiles ? On les rassura…. D’autres délégués s’inquiètent de la longueur et de la multiplicité des circuits électriques que l’on devrait installer pour toutes les boites noires prévues.

Systèmes hydrauliques ou électriques ? Un nouveau débat s’engage : beaucoup de pilotes préfèrent les circuits hydrauliques…

Mr N.F Harpur (BAC) expose ensuite l’état des recherches sur la structure d’un avion de transport supersonique. Il choisit comme exemple l’avion qu’il connait le mieux ”Concorde ».

Les effets produits par la haute température sur un fuselage en alliage d’aluminium sont analysés à la grande satisfaction de l’auditoire.

Les études pour l’avion franco-britannique prévoient 30.000 heures de vol, dont 20.000 heures à température élevée (plus de 120°C) ; cet examen de la vie du métal a rassuré les navigants.

  1. Harpur a décrit également les phénomènes de dynamique du vol :

Vous aurez un avion moins sensible aux turbulences, et par conséquent un vol beaucoup plus stable. Les SST voleront en croisière au-dessus de 15.000 mètres d’altitude ; or nous savons peu de chose des conditions météorologiques entre 16 et 24.000 mètres. Les recherches ont surtout été orientées vers la haute atmosphère en vue des vols spatiaux, et les savants ont négligé la partie de l’atmosphère qui intéresse l’aviation de transport de demain« .

Le Congrès aura l’occasion de souligner ce manque d’information…. Une série de questions viennent ensuite sur le confort du vol, les sièges pour les passagers…. Devront-ils être attachés à leurs fauteuils pendant la période d’accélération précédent le passage du mur sonique ? Pas de problèmes disent les constructeurs.

Les moteurs

Pilote d’essais à Farnborough, Mr. T. Prost (Bristol Siddeley) parle ensuite des moteurs de l’avion supersonique

Pour ”Concorde“, dit-il, « nous avons déjà l’Olympus, que nous allons perfectionner“. A l’aide de diapositives réalisées par Bristol et SNECMA, l’ingénieur explique les principales caractéristiques du turboréacteur : le système de tuyères adopté permettra de réduire considérablement le bruit.

« Nous ne voulons pas de la postcombustion. En cas de panne des réacteurs ou si un moteur fonctionne mal, vous pourrez grâce à un système spécial d’alerte fermer l’entrée d’air correspondante, et votre avion ne subira pas de grande pénalisation. Le pilote pourra contrôler et régler les trois autres moteurs en fonction de cette panne”. M. Prost souligne combien le contrôle du vol et du décollage sera facilité par ce nouveau moteur.

Au cours de la discussion de nombreux pilotes demandent des précisions sur les performances des moteurs en cas de panne et sur les différences de température. « En somme vous nous rassurer et vous dites que tout est parfait“ ! « On pourra dormir au poste de pilotage“ – dit l’un d’eux en plaisant – « Vous pourrez dormir“ – lui répondit M. Prost – « à condition de pas dormir plus de 24 secondes“ !

Le Commandant Spooner présente le père de la « Caravelle“. « Le Directeur technique de Sud-Aviation a été à l’origine d’une véritable révolution aérodynamique. M. Satre va vous parler de la conception d’un autre avion révolutionnaire”.

L’exposé de M. Satre souleva un vif intérêt : l’orateur révéla en effet les raisons pour lesquelles la formule « canard” avait été rejetée, ainsi que les formules à géométrie variable, et confirma un certain nombre de caractéristiques et possibilités techniques de « Concorde“ : centrage réglable en vol par transfert de carburant, pointe avant à position variable, utilisation aussi économique de l’appareil en vol subsonique qu’en vol supersonique, qualités de vol très étudiées (stabilité et maniabilité en roulis entre autres) hypersustentation au voisinage du sol, etc….

L’auditoire fut particulièrement impressionné par cet exposé.

La conférence prononcée le 12 novembre à Londres dans le cadre du Symposium de l’IFALPA, par Pierre Satre, Directeur Technique de Sud-Aviation de faire le point sur la conception de l’avion “Concorde », et sur les raisons du choix des solutions aérodynamiques proposées ; l’importance de cette conférence est telle que nous avons jugé préférable de la publier in extenso.

