Au cours d’une conférence de presse donnée le 1er mai à New York, devant les Membres de la « Society of Automotive Engineers”, Sir George Edards, Directeur Général de la British Aircraft Corporation, a fait d’importantes révélations dont nous donnons l’essentiel dans l’encart spécial de ce numéro.
La construction de l’avion de présérie 01 de Concorde se poursuit à Filton et les tronçons continuent d’arriver en provenance des usines françaises.
C’est ainsi que 23 avril, les tronçons n° 19 et 20 (situés à l’arrière de la voilure) ont quitté St-Nazaire pour Filton par la route (Chateaubriand – Laval – Pont de Tancarville et le Havre… puis ”car-ferry Léopard »).

Filton 3 mai : Concorde 01 Tronçon 14, 15, 16, 18 et 20 en provenance de Marignane, Bouguenais et Saint-Nazaire

Ce sous–ensemble qui est deux fois plus important que ceux livrés pour les prototypes (14,40 mètres d’envergure, 4,40 mètres de longueur) a nécessité neuf mois de travail et exigé 40 tonnes de matières premières pour ne peser finalement que 4 tonnes.

A propos du 1er vol de Concorde

Le 1er mai 1968, Sir George Edwards, Président du Comité Directeur Concorde et Directeur Général de la British Aircraft Corporation, a donné à New York, devant les membres de la « Society of Automotive Engineers”, une conférence au cours de laquelle ont été évoqués un certain nombre de problèmes relatifs aux avions fabriqués en coopération franco-britannique : Jaguar et Concorde.
A propos de ce dernier, après avoir évoqué les résultats d’essais de l’installation motrice, de la structure et des équipements, Sir George a déclaré en substance :
– On s’est bien entendu livré à de nombreuses spéculations à propos de la date du premier vol de Concorde, et même à propos de l’avion désigné, parmi les deux prototypes, pour effectuer ce vol. Certains commentaires en ont fait l’enjeu d’une course. D’autres mettent en cause l’amour propre national de la France et de la Grande-Bretagne.

– Comme c’est souvent le cas, la part faite au sentiment et au romanesque est en vérité bien moindre. Les hommes qui dirigent la réalisation de Concorde – et je parle ici au nom de mes collègues français, et avec le assentiment – ne font intervenir au sujet de ce premier vol qu’un seul et unique critère : celui de savoir ce qui sera le meilleur et le plus expédient pour la réalisation du programme Concorde dans son ensemble.
– Il m’est à peine besoin de dire, devant un public d’ingénieurs, que la décision quelle qu’elle soit ne fera intervenir que des facteurs d’ordre technique, et qu’elle sera prise conjointement, après un examen détaillé des calendriers respectifs, des charges de travail, des états d’avancement et de tous les autres paramètres compliqués qui commandent la préparation de prototypes avancés.

– Mes collègues et moi-même savons très clairement ce que nous voulons. Nous voulons que Concorde entre dès que possible en service dans les Compagnies Aériennes dans les meilleures conditions de sécurité et de fiabilité. C’est là notre objectif et toutes nos façons de penser, et tout notre planning global en découlent. Pour un programme d’essais en vol qui s’étendra sur au moins 4500 heures, les deux premiers appareils devront, dès leur premier vol, être équipés de façon à apporter une contribution réelle à ce programme. Sils ne l’étaient pas, c’est alors que cette date vitale de l’entrée en service pourrait en souffrir ce qui n’est acceptable pour aucun des Membres des Comités “ CONCORDE ”.
– Ceci étant bien établi, il ne faut pas oublier que la moitié de chaque avion est française et que l’autre est britannique, de sorte que la fierté à retirer du succès se partagera également entre les deux pays.
– J’insiste sur tout ceci, parce qu’en l’occurrence, mes collègues et moi, sommes exposés à toute idée de faire flotter séparément nos drapeaux nationaux. Une telle façon d’agiter des drapeaux ne peut être que le fait de gens n’ayant aucune responsabilité dans le succès de l’ensemble du projet et qui n’ont aucune idée de ce que signifie réellement un programme conjoint
– En réalité les deux prototypes doivent, suivant le programme, être livrés aux essais en vol en août. Pour autant que nous puissions en juger aujourd’hui – nous ne sommes que le 1er mai – les avions y resteront entre 40 et 80 jours environ. S’il se produit, à ce stade, un certain degré de compétition locale entre deux équipes d’hommes faisant le même travail, ce n’est qu’humain. Cela contribuera à accélérer l’avancement des deux avions, ce qui pourra être bénéfique.

