INTERAVIA – Juin 1964 – Le courrier supersonique américain bute sur de nouveaux obstacles

Depuis la publication dans Interavia 3/1964 du compte-rendu des activités de la FAA et de l’industrie aéronautique américaine dans le domaine du transport supersonique, la solution s’est modifiée en bien des points. Il apparaît maintenant qu’aucune décision définitive au sujet du courrier supersonique dans son ensemble n’interviendra avant les élections présidentielles de novembre.

Le rapport par l’ancien président de la Banque mondiale, M. Eugène R. Black, et l’ancien président de l’Olin Mathieson Chemical Co, M. Stanley D. J. Osborne, qui avaient été chargés par le Président Kennedy d’étudier le programme de l’avion supersonique et de présenter leurs conclusions sur celui-ci met en doute d’une façon très nette le bien fondé des mesures prises par l’administrateur de la FAA, M. Halaby. Les auteurs du rapport estiment que le programme doit être entièrement remanié et qu’un organisme indépendant relevant directement du président des Etats-Unis devrait être institué pour prendre en main la direction du programme.

La publication sans commentaires du rapport Black-Osborne par la Maison Blanche a fait penser que le projet du transport supersonique subirait d’importants retards d’autan plus que le rapport préconise une plus grande souplesse dans la fixation des délais. Les rapporteurs se montrent également en faveur d’une participation financière de l’état de 90% au lieu des 75% prévus à l’origine. Mais ceci ne suffirait pas à satisfaire les avionneurs Boeing, Lockheed et North American Aviation engagés dans l’étude de la cellule non plus que les firmes Curtiss Wright, General Electric et Pratt & Whitney participant au concours pour les moteurs. Tous déclarent qu’ils ne peuvent même pas supporter 10% des frais. De toutes façons il est peu probable que, si près des élections présidentielles, l’Administration consente à desserrer les cordons de la bourse, le Président Johnson s’étant acquis d’autre part la réputation de favoriser les solutions économiques. Surtout le Congrès ne consentira vraisemblablement pas à donner son accord pour une participation gouvernementale aussi élevée et certains de ses représentants comme le sénateur Bartlett, par exemple, sont résolument acquis, à l’idée que l’Administration devrait plutôt apporter son appui financier à la recherche d’un successeur pour le Douglas DC-3.

Le poste de pilotage du Lockheed CL-823, lorsque la pointe avant du fuselage est dans la position croisière à grande vitesse. Les échelles verticales sont utilisées aussi bien pour la présentation des données moteurs que pour celle des données de vol.

 

 

Maquette de la cabine du Lockheed CL-823, avec cinq sièges de front (largeur de la cabine : 3,14 mètres). Cette disposition ave un espacement de 83 centimètres entre les rangées permet de placer 221 sièges.

 

 

Le Gouvernement américain ne pouvant évidemment pas se désintéresser complètement de la question du transport supersonique, le Président Johson a décidé à la fin mars de nommer un comité consultatif pour le courrier supersonique, L’Advisory Commitee on Supersonic Transport, dont les sept membres sont le secrétaire d’Etat à la Défense, M. McNamara, le ministre des finances, M. Dillon, le ministre du commerce, M. Hodges, le directeur du CIA, M. McCone, l’administrateur de la NASA, M. Webb, l’administrateur de la FAA, M. Halaby et, enfin M. Black, l’un des deux auteurs du rapport publié en décembre 1963.

La désignation de M. McNamara comme président de ce comité ne permet pas de grands espoirs quant à un soutien accrû du programme du transport supersonique par l’Administration. M. McNamara a fait savoir à plusieurs reprises qu’il ne voyait aucune application militaire au courrier supersonique. Il a également rejeté la proposition émise par le sénateur Monroney de faire prendre en charge par le Pentagone l’étude et la mise au point des moteurs de l’avion, ceux-ci présentant un intérêt pour les futurs avions militaires supersoniques. Dans un article publié récemment, l’ancien sous-secrétaire d’Etat à la Défense, M. Gilpatric, a déclaré qu’on ne construirait pas de nouveau bombardier piloté tant que durerait la détente enregistrée actuellement dans les relations entre la Russie et les nations occidentales.

