Air & Cosmos – Mai 1968 : Concorde à Toulouse et à Filton

Derrière celle des prototypes, la construction des avions de présérie et de la cellule d’essais statiques atteint maintenant le stade de l’assemblage des ensembles, qui commence sur les deux chaines de Toulouse et de Filton. Ci-dessous : Concorde 001 photographié à Toulouse, il y a huit semaines, lors de sa présentation au silencieux.

Par rapport aux deux prototypes (001 et 002), des modifications ont été apportées au dessin de ces avions, dont le fuselage a été allongé et la cabine agrandie, et qui bénéficient d’un certain nombre d’améliorations ayant trait à l’aérodynamique, à l’installation de la pointe avant, à la disposition des portes, et au perfectionnement des divers systèmes.
La répartition des tâches entre les ateliers de Sud Aviation et de la BAC ne s’en est pas trouvée modifiée dans son ensemble, mais un nouveau plan des fabrications a été établi compte tenu de ces modifications et de l’expérience acquise au cours du montage des prototypes.

L’avion d’essais statiques

Le caisson central de l’avion d’essais statiques (tronçons 14 à 20) a été transporté, début mai, en deux parties (14 et 15 d’une part, 16, 18 et 20 d’autre part) pour assemblage définitif au CEAT (Centre d’Essais Aéronautique de Toulouse) où doivent avoir lieu le montage des tronçons avant et arrière en provenance de BAC et les essais statiques de l’avion complet.

Les appareils en présence

Les tronçons 15 et 16 de l’avion de présérie, fabriqués à Bouguenais et à Toulouse, ont pris place à Filton auprès du prototype 002 où ils ont été rejoints dans les délais prévus par les tronçons 14, 18 et 20 fabriqués à Marignane, Toulouse et Saint-Nazaire.
Les opérations d’assemblage ont débuté sur les tronçons de mêmes numéros destinés à l’avion 02 qui sera assemblé à Toulouse, à la suite de l’avion d’essais statiques.
En ce qui concerne les deux premiers avions de série, les opérations préliminaires à la fabrication des semelles de longerons se terminent à Bouguenais, tandis que se complète l’approvisionnement des pièces à long cycle des avions suivants n° 3 à 8.
La Division de Weybridge de la BAC, est désormais responsable de la fabrication de la plupart des ensembles principaux construits en Grande-Bretagne. Le travail dans le programme d’essais statiques et dans la production présérie est également bien avancé. Ces éléments comprennent la pointe avant et arrière du fuselage, ainsi que la dérive et les gouvernails.

Il convient de mentionner tout particulièrement la partie arrière du fuselage qui bénéficie des modifications structurales prévues pour les appareils de présérie et de série. Cet ensemble, de même que la dérive, est désormais entièrement constitué d’éléments usinés dans la masse et comprend moins de 100 pièces primaires.


Le premier Concorde de présérie 01 photographié à Filton le 3 mai ; les éléments à l’assemblage sont les tronçons n° 14, 15, 16, 18 et 20, tous fournis par Sud Aviation.
La livraison des tronçons construits par la BAC pour les trois cellules actuellement en chantier est prévue pour le courant de l’année 1968. L’usinage des pièces primaires destinées aux premiers avions de série et à l’avion d’essais de fatigue débutera également à Weybridge cette année. Leur livraison commencera au début de 1969.
Parallèlement, l’effort d’équipement des ateliers en machines modernes se poursuit, avec la mise en service de nouvelles fraiseuses à commande numérique, qui commande la série des machines existantes pour les éléments de très grandes dimensions d’une part, et pour les petites pièces d’autre part.
La productivité des machines utilisées dans ce dernier cas est très élevée grâce à l’élimination presque totale des temps morts, par l’emploi de palettes de chargement à mise en place automatique et par le chargement automatique des outils.


Une solution française aux problèmes des fluides hydrauliques pour TSS

Article de Jean-Claude TRICHET

Lorsque nous avions évoqué les problèmes rencontrés dans la mise au point du système hydraulique de Concorde, nous avions signalé certains effets attribués au fluide Oronite M2V. Lors d’un récent voyage en Grande-Bretagne nous avions pu recueillir l’avis des ingénieurs britanniques sur ce sujet. Il s’avère que ces problèmes sont connus depuis assez longtemps et que, en France, le Service Technique de l’Aéronautique s’en préoccupe activement. C’est ainsi que la Société Française Nyco fut appelée à développer un fluide hydraulique pour avion de transport supersonique ne présentant pas les inconvénients de l’Oronite M2V.

