INTERAVIA – Février 1969 : Où en sont les programmes TSS ?

A la mi-novembre 1968, la Boeing Company a publié des renseignements sur son nouveau projet de TSS désigné 2707-300 ; fin décembre le courrier supersonique russe Tupolev Tu 144 a effectué avec succès son premier viol ; le Concorde, construit par les sociétés Sud-Aviation et BAC, va commencer incessamment ses essais en vol. Il nous paraît donc opportun de donner dans ce numéro quelques précisions sur les trois programmes de TSS.

Le projet de Boeing 2707-300

L’an dernier, la société Boeing a complètement refondu le projet initial de TSS américain, adoptant une aile delta de plus grande envergure avec dispositifs hypersustentateurs à la place de la voilure à géométrie variable qui posait certains problèmes, notamment en raison du poids élevé de son mécanisme de commande. Contrairement au Concorde et au Tu-144, le Boeing 2707-300 aura un empennage horizontal. Les réacteurs seront fixés sous la voilure et non plus sous l’empennage horizontal qui, sur l’appareil étudié initialement, devait constituer la partie centrale de l’aile en configuration de croisière. Selon Boeing, le projet de 2707-300 représente dans son ensemble le meilleur compromis entre la puissance installée, les performances en vol et les caractéristiques d’exploitation.

Le projet de base soumis le 15 janvier à la FAA prévoit l’aménagement d’une cabine de 53,64 mètres de long équipée de cinq offices et de cinq toilettes. La cabine se prêtant sur toute sa longueur à l’installation de rangées de cinq fauteuils, l’appareil permettra le transport de 234 passagers en classe touriste. Dans la partie inférieure du fuselage seront aménagées une soute de 29,8 m3 pour containers (à l’avant) et une soute de 8,5 m3 pour le fret en vrac (à l’arrière).

Caractéristiques techniques du Boeing 2707-300.

▼ Section de la cabine du Boeing 2707-300 en aménagement classe touriste à 234 sièges. Les dimensions sont exprimées en pouces.

(1) Eclairage latéral (2) Conduite d’eau. (3) Conduite d’air (4) Gaine d’air (5) Plafonnier (6) Câbles électriques (7) Porte-bagages fermés (8) Tableau de commandes individuels.

Plutôt que de mettre au point ultérieurement diverses variantes comme ce fut le cas pour certains appareils commerciaux, Boeing a jugé préférable de prévoir d’emblée la possibilité d’augmenter ou de diminuer la longueur ou le diamètre du fuselage de son TSS. La construction de versions à fuselage allongé ou élargi du Boeing 27707-300 ne posera en effet aucun problème, la cellule étant conçue de telle sorte qu’il ne sera pas nécessaire de modifier la structure de l’aile.
Grâce au choix qui leur sera offert entre des fuselages de différentes tailles, les compagnies aériennes pourront donc retenir la version la plus intéressante en ce qui concerne la charge marchande et la distance franchissable. L’agrandissement du fuselage n’affectera pas les performances dans le domaine subsonique et ne se traduira que par une faible augmentation de la traînée de vol supersonique.

