INTERAVIA Octobre 1961 Problèmes-Projets-Perspectives

Presque personne ne doute aujourd’hui que l’avion commercial supersonique deviendra un jour réalité. Tous les constructeurs, qu’ils soient américains, britanniques ou français, estiment que sur le plan technique il n’existe aucun obstacle à la réalisation d’un avion de ligne à Mach 2 ou Mach 3.

Boeing a déjà consacré plus de cinq millions de dollars à l’étude d’un avion de transport supersonique dont la vitesse de croisière se situerait entre Mach 2,5 et Mach 3. Le dessin ci-dessous représente deux projets récents

Pour ce qui concerne la rentabilité d’un tel appareil, avionneurs et motoristes se montrent également optimistes. En effet, d’après les estimations qui ont été faites, fondées il est vrai sur des hypothèses et sur des données quelque peu arbitraire, les dépenses d’exploitation seraient souvent bien inférieures à celles des avions à réaction actuels.

Il faut dire à ce sujet qu’un projet d’avion ne possédant pas de caractéristiques pleines de promesses ne susciterait évidemment aucun intérêt. Aujourd’hui, à l’unanimité, les clients en puissance expriment ainsi leurs exigences :

– Un avion de ligne supersonique doit répondre aux normes actuelles de sécurité (résistance structurelles ; bonne tenue en vol ; moteurs, commandes et trains d’atterrissages à l’abri de toute défaillance ; fonctionnement sûr des systèmes hydrauliques, électriques et électroniques.

– Son exploitation doit être rentable en appliquant des tarifs des avions subsoniques à l’époque probable de sa mise en service. Autrement dit, aucun supplément de prix ne saurait être envisagé.

– Des pistes de 3000 mètres de longueur environ doivent lui suffire et sa mise en service ne doit perturber l’ensemble de la circulation aérienne.

– La cellule doit avoir un potentiel d’au moins 30.000 heures.

– Malgré la réduction des temps de vol, le passager doit pouvoir trouver à bord le confort auquel les avions plus lents l’ont habitué.

– Même s’il répond à toutes ces catégories, l’achat d’un avion supersonique est subordonné à l’assurance que son exploitation ne soit pas entravée par des restrictions spéciales. Par exemple, l’interdiction d’effectuer des vols à vitesse supersonique, ne fût-ce que la nuit, au-dessus des agglomérations urbaines, à cause du bruit, rendrait son exploitation presque impossible.

Pour curieux que cela puisse paraître, les seuls facteurs qui soient réellement susceptibles d’empêcher le développement de l’avion commercial supersonique échappent pratiquement au contrôle des constructeurs ; la réaction du public au bang sonique est un de ces éléments imprévisibles, et le danger présenté par le rayonnement cosmique pour l’équipage et les passagers en est un autre. Nous examinerons plus loin ces facteurs.

1 – Mach 2,3 ou Mach 3,07

Le choix qu’implique la réponse à cette question est d’une importance capitale. Si l’on fait abstraction des difficultés de construction et d’exploitation, matériaux, carburants, climatisation,…etc., qui résultent de la très haute vitesse, et si l’on tient compte uniquement du rendement théorique, il s’avère qu’un nombre de Mach nettement plus élevé serait souhaitable.

Considérons la Figure 1, dans laquelle la courbe ”A » représente la finesse maximale (dans l’état actuel des connaissances aérodynamiques) en fonction du nombre de Mach, la courbe « B” l’enveloppe des courbes de rendement thermique (en fonction du nombre de Mach) de chacun des différents propulseurs envisagés ; en multipliant, pour chaque nombre de Mach, les ordonnées de la courbe ”A » par celles de la courbe ”B », on obtient la courbe « C” qui représente le rendement global, proportionnel à la distance franchissable pour un rapport donné entre les poids au décollage et à l’atterrissage.

La valeur théorique maximale de la distance franchissable est obtenue pour un nombre de Mach voisin de 7, ce qui est pour le moment du domaine théorique.

Quoi qu’il en soit, l’allure de la courbe « C” signifie que pour autant qu’aucune limite n’est imposée par d’autres facteurs, il convient d’adopter le nombre de Mach le plus élevé possible.

L’un de ces facteurs-limites pourrait être constitué, par exemple, par la perte de la résistance et de la rigidité des matériaux à mesure que s’élève la température.

Figure 1 : Ce graphique permet de déterminer la vitesse économique de croisière. La courbe ”A » représente la finesse maximale en fonction du nombre de Mach ; la courbe « B” est l’enveloppe des courbes de rendement thermique (en fonction du nombre de Mach) des différents propulseurs considérés :

1 – turboréacteur classique ; 2 – turboréacteur à double flux ; 3 – turboréacteur à postcombustion ; 4 – statoréacteurs (selon M.A.E Russel de la BAC). En multipliant, pour chaque nombre de Mach ; les ordonnées de la courbe ”A » par celles de la courbe « B” on obtient la courbe ”C » représentant le rendement global du vol qui est proportionnel à la distance franchissable (pour un rapport donné entre les poids au décollage et à l’atterrissage).

La Figure 2 représente les variations de la température de la structure (à deux emplacements particuliers de la voilure) en fonction du nombre de Mach. La technique actuelle permet l’utilisation d’alliages légers comme matériaux de construction pour des vitesses allant jusqu’à Mach 2,3 et des matériaux à base de titane et d’acier jusqu’à Mach 3. Les résistances thermiques des alliages légers n’offrent que peu de perspectives d’amélioration sensible, alors que de nombreux constructeurs comptent beaucoup sur les possibilités offertes par l’emploi du titane et de l’acier pour atteindre des vitesses de l’ordre de Mach 3,5 ou Mach 4.

Figure 2 : Variations de la température de la structure en fonction du nombre de Mach. La courbe « A” correspond aux points d’arrêt (bord d’attaque, extrémité du fuselage) et la courbe ”B » aux points situés à 30 mètres en arrière des premiers (selon M.A.E Russell).

Il est encore trop tôt pour préjuger du nombre de Mach qui sera en définitive préféré. Les partisans de Mach 2,3 – principalement les constructeurs d’avions britanniques et français – justifient ainsi leur point de vue :

1 – Puisqu’il pourrait être fait appel à des matériaux et à des méthodes de construction ayant déjà fait leurs preuves, la mise au point d’un avion à Mach 2,3 serait beaucoup moins onéreuse.

2 – Pour ce qui concerne le comportement en vol des avions à la vitesse bisonique, l’expérience déjà acquise avec divers types d’avions militaires serait d’une grande utilité.

3 – Les températures de surface étant inférieures à la température d’inflammation du carburant, il serait inutile de mettre au point des nouveaux carburants ou de prévoir un système d’isolation thermique des réservoirs.

4 – Les avions à Mach 2,3 permettraient une exploitation rentable aussi bien sur les longues que sur des courtes distances et trouveraient ainsi plus facilement de larges débouchés.

5 – Entre un avion volant à Mach 3 et un autre volant à Mach 2,3, le gain de temps réalisé par le premier est faible et ne justifie pas les dépenses et les risques qu’entraînerait sa réalisation.

6 – La productivité journalière d’un avion à Mach 2,3 étant inférieure à celle d’un avion trisonique, il faudrait, pour maintenir un volume de trafic donné, 25% d’appareils à Mach 2,3 de plus que d’appareils à Mach 3. Cette augmentation du nombre d’appareils se traduirait par une baisse du prix unitaire.

7 – Un avion commercial à Mach 2,3 pourrait être mis en service dès 1967, soit avec trois ans d’avance sur un avion à Mach 3.

De leur côté, les constructeurs américains préconisent tous l’avion à Mach 3 pour des raisons tout aussi valables :

1 – Les frais supplémentaires que l’on attribue à la construction en acier sont fortement surévalués ; le comportement des alliages légers, en particulier leur résistance à la fatigue en régime de vol supersonique, est en fait moins bien connue dans la pratique que celui des aciers à Mach 3.

2 – Avec la construction en acier, des vitesses encore plus élevées pourraient être atteintes par la suite.

