Le nombre de constructeurs en lice pour la réalisation du courrier supersonique américain a bien diminué. Avant l’intervention de la FAA, il existait aux Etats-Unis des douzaines de projets étudiés en partie par la NASA (projets SCAT) et en partie par l’industrie, alors que depuis la fin de l’année passée il n’en reste plus que trois. La compétition bat maintenant son plein entre Boeing, Lockheed et North American Aviation pour la cellule et entre Curtiss Wright, General Electric et Pratt & Whitney pour le réacteur. Au mois de janvier, la FAA a publié certains détails techniques en précisant toutefois que le choix définitif ne portera pas forcément sur un des trois projets soumis. Si aucun de ces projets ne devait donner satisfaction, on repartirait tout simplement sur des bases nouvelles. Dans le cas où un des projets ne surclasserait pas nettement les deux autres, on inviterait les auteurs des deux meilleurs projets à poursuivre les travaux d’études pendant un certain temps. Enfin, nous serons en principe fixés à ce sujet le 1er mai, car c’est à cette date que la FAA doit faire connaître sa décision.

La société Boeing propose un avion à Mach 2,7 doté d’une voilure à géométrie variable. Dans sa configuration de vol à vitesse réduite, l’aile a une flèche d’environ 20° et un grand allongement ; cela signifie qu’avec des dispositifs hypersustentateurs classiques, les distances de décollage et d’atterrissage seront plus courtes que celles des long-courriers à réaction actuels. A mesure que la vitesse augmente, les demi-ailes extérieures pivotent vers l’arrière et la flèche atteint finalement presque 75° en vol de croisière. La formule des deux voilures en une seule est certes très intéressante pour ce qui concerne l’étendue de la plage des vitesses et l’exploitation de l’appareil en général, mais elle pose d’autre part de nombreux problèmes sur le plan technique. Néanmoins, les ingénieurs de Boeing ont déjà acquis une certaine expérience dans ce domaine (en l’occurrence dans le cadre du programme TFX), ce qui porte à croire qu’ils ne sous-estiment nullement les difficultés.

Boeing 733 : Longueur : 62,13 mètres Envergure (demi-ailes déployées) : 52,83 mètres Hauteur : 14;73 mètres Envergure (demi-ailes repliées) : 26,31 mètres

Au poids maximal de 195 tonnes, le Boeing 733 doit décoller à la vitesse de 280 km/h sur environ 1800 mètres. L’atterrissage s’effectuerait à environ 220 km/h sur une distance de l’ordre de 1250 mètres (avec inversion de la poussée). Le plan central fixe et les deux demi-ailes pivotantes contiennent la plus grande partie du carburant. Les quatre nacelles des réacteurs ainsi que les atterrisseurs principaux sont fixés sous le plan central de la voilure. La cabine telle qu’elle se présente à l’heure actuelle permet de prendre à bord 150 passagers qui peuvent être transportés sur une distance de 6500 kilomètres à l’altitude de croisière de 20.000 mètres. Le fuselage pourrait éventuellement être allongé d’environ 14 mètres, ce qui  permettrait le transport de 227 passagers. D’après le programme actuel, le prototype du Boeing 733 serait prêt pour son premier vol vers la fin de 1967 et les appareils de série seraient disponibles pour les services réguliers à partir de l’été 1971.

L’appareil à Mach 3 proposé par Lockheed possède une voilure en double delta dont l’emplanture occupe presque toute la longueur du fuselage et qui a une surface de 740 m2. Cette voilure aux caractéristiques aérodynamiques très favorables garantirait d’excellentes qualités de vol sur toute la plage des vitesses. Selon les ingénieurs de Lockheed, la charge alaire est tellement faible qu’il est inutile d’utiliser des dispositifs hypersustentateurs de bord d’attaque et de bord de fuite tant au décollage qu’à l’atterrissage. La pointe avant inclinable de 15° laisse toutefois supposer que l’approche finale devra s’effectuer à une incidence élevée. La très grande voilure offre un volume suffisant pour les réservoirs de carburant et le logement du train principal. Les quatre réacteurs sont installés sous a voilure dans des nacelles de section rectangulaire comportant des entrées d’air à géométrie variable. Pour le contrôle en tangage et en roulis, l’aile est apparemment munie d’élevons. L’empennage vertical se caractérise par une gouverne de direction de grandes dimensions. Dans la cabine, les sièges sont disposés par rangées de cinq. L’appareil peut transporter 218 passagers sur au moins 6 500 kilomètres à une altitude de croisière comprise entre 21.000 et 24.000 mètres.