Vue de côté et vue en plan du Boeing 2707-300

(1) Lest (eau) – (2) Volets de bord d’attaque (débattement de 50° pour les volets intérieurs, de 40° pour les volets intermédiaires et de 30° pour les volets extérieurs) – (3) Flaperon extérieur (30° vers le bas, 20° vers le haut) – (4) Spoiler (63° vers le haut)/(déflecteur à fente (30° vers le bas) – (5) Volet extérieurs (20° vers le bas) – (6) Relais d’accessoires du réacteur extérieur – (7) réacteur – (8) Flaperon intérieur (20°vers le bas, 10° vers le haut – (9) Relais d’accessoires du réacteur intérieur – (10) Volet intérieur (20° vers le bas) – (11) Stabilisateur (10° vers le haut, 20° vers le bas – (12) Gouverne de profondeur (30° vers le haut et vert le bas par rapport au stabilisateur – (13) Empennage – (14) Cabine à 234 passagers espacés de 86 cm – (15) Sièges des observateurs – (16) Compartiment électronique avant – (17) Cloison étanche – (18) Antenne HF – (19) Antenne Loran – (20) Gouverne de direction (+/- 30°) – (21) Feu de position arrière et feu anti-collision – (22) Antenne VOR – (23) Equipements hydrauliques – (24) Compartiment électronique arrière – (25) Fret en vrac – (26) Caméra TV – (27) Equipements climatisation – (28) Fret et bagages en containers (29) Porte cargo latérale – (30) Lest (eau) – (31) Commandes de vol – (32) Antenne DME – (33) Antenne VHF/radio-bornes.
La vue en coupe de l’aile suivant A-A montre les éléments suivants : (1) Volet de bord d’attaque (2) Articulation – (3) Longeron arrière – (4) Spoiler – (5) Volet de bord de fuite – (6) Déflecteur à fente. En trait gras les parties construites en nids d’abeilles.
Le poste de pilotage, de type classique, est conçu pour un équipage composé de deux pilotes et d’un ingénieur-mécanicien. Des sièges pour deux observateurs seront installés derrière celui du commandant de bord. L’appareil possédera un nez muni d’une visière. A vitesse réduite, avec le nez abaissé, le champ de vision des pilotes sera de 38° (22° vers le bas et 16° vers le haut). En croisière à vitesse supersonique, le champ de vision se réduira à 7° (4° vers le haut et 3° vers le bas).

Le pilote et le copilote auront devant eux, un indicateur/directeur électronique d’altitude (Electronic Attitude Director Indicator EADI). Les ordres de pilotage seront affichés sous forme de symboles et il sera possible de présenter en surimpression une image télévisée du paysage environnant (la caméra de télévision est installée sous le fuselage). Un indicateur de cap et d’assiette (Horizontal Situation Indicator – HSI) sera installé sous l’EADI, mais il sera remplacé par la suite par un routier automatique. La place est prévue sur le tableau de bord pour un indicateur de turbulences en air clair et pour l’indicateur du système anti-collision.

Les turboréacteurs General Electric GE4/JP5, équipés d’un système de réchauffe et d’un inverseur de poussée, sont installés dans quatre nacelles distinctes et leurs entrées d’air possèdent un cône central. Chaque moteur comporte à son côté un relais d’accessoires logé dans le bord de fuite de la voilure. Ces relais entraînent chacun deux pompes hydrauliques et un alternateur. Les démarreurs ainsi que les compresseurs du système de climatisation et de pressurisation sont installés dans les nacelles et un entraînement distinct les relie aux moteurs.

Réacteur General Electric GE4/J5P avec inverseur de poussée et système de réchauffe.

(1) Compresseur (2) Chambre de combustion annulaire (3) Turbine à 2 étages (4) Tuyère primaire (5) Tuyère secondaire (6) Inverseurs de poussée (7) Carter des accessoires

La manche d’entrée d’air comporte un corps central de révolution réglable axialement, des prises d’air auxiliaires et des décharges permettant d’ajuster le débit à toutes les conditions de vol.
(A) Diffuseur supersonique (B) Orifices de décharge (C) Canal intérieur et dérivation (D) Diffuseur subsonique (E) Stabilisateur d’onde de choc.