3 – De plus grandes distances franchissables étant permises (voir Figure 1) les liaisons sans escale seraient plus intéressantes qu’avec l’avion Mach 2,3 pour une même charge utile et un même poids au décollage.

4 – L’augmentation de la capacité de transport et un meilleur rendement permettraient une diminution des frais d’exploitation.

5 – Un avion à Mach 2,3 risque d’être périmé du jour au lendemain si un avion à Mach 3 est mis au point ; avec ce dernier les risques seraient moindres, même s’il n’était pas mis en service avant 1970 environ.

6 – Il serait illusoire de réaliser trop tôt un avion à Mach 2,3 étant donné que les équipements nécessaires à la sécurité en vol ne seront probablement pas disponibles avant 1970.

Sans exception, les compagnies américaines ont manifesté leur préférence pour des vitesses plus élevées, et ceci pour plusieurs raisons. Il semble que l’URSS se consacre activement à la mise au point d’un avion de ligne supersonique. Dans une allocution qu’il a prononcée le 1er août 1961 devant le Scientific and Astronautics Comittee, le directeur de la FAA, N.E Halaby, rappelant ce qu’avait été la journée de l’aviation soviétique, n’a laissé subsister aucun doute dans l’esprit de ses auditeurs quant à la nécessité pour la nation américaine de poursuivre au maximum ses efforts dans le domaine de l’aviation civile. ”Notre but » a-t-il déclaré, est de réaliser le premier avion de transport supersonique rentable. Cette phrase en sous-entendait une autre : l’Union Soviétique nous devancera peut-être. Les autorités américaines recommandent donc la vitesse de croisière la plus élevée possible, principalement pour éviter que l’appareil américain soit littéralement pris de vitesse par un modèle de conception étrangère.

Il y a aussi des compagnies aériennes qui partagent ce point de vue. Au début d’avril 1961, une étude préparée par un groupe d’ingénieurs de la Pan American World Airways et présentée lors d’une conférence organisée par la Society of Automotive Engineers, en arrivait à la conclusion que du point de vue de l’exploitant comme celui du constructeur, il est nettement plus intéressant de s’engager à réaliser un avion capable d’atteindre Mach 3 même si au début il n’y parvient pas faute d’une poussée suffisante, que de mettre au point un appareil dont la vitesse serait toujours limitée à environ Mach 2,2.

Fait significatif, la société Convair elle-même soutient sans équivoque la cause de l’avion à vitesse trisonique, en dépit des possibilités évidentes de conversion de son bombardier supersonique B-58 Hustler en prototype d’avion commercial à Mach 2,3. Il y a quelques mois, cette firme a publié une étude économique dans laquelle sont comparées les 36 solutions résultant de toutes les combinaisons possibles des données de base suivantes : 4 nombres de Mach (2,0 ; 2,5 ; 3,0 ; 3,5), 3 distances franchissables : 2700 km, 4700 km, 6400 km, et 3 capacités offertes : 70, 100, 130 passagers. Les frais d’exploitation les moins élevés correspondraient à la solution Mach 3, 6400 kilomètres 130 places. Convair suggère néanmoins que son B-58 Hustler soit utilisé comme un avion de recherches et que des missions simulées de transport soient effectuées avec des B-58 modifiés. Convair estime que d’ici 1967, une douzaine de B-58-9 (dérivés du bombardier) pourraient accomplir 10.000 heures de vol à des vitesses de l’ordre de Mach 1,5 à 2,4. Le premier appareil pourrait être livré à la fin de 1963. Le B-58-9 se différencierait du Hustler par un nouveau bord d’attaque, un fuselage plus long pouvant contenir 50 places, un empennage horizontal classique, et quatre turbo-réacteurs Pratt & Whitney 358 de 15.000 kg de poussée chacun. La firme Convair souligne l’intérêt d’un tel programme pour éclaircir bon nombre de problèmes fondamentaux : comportement des matériaux, des carburants, des lubrifiants et de fluides hydrauliques au cours de vols supersoniques sans escale ; capacité d’endurance de l’équipage ; réactions des passagers ; procédures de contrôle du trafic aérien ; phénomènes de turbulences aux hautes altitudes ; bang sonique. La FAA disposerait par la même occasion d’un délai suffisant pour l’élaboration des prescriptions et procédures relatives à l’homologation des avions de transport supersoniques.

Mais le directeur de la FAA s’oppose à ce genre de solution provisoire qu’il juge trop coûteuse ; en effet l’aide financière nécessaire serait très importante : 240 millions de dollars selon les estimations de Convair. Il préfère le plan de 8 ans publié récemment et concernant la réalisation d’un avion trisonique, qui prévoit d’abord la résolution d’ici 1963 de certains problèmes fondamentaux, grâce aux efforts conjugués de la FAA, de la NASA et de l’USAF et ensuite, une aide technique et financière de la part du gouvernement. La construction du prototype commencerait en janvier 1964, les essais en vol débuteraient trois ans plus tard pour aboutir en 1970 à l’obtention du certificat de navigabilité. N.E Halaby fait également remarquer que l’avion de transport supersonique pourra bénéficier de l’expérience acquise avec le très discuté North American B-70, dont le prototype devrait normalement effectuer son premier vol en décembre 1962.

Il apparaît donc qu’aux Etats-Unis les dés soient jetés au bénéfice de l’avion à Mach 3, ce qui aura une influence certaine sur les projets de l’industrie européenne : la concurrence américaine dans le domaine des études d’un avion à Mach 2 et plus ne serait plus à redouter. La British Aircraft Corporation étudie depuis un certain temps un avion à Mach 2,2 pouvant transporter 120 passagers sur des distances transatlantiques. Le groupe Hawker Siddeley mène des études parallèles sur lesquelles aucun détail n’a encore été relevé. Le gouvernement britannique ne saurait admettre que les programmes de travail de ces deux firmes aboutissent à des réalisations similaires. La BAC, compte tenue de son expérience plus grande en matière d’avions supersoniques, a reçu du ministère de l’aviation un crédit de 350.000 livres destiné à couvrir les frais d’études d’un long-courrier supersonique ; cette étude, qui comporte également l’examen des possibilités d’un travail en commun avec des constructeurs étrangers, doit être terminée à la fin de cette année. Reste à savoir si ces possibilités existent réellement. Au cas où les Britanniques, contre toute attente, réussiraient à intéresser une firme américaine à leur projet, ceci constituerait la première étape d’une collaboration éventuelle entre ces deux rivaux traditionnels. Mais il faudrait d’abord que certains constructeurs américains se décidassent à passer outre aux recommandations de leur gouvernement en travaillant à la mise au point d’un avion à Mach 2 et plus.

Des pourparlers sont aussi en cours avec les constructeurs français, mais leur avenir paraît déjà compromis par la politique économique autarcique du Royaume Uni dans ce domaine, laquelle a toujours principalement visé l’exportation et qui – à part quelques récentes exceptions – n’a jamais donné lieu à des commandes de matériel aéronautique français. La France étudie actuellement un projet de moyen-courrier à Mach 2,2 pouvant transporter de 70 à 80 passagers ; la compagnie Sud-Aviation et la Générale Aéronautique Marcel Dassault s’y emploient activement.

Les constructeurs français partent du principe qu’un moyen-courrier à Mach 2 et plus serait le complément naturel d’un long-courrier à Mach 3. Sud-Aviation rappelle que la Caravelle naquit aussi à une époque où il semblait n’y avoir d’avenir que pour les long-courriers à réaction.

Si tous les intéressés poursuivent leur chemin chacun de leur côté, ils s’engagent sur une voie semée de risques. Il est toutefois très improbable que les constructeurs européens abandonnent complètement leurs propres projets supersoniques, laissant ainsi la voie libre aux Américains.