Conférence de Pierre Satre, Directeur Technique de Sud-Aviation

La conception aérodynamique du Concorde

Les travaux préliminaires de recherche d’une formule aérodynamique optimisée pour un TSS Mach 2, furent entrepris dès le courant de l’année 1959. Ils aboutirent, en 1961, à la détermination d’une formule comportant une voilure “delta” modifier (aile gothique), mono dérive. Il est frappant de constater que des travaux parallèles, mais indépendants, menés par l’équipe Britannique de la BAC, aboutissaient à la même époque à des conclusions identiques, et ce fut là un des facteurs essentiels dans la décision prise en 1962, de réunir les efforts des deux sociétés pour la réalisation d’un projet commun.

Objectif

La conception aérodynamique générale vise à atteindre les principaux objectifs suivants :

– adaptation à la croisière supersonique.

– bonnes performances pour les différents domaines d’adaptation.

– qualités de vol excellentes.

– simplicité maximum.

– aile pouvant contenir le volume de carburant nécessaire.

La recherche de bonnes performances en dehors du domaine proprement supersonique d’adaptation est justifiée par la nécessité d’obtenir pour cet appareil une souplesse opérationnelle aussi grande que possible ; il faut garantir un décollage et un atterrissage faciles. Il est souhaitable d’avoir une grande latitude dans le choix dès lors de montée et de descente. En outre, il faut réduire les conséquences d’une panne de moteur, obligeant le pilote à terminer le vol en subsonique et enfin  en réduisant les réserves, diminuer leur influence sur le coût d’exploitation.

Le vol supersonique a conduit à ajouter des dispositifs de stabilisation, mais la recherche de bonnes qualités de vol doit faciliter la mise au point des systèmes de commandes de vol et garantir qu’en cas de panne des dispositifs auxiliaires de stabilisation, l’avion restera parfaitement contrôlable. On n’a pas cherché à utiliser des dispositifs pour faire admettre des qualités de vol médiocres.

Choix du nombre de Mach

Les études théoriques  et expérimentales ont permis de dégager les résultats suivants :

Il était nécessaire de choisir un nombre de Mach supérieur à l’intervalle 0,9-1,2 domaine où ne se sont pratiquement pas arrêtés les avions militaire à cause des fréquentes inversions de commande. Nous avions tous les avantages à aller directement à des nombres de Mach de 2 à 2,2.

En ce qui concerne l’aérodynamique et en particulier la consommation kilométrique, il y a peu d’intérêt à voler à un nombre de Mach très supérieur à 2,2 ; au-delà de cette valeur, le rendement global propulsif et aérodynamique augmente peu avec le nombre de Mach.

Si on veut prendre le critère du coût d’exploitation, un nombre de Mach de 3 à 3,5 donnerait théoriquement un gain, mais il faut tenir compte de la complication de la structure et des systèmes, du coût du carburant, etc. A Mach 2,2 et en partant d’une aile “delta », des variations relativement importantes de la voilure sont possibles sans altérer sensiblement la finesse de croisière.

L’étude détaillée des performances et des qualités de vol montre que le choix de Mach 2,2 conduit a un bon comportement entre l’aérodynamique à basse vitesse et l’aérodynamique au régime supersonique d’adaptation.

Enfin, les études des matériaux viennent confirmer le choix du nombre de Mach retenu. En effet la température de paroi croit rapidement avec Mach 2. Jusqu’à des nombres de Mach de l’ordre de 2,2 les problèmes liés aux matériaux de la structure, aux matières  transparentes (hublots et radome), aux joints d’étanchéité et au carburant restent classiques.

Rejet de la solution “canard« 

A l’origine, les travaux de recherche s’étaient orientés vers une solution de voilure delta avec un plan canard à l’avant en raison  des grandes portances qu’il permet d’obtenir. Mais il s’avéra  bientôt qu’avec  une telle formule les problèmes de  maniabilité  à basse vitesse  étaient très difficiles à résoudre.

Un plan “canard” en avant de la voilure principale  est, surtout aux grandes incidences, générateur de tourbillons qui viennent perturber de façon importante les écoulements  autour des autres éléments de l’avion.

La dérive, en particulier, est très affectée par l’interaction du plan canard, et dans le cas d’une mono dérive centrale, on constate l’apparition d’une instabilité de reste très importante pour des incidences bien inférieures à celles qui seront de règles en régime d’approche et d’atterrissage. La formule canard rend donc nécessaire l’adaptation de deux dérives symétriques, l’une devant compenser la défaillance de l’autre lorsqu’elle passe dans le champ d’interaction défavorable du canard. Cela constitue un surdimensionnement dont l’influence sur le devis de poids est très défavorable et de plus, ne permet pas de résoudre complètement le problème, car l’écartement des dérives est limité par un autre phénomène qui affecte la stabilité longitudinale.