Le carburant est contenu dans des réservoirs structuraux situés dans la voilure et la partie arrière du fuselage et chaque réacteur est alimenté à partir d’une nourrice montée dans le fuselage. Aucun système automatique n’est prévu pour contrôler le prélèvement du carburant dans les divers réservoirs, bien qu’une certaine procédure soit nécessaire pour assurer des performances optimales dans les diverses phases du vol. Au cours de la montée, le transfert du carburant dans les nourrices se fait à partir des réservoirs .La manche d’entrée d’air comporte un corps central de révolution réglable axialement, des prises d’air auxiliaires et des décharges permettant d’ajuster le débit à toutes les conditions de vol.
(A) Diffuseur supersonique (B) Orifices de décharge (C) Canal intérieur et dérivation (D) Diffuseur subsonique (E) Stabilisateur d’onde de choc.
structuraux avant, le centrage devant être modifié en fonction du déplacement du centre de poussée aérodynamique. En vol de croisière, l’alimentation en carburant s’effectue de telle sorte que le centre de gravité demeure dans les limites correspondant à 52-57% de la corde moyenne de l’aile. Pendant la descente, le carburant est prélevé dans le réservoir de queue afin de provoquer in déplacement vers l’avant du centre de gravité pour le vol à vitesse subsonique. Pour éviter un centrage arrière lorsque le coefficient d’occupation est inférieur à 40%, l’installation d’un réservoir pour un lest de quelques 5000 litres d’eau a été prévue dans le tronçon avant du fuselage.
Le système de climatisation et de pressurisation, composé de quatre sous-ensembles indépendants, utilise de l’air prélevé aux compresseurs de l’installation motrice. Cet air, initialement à quelque 600°C, est refroidi dans le canal de dérivation des nacelles, puis est mélangé à l’air évacué de la cabine par un système fonctionnant suivant le principe bootstrap. La répartition de l’air reste assurée normalement en cas de panne de l’un des quatre sous-ensembles. Dans le plafond de la cabine, qui est, divisé en trois zones de régulation thermique, l’air emprunte des conduits aboutissant à une chambre où il est brassé avec de l’air de recirculation avant d’être dirigé dans la cabine. Grâce à un refroidissement s’effectuant dans les parois latérales, la température de celles-ci est maintenue entre 24 et 28°C. L’air évacué de la cabine sert également à refroidir les logements des atterrisseurs où la température ne doit pas dépasser 120°C.

(1) Refroidissement du radar (2) Conduite d’évacuation de l’air de la cabine (3) Rampe de distribution avant (4) Rampe de distribution médiane (5) Rampe de distribution arrière (6) Conduite l’évacuation de l’air de la cabine (7) Source de l’air n° 4 (8) Source d’air n° 3 (9) Cloison étanche (10) Pré-Refroidisseur et source d’air n° 1 (11) Source d’air n° 2 (12) Conduites d’alimentation du circuit de refroidissement secondaire (13) Circuits de refroidissement secondaires n° 1-2-3 et 4 (14) Baies des équipements électroniques (15) Rampe de distribution du poste de pilotage (16) Conduite d’alimentation en air de la cabine (17) Chambre de mélange (18) Evacuation de l’air de la cabine (19) Evacuation canalisée entre les parois (20) Conduite d’air de recirculation.
Pour le contrôle autour des trois axes, l’appareil possède une gouverne de direction divisée en trois éléments, un stabilisateur à incidence variable muni de deux gouvernes de profondeur à commande hydraulique, des spoilers ainsi que des flaperons intérieur et extérieurs (gouvernes assurant à la fois les fonctions de volet et d’aileron). Prévus pour les évolutions lentes, les flaperons extérieurs et l’élément supérieur de la gouverne de direction restent bloqués aux vitesses élevées. A ces vitesses, le débattement des autres éléments de la gouverne de direction est limité et les deux gouvernes de profondeur sont maintenues en position neutre par rapport au stabilisateur. Aux basses vitesses, les gouvernes de profondeur servent en revanche à accroître la cambrure de l’empennage horizontal. Actionnés pour le contrôle en roulis à toutes les vitesses, (mais avec un léger retard sur les flaperons pour éviter une forte traînée), les spoilers sont également utilisables pour le freinage aérodynamique tant en l’air qu’au sol. L’intrados de la voilure comporte des déflecteurs à fente qui, actionnés en même temps que les spoilers, dirigent de l’air sur l’extrados, améliorant ainsi 50% environ de l’efficacité des gouvernes. Les deux flaperons et les deux volets de chaque demi-aile sont braqués simultanément pour l’hypersustentation, les premiers restants utilisables pour le contrôle en roulis.
Les gouvernes sont actionnées en permanence à l’aide de deux types de circuits, l’un mécanique et l’autre électrique, qui peuvent cependant être utilisés séparément. Le circuit électrique sert en outre à la transmission des signaux provenant des systèmes de stabilisation et de pilotage automatique. Les organes du système mécanique sont tous doublés et ceux du circuit électrique pour la plupart quadruplés.
Les quatre circuits hydrauliques de l’appareil sont utilisés pour le braquage des gouvernes. Le courant électrique est fourni par quatre alternateurs de 75 kVA à vitesse variable et fréquence constante entraînés par les relais d’accessoires ; l’alimentation électrique reste assurée normalement si l’un des alternateurs tombe en panne. Les relais d’accessoires entraînent d’autre part huit pompes hydrauliques (deux par circuit) qui débitent 303 litres par minute sous 280 kg/cm2. Une pompe électrique dont le débit est de 17 l/mm permet de sortir le train au moyen d’une commande de secours et d’actionner les freins au sol lorsque les moteurs sont arrêtés (lors du remorquage, par exemple). Dans le cas où les réacteurs développeraient plus de poussée en vol, leur fonctionnement en moulinet suffirait à fournir la pression hydraulique pour actionner les gouvernes.