2 – Problèmes d’aérodynamique

Bien que chaque bureau d’études ait ses propres idées sur la meilleure configuration à donner à l’avion supersonique futur, il serait actuellement prématuré de tirer des conclusions. Les aérodynamiciens tiraillés entre les exigences contraires s’emploient à trouver les meilleurs compromis. Le vol de croisière économique à vitesse supersonique élevée exige une aile mince et un fuselage de faible section. Aux vitesses supersoniques supérieures, au-dessus de Mach 2 environ, l’allongement n’a que peu d’influence sur la composante de la traînée, de sorte que les ailes à faible allongement ne présentent plus d’avantage. Puisqu’une partie de la traînée d’onde est proportionnelle au carré du coefficient de portance (et de plus sans rapport avec la forme géométrique de l’aile) et qu’une partie augmente avec le carré de l’épaisseur relative de l’aile, les petits angles d’attaque et les faibles charges alaires sont préférables. La traînée sera élevée en régime subsonique inférieur, mais les faibles charges alaires conviennent très bien au décollage et à l’atterrissage. Si les vitesses de décollage et d’atterrissage et par conséquent les longueurs de pistes doivent être limitées, il faudra que l’aile possède un coefficient de portance très élevé, ce qui est difficilement compatible avec l’obtention d’une traînée minimale. Pour les avions à Mach 3, les principales formes possibles sont l’aile trapézoïdale et l’aile delta à flèche moyenne, tandis que pour les avions à Mach 2 et plus, l’aile delta à flèche accentuée est unanimement préférée, d’autant plus que son épaisseur permettrait d’y loger la totalité des réservoirs de carburant.

La NASA, de même qu’une équipe anglaise dirigée par le Dr Wallis, poursuit depuis des années ses expériences avec des ailes à flèche variable. Aux faibles vitesses (décollage, montée, attente, approche, atterrissage) les ailes seraient entièrement déployées – allongement de 8 à 12 – tandis qu’en vol de croisière, leur flèche serait accentuée afin de réduire la traînée au minimum. Cette solution théoriquement prometteuse laisse les ingénieurs sceptiques car ils redoutent les difficultés techniques sans parler des problèmes d’instabilité que ne manquera pas de poser la modification du profil de l’aile.

Divers projets américains sont conçus autour de l’aile à géométrie variable : les extrémités des ailes peuvent être infléchies vers le bas pour augmenter la stabilité. Les constructeurs et les organismes de recherches s’accordent à penser que des essais en soufflerie encore plus poussés sont nécessaires afin de pouvoir évaluer avec plus de précision l’influence sur les caractéristiques et les performances en vol des principaux paramètres d’études, tels que le plan et le profil des ailes, leur raccordement au fuselage, la disposition des moteurs, la forme de l’empennage, etc.

D’après les tendances que l’on peut entrevoir en ce moment, la forme dite en canard avec des ailes très minces en delta ou trapézoïdales aurait les meilleures chances d’être retenue, si l’on en juge par les photographies des maquettes qui illustrent cet article. Du fait que les ailes auraient un trop faible volume, une partie du carburant devrait probablement trouver place dans le fuselage, ce qui évidemment n’enchante pas les compagnies aériennes.

Lockheed a essayé en soufflerie trois dispositions possibles des gouvernes de profondeur sur un appareil à aile trapézoïdale de faible allongement. Ces essais ont démontré qu’un mouvement de la gouverne permettant de corriger un déplacement du centre de gravité de 5% par rapport à la corde aérodynamique moyenne) provoque les augmentations de traînée suivantes :

– montées sur le bord de fuite : 20%

– montées à l’arrière du fuselage : 8 à 13%

– montées à l’avant du fuselage : 1,6%

Pour ce qui concerne les dimensions de l’avion les plus favorables du point de vue économique, il existe de grandes divergences dans les opinions des constructeurs. Comme les dimensions sont essentiellement fonction du nombre de places et de la distance franchissable, ce sont les clients éventuels qui devraient préciser leurs besoins. La traînée devant être aussi faible que possible, il faudrait un fuselage de faible section – d’un diamètre ne dépassant pas le dixième de sa longueur – ce qui en certains cas ne permettrait pas de disposer plus de cinq sièges par rangées. Les compagnies aériennes auraient préférées des rangées de six sièges, ce qui permettrait une utilisation plus rationnelle de l’espace disponible et faciliterait les transformations éventuelles de la disposition des sièges. Soucieuse de satisfaire aux exigences de leurs futurs passagers, elles estiment que le confort à bord des avions supersoniques doit être au moins égal à celui de la classe économique actuelle. Comme la taille et la corpulence de l’homme ont tendance à augmenter, les Pan American estiment qu’il faudrait porter la largeur normale des sièges de 44,5 à 46 centimètres. En comptant 5 centimètres par accoudoir et 47 centimètres pour le couloir central on arrive à une largeur intérieure de cabine de 3,12 mètres si chaque rangée comporte 5 sièges et de 3,63 mètres si chaque rang compte 6 sièges. Ces chiffres sont contraires aux exigences aérodynamiques.

Depuis 1956, la division de la General Dynamics Corporation a procédé à des centaines d’essais en vue de déterminer la configuration générale de l’avion de transport supersonique. On voit ici une solution intéressante pour ce qui concerne la partie avant du fuselage

Une maquette d’un avion trisonique dont le projet a été établie par Douglas et qui pourrait transporter 100 à 130 passagers sur des distances intercontinentales. On remarque la flèche accentuée de l’aile en double delta dont les extrémités peuvent pivoter vers le bas.

Lockheed qui travaille aussi depuis des années à la définition d’un avion de transport supersonique a réaliser un vaste programme d’essais en soufflerie. Le dessin ci-dessus présente l’un des projets : il s’agit d’un avion qui serait aménagé pour le transport de 90 passagers et qui dépasserait Mach 3 (entre Mach 3 et Mach 3,5) à une altitude de croisière comprise entre 18.000 et 24.000 mètres.

Le projet d’avion de transport supersonique de Boeing porte la désignation 733. Les connaissances théoriques actuelles en matière d’écoulement supersonique autour d’un corps complexe sont insuffisantes et seuls les essais en soufflerie peuvent permettre de définir la configuration la plus avantageuse.

Au dernier Salon de Paris, les visiteurs ont particulièrement remarqué, sur le stand de Sud-Aviation, la maquette d’un moyen-courrier supersonique capable de transporter 70 à 80 passagers à 18.000 mètres d’altitude. Les sociétés Sud-Aviation et Générale Aéronautique Marcel Dassault travaillent ensemble à ce projet.

3 – Nouveaux procédés de fabrication

Il est évident que les constructeurs américains entreprennent avec l’avion à Mach 3 une tâche plus ardue que celle de leurs confrères européens qui étudient un avion à Mach 2,3. Mais ne serait-ce qu’un avion bi-sonique, sa mise au point pose de nombreux problèmes, et les ingénieurs ont de quoi s’occuper pendant des années. A Mach 2,3 la température extérieure de l’avion est de 150°C environ ; pour des températures de cet ordre, la pratique acquise avec les matériaux traditionnels de construction se révèle insuffisante. La théorie de la résistance à la fatigue en est à ses débuts ; l’ingénieur ne pourra donc évaluer la tenue en service des divers alliages que sur la base de données expérimentales recueillies pendant de longues séries d’essais au cours desquels pièces et sous-ensembles seront soumis à des effets dynamiques et thermiques correspondant à la réalité. Aux points d’arrêt, (nez du fuselage, bords d’attaque de l’aile et de l’empennage, lèvres de l’entrée d’air, fentes de couche limite) la température atteint 180°C environ (Figure 2) ce qui signifie que l’emploi du titane ou de l’acier s’impose.

A part les éléments structuraux, divers éléments non métalliques posent des casse-têtes aux ingénieurs ; parmi ceux-ci on peut citer les hublots, les garnitures de joints, les pneus, etc… Pour protéger le pare-brise contre la chaleur excessive et pour réduire en même temps la traînée due au frottement de l’air, le projet BAC prévoit une sorte de visière qui recouvrirait le pare-brise en vol de croisière et arrondirait le nez du fuselage. La visibilité vers l’avant serait assurée par un dispositif optique ou électronique. Bien qu’à des vitesses de 2000 ou 3000 km/h il ne saurait être question de vol à vue, les pilotes refusent énergiquement d’employer de tels artifices et disent qu’ils préfèrent se fier à leurs propres yeux lorsqu’il s’agit par exemple de modifier la trajectoire pour éviter de rentrer dans un cumulo-nimbus.