Le comité consultatif désigné par le président aurait conseillé le report à une date indéterminée de l’échéance pour l’attribution du marché d’études cellule par la FAA. Bien qu’aucun compte-rendu officiel de la première réunion du comité n’ait été publié, l’opinion de certains milieux bien informés du Pentagone est que ce comité bloquera tout le programme du courrier supersonique. Quoi qu’il en soit, la FAA n’a jusqu’ici pris aucune disposition pour se préparer à la désignation des adjudicataires des marchés d’études, désignation qui devait, d’après le programme original, marquer le démarrage de la phase II. Les 60 millions de dollars prévus pour cette phase avaient déjà été portés au budget de l’année dernière. Le Sénat avait fait incorporer une clause stipulant que l’allocation définitive de ces crédits se ferait sous réserve que la FAA indique au Sénat, 30 jours avant l’attribution des marchés d’études, si les soumissionnaires étaient prêts à supporter 25% au moins des frais de mise au point. Aucune communication n’a été faite au Sénat à ce sujet et, comme on l’a mentionné, le comité a décidé d’ajourner la question Sine die.

On a aussi avancé que les compagnies aériennes devraient contribuer financièrement à la mise au point du courrier supersonique en proportion des bénéfices réalisés par elles. Comme après avoir fonctionné à perte pendant plusieurs années, les grandes compagnies aériennes américaines assurant des services intérieurs font maintenant des bénéfices, elles seraient, de l’avis de ces experts, en mesure de prendre leur part des
frais d’études de l’avion. Il reste à savoir si les compagnies aériennes accepteront de s’écarter de la coutume solidement établie jusqu’ici de ne prendre que des avions entièrement mis au point et de créer ainsi un précédent pouvant avoir de sérieuses conséquences.

 

Certains disent que les compagnies aériennes sont plus intéressées par le projet d’un avion supersonique que par l’avion supersonique lui-même. Tant que cet avion n’existe que sur le papier, il constitue en effet un argument excellent contre une nouvelle réduction des tarifs.

Le travail assigné au comité consultatif par la Maison Blanche : étudier tous les aspects du programme du courrier supersonique, conseiller le président et lui soumettre des propositions, demanderont des mois, peut-être une année. Les considérations financières doivent recevoir une attention spéciale ce qui implique une coopération étroite avec le directeur du Bureau du Budget.

Bien que la FAA se soit abstenue jusqu’ici de faire des commentaires officiels sur les propositions du comité consultatif ou sur celles des représentants du gouvernement et de l’industrie, il paraîtrait, selon des renseignements émanant de source sûre, que les compagnies aériennes américaines devant donner leur appréciation sur les projets soumis le 15 janvier par les constructeurs auraient proposé de continuer les études sur deux projets de cellule et deux projets de moteur. Le Supersonic Transport Evaluation Group (comprenant des représentants de la FAA, de l’USAF, de la NASA, de l’US Navy, du CAB et du département du Commerce) aurait voté en faveur de la continuation du concours entre les projets Boeing et Lockheed et, en ce qui concerne les moteurs, entre General Electric et Pratt & Whitney.

Maintenant que la FAA n’a plus la possibilité de prendre la décision définitive de continuer les travaux sur un projet spécifique de cellule et de moteur d’ici le 1er mai, les seules éventualités restantes sont les suivantes :
– ou toutes les propositions soumises sont rejetées et la poursuite des travaux sur le transport supersonique est remise définitivement.
– ou il est décidé d’effectuer des études supplémentaires en prolongeant le concours d’environ un an.

Dans ce dernier cas les projets restant en lice subiront sans aucun doute d’autres modifications pendant cette nouvelle période d’étude. Les détails donnés sur eux dans ces pages doivent donc être considérés comme se rapportant exclusivement à l’état de développement au mois d’avril 1964. Il est de toute façon permis de penser que les configurations révélés par les avants projets des trois constructeurs américains issus de la deuxième phase d’études.

Il est de même probable que les dimensions et les performances de l’appareil finalement retenu sont beaucoup plus élevées que celles du Concorde européen La silhouette du projet franco-anglais Concorde se détache en noir sur celle du Boeing 733. On peut comparer ainsi d’un seul coup d’oeil les dimensions de deux appareils.

Caractéristiques techniques du Boeing 733.

Quatre turboréacteurs montés en fuseaux séparés sous le plan central fixe. Voilure à géométrie variable avec becs de bord d’attaque et volets de bord de fuite.

Plan trois vues du Boeing 733.

Un des avantages supplémentaires de la formule à flèche variable, c’est qu’elle permet de doter la voilure de dispositifs hypersustentateurs pour améliorer encore la portance de l’aile et la maniabilité de l’avion aux basses vitesses, lorsque les ailes sont entièrement déployées.

