INTERAVIA – Août 1967 : Le bang sonique ! Point de vue

De manière générale, les adversaires du bang sonique ne semblent pas être pris très au sérieux et l’on peut dire que la lettre qu’un enfant de 8 ans a adressée récemment au journal anglais ”Times », pour déplorer que le bang sème la panique parmi les pigeons quand il les nourrit, ramène toute l’affaire à sa juste proportion. Il est toutefois assez surprenant de constater que les sociétés BAC et Sud Aviation pratiquent la politique de l’autruche en attendant que la campagne “anti bang” s’intensifie et commence à faire peur aux transporteurs susceptibles d’acquérir le courrier supersonique « Concorde”.
Le bruit est indéniablement un des fléaux de la vie moderne, mais il n’y a pas de comparaison entre quelques bangs d’avions supersoniques et le tintamarre continuel des marteaux piqueurs, assorti du déchaînement intermittent du compresseur, rançon que nous payons actuellement pour la construction des routes et des bâtiments. Le vacarme dans une rue à circulation intense est très gênant et affecte la capacité de travail de ceux qui doivent le supporter du matin au soir ; cependant, il ne viendrait à personne l’idée de proposer le remplacement des automobiles par des bicyclettes. Les manoeuvres des trains – surtout dans les gares de triage – sont fort préjudiciables au repos nocturne et pourtant il n’est pas question de supprimer les réseaux ferroviaires. Les gens qui habitent à proximité des voies ferrées ne s’effrayent plus, depuis longtemps, de voir danser leur vaisselle au passage des trains et ne décrochent pas leur téléphone pour se plaindre chaque fois au Ministère des Transports. Certains ne peuvent pas supporter la musique de jazz que débite le poste à transistors, d’autres n’apprécient pas le concert symphonique ou l’opéra, mais personne n’a suggéré d’interdire ces divertissements sonores.
Les adversaires du bruit ont manifestement leur cible favorite : le bang sonique. Pourquoi lui et pas les autres bruits nuisibles, comme ceux que font les engins pneumatiques, les armes sur les champs de tir, les explosions de dynamite, les véhicules à moteurs, etc. ? Sans doute la publicité qui est généralement faite autour des vols d’avions supersoniques a-t-elle fait penser à certaines personnes qu’il y avait là un sujet tout trouvé pour mener la campagne anti-bruit.
Mais il y a peut-être aussi une autre raison : il y a des gens qui détestent ce qui est hors de leur portée, et il semble que pour eux, “bang” soit devenu synonyme de transport supersonique. Le banlieusard s’accommode du bruit que fait le train de banlieue parce que ce moyen de locomotion lui est indispensable. La grande majorité des personnes qui vivent dans les ensembles dits civilisés utilisent les véhicules bruyants que sont les voitures, les bus et les tramways, mais beaucoup vouent aux gémonies le bruyant avion de transport, car seule une petite minorité utilise l’avion. Et le courrier supersonique, considéré sans doute à tort comme devant être l’apanage d’une élite, a catalysé l’animosité de certains, qui oublient qu’ils tireront indirectement profit de cette nouvelle création de la technologie moderne.
Ces vingt dernières années, le développement du tourisme et des voyages a amélioré les conditions de vie de millions de gens, et c’est grâce à l’avion que nous pouvons aujourd’hui atteindre des contrées autrefois inaccessibles, du moins pour la durée des congés. En définitive, cela a stimulé le commerce mondial, le tourisme a été promu au rang de grande industrie et procure à certains pays l’essentiel de leurs ressources. Aussi bien la France que l’Angleterre tire de gros revenus du tourisme, et de plus, ces deux pays, exportent des avions, des moteurs, des pièces détachées et des matériels aéronautiques divers. Il serait évidemment absurde pour ces pays d’investir d’énormes capitaux publics dans la réalisation du courrier supersonique, puis d’interdire le survol de leurs territoires à ce même appareil. Les anti-bangs semblent négliger cet aspect du problème.
Par ailleurs, les vols d’avions commerciaux supersoniques ne seront peut-être pas aussi préjudiciable aux habitants et de France et de Grande-Bretagne que ne le redoute les adversaires du bang. Si les profils de vol prévus sont respectés en ce qui concerne le réseau de l’Atlantique Nord, les approches et les montées à Paris et à Londres se feront à vitesse subsonique, les vols au départ de la Scandinavie auront lieu en direction du nord de l’Ecosse et les appareils desservant Amsterdam, Francfort et Zurich pourront en gros voler au-dessus de la Manche. Les avions en provenance d’Italie survoleront peut-être la France à vitesse supersonique, mais sans provoquer un nombre insupportable de bangs.
Les discussions que suscitent les préjudices causés par le bang aux personnes âgées, aux animaux, aux malades en cours d’opération et aux propriétés privées donnent à penser que les efforts déployés et le temps utilisé à faire campagne contre le bang seraient plus utilement appliqués à prévoir des aménagements adéquats pour les vieillards, à la préservation du gibier, etc. Les chirurgiens ont prouvé en temps de guerre qu’ils pouvaient opérer sous le feu des canons et les bombes et, de toute façon, il serait grand temps que les salles d’opération soient insonorisées.
La plupart des gens n’aiment pas le bruit des autres, que ce soit l’échappement libre d’une moto de course, la musique des postes à transistors ou autres, mais il faudra accepter ce qu’on peut nommer “bruit utile” – un sous-produit du progrès.
Les avionneurs et les motoristes sont conscients du problème du bruit et s’ingénient à y remédier, mais leurs efforts en ce sens sont trop peu connus. Leurs services des relations extérieures n’engagent pas de polémiques avec les “anti-bangs” amateurs et semblent laisser ce soin aux politiciens qui, en dernière analyse, sont toujours influencés plus ou moins par des considérations…. électorales.