Il y a des constructeurs américains aux idées hardies qui proposent la suppression pure et simple des hublots, faisant ainsi d’une pierre deux coups. D’abord plus de problème quant au choix du matériau ; ensuite le découpage de la coque n’est plus nécessaire ; or ce dernier pose des problèmes très complexes d’équilibre des charges que les constructeurs préfèrent éviter surtout lorsque les effets de la chaleur viennent s’ajouter aux efforts dus à la surpression interne (lorsque l’avion est en croisière à 24.000 mètres, la pression dans la cabine correspond à une altitude de 1500 mètres, de sorte qu’il existe une différence de pression de 0,83 kg/cm²). Afin d’éviter aux passagers la sensation désagréable d’être emmurés vivants, ils pourraient contempler sur un écran l’image télévisée des terres et des océans qu’ils survolent. Heureusement, quels que soient les avantages techniques d’une telle solution, les compagnies aériennes ne veulent pas en entendre parler. Un ingénieur des Pan American s’exprime ainsi : En vol supersonique, nous voulons voir de nos propres yeux l’aspect de la terre d’une hauteur de 23.000 mètres. S’il faut voir cela à la télévision, nous pouvons tout aussi bien le faire de chez nous. En outre, si un avion de ligne supersonique sans hublot est mis en service, et si ensuite il en arrive un autre qui possède des hublots, le premier sera vite périmé.

Les pilotes et les compagnies aériennes sont en accord sur l’opportunité d’une suggestion faite par plusieurs constructeurs et qui consisterait à pouvoir faire pivoter le nez de l’appareil au moment de l’atterrissage, étant donné que l’avion supersonique se présentera à l’atterrissage avec un angle d’attaque assez élevé.

Le meilleur type de construction pour un avion à Mach 3 est également quelque peu controversé. La construction en sandwich utilisée pour le B-70 est préférée par de nombreux constructeurs, tandis que d’autres restent fidèles à la construction classique. Les  panneaux en sandwich sont plus légers et plus rigides que les autres, mais ils sont également plus coûteux ; la NASA estime qu’en certain cas, ils reviennent huit fois plus chers. Par ailleurs ils n’ont pas fait leurs preuves quant à leur résistance aux déchirures ou autres dommages ; mais leur résistance élevée à la fatigue compense peut-être ces désavantages. Le constructeur habile trouvera le moyen de tirer le meilleur parti de ces méthodes. En tout cas, la construction en nid d’abeilles semble toute indiquée lorsqu’il s’agit d’économiser de la place.

4 – Propulseurs

Comme il est question dans les articles qui suivent des propulseurs que fabriquent trois constructeurs renommés, nous n’aborderons ici, que quelques aspects fondamentaux de la propulsion. Le propulseur idéal n’ayant pas encore été trouvé, les discussions à ce sujet continuent ; toutefois, il est certain que le constructeur de la cellule doit en tenir compte, dans une plus large mesure qu’auparavant, de ce que l’on appelle l’aérodynamique interne. Et comme les moteurs doivent fonctionner avec un bon rendement, aussi bien en vol de croisière à un nombre de Mach élevé qu’aux vitesses supersoniques inférieures ou même subsoniques, il est indispensable de prévoir des entrées d’air et des tuyères d’éjection à section variable. Ceci demande une très bonne adaptation des moteurs à la cellule, surtout lorsque les moteurs sont groupés. Les compagnies aériennes préfèreraient des moteurs séparés suspendus en nacelles, ce qui facilite l’entretien et réduit le danger d’une réaction en chaîne au cas où un moteur aurait une défaillance.

Les projets rendus publics d’avions de transport supersoniques comportent quatre ou six réacteurs, généralement à double flux, avec réchauffe du flux secondaire au décollage et lors du passage en régime supersonique. Les constructeurs américains, britanniques et français travaillent actuellement à la mise au point de ce genre de propulseurs qui pourraient rapidement être offerts si des moyens financiers suffisants étaient disponibles.

Pour les vitesses supersoniques élevées (au-delà de Mach 3), l’adjonction d’un statoréacteur à un turboréacteur classique, qui caractérise les projets de Bristol Siddeley et Nord-Aviation, offre une solution pleine de promesses. La conception de Nord-Aviation – un turboréacteur à double flux au cœur d’un statoréacteur, et le mélange du flux secondaire du turboréacteur avec le flux du statoréacteur avant réchauffe – a suscité un grand intérêt de la part de l’USAF qui a signé un contrat d’étude et de mise au point avec la société française. Il n’est pas possible de donner ici les nombreux avantages de cette innovation qui, étant encore au stade embryonnaire, ne pourra vraisemblablement pas être utilisée pour propulser la première génération des avions de transport supersoniques.

5 – Carburants

A la vitesse de Mach 2,3 aucun problème critique ne se pose, mais à Mach 3 la température des surfaces extérieures, suffit à provoquer l’inflammation des carburants, de sorte qu’il faut prévoir des moyens efficaces et sûrs pour éviter les émanations de vapeurs. Même en utilisant un revêtement isolant, ce qui serait difficilement justifié étant donné le poids de celui-ci, il est probablement impossible d’éviter une décomposition progressive du carburant sous l’action de la chaleur. Le carburant non utilisé au cours d’un vol ne pourrait donc plus être utilisé pour un vol ultérieur et devrait être vidangé. Cette perte coûteuse pourrait éventuellement être évitée par l’emploi de certains additifs, mais il faudrait en tout cas compter de 5 à 10% de plus pour les frais de carburant. Si cette solution s’avérait impossible et s’il fallait avoir recours à des carburants résistant à la chaleur, ces frais pourraient être augmentés de 25%. Selon un calcul de la société Douglas, les dépenses de carburant représentent 60 à 70% des frais directs d’exploitation d’un avion trisonique. Ceci explique l’intérêt avec lequel les compagnies suivent la discussion entre les constructeurs de cellules et les compagnies pétrolières.

6 – Pressurisation

La cabine pressurisée d’un avion supersonique remplit essentiellement le même office que celle d’un avion conventionnel. Néanmoins, trois complications surgissent :

1 – L’avion évolue à des altitudes où la pression atmosphérique est inférieure à la pression sanguine.

2 – Son altitude de croisière est celle de la couche atmosphérique fortement ozonée.

3 – Le frottement aérodynamique provoque l’échauffement du revêtement extérieur de l’avion.

Il en découle trois impératifs nouveaux qui n’existent pas dans le cas des avions subsoniques :

1 – La pression à l’intérieur de la cabine ne doit en aucun cas tomber en-dessous de 0,48 kg/cm² (valeur de la pression atmosphérique à 6000 mètres d’altitude), même en cas de fuite.

2 – L’ozone nuisible doit être éliminé par filtrage.

3 – Le dégagement continu de chaleur doit être combattu par un système de refroidissement.

La pression normale admise dans la cabine d’un avion de transport supersonique est équivalente à la pression à 1500 mètres d’altitude, ce qui est supportable même par les malades. En vol de croisière à 21.000 mètres, ceci correspond à une pression de 0,83 kg/cm², soit environ 40% de plus que dans le cas des avions à réaction courants. Bien entendu les constructeurs de cellules feront l’impossible pour éliminer tout risque de fuite dans la cabine, celle-ci pouvant provoquer une explosion ; néanmoins il y a lieu de prévoir des mesures de sécurité dans une telle éventualité.

Les Figures 3 et 4, montrent les deux solutions proposées par la Garrett Corporation pour répondre au problème du conditionnement d’air et de la pressurisation à bord d’un avion de transport supersonique. Garrett Corporation envisage ces deux solutions pour répondre au problème du conditionnement d’air et de la pressurisation à bord de l’avion de transport supersonique.

