Editorial par Roger CABIAC

Concorde sans fard ni artifices.

Avec la sortie, en décembre dernier, des ateliers se Sud Aviation de Toulouse, du premier prototype de Concorde, c’est surtout l’environnement dans lequel a évolué, au cours de ces derniers mois, le développement de l’appareil, qui doit retenir aujourd’hui l’attention de ceux dont l’objectivité reste la règle fondamentale.
Les polémiques suscitées autour des causes du retard survenu au premier vol de Concorde ont eu, du moins, l’avantage de situer l’évènement à sa vraie place, en ce sens que, dans la réalisation d’un programme d’une telle ampleur, le fait que Concorde puisse décoller pour la première fois quatre ou cinq mois après la date prévue ne revêt une importance particulière qu’aux yeux de ceux méconnaissent les raisons pour lesquelles le 28 février1968 avait été choisi.
Plutôt, en effet, qu’à un pari audacieux, que les industriels auraient, certes, préféré gagner, cette date du 28 février, fixée il y a trois ans, correspondait, surtout, au souci de situer loin en avant dans le temps l’aboutissement d’intenses efforts communs et de soustraire, ainsi, à la tentation de toujours mieux faire, une multitudes de techniciens impliqués dans le programme et oeuvrant en dehors de toute contrainte de délais.

L’union fait la force.

Quel serait, aujourd’hui, le retard de Concorde si aucun objectif dans le temps n’avait été fixé à l’ensemble des effectifs intéressés à la réussite de l’appareil ? Le risque principal que comportent ces quelques mois de retard réside dans l’exploitation possible des incidents de tous ordres, mineurs vraisemblablement, qui peuvent survenir durant cette période, par la presse écrite, parlée ou télévisée, notamment du fait de l’existence au Royaume-Uni d’un clan très puissant et farouchement hostile à l’appareil franco-britannique. Il est clair, en effet, que si, en France et surtout en Grande-Bretagne, des campagnes de presse plus ou moins consciemment orchestrées devraient créer un climat de polémique autour de ces quelques mois de décalage, les équipes françaises et britanniques ne pourraient échapper à ce climat et que la préparation des premiers vols en souffrirait. Qu’au contraire personne de part et d’autre de la Manche ne jette de l’huile sur le feu et le premier vol de l’avion peut, à l’heure actuelle, raisonnablement se situer au cours de l’été prochain.
A ces aléas, constitués par l’exploitation de nouveaux incidents qui peuvent, dans les semaines à venir, jalonner le cheminement de Concorde, s’ajoute le problème, posé aux gouvernements et aux industriels, par le financement conjoint de la fabrication de série de l’appareil. Certes, du côté français, la solution, du fait de l’antécédent Caravelle, est trouvée ; certes, du côté britannique, les perspectives sont maintenant très favorables Mais faut-il ignorer, pour autant, les difficultés qui ne manqueront pas d’apparaître dès qu’il s’agira de marier les deux procédures ?

Si les problèmes ci-dessus évoqués et qui doivent être surmontés d’ici à la fin de l’année 1968, n’ont aucun point avec la technique aéronautique, il n’en sera pas de même, dès 1969, lorsque Concorde se trouvera confronté avec sa véritable heure de vérité.
C’est, en effet, au cours du premier semestre de l’année prochaine que l’appareil abordera la phase d’essai en vol supersonique de plus en plus poussés dont les résultats feront que les compagnies inscrites transformeront ou non leurs options en commandes, et que de nouveaux adhérents viendront ou non grossir la liste potentielle actuelle des 74 machines membres du club Concorde.
Durant cette période probatoire, les épreuves essentielles auxquelles aura à satisfaire l’appareil franco-britannique porteront sur deux disciplines également importantes : les performances et le bruit.

Les performances.

Il faut tout d’abord comprendre que, face à la vertigineuse aventure que constitue le transport aérien supersonique et que la plupart des compagnies appréhendent de vivre, on ne saurait s’attendre, de la part de
celles-ci, fidèles à la religion du prix de revient minimal au siège-kilomètre, à des concessions démesurées quand bien même les drapeaux français et britannique en seraient les bénéficiaires.

Il est donc clair que, si les performances de Concorde devaient se révéler trop inférieures aux chiffres indiqués sur les contrats d’options, l’avenir commercial de l’appareil se trouverait, de ce fait, gravement compromis. Et bien que certain nombre de facteurs interviennent dans la tenue des performances prévues, trois éléments fondamentaux, ressortant tous trois du système de propulsion qui équipe l’avion, vont jouer un rôle déterminant, à savoir : les entrées d’air, le réacteur lui-même, et l’éjection du jet. Dans l’état actuel des études et des essais, il n’y a pas lieu, certes, d’être pessimiste, mais il n’eût pas été objectif de passer sous silence les aléas que pourraient engendrer une éventuelle insuffisance de l’un ou l’autre de ces éléments.

Le problème du bruit.

Du fait que des considérations de niveau de bruit acceptable sur les aéroports et que, en raison des bangs soniques, une limitation, voire une interdiction, de survol des régions habitées peuvent, dans un proche avenir, affecter les conditions d’attribution du certificat de navigabilité des avions commerciaux supersoniques, il va sans dire que ces facteurs risquent également de peser d’un poids très lourd sur l’avenir de Concorde. Dans l’état évolutif des connaissances actuelles il n’est donc pas sans intérêt de faire le point sur la question, bien que ce point intervienne largement avant les premiers vols, au-delà de Mach 1 de l’appareil….