 

Vue du poste de pilotage du Boeing 733

L’aéroport municipal de Renton, vu du poste de pilotage du courrier supersonique Boeing 733. On peut se rendre compte sur cette photo de l’excellente visibilité dont jouiront les pilotes de l’appareil. Avec les ailes dans la position non repliées (flèche de 20°) l’assiette de l’avion au décollage et à l’atterrissage sera semblable à celle des avions à réactions actuels.

Maquette du Lockheed CL-823

On voit les quatre fuseaux-moteurs suspendus sous la voilure et comportant des entrées d’air à géométrie variable. Le train principal est monté entre les deux réacteurs intérieurs ; chaque atterrisseur est équipé d’un bogie à six roues. Quatre turboréacteurs montés dans des fuseaux séparés sous la voilure. Aile fixe en double delta. Pas de dispositifs hypersustentateurs.

 

Pointe avant inclinable.

Au cours de l’approche finale, le fuselage des gros avions à réaction subsonique d’aujourd’hui a une incidence variant entre 2° et 3° et le pilote jouit d’une visibilité vers le bas par-dessus la pointe avant du fuselage d’environ 15°. Dans le cas du Lockheed CL-823, le fuselage se prolonge de 7,6 mètres en avant du poste de pilotage et l’incidence à l’approche finale est de 8,5°. La visibilité en avant vers le bas est donc très réduite surtout dans le cas d’atterrissage avec vent de travers venant de la gauche. La possibilité de faire pivoter tout l’avant du fuselage permet de supprimer cet inconvénient non sans imposer, il est vrai, un poids supplémentaire à l’appareil. Lorsque la pointe avant est en position basse pour l’atterrissage, l’angle de visibilité vers l’avant est de 23°. Si l’on enlève de ce chiffre les 8,5° correspondant à l’incidence du fuselage au cours de l’approche, on obtient une visibilité vers l’avant encore égale à celle des avions d’aujourd’hui.

 

Maquette de la pointe avant à géométrie variable du transport supersonique Lockheed.

A gauche, la pointe avant dans la configuration croisière. A droite, la pointe avant est inclinée de 10° au décollage et de 15° à l’atterrissage pour donner de la visibilité vers l’avant. En cas de panne du dispositif hydraulique, il suffit de retirer les verrous de blocage et l’ensemble s’abaisse par gravité.
 
Ci-dessous : On voit nettement sur cette photo d’une maquette du Lockheed CL-823 vue de dessous la forme de l’aile en double delta dont l’emplanture s’étend pratiquement sur toute la longueur du fuselage. Aucun dispositif hypersustentateur de bord d’attaque ou de bord de fuite n’est prévu.
 

Maquette du North North American NAC-60

L’aile de cet appareil à formule canard est dotée de becs de bord d’attaque. Des volets à double fente sont montés sur le bord de fuite du plan fixe horizontal. La pointe avant du fuselage n’est pas inclinable.

 
Caractéristiques du North American NAC-60
Quatre turboréacteurs montés par paires sous l’aile. Formule canard avec plan horizontal doté de volets de bord de fuite à double fente à deux positions. Aile fixe en double delta avec becs de bord d’attaque.
  
Poids du carburant emporté 113.300 kilos ; réserves 17 900 kilos (déroutement de 480 kilomètres, attente de 30 minutes, à 4600 mètres d’altitude, 7% du carburant consommé de bloc à bloc.

Charge utile (A), carburant consommé (B), et temps bloc à bloc (C) en fonction de la longueur d’étape pour le North American NAC-60.

 

Longueur de piste nécessaires au décollage pour le North American NAC-60 en fonction du poids total de décollage et de l’altitude-pression de l’aéroport. Les courbes de gauche indiquent les altitudes-pressions et les courbes de droite donnent la relation correspondante poids total-longueur de piste pour plusieurs poids de décollage compris entre 360.000 et 480.000lb. En pointillé, un exemple de calcul de la longueur de piste nécessaire dans le cas suivant : altitude, 5000 ft : température standard ; poids de décollage 400.000 ib.
 
Dessin du North American NAC-60 sur lequel on voit nettement les réacteurs groupés par paires.
  
Coupe longitudinale et vue en plan du fuselage du North American NAC-60 montrant l’aménagement de la cabine dans la version à 170 passagers, classe touriste (espacement des rangées de sièges de 86 centimètres). Les bagages sont placés dans la soute arrière.