A gauche : un système complexe dans lequel l’air comprimé (qui peut être prélevée sur le groupe de propulsion, être obtenue par effet dynamique ou provenir éventuellement d’un réservoir d’air comprimé) traverse un premier échangeur de chaleur (1), un compresseur (2), un deuxième échangeur de chaleur (3) et un évaporateur (4) avant d’être détendu (5) et envoyé dans la cabine (6) ; l’air vicié est rejeté à l’extérieur de l’avion ; le carburant et l’eau servent à évacuer la chaleur.

A droite : il s’agit d’un système en circuit fermé avec régénération de l’air. Le réservoir (1) ne délivre que la quantité d’air indispensable au confort des passagers. L’air vicié est refroidi dans un échangeur de chaleur (2), puis purifié (3) et réchauffé (4) le cas échéant avant de revenir à la cabine. La chaleur, évacuée par un circuit d’éthylène-glycol (6), provoque l’évaporation (7) du fréon (8) qui se condense ensuite (9) en cédant ses calories au carburant.

A grande vitesse de vol, une alimentation de secours pourrait être constituée par de l’air comprimé obtenu par effet dynamique, puis refroidi bien entendu. Les ingénieurs de la Garrett Corporation ont étudié le cas de l’éclatement subit d’un hublot de 320 cm² à l’altitude de 21.000 mètres et ont évalué à 210 kg/min les besoins d’alimentation en air pour maintenir à l’intérieur de la cabine une pression correspondant à une altitude de 6000 mètres. En piqué, l’avion mettrait environ six minutes pour descendre à 6000 mètres, ce qui sauverait la situation car à cette altitude les masques à oxygène suffisent même si la cabine n’est pas pressurisée.

La Figure 5, montre (courbe B) les conditions de vol dans lesquelles on pourrait, en cas d’urgence, conserver dans la cabine une pression correspondant à l’altitude de 6000 mètres en utilisant l’air dynamique. En descente, il faudrait vaporiser environ 70 litres d’eau pour refroidir l’air dynamique et le faire passer à la température de la cabine.

Pour ne pas imposer aux populations riveraines un niveau de bruit excessif, le profil de vol d’un avion bisonique devrait se présenter ainsi (courbe A). La zone gris moyen correspond à des pressions sonores très élevées (plus de 5 kg/m²) et la zone gris-foncé à des pressions sonores dangereuses (plus de 15 kg/m²). La courbe B représente les conditions de vol dans lesquelles on pourrait, en cas d’urgence, conserver dans la cabine une pression correspondant à 6000 mètres d’altitude en utilisant l’air dynamique.

Le refroidissement reste le principal problème du vol supersonique. Par suite de l’échauffement aérodynamique, des résistances électriques (cuisines de bord, ampoules) et du rayonnement de la chaleur corporelle des passagers, 75.000 kilo-calories par heure devront être évacuées de la cabine d’un avion trisonique en croisière avec 120 personnes à bord. Un système de refroidissement très efficace est donc indispensable. Il pourrait être fait appel à l’un des deux systèmes suivants : un circuit ouvert dans lequel l’air serait obtenu par effet dynamique ou un circuit fermé à régénération cyclique de l’air. Un stockage d’air liquide est exclu, car l’installation serait trop lourde ; pratiquement il faut donc compter uniquement sur le carburant pour absorber la chaleur.

7 – Le bruit supersonique – la grande inconnue

A la conférence technique de l’IATA en avril 1961, une rare unanimité s’est faite sur l’importance qu’il convient d’attacher au problème du bruit ; cette concordance de vues n’était due ni au hasard ni au simple désir de parvenir à un commun accord. Les constructeurs aussi bien que les compagnies aériennes comprennent très bien qu’il est inutile de s’engager plus en avant dans la réalisation d’un avion de transport supersonique si l’utilisation d’un tel appareil doit être soumise à de sévères restrictions d’exploitation. Les comptables des compagnies aériennes qui exploitent des long-courriers à réaction sont à même de chiffrer, à un dollar près, les frais entraînés par l’adjonction de silencieux sur les tuyères d’échappement des turboréacteurs et qui sont dus, notamment, à une consommation plus importante de carburant, une augmentation du prix du moteur, et une diminution de la charge utile. Pour les avions supersoniques, ce sera pire encore. Et si les gouvernements de certains pays interdisaient le survol de leur territoire par des avions supersoniques sous prétexte qu’ils sont trop bruyants ? Il y a de quoi faire réfléchir les compagnies aériennes les plus entreprenantes.

Deux grandes inconnues subsistent. Quel serait au sol le niveau de pression sonore lors du survol d’un avion supersonique ? Et à quel niveau se situerait la limite permise, eu égard à la population ? Les études très poussées faites par la NASA montrent qu’il existe au voisinage immédiat de l’avion un système d’ondes extrêmement complexe, mais qu’à partir d’une certaine distance ce système se réduit à deux ondes – une onde de tête et une onde de queue – dont le passage provoque le fameux « bang sonique” qui est en réalité double, même si les deux coups sont souvent trop rapprochés pour pouvoir être distingués.

Il est difficile de tirer des conclusions valables pour des avions commerciaux volant à haute altitude à partir de données concernant des avions de petites dimensions volant à des altitudes relativement basses. La pression sonore augmente légèrement si la vitesse de l’avion est plus élevée et si la longueur du fuselage est plus grande, mais elle diminue sensiblement au sol à mesure qu’augmente l’altitude de vol. Le programme conjoint NASA/FAA/USAF de vols expérimentaux avec le B-58 apportera certainement, de même que les essais accomplis avec le « Mirage IV“ français, des éléments nouveaux. Il faudra attendre les essais en vol du B-70 pour tirer des conclusions définitives. D’après une étude de l’OACI, ce serait beaucoup exiger que d’imposer comme limite supérieure de la pression sonore la valeur de 5 kg/m². Plusieurs constructeurs prennent pour base de leurs calculs une pression de 7,5 kg/m², ce qui constitue déjà un niveau difficilement supportable et résulterait du passage à 18.000 mètres environ d’un avion de transport en vol trisonique horizontal. Une pression sonore de 10 kg/m² suffit déjà à faire éclater une grande vitre. Il faudrait donc que la limite retenue fût assez basse, afin de ménager une marge de sécurité, compte tenu des variations atmosphériques, des changements d’altitude qui pourraient être rendus nécessaires… etc.

A la conférence technique de l’IATA, il a aussi été question d’éduquer les populations. Le cas des habitants voisins d’un aérodrome militaire a été évoqué ; ceux-ci, après avoir tout d’abord vigoureusement protesté contre le bruit qui les importunait sans cesse, ont compris par la suite l’utilité des vols en question et n’ont pas renouvelé leurs doléances. Dans un article intitulé, faut-il interdire les avions commerciaux supersoniques ? paru il y a quelques mois dans la revue britannique « New Scientist”, l’auteur, Bo Lundberg, directeur de l’institut suédois de recherches aéronautiques, explique que pour mieux juger de l’importance du problème du bruit, il faut s’imaginer qu’un avion de transport de 180 tonnes ayant à son bord une centaine de passagers et qui survolerait la terre à 21.000 mètres d’altitude en volant à Mach 2 ou Mach 3 traînerait derrière lui un véritable épouvantail sonore qui ferait éclater les vitres, ou du moins les ferait vibrer à tout rompre, et réveillerait en sursaut tous les habitants qui se trouveraient dans un couloir large de 120 kilomètres. Lundberg poursuit en posant la question : quelle justification y a-t-il à tirer de leur sommeil paisible des millions de citoyens tranquilles afin de permettre à un petit nombre de voyageurs d’économiser quelques heures de vol ? Sombre perspective en vérité, mais qui mérite d’être prise en considération car elle émane d’un homme qui a consacré sa vie au service de l’aviation.