Le fonctionnement aérodynamique à basse vitesse des voilures du type “delta”, est caractérisé par l’existence d’une nappe en cornet tourbillonnaire attachée au bord d’attaque. Dès que le bord d’attaque du pied de dérive intercepte  ce noyau tourbillonnaire, un violent “pitch up » prend naissance par décollement généralisé en bout d’aile, et le phénomène apparait à des incidences d’autant plus faibles que les dérives sont plus écartées.

On voit donc que  la mise au point  d’une solution canard ne consiste pas seulement à définir la frontière d’un phénomène défavorable et à se situer au-delà  avec une marge de sécurité suffisante, mais à réaliser un compromis dans une région déterminée encadrée  de part et d’autre par des anomalies présentant le même degré de gravité.

Un tel compromis est difficile à réaliser en soufflerie et surtout en vol, puisqu’il s’agit d’interactions et qu’on peut craindre un déplacement de phénomène entre la soufflerie et le vol. Cela est difficilement acceptable dans le cas d’un appareil de transport civil devant répondre aux conditions sévères des règlements de navigabilité applicables à ce type d’appareil.

Définition de la formule “Delta” retenue

Les recherches pour la détermination d’une voilure optima furent donc poursuivies en s’orientant vers la solution “delta” sans “canard”. Elles conduisirent à définir, à réaliser et à expérimenter un grand nombre de maquettes différentes.

Pour atteindre ses objectifs que l’on s’était fixé, il s’avéra nécessaire de modifier la forme  en plan qui n’est plus réellement un “delta”, puisque vers l’emplanture le bord d’attaque s’incline dans le sens d’une augmentation de la flèche et que les extrémités de voilure ont été tronquées, aboutissant ainsi à une aile dite “gothique”.

Par ailleurs on reconnut que l’aile devait recevoir une cambrure et un vrillage appropriés, en particulier pour réduire la traînée d’équilibrage. On s’aperçut en outre qu’il était possible de faciliter la résolution de ce problème en procédant à un transfert de combustible permettant de modifier à volonté le centrage de l’appareil.

Nouveau plan trois+vues du Concorde : quelques modifications apparaissent, entrées d’air, porte supplémentaire, emplanture de l’aile, nez avant, etc.

Les réacteurs furent placés sous la voilure d’une part pour bénéficier d’une suralimentation naturelle et d’autre part pour faire bénéficier à son tour la voilure de la portance créée par le système de chocs d’entrée d’air. Les entrées et les sorties des réacteurs sont à géométrie variable pour donner un rendement optimum dans tous les cas de vol.

Enfin on décida de prévoir un nez à géométrie variable également  répondant à deux considérations :

– en croisière, faible traînée et visibilité admissible.

– visibilité au décollage, en approche et à l’atterrissage conforme aux recommandations SAE.

Avantages de la formule

Les études ont montré rapidement qu’il n’était pas nécessaire de prévoir une géométrie variable pour la voilure car celle-ci donne des finesses très acceptables dans tous les cas de vol, celles-ci étant comprises entre 7,5 à 8 en supersonique et entre 13 et 14 en subsonique. Bien plus, elle est presque optimum dans sa fonction de réservoir de carburant.

On a pu ainsi éviter les inconvénients des solutions à géométrie variable : poids, complexité, prix, stabilité difficile à réaliser surtout pendant la transition, volume disponible pour les réservoirs plus restreint (obligeant ainsi à loger une grande partie de ceux-ci dans le fuselage, ce qui augmente le volume de celui-ci et se traduit par une détérioration des performances et des qualités de vol. En outre, la géométrie variable augmenterait le prix de l’avion et le prix de l’entretien, donc le coût direct d’exploitation.