Lockheed : Longueur : 67,67 mètres Hauteur : 14,50 mètres Envergure : 35,36 mètres

La société North American Aviation a étudié un appareil à Mach 2,6 doté d’un plan canard et dont la cellule permettrait éventuellement le vol de croisière à Mach 3. La voilure représente pour ainsi dire un compromis entre le double delta typique et l’aile en flèche à corde importante. A l’avant, la flèche est de 65° et à l’arrière, de 50°. Par ailleurs, la voilure assez cambrée se caractérise par un vrillage prononcé et par un léger dièdre (négatif sur la partie intérieure et positif sur la partie extérieure). Le bord de fuite du plan canard trapézoïdal est muni de volets à double fente ayant un débattement de 40°.

 

North American NC-60 : Longueur : 59,56 mètres North American NC-60 Hauteur : 14,69 mètres Envergure : 36,97 mètres

Les dimensions au-dessus du plancher de cabine du courrier supersonique North American Aviation NAC 60 (croquis de gauche) sont à peu près les mêmes que celles du Boeing 707 (croquis de droite) ; en revanche, la hauteur de la soute est nettement plus faible du fait de l’aplatissement, pour des raisons d’ordre aérodynamique, de la partie inférieure du fuselage. Les quatre réacteurs sont disposés par paires dans des nacelles fixées sous la voilure et possèdent des entrées d’air séparées à géométrie variable. Les logements du train principal se trouvent entre les deux canaux d’entrées d’air des nacelles. La voilure, le fuselage et la gouverne de direction doivent être réalisés principalement en titane et, en partie, en acier inoxydable. Au poids maximal de 217 tonnes (le carburant contenu dans la voilure représente à lui seul plus de la moitié de ce poids), l’appareil pourrait transporter jusqu’à 187 passagers sur une distance de 6500 kilomètres. Pour les liaisons transcontinentales en Amérique du Nord, le poids au décollage serait inférieur à 181 tonnes. Pour ce qui concerne l’aménagement de la cabine, le constructeur prévoit des rangées de quatre, cinq ou six sièges de front selon les exigences du trafic.

Comme on peut le constater, tous les appareils en projet sont des quadriréacteurs. Les groupes propulseurs proposés sont les suivants : un réacteur Curtiss Wright dont la poussée serait deux fois supérieure à celle des plus puissants turboréacteurs à simple et double flux actuellement en service ; un réacteur de General Electric conçu pour le vol à Mach 3 et dont il est prévu de réaliser une version à simple flux et une version à double flux ; enfin, un réacteur à double flux également pour des vitesses correspondant à Mach 3 et étudié par Pratt & Whitney.

Le Boeing 733 dont la cellule serait réalisée presque entièrement en titane possède une voilure à géométrie variable (surface alaire de 435 m2 environ) munie de dispositifs hypersustentateurs de bord d’attaque et de volets de bord de fuite ; en configuration d’atterrissage, l’aile a une flèche de l’ordre de 20°.

Le Boeing 733

Lockheed propose un appareil à Mach 3 doté d’une voilure en double delta (surface alaire de 740 m2) sans dispositif hypersustentateurs ; à l’avant, la flèche du bord d’attaque est de 75 à 80° à l’arrière, d’environ 60

Lockheed

Pour l’appareil à Mach 2,6 désigné NAC 60, North American Aviation a choisi une formule modifié avec un plan canard à l’avant de la voilure (surface alaire de 600 m2 environ) ; le diamètre maximale du fuselage est de 3,84 mètres et les hublots sont espacés de 43 centimètres.

NAC 60, North American Aviation

Les directives de la FAA.

Les projets de Boeing, Lockheed et North American Aviation ont été élaborés d’après des indications de la FAA qui n’avaient nullement le caractère de spécifications mais plutôt de directives générales. Selon la FAA, le courrier supersonique américain devrait remplir plus ou moins les conditions suivantes :

– Transport sur une distance de 6500 kilomètres d’une charge marchande de 13.600 à 18.600 kilos, soit 125 à 160 passagers avec leurs bagages, plus 2300 kilos de fret et de poste.

– En cas de panne de deux réacteurs ou d’un système de bord important, l’appareil devrait être capable d’atteindre un aérodrome adéquat à partir du point critique de n’importe quel trajet.

– Les réserves de carburant souhaitables sont les suivantes : 7% du carburant nécessaire d’aérogare à aérogare, plus une quantité de carburant suffisante pour rejoindre (à l’altitude et au régime de croisière) un aérodrome de dégagement distant de 500 kilomètres du lieu de destination, plus une quantité de carburant pour une attente de 30 minutes à 4500 mètres d’altitude. Par ailleurs, les réservoirs devraient avoir une capacité excédentaire afin d’obtenir une grande souplesse d’emploi (augmentation du poids du carburant et diminution de la charge marchande ou inversement).

– La vitesse de croisière devrait correspondre au moins à Mach 2,2 et garantir les meilleures conditions de sécurité et de rentabilité.

– La surpression au sol due au bang supersonique ne devrait pas excéder 9,76 kg/m2 dans la phase d’accélération ainsi que 7,32 kg/m2 en croisière et au cours de la décélération.