8 – Exploitation

Si l’on excepte le problème du contrôle du trafic aérien, traité à part dans le présent numéro, les constructeurs de cellules et les compagnies aériennes ne pensent pas que l’exploitation de lignes par avions supersoniques présente des difficultés particulières. Nombreux sont les services officiels d’infrastructure qui craignent une répétition dans un proche avenir de la situation créée il y a quelques années par l’annonce des projets de long-courriers à réaction des sociétés Boeing et Douglas. Dès que furent connues les longueurs de piste exigées par les nouveaux appareils, l’Airport Operators Council lança un appel à toutes les directions d’aéroports aux Etats-Unis ; il fallait refuser de prolonger les pistes d’envol.

Cette mesure devait en principe exercer une pression sur les constructeurs en les contraignant à réaliser des avions à réaction pouvant s’accommoder des longueurs de pistes existantes. On connaît la suite : Juan T. Trippe, Président des Pan American Airways passait commande de 45 Boeing 707 et Douglas DC-8, ce qui déclenchait une véritable vague d’achats de la part des compagnies concurrentes et une fiévreuse compétition entre aéroports. Ceux-ci devaient obligatoirement offrir des pistes de longueur suffisante pour ne pas perdre la clientèle des long-courriers à réaction et leurs administrateurs durent se plier à la règle. Cette fois, ces derniers maintiennent leurs points de vue et insistent sur le fait qu’en dehors de toute considération d’ordre financier, il sera dans de nombreux cas impossible, pour des raisons matérielles ou des considérations de relief, de prolonger une nouvelle fois les pistes actuelles.

D’après les projets déjà présentés, les avions de transport supersoniques devraient pouvoir utiliser sans difficulté les pistes de 3000 mètres de longueur qui équipent actuellement, la plupart des principaux aéroports. Les ailes minces des avions supersoniques à faible allongement ne peuvent pas offrir le coefficient maximal de portance des derniers types d’avions à réaction qui sont munis de dispositifs hypersustentateurs très perfectionnés. Toutefois les faibles charges alaires – de 300 à 350 kg/m² – compenseront dans une certaine mesure cet inconvénient.

Quoi qu’il en soit, les services responsables de l’infrastructure ont lancé de sérieux avertissements contre l’utilisation, comme base d’études, de longueurs de pistes parfaitement injustifiées ; l’expérience a démontré que les chiffres théoriques ne correspondent pas toujours à la réalité (décollage avec vent arrière, mauvais état de la piste). Les autorités compétentes seraient alors amenées, comme cela s’est déjà produit, à imposer des conditions d’homologation plus sévères. La longueur de piste minimale requise pour plusieurs avions à réaction a ainsi été augmentée parfois de 20% par rapport à la longueur initialement prévue. La compagnie Pan American Airways, l’une des plus intéressées par le transport supersonique, recommande une longueur de piste maximum de 3 050 mètres pour un décollage à pleine charge et par une température ambiante de 32°C.

Les constructeurs ne se font pas de souci quant à la force portante des pistes. Le poids plus élevé au décollage des avions de transport supersoniques – qui pourraient atteindre éventuellement 200 tonnes – peut être supporté par un train d’atterrissage approprié permettant une répartition de la charge sur un plus grand nombre de roues, de sorte que la charge équivalente par roue simple ne dépasserait pas 45 tonnes, ce qui correspond aux forces portantes de la plupart des pistes modernes. S’il est question du poids total de l’avion (cas des ouvrages d’art sous les pistes, par exemple) les ingénieurs sont assez prévoyants pour conserver une marge de sécurité suffisante.

Quels aménagements seront pourtant nécessaires sur les aéroports. Les voies de circulation devront être élargies dans leurs parties courbes car les fuselages très allongés des avions supersoniques – jusqu’à 73 mètres de longueur pour certains projets – conduiront à des empattements considérables. En adoptant la méthode du train sur l’axe du chemin de roulement, les roues du train principal se trouveraient alors sur l’herbe ou sur las bas-côtés. Pour des raisons identiques, il sera probablement nécessaire d’aménager des aires de stationnement spéciales pour les avions supersoniques.

9 – Les pilotes de ligne ne sont pas des astronautes

Il est inutile de souligner les exigences qu’imposeront aux pilotes les avions supersoniques, en commençant par la conduite au sol. Manœuvrer sur une aire de stationnement encombrée un monstre de 180 tonnes, long de 70 mètres, d’une envergure de 35 mètres et dont l’atterrisseur avant se trouve à quelques mètres en arrière du poste de pilotage n’a rien de facile même à l’aide de lignes de repérage ou de feux de balisage.

En l’air, il faudra absolument que le pilote respecte son plan de vol, ne serait-ce que pour faciliter le contrôle du trafic aérien. Aux vitesses supersoniques, la moindre déviation de cap se traduirait par un écart de route considérable. La tâche du pilote pourrait se trouver plus compliquée par l’attention qu’il devrait apporter aux commandes supplémentaires des moteurs (entrées d’air et tuyères à section variable, réchauffe du flux secondaire), même si celles-ci sont automatiques, car il devrait toujours se tenir prêt à intervenir en utilisant des commandes manuelles. Il y a également lieu de prévoir des amortisseurs automatiques de lacet et de roulis ; une éventuelle défaillance de ces dispositifs ne doit pas compromettre la stabilité de l’appareil en engendrant une dangereuse configuration de vol.

Les diverses études prévoient une vitesse au décollage comprise entre 315 et 350 km/h et une vitesse d’atterrissages comprise entre 240 et 270 km/h, ce qui ne doit soulever aucun problème de pilotage. Les compagnies aériennes souhaitent la mise au point de pneus plus résistants, capables d’encaisser les efforts résultant des vitesses de roulement au sol très élevées. En 1960, une compagnie américaine bien connue à dû procéder au remplacement d’un pneu tous les douze atterrissages, en plus du programme normal du remplacement.

En résumé, Le pilote de l’avion de transport supersonique ne risquera pas de manquer d’occupations. Aussi les compagnies aériennes insistent-elles pour que ce soit l’avion qui comporte d’excellentes caractéristiques de vol et non pas le pilote qui soit un surhomme. Selon les Pan American Airways par exemple, une compagnie aérienne ne peut pas s’offrir le luxe de former ni d’entraîner des super-pilotes pour la conduite de ses avions supersonique, comme l’a fait la NASA pour les vols effectués dans le cadre du programme “Mercury”.

10 – La majeure partie du voyage supersonique se passera-t-elle au sol ?

Si l’avion supersonique existait aujourd’hui, le voyage d’un homme d’affaires se rendant de New York à Londres pourrait se dérouler selon l’horaire suivant (heures locales de Londres) :

– 15h00 : Départ de l’hôtel en taxi pour l’aérogare en ville.

– 15h15 : Départ du car pour l’aéroport.

– 17h00 : Arrivée à l’aéroport de New York

– 18h00 : Décollage de l’avion à Mach3.

– 20h10 : Atterrissage à l’aéroport de Londres.

– 20h40 : Départ du car pour l’aérogare en ville.

– 21h40 : Arrivée au centre ville.

– 21h55 : Arrivée à l’hôtel.

Les 7 heures de voyage se répartiraient donc ainsi : presque 5 heures au sol et seulement 2h10 de vol. Certes le gain de temps par avion supersonique serait de plus de 4 heures, ce qui serait appréciable pour le voyageur. Mais il est évident que des mesures devraient être prises pour corriger la forte disproportion existant entre le temps perdu au sol et la durée du vol. Bien qu’une certaine perte de temps soit inévitable, l’examen de l’horaire ci-dessus montre que la liaison ville-aéroport-ville doit être améliorée. Les autoroutes et les monorails (suggérés à la conférence de l’IATA) ainsi que les services économiques par hélicoptères ou par avions à essor vertical permettent quelques espoirs dans ce domaine.

La tâche du constructeur consiste également à trouver les moyens de réduire considérablement les temps d’immobilisation au sol de l’avion : containers normalisés pour le fret et les bagages ; dispositifs de chargement incorporés dans l’avion ; ravitaillement ultra-rapide (de 20 à 25 minutes pour faire le plein) ; repas et couverts déjà préparés, facilités pour le service de cabine ; indépendance quasi totale à l’égard du matériel d’assistance au sol ; sièges faciles à remplacer.