– Le fait que le programme du prototype 002 lui permette de passer aux essais en vol au cours du même mois que le 001 n’est devenu possible que grâce à tout ce que les Français ont déjà fait sur le 001 et sur les bancs d’essais associés. En particulier, l’excellente réussite du programme de point fixe moteur a éliminé des risques qui auraient pu affecter le programme
– En vérité, je suis soulagé de savoir que les premiers vols des deux prototypes ne seront séparés que par un laps de temps relativement court. D’après mon expérience, il est très avantageux de pouvoir recouper les résultats obtenus et d’assurer la continuité des vols, ce qui n’est pas possible avec un seul appareil.
– La délivrance du certificat de navigabilité de Concorde est prévue pour le troisième trimestre de 1971. Elle représentera l’aboutissement de 3 années en vols intensifs auxquels auront participé sept avions cumulant 4165 heures de vol. Les appareils intéressés sont les deux prototypes, deux avions de présérie et trois avions de série. En outre, il sera encore nécessaire d’effectuer 210 heures supplémentaires avec les avions de série en vue de la certification des systèmes d’atterrissage automatique et de la détermination des performances sur les aéroports situés à des altitudes élevées, 30.000 heures d’essais de fonctionnement du réacteur Olympus 593 de 15.900 kgp viendront épauler ce programme
– Les deux prototypes seront utilisés exclusivement pour établir les caractéristiques de Concorde L’un d’eux servira à l’exploitation du domaine conditionné par les essais de vibration en vol (flutter), sous excitations forcées, seule méthode permettant la croissement du nombre de Mach, et qui doit être appliquée par paliers. L’autre appareil servira pour l’étude des qualités de vol et pour les essais des réacteurs. Les deux avions de pré-série seront utilisés pour la mise au point des systèmes essentiels et le premier avion de série viendra se joindre à eux pour les vols de certification. Le deuxième et le troisième appareil de série seront employés pour les essais de mise en service sur les lignes aériennes.

– A cause du bond qui a été fait dans le domaine de la technique, le nombre de paramètres qu’il faut mesurer est de 4 à 5 fois plus grand pour Concorde que pour un appareil subsonique de dimensions semblables. 3000 paramètres ont déjà été définis, et davantage le seront certainement au cours des essais. Un traitement rapide et automatique de l’information est employé pour recueillir cette quantité considérable de données. Chaque prototype emporte 12 tonnes d’équipements d’essais, dont la moitié est répartie dans les meubles qui occupent complètement la cabine. Certains paramètres vitaux seront enregistrés en double pour des raisons de sécurité. D’autres, tels que ceux concernant le fonctionnement du train d’atterrissage et de la visière seront seulement enregistrés pendant des périodes limitées.
– Le vol supersonique prolongé aura lieu principalement sur une route s’étendant sur l’Atlantique entre Dakar et l’Ile de Man et s’effectuera sous surveillance radar. La base d’Istres assurera les mesures du bang sonique grâce aux équipements déjà en place pour les essais du Mirage IV. En moins d’une heure après l’atterrissage la première analyse devrait être disponible sous forme de tableaux et graphiques imprimés et l’utilisation de matériels identiques de traitement des donnés à Toulouse et à Filton assureront un échange rapide des informations.

– Quoique Concorde doive être le premier transport supersonique commercial régulier sur les routes internationales, il devra néanmoins subir au préalable le programme d’essais en vol probablement le plus rigoureux et le plus approfondi qui ait jamais été entrepris. Ainsi sommes-nous arrivés dans ce grand projet à quelques mois du premier vol des deux prototypes. Nous avons toute confiance en son aboutissement.
– Il m’a toujours semblé qu’il avait deux grands obstacles à franchir avant de pouvoir vraiment considérer Concorde comme une réussite bien confirmée. D’abord il fallait que les deux Gouvernements continuent à fournir leur appui, ensuite il fallait que l’avion soit vendu aux compagnies aériennes. Le Gouvernement britannique a récemment fait savoir d’une manière claire et nette qu’il avait l’intention de poursuivre le programme, à condition que nous soyons capables de le faire aboutir. Par conséquent, je pense que nous avons franchi le premier obstacle, mais le second se dresse devant nous : son exigence la plus sévère est sans aucun doute pour nous de faire un avion sûr, économique et fiable que les compagnies pourront utiliser.
C’est pour cette tâche que nous autres, professionnels, sommes payés et en l’état actuel des choses, nous comptons bien l’exécuter avec succès.
– Lorsque nous avons entamé ce projet, nombreux étaient les gens qui pensaient qu’il serait impossible de concevoir et de réaliser en coopération entre deux pays un appareil aussi évolué. Mais nous avons montré qu’une telle entreprise pouvait être menée à bien.

– Il est vrai que l’échéancier que nous avions établi il y a quatre ans n’a pas été rigoureusement suivi, mais je tiens à faire remarquer que nous le serons de bien plus près que dans la plupart des programmes comparables, concernant des appareils moins évolués.