Trop d’alcool quand il y a de l’eau

Les problèmes associés à l’emploi de ce fluide dans les circuits hydrauliques d’un avion supersonique sont connus, disons-nous. En effet, ils sont évoqués dans au moins deux ouvrages traitant des lubrifiants de synthèses. L’Oronite M2V est un silicate-ester produit par une firme californienne. Or les deux ouvrages cités font état de résultats d’essais ayant souligné certains défauts des silicates-esters. En particulier leur stabilité hydraulique est apparue assez médiocre. C’est-à-dire que leur comportement est influencé par la présence d’eau en suspension, ou même en dissolution, qu’on ne peut jamais complètement éliminer dans les circuits hydrauliques d’aéronefs.

Pour comprendre le phénomène auquel sont sujets ce type de produit, rappelons qu’un ester est la combinaison d’un acide et d’un alcool avec élimination d’eau. Lorsqu’on les met, à haute température, en présence d’eau, il se produit un phénomène d’hydraulyse provoquant l’élimination d’acide et d’alcool. Le premier, a un effet, et le second contribue à abaisser le point d’éclair de fluide. Par ailleurs, il y a aussi apparition de dépôts de silice pouvant provoquer une usure anormale des éléments mécaniques en mouvement et un colmatage des fibres.
Au cours d’essais effectués au Centre d’Essais des Propulseurs, à Saclay, on a relevé la présence de cristaux, dont le diamètre atteignait 300 microns, après 100 heures de fonctionnement à 120°C, même sous atmosphère d’Azote. Ces cristaux furent analysés par le laboratoire de l’Institut de Recherches Sidérurgiques qui révéla qu’ils contenaient 50% de silice pure. Par ailleurs, à la fin de ces essais de cent heures, le point d’éclair de l’Oronite était descendu de 216 à 150°C.

Des moteurs aux circuits hydrauliques

Le fluide mis au point par la Société Nyco avec l’appui des services officiels français est dérivé des lubrifiants synthétiques pour moteurs que cette société produit depuis une dizaine d’années. Les turboréacteurs « Atar”, en particulier, sont lubrifiés avec des huiles Nyco et la formule de l’Hydronycoil B, fluide hydraulique proposé pour les TSS, s’inspire de celle de l’huile réacteur mise au point pour les Mirage IV. On peut chiffrer l’expérience acquise avec ce produit en notant qu’il a effectué 20.000 heures de vol à Mach 2. En particulier cette huile s’est avérée très efficace dans la lubrification des organes de régulation, moteur, travaillant à haute température (180°C pour le régulateur et 250°C pour les vérins de tuyère).
L’Hydronycoil B est un triester. Plusieurs milliers d’heures d’essais ont été effectuées avec ce nouveau fluide, au Centre d’Essais des Propulseurs, au Centre d’Essais Aéronautiques de Toulouse (avec une pompe ”Messier » et une servocommande AMD de Mirage III), chez la British Aircraft Corporation (avec une pompe Integral) et au banc hydraulique de Sud Aviation à Touloise. Ces essais ont nécessité un certain temps, ce qui peut expliquer que l’on n’ait pas retenu ce fluide pour les prototypes de Concorde.
Par ailleurs un changement de fluide hydraulique oblige généralement à changer tous les joints du circuit et des équipements hydrauliques. On conçoit que Sud Aviation ait hésité à s’engager dans ce processus. Mais une autre série d’essais vient de prouver la comptabilité de l’Hydronycoil B avec la grande majorité des joints actuellement utilisés sur l’avion supersonique franco-britannique. Une gamme de joints, construits par différentes firmes françaises et britanniques, a d’ailleurs été sélectionnée après ces essais. Ils sont compatibles avec plusieurs types de fluides, dont l’Hydonycoil.

Il semble donc que la firme française Nyco ait dégagé une solution valable au problème des fluides hydrauliques pour avions de transport supersoniques.