Pour la construction de la cellule, Boeing fera largement usage de l’alliage de titane Ti 6 A1-4V, qui avait déjà été retenu pour le premier projet de TSS. La voilure est constituée de panneaux sandwich mutilongerons qui, en raison des faibles charges en fin de vol, sont plus avantageux que les éléments de structures classiques. La stabilisation de son revêtement s’avère nécessaire afin de pallier les phénomènes de flutter et compression. Sur le plan de l’aéroélasticité, l’obtention d’une résistance maximale à la torsion pour un poids minimum implique le choix d’un revêtement plus épais qu’en cas d’utilisation de panneaux classiques à nervures.
La figure ci-dessous montre les différents types de panneaux utilisés selon la valeur des charges en fin de vol (charges relativement réduites aux extrémités de l’aile et dans la zone située à l’avant des logements du train). Les panneaux de revêtement, dont la largeur est déterminée par les critères “fail safe”, sont fixés à la structure interne suivant des procédés mécaniques. Les longerons intermédiaires comportent des âmes renforcés au moyen de tôle ondulée, tandis que les longerons avant et arrière sont des éléments classiques qui facilitent le montage des ferrures prévues pour les dispositifs hypersustentateurs et les gouvernes.
Le fuselage, de construction semi-monocoque, comporte des cadres et des lisses ainsi que des panneaux de revêtement autoraidis dans les zones devant se caractériser par une résistance élevée à la compression et au cisaillement. Pour la fabrication de la plupart des éléments, le constructeur utilisera des tôles laminées en alliage Ti 6 AL-4V. La structure de la dérive et du stabilisateur, analogue à celle des extrémités de l’aile, est du type multilongeron et panneaux sandwich.

Schéma de l’aile : (A) Fuselage (B) Longeron avant (C) Longeron arrière (D) Becs de bord d’attaque (E) Logement du train (F) Volet intérieur (G) Axe du réacteur (H) Nids d’abeilles en acier brasé (I) Flaperon intérieur (K) Axe du réacteur (L) Nids d’abeilles en acier brasé (M) Volet extérieur (N) Spoiler) (O) Flaperon extérieur.

