INTERAVIA Septembre 1962 Le long-courrier supersonique, les recommandations de l’IATA

Article de Stanislaw KRZYCZMOWSKI, directeur technique de l’IATA à Montréal
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Stanislaw Krzyczkowsky : Directeur technique de l’IATA n’est pas un inconnu pour nos lecteurs ; il leur a été présenté en 1958 à l’occasion d’un article très approfondi qu’il avait consacré, dans notre revue, aux efforts de l’IATA pour préparer la mise en service dans le monde entier des avions de transport à réaction.

Nous nous borneront à rappeler que Stanislaw Krzyczkowsky, ingénieur aéronautique de grande expérience et collaborateur de nombreuses organisations spécialisées, nationales et internationales, est particulièrement qualifié pour juger des perspectives et des problèmes du vol supersonique.

Il y a quelques mois, l’Association du transport Aérien International (IATA) a fait parvenir une circulaire aux avionneurs, aux autorités administratives, aux bureaux d’études et à un certain nombre d’organismes intéressés. Cette circulaire énonçait, sous une forme impérative, les dix préceptes que doivent observer avec vigueur les constructeurs et les exploitants en puissance des futurs avions commerciaux supersoniques destinés aux lignes régulières. Les directives de l’IATA sont en elles-mêmes très claires mais pour en approfondir la compréhension quelques commentaires ne seront sans doute pas inutiles.

Bien que soixante ans nous séparent des premiers avions à moteurs, les compagnies de transport aérien n’ont pas eu si souvent la possibilité de se concerter dans le cadre d’une organisation internationale et, surtout, de fixer par avance ce que l’on doit exiger de la prochaine génération d’appareils. Bien sûr, il est déjà arrivé qu’elles aient pu exprimer, par l’intermédiaire de l’IATA, leurs idées communes sur les caractéristiques de fonctionnement, des équipements, des instruments, des équipements, des instruments et des systèmes de bord et de faire connaître ces opinions à l’industrie, à l’OACI et aux autres organismes spécialisés. L’IATA réunissait les partenaires intéressés dans des conférences techniques où l’on discutait des possibilités pratiques des dernières nouveautés. Le symposium convoqué par l’IATA en avril 1961 et dont le thème était le transport aérien supersonique est un exemple frappant d’un tel processus. Mais jamais encore le comité technique se l’IATA n’avait osé aller si loin : il n’est pas banal de sa part, en effet, de fixer des conditions précises et des principes d’exploitation pour des appareils qui ne sont pas encore construits, ni de soutenir avec toute l’autorité du comité exécutif les recommandations des techniciens.

Jusqu’à maintenant, le choix de l’appareil était toujours laissé à l’appréciation des compagnies aériennes qui restaient jusqu’au bout libres de leur décision individuelle. Il en est ainsi aujourd’hui encore, mais la pression impitoyable d’une technique de plus en plus onéreuse réduit chaque jour la gamme des appareils offerts. Assurément, les compagnies de transport aérien n’ont jamais eu le pouvoir d’intervenir à l’avance dans la construction d’un appareil ni d’exercer dans ce sens une influence déterminante, mais il leur restait tout de même une liberté, celle de s’adresser à la maison d’à-côté pour y trouver un modèle de leur goût si la version qu’on leur offrait ne leur convenait pas. Et même si un appareil donné ne répondait pas en tout point à leurs désirs, il restait assez de possibilités d’emploi pour que sa mise en service s’avérât rentable.

Même après les accords concernant la mise en service des avions à turbopropulseurs, il restait aux acheteurs une certaine latitude de choix. Avec la naissance des avions supersoniques il n’en sera plus question. Les énormes investissements et la concentration des moyens de production qu’ils impliquent, amènent nécessairement, une très sévère réduction du nombre de types disponibles. La vitesse des versions qui resteront en lice, leur capacité de transport. Les frais gigantesques qu’entraîneront leur achat et leur exploitation, tout cela réduit à une bande extrêmement étroite le domaine de rentabilité des appareils supersoniques. Cette fois, les compagnies ne peuvent plus rester passives devant les problèmes de développement. C’est dans leur propre intérêt qu’elles doivent prendre la parole et exprimer leurs désirs avec force et insistance avant que le projet du prototype ne soit devenu intangible. Le cahier des charges établi par l’IATA dissimule sous sa simplicité apparente des conditions dont la portée peut échapper en première lecture. En dehors des impératifs de sécurité, une question vitale se pose pour les compagnies aériennes, mettant en jeu leur existence même : comment rendre les vols supersoniques rentables dès le début sans faire appel à des subventions ? En outre, les compagnies aériennes ne savent que trop bien qu’elles devront parvenir à une entente satisfaisante avec les habitants de tous les territoires que traverseront leurs appareils à plus de Mach 1. Il leur apparaît clairement que le bruit produit par les réacteurs à déjà atteint, dans certains cas, les limites supportable et qu’un accroissement de ce bruit qui pourrait éventuellement provoquer des dommages physiques risquerait de susciter d’insurmontables résistances de la part de la population.