Figure 7 : Vitesse d’aérogare à aérogare en fonction la longueur du parcours pour quelques avions de transport caractéristiques. Les lignes en traits interrompus représentent la vitesse nominale de croisière.

Une compagnie aérienne américaine a procédé à une étude très poussée de la productivité des avions commerciaux en fonction de la vitesse de croisière, du temps d’immobilisation au sol et des restrictions d’horaire localement imposées. Les résultats de cette analyse sont reproduits sur le Tableau 1 qui donne, pour cinq types d’avions différents, le nombre d’heures de vol et d’allers-retours possibles par jour sur le parcours New York-Londres.

Si, à cause du bruit par exemple, les décollages ne sont autorisés qu’entre 8 heures et 22 heures au lieu de l’être entre 6 heures et 24 heures (cas 1 et 3), la productivité diminue de moitié pour les avions à réaction courants et pour les avions à Mach 2 et 3. Dans le cas 5, la productivité est identique pour les avions à Mach 2, Mach 3 et Mach 8. La vitesse infiniment élevée de ce dernier n’aurait aucun intérêt du point de vue commercial. L’avion à Mach 3 augmente sa productivité de 50% quand le temps d’immobilisation est ramené à une heure (cas 6), mais l’avion à Mach 2 et les Boeing 707 et Douglas DC-8 n’en tirent aucun avantage. La productivité du Douglas DC-7 évolue curieusement (cas 5 et 6). Le cas 7 et les deux dernières colonnes (Mach 8) sont purement théoriques.

 Tableau 1 – Influence du temps d’immobilisation au sol sur la productivité de certains avions de ligne (selon les Pan American Airways)

11 – Coût de la production

Les frais entraînés par l’étude, la réalisation et la mise au point d’un avion à Mach 3 sont difficiles à évaluer. Les constructeurs américains estiment qu’ils pourraient atteindre de 500 millions à 1 milliard de dollars. Boeing pense que rien que la construction et les essais en vol d’un premier prototype reviendraient à 100 millions de dollars et qu’il faudrait de 700 à 800 millions de dollars pour en arriver au stade de la construction en série, ce qui représente environ le triple de ce qu’a coûté le Boeing 707. La FAA évalue à 500 millions de dollars seulement les frais de construction d’un avion de 180 tonnes (100 à 150 passagers), tandis qu’un constructeur avance le chiffre d’un milliard de dollars. Quoi qu’il en soit, les 12 millions de dollars que le Président Kennedy a demandés au Congrès pour la poursuite des études ne sont qu’une goutte d’eau.

12 – A dépenses élevées, grandes séries

Les frais de mise au point étant répartis sur l’ensemble d’une série, le prix de vente d’un appareil et par conséquent les frais d’exploitation dépendront de l’importance de la série. Mais celle-ci à son tour sera fonction du trafic prévu et de la capacité offerte par l’aéronef. Pour avoir une idée de ce que pourra être la demande, les constructeurs ont procédé à des analyses très complètes du marché en perspective ; ce sont, dans leur genre, de véritables chefs-d’œuvre mais qui sont néanmoins fondés sur l’incertitude qui caractérise toute prévision de trafic (Figure 6).

Quelques prévisions concernant l’évolution du trafic aérien international : rendez-vous dans dix ans !

L’OACI a également publié diverses prévisions. En admettant que le trafic aérien mondial soit en 1967 le double du trafic de 1959, qu’il augmente ensuite régulièrement de 5% chaque année et enfin que les étapes de plus de 2900 kilomètres représentent 55% du trafic international, on obtient théoriquement la demande maximale suivante pour les avions de transport supersoniques :

197619731973
Avion à Mach 2 (100 sièges)

Avion à Mach 3 (100 sièges)

188

125

238

159

303

202

Ces chiffres reposent sur l’hypothèse que toutes les lignes d’une distance supérieure à 2900 kilomètres seraient exploitées uniquement en avion supersonique.

Le nombre d’avions à Mach 3 (100 sièges) qui seraient probablement nécessaire en 1967 sur les principales lignes figure sur le Tableau 2.

En fait, la demande sera bien plus faible, car la mise en service des avions supersoniques s’effectuera de manière progressive au cours de premières années ; ils complèteront les avions subsoniques sans les remplacer d’un seul coup. Si l’on envisage par exemple une série de 200 appareils, les frais de mise au point estimés au total à 800 millions de dollars seraient répartis à raison de 4 millions de dollars par appareil. Si deux types d’avions concurrents à mérites égaux devaient se partager le même marché, chaque appareil de série coûterait, en plus du prix de la construction proprement dite, 8 millions de dollars, ce qui serait sans doute prohibitif.

Un autre facteur qui pourrait aussi avoir une influence sur l’importance de la série et par conséquent sur le prix unitaire, c’est la distance franchissable. Pour qu’il existe un marché de l’avion à Mach 3, celui-ci devra pouvoir franchir à pleine charge, des étapes d’au moins 6000 à 6500 kilomètres. Il s’agit là de la distance qui sépare la côte orientale des Etats-Unis de la plupart des capitales d’Europe occidentale. Les compagnies aériennes souhaiteraient que la distance franchissable d’un tel avion fût de 8000 kilomètres, ce qui permettrait la traversée sans escale du Pacifique. En dehors du fait que les passagers accepteraient difficilement les escales techniques, leur nécessité ferait sérieusement douter de la rentabilité du transport aérien supersonique.

Les compagnies aériennes soulignent l’importance qu’il faut attacher aux conditions réelles en matière de distances franchissables, au lieu de se fonder sur des conditions idéales ; à leur avis, il doit être tenu davantage compte des vents contraires, des réserves de carburant, des équipements supplémentaires, et d’autres facteurs de ce genre. Les compagnies estiment d’ailleurs qu’il ne faut pas fonder trop d’espoirs sur la solution du vol de croisière en montée constante, car il y a des années que cette procédure est utilisée sans succès.

13 – Qui paiera la note ?

Les frais énormes de construction et de mise au point d’avions commerciaux supersoniques dépassent les moyens financiers des plus grandes firmes. Les modalités d’une éventuelle aide officielle différent d’un pays à l’autre. Pendant que la British Aircraft Corporation en Grande-Bretagne et Sud-Aviation/Dassault en France poursuivent leurs études avec un modeste appui financier de la part de leurs gouvernements, aux Etats-Unis – ainsi qu’il a été dit au début de cet article – un plan général a été établi qui rend la FAA, la NASA et l’USAF conjointement responsables de l’élaboration d’un programme détaillé portant sur la mise au point d’un avion de transport à Mach 3.

La FAA sera sans doute la principale responsable et s’occupera des crédits gouvernementaux nécessaires, tandis que la NASA et l’USAF mettront à sa disposition leurs moyens techniques et administratifs. Pendant les deux premières années, il est prévu une aide à l’industrie américaine sous la forme de contributions financières modestes qui lui permettront d’étudier certains problèmes fondamentaux ; il sera alors décidé de la forme sous laquelle une aide officielle pourrait éventuellement être accordée par la suite. Il n’est apparemment pas question de gros subsides aux frais des contribuables. Au contraire il a même été suggéré que ces crédits soient des prêts remboursables. Les règles de la libre concurrence seront appliquées.

L’industrie américaine accueille cette politique avec réserve. Si les milieux industriels considèrent qu’une aide officielle est indispensable, ils redoutent en revanche une immixtion du gouvernement dans le domaine technique. Plusieurs firmes proposent des essais comparatifs en vol de deux ou trois prototypes, mais sans préciser qui prendrait à sa charge les frais d’une telle opération.

Compte tenu de la crise actuelle que traverse l’aviation commerciale et qui a pour origine la hâte avec laquelle les compagnies aériennes ont renouvelé leurs flottes, une crainte instinctive se manifeste : l’introduction prématurée d’un avion qui procède tout de même d’une technique un peu révolutionnaire ne risque-t-elle pas de sonner le glas des compagnies aériennes ? Le transport supersonique répond-il à une réelle nécessité ?