Le train d’atterrissage du Boeing 2707-300 comprend deux atterrisseurs principaux à doubles roues fixées à la structure de l’aile et se relevant vers l’avant. Au poids maximal de décollage, la charge exercée sur le sol n’excède pas celle que l’on enregistre avec le Douglas DC 8-63. Dans le logement de train principal, les jambes élastiques viennent se placer au-dessus des boggies, eux-mêmes en position horizontale. Pour la fabrication des freins, Boeing a choisi le graphite, matériau léger qui peut absorber une grande quantité d’énergie et offre une résistance élevée à l’usure. Les atterrisseurs principaux du Boeing 2707-300 s’escamotent vers l’avant dans la voilure. Chaque atterrisseur possède six roues jumelées. Ces dessins montrent le mécanisme de rentrée (en bas) et la position de repos (en haut) de l’atterrisseur principal gauche vu de l’extérieur

(A) Longueur du train dans son logement 587 cm
(B) Crochet de verrouillage en position haute
(C) Mécanisme de verrouillage en position basse
(D) Contre-fiche
(E) Déflecteur avant
(F) Conduites hydrauliques des freins
(G) Balancier
(H) Course supplémentaire 12,4 cm
(I) Course à l’impact 97,8 cm
(K) Barres de freins
(L) Espacement des axes 112 cm
(M) Section d’aile à BL 127,5
(N) Ligne de référence sol WL 37.
Profils d’un vol normal supersonique (à gauche). D’un vol de déroutement à vitesse subsonique (à droite)

Si le nouveau projet est accepté par la FAA, il restera à résoudre en premier lieu le problème financier. La poursuite du programme d’ici le milieu de l’année nécessitera en effet quelque 50 millions de dollars, puis le Congrès aura à se prononcer au sujet de la somme de 250 millions de dollars demandée par la FAA pour l’exercice 1970. C’est du financement des programmes de mise au point et de production que dépendra la livraison du premier appareil de série qui, selon certaines estimations, pourrait avoir lieu vers la mi-1976, selon d’autres au printemps 1978 seulement. De toute façon, afin de pouvoir bien exploiter l’ensemble des données acquises au cours des essais, Boeing n’envisage d’entreprendre la construction en série que six à neuf mois après le premier vol, prévu pour mars 1972.

Le Tupolev Tu-144.

Le 31 décembre 1968, l’avion de transport supersonique russe Tupolev Tu-144 a décollé pour son premier vol, d’un aérodrome des environs de Moscou. Selon les déclarations du chef-pilote d’essais, Edouard Yelyan, tous les systèmes de bord ont fonctionné normalement pendant les 38 minutes du vol et l’appareil plus facile à piloter que bon nombre d’avions subsoniques bien connus. Ce premier vol a été suivi le 8 janvier 1969 par un second, qui a duré 50 minutes.

Bien que l’URSS se soit toujours montrée avare d’information sur le déroulement de son programme d’avion de ligne supersonique, on était à peu près certains dans les milieux de l’aéronautique, que le Tu-144 volerait avant que l’année 1968 ne s’achève. Cette quasi-certitude se fondait sur une nouvelle soviétique, selon laquelle le prototype effectué sa sortie d’usine en novembre 1967. Néanmoins, l’annonce du succès soviétique semble avoir été une petite déception pour les Britanniques et les Français, qui espéraient malgré tout remporter la palme. D’autre part, si le Tu-144 n’est pas considéré par les constructeurs du Concorde comme un rival dangereux pour le TSS, il n’en reste pas moins que l’appareil soviétique se vendra bien sur certains marchés, ne serait-ce qu’en raison de conditions de vente particulièrement avantageuses. Quant aux américains, qui se sont volontairement abstenus, dès le début, de participer à la course au premier avion supersonique, ils ne craignent en aucune manière la concurrence de l’URSS : avec leur Boeing 2707-300, conçu pour une vitesse, une altitude et une distance franchissable nettement plus élevées et beaucoup plus évolué sur le plan technologique, ils passeront d’emblée à la seconde génération des avions de ligne supersonique.

Le Tu-144 (immatriculé CCCP-68001) le jour de son premier vol, où la température était nettement inférieure à zéro. L’appareil se caractérise entre autres par ses nacelles à long canal d’entrée et son train d’atterrissage à 26 roues. S’escamotant dans le caisson central de la voilure, le train principal a été muni de roues plus petites que celles de l’atterrisseur avant.