Enfin, il va de soi que l’avion supersonique ne saurait supplanter complètement les avions subsoniques classiques et que sa mise n service d’autre part ne peut se limiter à un petit nombre de parcours. Il est donc indispensable que son exploitation soit rentable dans les deux gammes de vitesse et qu’il puisse s’intégrer dans le trafic subsonique sans y apporter de perturbations.

Admettons que l’industrie lance sur le marché un appareil répondant en tout point aux spécifications de l’IATA. Trouvera-t-il des acquéreurs ? Ce n’est pas encore sûr. Selon toute vraisemblance, bien rares sont actuellement les compagnies pour qui le transport supersonique soit une vision enchanteresse. Pour bien d’autres, c’est un cauchemar. Quant à ceux qui restent froids, c’est qu’ils ne se sont pas encore fait une opinion. Certes les opinions individuelles peuvent bien évoluer à mesure des essais et des développements. Mais l’unanimité des compagnies se fera toujours sur un point : le premier vol supersonique ne trouvera grâce aux yeux critiques des transporteurs aériens que s’il passe ”avec mention bien non » pas seulement les épreuves techniques, mais aussi les épreuves de sensibilité.

Les recommandations de l’IATA sont un panneau indicateur sur la route qui conduit à l’âge supersonique. Ls compagnies aériennes espèrent que les avionneurs le verront et ne se fourvoieront pas.

Les dix recommandations de l’IATA

Sécurité : La sécurité exigée de l’avion de transport supersonique devra être au moins égale à celle des appareils subsoniques actuellement en service. Ceci implique que :

1 – L’étanchéité de la cabine soit assurée afin de prévenir toute décompression accidentelle au cours du vol.

2 – Les commandes de l’avion de ligne supersonique répondent au moins aussi rapidement et puissent être actionnées aussi facilement que celles de l’avion subsonique ; une bonne maniabilité est indispensable pour assurer la sécurité à toutes les vitesses, notamment aux vitesses subsoniques.

3 – Une importante amélioration des matériaux, de la structure, des équipements et instruments de bord soit obtenue avant la mise en service régulier de l’avion de transport supersonique ; ce n’est qu’ainsi que la cellule pourra atteindre la durée de vie désirée d’au moins 3000 heures.

4 – Des essais en vol très complets d’une ou de plusieurs prototypes aient lieu avant la mise en service de l’avion supersonique afin d’éviter des erreurs lourdes de conséquences.

Compatibilité : L’avion de transport supersonique devra s’intégrer facilement dans le trafic aérien des avions subsoniques et s’adapter aux installations du contrôle de la circulation aérienne existant pour ce type d’appareil. Ceci signifie que :

5 – Les longueurs et résistances des pistes requises pour l’avion de transport supersonique ne devront pas être supérieures à celles des grands appareils à réaction subsoniques.

6 – Les caractéristiques de vol de l’appareil de transport supersonique telles que la vitesse, la pente de descente, les procédures d’attente dans la région terminale ne devront pas présenter d’inconvénient majeur sur le plan économique et devront permettre de traiter cet appareil comme un avion ordinaire.

Rendement : L’avion de transport supersonique doit être compétitif avec les avions subsonique en service au moment de son exploitation. En conséquence :

7 – Aucune augmentation au niveau de bruit des moteurs ne pourra être admise. En fiat, le bruit engendré par l’avion de transport supersonique devra être inférieur à celui des avions à réaction actuellement en service afin que celui-ci puisse être exploité à toute heure de la journée.

8 – Une exploitation économique à des vitesses supersoniques doit pouvoir être envisageable même au-dessus des régions habitées à toute heure du jour et de la nuit. Si les ondes de choc sonores interdisaient une telle utilisation il faudrait étudier d’autres méthodes d’exploitation pratiques et économiques.

9 – Le prix de revient du siège-kilomètre de l’avion de transport supersonique devra être inférieur ou au plus égal à celui des avions à réaction subsoniques, de capacité ou de rayon d’action comparables.

10 – L’avion de transport supersonique devra pouvoir être exploité dans des conditions intéressantes à des vitesses subsoniques car une part importante de son exploitation se fera aux basses vitesses. Ses caractéristiques devraient le permettre toutefois sans pénaliser exagérément ses performances supersoniques.