Sans doute la plupart des passagers se réjouiraient-ils de pouvoir traverser l’Atlantique en deux heures au lieu de sept, sans parler de distances plus longues. Mais ces avantages attireront-ils vers le transport aérien autant de nouveau passagers qu’on l’espère ? Le transport supersonique ne convient pas précisément au transport de masse.

En tout cas, une chose est certaine : jamais l’industrie aéronautique ne s’était trouvée aux prises avec un problème aussi fascinant.

Le projet de North American Aviation

Parmi les nombreux projets d’avions de transport à Mach 3 que préparent les constructeurs américains, nous avons choisi à titre d’exemple celui de la société North American Aviation (NAA) qui a bien précisé en publiant ces renseignements techniques qu’il s’agit d’un avant-projet toujours susceptible de recevoir des modifications. Les techniciens de NAA ont cherché en premier lieu à limiter le poids maximal au décollage en faisant appel à de méthodes de construction légère et à des améliorations d’ordre aérodynamiques : il s’agissait surtout de réduire la consommation de carburant et par là même les frais d’exploitation. Des modifications ultérieures devraient permettre l’utilisation rationnelle d’un tel avion sur des distances plus courtes et à des vitesses à peine supérieures, voire même inférieures, à la vitesse du son. Malgré leur caractère provisoire, les caractéristiques techniques fournies par NAA présentent un intérêt certain en tant que base possible de prévisions d’exploitation.

Ce projet – comme on pouvait s’y attendre – s’inspire du bombardier trisonique B-70 Valkyrie, mais il satisfait néanmoins à tous les règlements civils en vigueur. Les frais d’exploitation calculés sont du même ordre de grandeur que ceux des long-courriers à réaction utilisés à l’heure actuelle sur des parcours de 5500 kilomètres entre aérogares. L’avion peut emprunter au décollage comme à l’atterrissage les pistes des aéroports internationaux modernes. Des turboréacteurs à double flux lui confèrent de bonnes performances de montée, tout en conservant un niveau de bruit supportable pour les populations riveraines des aéroports. Si l’on admet que la pression sonore au niveau du sol ne doit pas excéder 7,3 kg/m², l’avion ne peut passer le mur du son qu’à plus de 13.000 mètres d’altitude.

Aménagement de la cabine pour 16 passagers en première classe et 108 en classe économique

1 – Caractéristiques principales

North American Aviation insiste sur l’importance des points suivants :

  • Stabilisateur ajustable du type canard.
  • Spollers et freins aérodynamiques
  • Possibilité de rabattre la partie extrême des ailes vers le bas en croisière
  •  Utilisation de panneaux sandwich constitués par des nids d’abeilles brasés en acier inoxydable et des tôles de titane rivetées
  •  Montage de six turboréacteurs à double flux avec réchauffe du flux secondaire et dispositifs d’inverseurs de la poussée
  •  Entrées d’air à section variable (une pour chaque groupe de trois turboréacteurs).
  •  Chaque jambe de train d’atterrissage principal est équipée de huit roues ; pression de gonflage des pneus : 11,2 kg/cm²
  • Pression du circuit hydraulique : 280 kg/cm² (raccords brasés).
  • Commandes entièrement assistées par système hydraulique.
  • Système de conditionnement d’air en circuit fermé (en cas de panne, la cabine peut être pressurisée par effet dynamique).
  • Alimentation en courant électrique triphasé 115/200 V 400 Hz.
  • Possibilité de vérifier en vol les différents circuits.
  • Visibilité conforme aux règlements américains en vigueur (CAR 4b).
  • Les treuils pour le chargement et le déchargement du fret font partie intégrante de l’avion qui offre une soute de 5,70 x 2,80 x 1,90 mètres (volume utile : 28,30 m³

2 – Propulsion

  • Six turboréacteurs à double flux.
  • Poussée unitaire avec réchauffe du flux secondaire : 14.060 kg.
  • Poussée unitaire sans réchauffe du flux secondaire : 11.900 kg.

3 Dimensions

  • Envergure : 31,70 mètres
  • Longueur : 60,30 mètres
  • Hauteur : 9,50 mètres

4 Voilure

  • Surface alaire : 650 m²
  • Charge alaire maximale : 306 kg/m²
  • Corde moyenne : 22,90 mètres
  • Allongement : 1,81
  • Flèche du bord d’attaque : 65,67°
  • Dièdre : 0°
  • Surface des volets de courbure : 45,50 m²

5 Gouvernes

  • Surface de l’empennage horizontal : 38,10 m²
  • Flèche : (à 25% de la corde) : 38°
  • Dièdre : 0°
  • Surfaces des gouvernes de profondeur : 5 m²
  • Surface de chaque dérive : 23,70 m²
  • Flèche (à 25% de la corde) : 45°

6 Fuselage

  • Largeur maximale (hors tout) : 3,76 mètres
  • Hauteur maximale (hors tout) : 2,79 mètres
  • Longueur totale de la cabine : 28,04 mètres
  • Largeur de la cabine : 3,51 mètres
  • Hauteur de la cabine : 2,13 mètres
  • Largeur de l’allée centrale en première classe : 0,58 mètres
  • Largeur de l’allée centrale en classe économique : 0,38 mètres
  • Volume de soute : 28,32 m³

7 Poids

  • Cellule : 55.700 kg
  • Propulseurs : 23.040 kg
  • Équipements : 13.790 kg
  • Poids sortie usine : 92.530 kg (108 passagers en classe économique et 16 passagers en première classe ; poids d’un siège : 12,2 kg en classe économique et 14,5 kg en première classe).
  • Poids maximum à l’atterrissage : 136.080 kg
  • Poids maximum sans carburant : 117.930 kg
  • Poids maximum de carburant : 98.425 kg (soit 122.640 litres)

8 Performances

– Vitesse de croisière correspondant à Mach 3 à l’altitude de 21.300 mètres.

– Longueur de piste nécessaire au décollage : 1890 mètres (selon règlement SR 422B ; poids maximum au décollage ; 27,8°C au niveau de la mer).

– Longueur de piste nécessaire au décollage : 2410 mètres (mêmes conditions que ci-dessus, mais à 910 mètres d’altitude).

– Longueur de piste nécessaire à l’atterrissage : 2420 mètres (selon règle SR 422B ; inversion de 40% de la poussée de trois moteurs pendant le roulement au sol ; poids maximum à l’atterrissage ; au niveau de la mer).

– Longueur de piste nécessaire à l’atterrissage : 2620 mètres (même conditions que ci-dessus, mais à 910 mètres d’altitude)

9 Profil de vol

Les calculs de temps, vitesse et consommation de carburant sont fondés sur les hypothèses suivantes :

– Montée en régime subsonique jusqu’à 13.100 mètres d’altitude.

– Montée en régime transsonique, puis supersonique jusqu’à l’altitude minimale de croisière (où l’avion atteint Mach 3).

– Croisière ascendante à Mach 3.

– Descente jusqu’à 13.100 mètres d’altitude (où l’avion vole de nouveau en régime subsonique).

– Approche et atterrissage.

– Plus de six minutes d’attente éventuelle.

Dans ces conditions, un avion met – à pleine charge – 2h45mn pour relier deux aéroports distants de 6300 kilomètres (avec 15 minutes de roulage au sol) ce qui donne une vitesse moyenne de 2300 km/h et une consommation globale de 79.800 kg de carburant (dont 2270 kg pour le roulage au sol).

Si l’avion est dérouté sur un autre aéroport, la consommation de carburant dans les conditions de croisière les plus économiques (poids en charge : 136.000 kg ; atmosphère standard) est de l’ordre de 480 kg par minute de vol. Si l’avion ne peut atterrir immédiatement, la consommation de carburant à la vitesse d’attente la plus économique (poids en charge : 113.400 kg) atteint 180 kg par minute à 7620 mètres d’altitude et 220 kg par minute au niveau de la mer.