◄ Le chef-pilote d’essais Edouard V. Yelyan, commandant de bord, dans la cabine de pilotage du Tu-144. Contrairement à leurs collègues de l’Ouest, les membres de l’équipage d’essais russe disposent de sièges éjectables. En cas d’incident grave, l’éjection s’effectuerait vers le haut, le toit de la cabine de pilotage comportant des panneaux largables au-dessus de chaque siège.
◄ Les 2 principaux responsables du programme TSS et l’équipage d’essais ; de gauche à droite :
L’ingénieur en chef Alexei A. Tupolev (fils d’Andrei N. Tupolev),
Le directeur des essais V.N. Benderov,
L’ingénieur de bord U. Seliverstov,
Le chef-pilote d’essais E.V. Yelyan
Le copilote M. Koslov
▲ L’une des nombreuses installations très coûteuses utilisées pour la mise au point du courrier supersonique russe ; la soufflerie subsonique T-101 de l’institut de recherches aérodynamiques et hydrodynamiques de Moscou. Cette soufflerie est conçue pour des vitesses allant jusqu’à 220 km/h environ ; son plus petit diamètre est de l’ordre de 15 mètres.

▲ On distingue sur cette photo les issues de secours prévues pour l’équipage d’essais : deux ménagées non loin du pare-brise et deux autres à quelques mètres derrière la porte de la cabine ; on notera que cette porte s’ouvre vers l’extérieur.

Au premier regard, on est frappé par la ressemblance ente le Tu 144 et le Concorde mais un examen plus attentif révèle bientôt les caractéristiques originales de l’appareil soviétique. La voilure du Tu-144, par exemple, se rapproche plus d’une aile en double delta que l’aile en flèche évolutive du Concorde. Chaque demi-aile porte quatre élevons le long du bord de fuite. Du fait que les réacteurs sont installés sous le plan central très près de l’axe longitudinal, les demi-ailes et les élevons ne subissent aucune perturbation aérodynamique : elles ont par ailleurs une plus grande envergure relative que celles du Concorde.
Le Tu-144 est construit en alliage d’aluminium, à l’exception des bords d’attaque et des parties soumises à de fortes contraintes thermiques, qui sont en alliage de titane. La température des points du bord d’attaque les plus exposés à l’échauffement cinétique est évaluée à 150°C, pour une vitesse calculée de 2500 km/h à 20.000 mètres d’altitude. Pour les manoeuvres au sol, le décollage et l’atterrissage, le nez bascule de 12 degrés.
Le vaste empennage vertical, géométriquement semblable aux demi-ailes, comporte deux gouvernes de direction, dont les vérins sont très probablement actionnés par deux circuits hydrauliques indépendants.
Le train d’atterrissage, qui doit permettre au Tu-144 d’opérer à partir de n’importe quel aéroport soviétique, semble extrêmement robuste. Les atterrisseurs principaux s’escamotent vers l’avant dans le plan central de la voilure. Ils comportent chacun un bogie à six fusées (trois à droite et trois à gauche), chaque fusée portant deux roues.