L’absence des dispositifs hypersustentateurs sur la voilure se justifie de la façon suivante :

– au décollage on dispose d’une forte poussée (T) et la masse par kg de poussée est faible (pour P = 120 tonnes, T/P = 0,445 kg/kg) ainsi que la charge alaire (P/S = 388 m2) ;

– la charge alaire à l’atterrissage est faible (P = 75 tonnes et P/S = 242 kg/m2) :

– les particularités aérodynamiques remarquables de l’aile choisie, à basse vitesse : cette aile bénéficie en effet d’une hypersustentation naturelle résultant du nouveau type d’écoulement – les tourbillons d’apex – qui s’établit aux incidences d’atterrissages et qui persiste au-delà de la limite normale d’utilisation sans signe de décrochage ; l’augmentation de portance ainsi obtenue est de l’ordre de 30% par rapport à celle prévue et mesurée en écoulement normal.

En outre, un effet de sol extrêmement favorable augmente encore la portance de 60% au moment de toucher les roues.

A l’atterrissage, le freinage de l’appareil s’effectuera grâce aux freins mécaniques et aux inverseurs de poussée.

Caractéristiques favorable : l’appareil se présentera en approche avec une incidence élevée et la forte trainée correspondante assurera un freinage aérodynamique efficace dès que le pilote aura réduit les gaz.

Par ailleurs, dès que la roulette avant aura touché et que l’avion sera horizontal, la portance devenant pratiquement nulle, les freins mécaniques pourront fournir immédiatement leur pleine efficacité.

La voilure dont la finesse en vol de croisière supersonique est de l’ordre de 7,5 à 8 retrouve dans les conditions de croisière subsonique un écoulement normal qui grâce au type de cambrure choisie permet d’atteindre des finesses de l’ordre de 13 à 14, c’est-à-dire du même ordre de grandeur que celles des quadriréacteurs subsoniques.

De ce fait, la consommation kilométrique (V/C) n’est pas plus élevée en subsonique qu’en supersonique.

Cette qualité présente de nombreux avantages :

– d’abord il n’est pas nécessaire de prévoir de réserves spéciales pour le vol subsonique et les réserves prévues pour l’attente et le déroulement seront d’autant plus réduites que la finesse dans ces conditions de vol sera élevé.

– ceci permet d’effectuer dans des conditions d’économie acceptables les petites étapes de ramassage ou de distribution que l’on trouve dans tout réseau long-courrier.

– on peut effectuer également sans pénalité un début ou une fin de croisière en subvention si les conditions de trafic et de bruit l’imposent.

– enfin, la finesse élevée permet d’obtenir des montées à pente élevées, ce qui diminue le bruit perçu au décollage et en plus, cette finesse se conservant en transsonique n’impose pas l’utilisation de la réchauffe pour accélérer au-delà de Mach 1. La suppression de la réchauffe est une source d’économie de poids et de carburant.

Ainsi défini, l’avion peut être considéré comme remarquablement simple. L’aile n’est munie d’aucun dispositif, à l’exception bien entendu des élevons.

Les seuls systèmes quelque peu nouveaux tels que le transfert de carburant et les entrées d’air mobiles sont relativement simples et auront été largement expérimentés entre temps.

Qualité de vol

Examinons maintenant deux caractéristiques particulières aux avions supersoniques, qui présentent un aspect un peu plus défavorable :

– sur tous les avions à faible allongement, il est nécessaire d’effectuer l’approche au second régime, pendant lequel la tenue de la vitesse sur la trajectoire devra être accompagnée d’un mouvement inverse des manettes de gaz. Un dispositif automatique (automanette) sera nécessaire pour assurer cette fonction et il sera d’ailleurs intégré au système d’atterrissage sans visibilité. Un tel dispositif n’est pas nouveau puisqu’il est utilisé sur “Caravelle », précisément pour l’atterrissage sans visibilité et sur la plupart des avions de combat supersonique à M = 2.

Il ne devrait y avoir aucune difficulté à donner à un tel dispositif une sécurité aussi grande qu’il s’avèrera nécessaire. Toutefois, il faut bien préciser qu’une panne de ce dispositif n’entraînerait pas une condition de vol très critique, qu’il sera facile à l’équipage de surmonter après l’entraînement nécessaire, comme le font actuellement les pilotes militaires dont les avions M = 2 ne sont pas munis d’automanette.

L’autre caractéristique particulière aux avions supersoniques à laquelle “Concorde » ne fait pas exception, réside dans le déplacement vers l’arrière du foyer aérodynamique lorsqu’on passe du régime subsonique au régime supersonique. Dans le cas de “Concorde », le foyer qui est en subsonique à environ 50% de la corde aérodynamique, passe en supersonique à quelque 60% de cette même corde aérodynamique ce qui représente un déplacement vers l’arrière de l’ordre de 2,50 mètres.

