Article de Jacques MORISSET
A quelques jours de la reprise des vols Concorde 002 revolera dans le courant de la deuxième quinzaine de ce mois, et Concorde 001 début avril), l’avion de transport supersonique franco-britannique continue à être l’objet de discussions – souvent passionnées – concernant les divers aspects de son utilisation, les unes dans le domaine de l’économie (coût du programme, prix de revient au km/passagers, méthode d’exploitation), les autres dans le domaine des nuisances (pollution et bruit).
Coût des études et de la mise au point
Rappelons d’abord le coût prévu (déclaration de M. Coefield à la Chambre des Communes du 28 octobre 1970). L’évaluation actuelle de 825 millions de livres sterling, soit 10,950 millions de francs, est ventilée ainsi :
– période du 29 novembre 1962 au 30 septembre 1970 : 460 millions de livres, dont 220 pour le gouvernement français et 240 pour le gouvernement britannique.
– période du 1er octobre 1970 à l’achèvement du programme : 365 millions de livres, dont 200 pour la France et 165 millions pour la Grande-Bretagne.
L’évaluation initiale était de 150 à 170 millions de livres. L’augmentation apparente est donc de 665 à 675 millions de livres. Mais l’augmentation réelle est très inférieure, car entre temps il y eut les dévaluations des deux monnaies et l’inflation observée depuis hit années. Aux conditions de 1962, les 825 millions ne sont plus que 358 millions de livres : l’augmentation réelle n’est plus que de 188 à 208 millions de livres (1962) ; mais dans cette augmentation figurent les travaux ajoutés au programme initial, tels que le développement après certification (10% du coût total), les frais généraux, certains équipements spéciaux, enfin les modifications rendues nécessaires par les exigences nouvelles de compagnies ou des autorités de certification. On peut dire finalement que le coût réel du programme « Concorde” est environ le double du coût initial envisagé, et non le quadruple ou le quintuple.
A titre indicatif, prenons l’exemple de la différence entre l’évaluation de 730 millions de livres d’octobre 1969 et celle de 825 millions de livres de juin 1970 : les 95 millions de livres de différence se répartissent en 35 millions de livres pour l’amélioration du système de propulsion, 40 millions de livres pour l’augmentation des prix et des salaires, et 20 millions de livres pour diverses modifications. Rappelons enfin que ce programme inclut tous les essais (statiques, endurance) jusqu’à la certification, le coût des quatre premiers avions (001, 002, 01 et 02) et l’outillage des premiers avions de série. Quant à la fabrication des avions de série, elle fait appel à des avances ou emprunts et n’a donc rien à voir avec les 825 millions de livres du programme de développement
S’il est difficile d’apprécier dans quelle mesure il sera possible d’amortir directement le coût du programme de développement sur la vente, il est plus aisé par contre d’évaluer la contribution de l’appareil à la balance des paiements pendant la durée d’exploitation : elle est estimée à 2000 millions de livres pour 250 avions vendus au début des années 80.
Le bénéfice des compagnies
La principale question – celle dont dépend l’avenir de ”Concorde » – est la suivante : une compagnie aérienne ayant un parc équilibré de « Concorde” et d’avions subsoniques, aura-t-elle un bénéfice net sur investissement total supérieur à ce qu’elle aurait en n’exploitant que des avions subsoniques ? Oui, répondent l’Aérospatiale et la BAC qui partent des hypothèses suivantes : ”Concorde » exploité en classe unique (110 passagers) à un tarif inférieur de 10% à celui de la première classe actuelle, coefficient de remplissage de 50%, et avions à réaction subsoniques aménagés en classe économique avec remplissage à 55%. Dans ce cas, la compagnie gagnerait déjà plus d’argent avec « Concorde” que sans lui. Avec un coefficient de remplissage pour ”Concorde » de 60%, le bénéfice annuel est supérieur de 3% ; avec 63%, il est supérieur de 4%.
Le chiffre de 110 passagers correspond à une charge payante de 9 tonnes : « Concorde” pourra donc traverser l’Atlantique Nord avec 110 passagers et des réserves suffisantes pour emporter du courrier.
Bang sonique
En ce qui concerne l’environnement, nous avons déjà longuement fait état dans ces colonnes du problème de la pollution de l’air, qui n’est absolument pas spécifique à ”Concorde ».
Le problème du « bang sonique” n’en est pas un, dans la mesure où les prévisions de ventes de ”Concorde » ont toujours été fondées sur l’hypothèse que le bang sonique serait interdit au-dessus des terres habitées. En tout cas à cause, compte tenu du temps appréciable exigé pour monter à 12.000 mètres et accélérer ensuite jusqu’à Mach 2, le « bang sonique” ne peut apparaître qu’à plusieurs centaines de kilomètres de l’aéroport de départ (ou d’arrivée, étant donné le parcours de décélération). Or la plus grosse partie du marché potentiel de ”Concorde » se situe sur des lignes transocéaniques et transpacifiques : le marché de l’avion ne parait donc devoir être affecté que très modestement par les décisions passées ou à venir d’interdiction du survol des territoires en régime supersonique.