L’atterrisseur avant est équipé de deux roues, il s’escamote vers l’arrière, également dans le plan central. Il est à ce propos curieux de noter que le train d’atterrissage du Tupolev Tu-144 comporte vingt-six roues pour un poids maximal au décollage de 150 tonnes, alors que le Concorde qui peut décoller à 170 tonnes n’en à que dix (il est vrai que les roues d’atterrisseur principal de l’avion franco-britannique sont de plus gros diamètre).
Le courrier supersonique russe Tu-144 sur un aérodrome proche de Moscou. L’appareil est conçu pour atteindre 2500 km/h à 20.000 mètres d’altitude. Pour les manoeuvres au sol, le décollage et l’atterrissage, le nez est mis en position basse (basculement de 12°) afin d’améliorer la visibilité. Sur la photo, on distingue nettement les entrées d’air des deux nacelles doubles, les pièges à couche limite et les élevons.
Les dimensions principales du Tu-144 différent peu de celles du Concorde. L’envergure de l’appareil soviétique est de 24,70 mètres (Concorde 25,60 mètres), sa longueur de 55 mètres (58,80 mètres) et sa hauteur de 10,50 mètres (11,60 mètres). Par contre, son poids maximal sans carburant est, paraît-il, inférieur à celui du Concorde (60 tonnes contre 90,70 tonnes). Quant au poids maximal autorisé à l’atterrissage, il n’a pas encore été divulgué. Il est possible que les caractéristiques du train d’atterrissage s’expliquent par une valeur élevée de ce poids.

Le Tu-144 est propulsé par quatre réacteurs à double flux Kousnetsov NK-144 développant une poussée unitaire de 13.000 kilos à sec et de 17.500 kilos avec réchauffe du flux secondaire. Ces réacteurs sont installés dans deux nacelles doubles sous le plan central et près de l’axe longitudinal de l’appareil. En cas de panne d’un des moteurs, cette disposition constitue un avantage, en diminuant les efforts tangentiels auxquels l’aile est soumise du fait de l’asymétrie de la poussée. Les entrées d’air sont de section rectangulaire et séparées de l’intrados par une fente. La suspension des réacteurs et les ferrures d’attache des atterrisseurs principaux sont probablement solidaires d’une même structure portante.

La distance franchissable calculée est, selon les informations reçues, de 6500 kilomètres et l’appareil peut transporter sur cette distance de 98 à 120 passagers selon l’aménagement de la cabine. Pour des vols plus courts, durant moins de deux heures, il est possible d’embarquer de 130 à 135 passagers.
Pour le premier vol, qui s’est déroulé à vitesse subsonique et avec le nez abaissé, le prototype a été accompagné d’un chasseur supersonique MiG 21 modifié, équipé d’une voilure géométriquement et aérodynamiquement semblable à celle du Tu-144. Cet appareil a été utilisé comme avion expérimental pour l’étude des caractéristiques et des performances du futur avion de ligne supersonique.
Le décollage proprement dit du Tu-144 a demandé 25 secondes et selon des informations de source soviétique, le roulement a été de 1890 mètres. L’avion a atterri sur une piste enneigée et s’est arrêté en 1520 mètres ; il a été presque certainement fait usage de parachute de freinage.
Cette photo d’une maquette du Tu-144 montre le long tronçon prévu pour la classe touriste, la porte d’accès de la cabine, la cuisine de bord et une partie du compartiment avant avec des rangées de quatre fauteuils. La soute est ménagée dans le tronçon arrière du fuselage.

 

Deux types d’aménagements de la cabine proposés pour le Tu 144. Le plan A, montre l’agencement prévu pour 18 passagers en première classe (rangées de trois fauteuils dans la partie avant de la cabine), plus de 80 passagers en classe touriste (rangées de cinq fauteuils). Le plan B est celui de la version comportant des rangées de cinq fauteuils pour le transport de 120 passagers en classe touriste exclusivement


Lorsque l’appareil sera mis en service par Aéroflot, probablement en janvier 1971, son équipage comprendra deux pilotes et un mécanicien navigant. Le trajet Moscou-Londres (ou Moscou-Paris) pourra être effectué en une heure et demi si les gouvernements de l’Europe occidentale admettent le vol supersonique au-dessus du continent, ce qui est encore très problématique. Mais quoi qu’il advienne, il est à peu près sûr que le vol supersonique sera pratiqué au-dessus du territoire soviétique et qu’il permettra de substantiels gains de temps sur les étapes longues du réseau d’Aéroflot, au cours desquelles ce sont surtout des régions inhabitées que survolent les avions de ligne soviétiques.

Les essais en vol du Concorde.

