Article de Jean de GALARD

A Toulouse, haut lieu de l’aéronautique, le prototype 001 de l’avion commercial supersonique franco-britannique Concorde a fait le 11 décembre sa première sortie officielle, en présence des représentants des Gouvernements britannique et français, des plus hautes personnalités du monde de l’aéronautique de Grande-Bretagne et de France, des Présidents des quatre grandes sociétés de cellules et de moteurs chargés de sa réalisation (la BAC et Rolls-Royce/Bristol Siddeley en Grande-Bretagne, Sud Aviation et la SNECMA en France) entourés de leurs états-majors, des représentants des compagnies qui ont manifesté leur intention d’en acquérir (seize compagnies ont pris des options portant à ce jour sue soixante-quatorze appareils), des délégations de cadres et d’ouvriers des quatre grandes sociétés et de nombreux invités de Sud Aviation et de la BAC, parmi lesquels trois cents journalistes. Au total, quelque mille deux cents personnes étaient présentes à cette manifestation, dont l’organisation fut en tout point parfaite.

La cérémonie officielle fut à la fois simple et grandiose, mais surtout riche de signification. Comme l’ont tour à tour souligné les personnalités dans leurs discours dont on lira ci-dessous des extraits, la réalisation du Concorde n’est pas seulement une belle technique – même si l’avion n’est pas en titane – c’est aussi la preuve de la réussite d’une coopération industrielle étroite entre deux pays européen. Le prototype 001 passe désormais sous de contrôle de la Direction des Essais en Vol de Sud Aviation, pour une série d’essais statiques dont l’aboutissement sera le premier vol, prévu pour la deuxième moitié du premier trimestre 1968. Après le langage chaleureux des officiels, place désormais aux ingénieurs d’essais et aux pilotes. A quelques mois du premier vol, le programme « Concorde” est déjà entré dans une nouvelle phase. C’est fin 1968, lorsque les performances et les caractéristiques de l’appareil auront été établies par les vols des prototypes d’une façon suffisante pour servir de base à des négociations contractuelles, qu’arriveront à échéance, les options prises par les compagnies aériennes.

Tandis que le prototype 001 du « Concorde” a fait à Toulouse le 11 décembre sa première sortie officielle, la construction du 002 se poursuit activement. A Filton, dans les usines de la BAC, avec même une certaine avance sur le programme établi.

A l’occasion de la présentation officielle du ”Concorde 001 » immatriculé F-WTSS, M. Maurice Papon, Président de Sud Aviation, Sir George Edwards, Directeur Général de la British Aircraft Corporation, MM. Jean Chamant, Ministre français des Transports, et Anthony Wedgwood Benn, Ministre britannique de la Technologie, en présence de M. John Stonehouse, Ministre d’Etat chargé de l’Aviation du Royaume Uni, de Sir Patrick Relly, Ambassadeur de Grande-Bretagne en France, et de plus de mille personnes, ont à leur tour, pris la parole

Dans son allocution, M. Maurice Papon, après avoir exprimé ses remerciements aux personnalités présentes, et à tous ceux qui, à divers titres et diverses manières, ont servi l’opération « Concorde”, s’est réjoui de la présence à Toulouse des représentants des compagnies aériennes ”qui savent dès aujourd’hui qu’une mutation décisive est en train de s’opérer dans les conditions du transport aérien » et leur a fixé un proche rendez-vous
Il a ensuite rendu hommage à ceux qui, en France comme en Grande-Bretagne, ont concouru à la réalisation du ”Concorde » en unissant leur intelligence et leur savoir, leurs capacités et leur travail, tout au long de cinq années d’efforts constants, sans oublier les constructeurs d’équipements et les fournisseurs (près de cinq cent firmes au total) qui ont apporté le concours de leurs industries ou de leurs services.
En terminant, le Président de Sud Aviation a mis l’accent sur ce qu’illustre l’entreprise « Concorde”, à savoir : – ”la vocation des Français et des Britanniques à ouvrir la voie aux technologies nouvelles » – « la capacité des industriels français et britanniques à être dignes de leurs ambitions et à réaliser ensemble cette première” – ”la volonté des gouvernements, celle des industriels de France et de Grande-Bretagne, de coopérer ensemble, en dépit d’inévitables difficultés, pour relever tous les défis et les gagner ».
Sir George Edwards, Directeur Général de la BAC, a souligné de son côté qu’il y aurait sans doute des problèmes au stade des essais en vol, mais qu’il avait la conviction que ceux-ci seraient résolus. Après avoir mentionné que ses rapports avec M. Papon étaient « exactement ce qu’ils devaient être”, Sir g. Edwards a tenu à rappeler que le Général Puget, qui avait une grande connaissance du tempérament britannique, avait été un artisan du succès de l’entreprise pendant les difficiles premières années.