On sait que pour avoir une bonne stabilité statique longitudinale, il faut que le centre de gravité soit situé en avant du foyer, mais s’il est situé trop en avant, la stabilité devient excessive, en ce sens que pour assurer l’équilibre, il faudrait recourir à un braquage important des élevons, conduisant à une augmentation inacceptable de la trainée.

On voit qu’un centrage correct en subsonique conduirait à un excès de stabilité en supersonique, et qu’il est donc nécessaire de recourir à un dispositif permettant de modifier le centrage en vol. Ceci est obtenu par un transfert de carburant des réservoirs avant à un réservoir d’équilibrage situé à l’arrière du fuselage.

On conçoit facilement qu’un tel dispositif doive être absolument “failsafe” car le retour en vol subsonique avec le centrage supersonique conduirait à une configuration longitudinalement instable.

La sécurité du système de transfert sera obtenue par doublage des circuits et des pompes de transfert avec possibilité en dernier recours de vidanger le réservoir arrière en faisant appel au système de vide vite ;

Si l’on excepte ces deux particularités, on peut affirmer que le pilotage longitudinal sera par ailleurs plus facile que pour les avions actuels.

En effet, la difficulté de contrôle rapide et précis en tangage est liée d’une part essentiellement à l’inertie de tangage et d’autre part à l’importance des changements d’assiette au cours d’une manœuvre type, telle que l’atterrissage.

Or pour l’avion de tonnage moyen qui nous concerne l’inertie de tangage est inférieure à celle des plus gros appareils actuels.

Par ailleurs l’aérodynamique de “Concorde » permet de tirer un remarquable parti de l’effet de sol pour la manœuvre finale de l’atterrissage. Il est en effet possible de faire l’arrondi sans aucun changement dans l’assiette de l’appareil. Il est possible que ceci soit la procédure recommandée pour cet avion, elle conduirait à des vitesses verticales d’impact très faibles, donc à des atterrissages très confortables, et à une procédure très simplifiée pour le pilote, qui, à partir du moment où la vitesse d’approche est correcte, serait assuré d’un atterrissage parfait.

D’autre part, la voilure choisie, delta à faible allongement est beaucoup moins sensible aux rafales que l’aile en flèche des avions subsoniques actuels. La dérivée de la portance fonction de l’incidence (dCz/di) qui est de 6 à 7 sur une “Caravelle » en croisière n’est plus que de 2 pour “Concorde” en croisière supersonique et le coefficient de rafale est sensiblement voisin de la moitié de ce qu’il est sur Caravelle et ce, malgré l’augmentation de vitesse indiquée. De ce fait, le vol sur “Concorde » sera encore plus confortable que sur les avions actuels.

Si l’on considère maintenant la stabilité latérale, on peut constater là encore de sérieuses améliorations par rapport aux avions à aile en flèche à grand allongement, cas des avions subsoniques actuels, meilleure stabilité spirale, meilleur amortissement du “roulis hollandais”

En supposant en panne tous les dispositifs d’amortissement artificiels, l’avion satisfait encore aux critères de qualité les plus sévères. En outre, les moteurs étant beaucoup plus rapprochés que sur les quadriréacteurs actuels, les perturbations induites dans le cas de panne d’un moteur extrême sont beaucoup plus faibles.

Bien entendu, ces qualités intrinsèques n’empêchent pas qu’une amélioration de confort sera obtenue par l’utilisation systématique d’amortisseurs et de stabilisateurs. Mais ceux-ci se présentent dès lors comme un perfectionnement souhaitable et non pas comme un correctif indispensable à la sécurité. Ce tour d’horizon très rapide, permet de comprendre pour quelles raisons Sud-Aviation et la BAC ont abouti à la forme actuelle de “Concorde », et quels espoirs il est permis d’entretenir pour les qualités aérodynamiques.

Des études analogues avaient été faites pour “Caravelle” et ont été entièrement confirmées par les vols.

Signalons, pour conclure, que tous les problèmes sont traités en parfaite collaboration par les deux équipes anglaise et française, sans oublier naturellement les techniciens des Services et Laboratoires officiels. Grâce à toutes ces études, ce projet n’est pas aussi révolutionnaire que l’on pourrait le croire…