Le programme franco-britannique Concorde a indéniablement subi un certain retard par suite des événements qui se sont produits en France au printemps dernier. Attendu depuis longtemps et reporté déjà à plusieurs reprises, le premier vol du prototype n° 1 construit part Sud-Aviation est maintenant fixé à fin février, l’appareil ayant été remis à cet effet à l’équipe des essais en vol de Toulouse-Blagnac. Peu après, le prototype n° 002 de la BAC volera à son tour

Dimensions principales du Sud-Aviation/BAC Concorde : envergure, 25,60 mètres ; longueur, 58,80 mètres ; hauteur, 11,60 mètres.

Le courrier supersonique Concorde a déjà été décrit en détail dans Interavia n° 2/1968. Depuis, des informations ont été publiées sur le programme des essais en vol établi pour les prototypes. Selon ces renseignements, les deux appareils auront pratiquement le même équipement d’essais qui, sur le prototype n° 001, sera cependant complété par un générateur de vibrations.
Le premier prototype sera utilisé pour l’étude de l’ensemble du domaine de vol. Il servira également à la détermination des qualités de vol ainsi qu’à l’expérimentation du système de pilotage automatique et des équipements de navigation.
Le deuxième prototype sera principalement utilisé pour les essais du système de propulsion, des équipements électriques et des circuits de carburant, puis pour la détermination des performances de vol.

Le programme des essais comporte sept phases :

Phase « 0” : Cette phase englobe l’ensemble des essais depuis le premier point fixe des réacteurs jusqu’au premier vol, notamment les essais de roulage pour l’étude de la manoeuvrabilité de l’appareil sur les voies de circulation et la piste, avec enregistrement des accélérations et des décélérations et contrôles préliminaires du fonctionnement des moteurs et des circuits de bord.
Phase ”1 » : Le Concorde effectuera son premier vol à la vitesse maximale de 460 km/h sans dépasser 4600 mètres d’altitude, sa configuration demeurant inchangée ; avant son atterrissage, l’appareil effectuera quelques approches simulées en altitude. Au cours des derniers vols de cette phase, le pilote actionnera le train d’atterrissage, le nez basculant et les aérofreins. Par ailleurs, il est prévu de modifier légèrement le centrage et d’étudier le comportement de l’appareil lorsque le contrôle n’est pas assuré par le système d’autostabilisation.
Phase « 2” : Au cours de cette phase, inaugurée avec le premier essai de vibrations en vol, la vitesse de l’appareil sera portée progressivement à Mach 0,93.
Phase ”3 » : Cette série d’essais sera consacrée à l’exploration du domaine transsonique (Mach 0,9 à Mach 1,4), dans lequel sera modifiée la géométrie des entrées d’air. L’étude des qualités de vol revêtira une importance particulière en raison du déplacement du centre de gravité qui se produit à ces vitesses. Les vols permettront notamment de contrôler la plage de centrage et de procéder aux premières mesures du bang sonique.

Phase « 4” : L’appareil volera à des vitesses supersoniques et atteindra la vitesse maximale de Mach 2. A ce stade, le prototype n° 002 jouera un rôle important, notamment pour ce qui concerne les essais des réacteurs et de circuits ainsi que la détermination des performances.
Phase ”5 » : Le Concorde effectuera des vols d’au moins 30 minutes en croisière et l’on recueillera pour la première fois des informations précises sur la consommation spécifique de carburant.
Phase « 6” : La dernière phase des essais permettra d’étudier le comportement de l’appareil aux incidences élevées et de déterminer les performances au décollage et à l’atterrissage.

Le deuxième prototype du Concorde construit par la British Aircraft Corporation, à l’usine de Filton où le fonctionnement des moteurs a été vérifié dans une nouvelle installation (coût 400.000 livres sterling) avant les premiers essais de roulage. Les stabilisateurs qui équipent le tronçon avant du fuselage sont destinés notamment à assurer un meilleur contrôle en lacet et roulis.