Prenant alors la parole, M. Jean Chamant, Ministre français des Transports, déclarait notamment : ”Si le premier « Concorde” sort des ateliers de Toulouse, il n’en est pas moins le résultat d’une oeuvre commune dans laquelle il y a autant de travail britannique, que du travail français. Mes félicitations et mes remerciements vont également à ceux qui, en Grande-Bretagne, travaillent à construire le prototype numéro deux ».
”Pour ”Concorde », il va de soi que toutes les difficultés ne sont pas encore écartées, mais cela est vrai, ne l’oublions pas, de tout appareil à ce stade de sa construction, il est vrai également que les aléas, dans le cas de « Concorde”, sont peut-être plus grands que pour la plupart des autres appareils. C’est en raison même de sa conception révolutionnaire.
”Le stimulant exceptionnel qu’a constitué la construction de ”Concorde » ne s’est pas limité à la seule industrie aéronautique. Ce projet a contribué, d’une manière tout à fait remarquable à développer les recherches dans de nombreuses autres branches de l’industrie : dans l’électricité, l’électronique, la métallurgie, la mécanique de précisions, l’industrie des machines-outils et j’en oublie sans doute, les retombées de « Concorde”, si je peux employer ce mot évocateur, ont été nombreuses et fécondes. Elles ont à leur tour entraîné d’autres recherches, appelé d’autres investissements et elles ont ainsi contribué à mettre plusieurs branches essentielles de l’industrie européenne en état de combler leur retard technologique ».
Enfin, dans un discours d’une haute inspiration, mais tout empreint d’humour très britannique, M. Wedgwood Benn déclarait en substance, que les moments d’inquiétude avaient été nombreux au cours des cinq dernières années, mais que l’inquiétude était propre à une opération de ce genre et qu’il avait fallu apprendre à l’accepter. S’adressant aux représentants des compagnies aériennes, avec lesquels les pays constructeurs « font de grandes affaires”, le Ministre britannique a rappelé que le ”Concorde » sera l’avion qui aura fait l’objet des essais les plus minutieux de toute l’histoire de l’aviation

Quant à l’orthographe du nom de baptême du premier avion commercial supersonique, elle sera la même dans les deux pays. Ainsi en a décidé l’honorable Mr. Wedgwood Benn. « Concorde” avec un ”E » final, comme « Excellent” – ”Entry » – « Entente”, ”Europe » – « England”.
Une bonne manière, en somme, d’avoir, sinon le mot, du moins la lettre de la fin.

Première sortie officielle du Concorde 001

Toulouse, le 11 décembre 1967, 14h30 : la grande porte du hangar au Département des Essais en vol de Sud Aviation à Saint-Martin-du-Touch vient de s’ouvrir. C’est la première présentation officielle du « Concorde 001”. Au fond du hangar on remarque les insignes des seize compagnies aériennes qui ont pris des options sur 74 ”Concorde » franco-britannique.

Toulouse le 11 décembre 1967 : la cérémonie officielle de la sortie d’usine du ”Concorde », vient de s’achever ; les deux Ministres français et britannique ont coupé le ruban symbolique et l’avion a été remorqué jusque sur l’aire de stationnement où les milles deux cents invités de Sud Aviation et de la BAC peuvent à loisir contempler la finesse de ces formes.

Cinq ans et douze jours après la signature de l’accord de coopération franco-britannique pour l’étude et la construction d’un avion de transport à vitesse supersonique, le « Concorde 001” a fait à Toulouse sa première sortie officielle. C’est une date dans l’histoire de l’aviation commerciale. L’accord de 1962 prévoyait le partage par moitié des dépenses, des travaux et du produit des ventes entre les deux pays. Cet accord fixait les principes d’une coopération, mais seul le travail patient et obstiné des équipes franco-britanniques qui ont étudié et réalisé le ”Concorde » lui a donné sa réalité.
Plus de quatre cents fournisseurs et sous-traitants spécialisés, en France, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, ont été associés à cette opération, sous la maitrise d’oeuvre de Sud Aviation et de la BAC pour la cellule, de Bristol Siddeley et de la SNECMA pour les moteurs. Le résultat, aujourd’hui, tel qu’il apparait sur ces images prises le 11 décembre, peut légitimer leur fierté.
Le « Concorde 001” va entreprendre maintenant une série d’essais au sol, prélude aux premiers essais en vol. Mais pour en arriver là, il n’aura pas fallu moins de quarante millions d’heures d’études, de fabrication et d’expérimentation. On comprend, dans ces conditions que Sud Aviation et la BAC aient tenu à donner à la cérémonie du 11 décembre, un relief particulier. Plus de mille invités y ont assisté, venus de Paris à bord de cinq ”Caravelle », d’un ”Britannia”, d’un ”Viscount » et de plusieurs « DH-125”.

Nous ne reviendrons pas sur les caractéristiques générales de l’appareil qui a été longuement décrit dans notre dernier numéro consacré spécialement au ”Concorde ». Nous rappellerons seulement ici que le prototype 001 qui vient de sortir et le 002 qui est en cours de montage à Filton, résultent de la définition proposée en mai 1964, pour une version permettant le transport à 118 passagers. Depuis cette date, comme il est normal, l’évolution de l’appareil s’est poursuivie après que la définition des prototypes eut été fixée, l’avion de série bénéficiera donc de diverses améliorations et notamment d’une augmentation du nombre de passagers (132) ; il comportera également à l’arrière du fuselage, une porte, alors que, sur le prototype représenté sur ces images, les portes sont à l’avant et dans la partie centrale.
De toute façon, aucun passager payant ne prendra jamais place à bord du 001. Il restera essentiellement un laboratoire volant.

 

A gauche : la pointe avant très caractéristique, avec le nez basculant et la visière transparente relevée. On remarque également l’un des deux profils stabilisateurs montés sur le prototype. A droite : remorqué par un puissant tracteur, le « Concorde” roule officiellement pour la première fois. Le train avant est une réalisation Messier, Hispano-Suiza a étudié et construit le train principal.

 

A gauche : les impressionnantes sorties de tuyères des turboréacteurs Bristol Siddeley-SNECMA Olympus 593 qui développeront sur l’avion de série 17.215 kg de poussée au décollage.