Bruit sur les aéroports :

Par rapport aux inquiétudes qui se sont manifestées, sur ce plan, dans le cadre des éditoriaux de notre revue ou de la table ronde consacrée à Concorde et publiée en mai dernier, il faut connaître que le problème ne s’est pas aggravé, encore qu’on ne puisse préjuger de verdict définitif des riverains ni du poids qu’un verdict négatif puisse peser sur les décisions municipales, régionales ou gouvernementales.
On doit, certes, s’attendre à ce que, partout dans le monde, s’accentue la lutte contre le bruit ; et que des mesures progressives soient prises au cours des quinze années à venir avec, pour première étape, des résultats nettement perceptibles vers 1975-1977. Aux Etats-Unis où le problème est depuis longtemps plus aigu qu’ailleurs et où on se rend compte qu’il n’existe pas de solutions miraculeuses et soudaines, à moins d’attribuer au sourds-muets les habitations situés au voisinage des aéroports, il est peu probable que la Federal Aviation Administration incorpore brutalement des considérations draconiennes de limitation du bruit dans les conditions d’attribution du certificat de navigabilité aux futurs appareils du début de la prochaine décennie. Le voudrait-elle d’ailleurs qu’elle se heurterait vraisemblablement à l’opposition des firmes constructrices et des compagnies aériennes américaines, nombreuses et particulièrement puissantes Outre-Atlantique. Ainsi peut-on raisonnablement penser que Concorde, qui doit se placer honorablement dans le domaine du bruit sur les aéroports, échappera, vers 1971, à ce péril.

Bang sonique :

Beaucoup plus préoccupant reste le problème posé par le bang sonique des avions commerciaux, en raison de leur masse même, largement supérieure en taille et en poids à celle des avions militaires dont les évolutions au-delà de Mach 1 n’ont pas manqué, à plusieurs reprises, de susciter la colère des populations.
Il est difficile encore aujourd’hui d’apprécier la gêne exacte apportée et les dégâts susceptibles d’être provoqués par les vols de Concorde en régime supersonique ; s’il est certain, d’un côté, qu’en croisière le niveau de bang de l’avion franco-britannique sera légèrement supérieur à celui d’un Mirage IV, il n’en reste pas moins que les évolutions, plus lentes, des avions de transport réduiront les cas d’augmentations du niveau du bang au-dessus du niveau du bang de croisière.
Face à ce phénomène que vont décider les gouvernements français et britannique soucieux, par ailleurs, de protéger le repos du corps électoral ?
Vont-ils compromettre l’avenir des avions civils supersoniques et de Concorde en premier lieu, en instituant des limitations, voire des interdictions de survol de leur propre territoire, en régime supersonique ? Une telle décision prise par la France et la Grande-Bretagne, pays constructeurs de l’appareil, ne manquerait pas de faire jurisprudence auprès de bien d’autres nations et la rentabilité du transport commercial supersonique en serait affectée durement. Aussi n’est-il pas exagéré de dire qu’en la matière le monde du transport aérien a, aujourd’hui et aura plus encore demain, les yeux fixés sur Paris et Londres…

Dans ce contexte et sur le plan purement français, on attend avec intérêt le verdict du gouvernement de notre pays et, en particulier, celui du secrétaire général à l’Aviation Civile, M. Jacques Boitreaud, qui, non sans courage, n’a pas hésité, dès son arrivée en fonctions, à revêtir la tenue de croisé pour partir en guerre contre ces hérétiques des temps modernes que l’on nomme les décibels et autres millibars.

Les équipements : un point noir.

Dans un tout autre domaine, il y a également lieu de manifester quelque inquiétude. Si en effet, au cours des phases prototypes, voire présérie, de Concorde, Français et Britanniques peuvent faire la part belle aux équipements développés dans les deux pays, on peut, en revanche, se demander si les efforts, à juste titre entrepris, seront en définitive couronnés de succès lors de la production de série de l’appareil.
A l’heure actuelle, on aurait grand tort d’afficher un optimisme béat. Il suffit de noter les tendances qui se dégagent des réunions du comité ”Mentzer », organisme chargé, on le sait, d’harmoniser les besoins en matière d’équipement et d’aménagement des Concorde qui ont fait l’objet d’options des compagnies pour évaluer la gravité du problème. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la désaffection dont vont probablement souffrir les équipements français et britanniques sur les Concorde de série.
Au nombre de ceux-ci figure, en bonne place, le fait que parmi les compagnies qui ont pris option sur Concorde se dégage une majorité américaine tout naturellement portée à préférer les équipements produits Outre-Atlantique ; il faut se garder d’ailleurs de voir, dans cette préférence, la manifestation de quelque sentiment anti-européen. Non, la vérité c’est que les transporteurs américains restent conscients de l’intérêt qu’il y a pour eux, à standardiser, chaque fois que l’opération est possible, les équipements de Concorde et des autres avions qui équiperont leur flotte au cours de la prochaine décennie (Boeing 747, SST, Airbus) ; et lorsque l’on songe que la plupart des compagnies européennes s’apprêtent, elles aussi, à recevoir la plupart de ces types d’avions.
En matière d’équipements franco-britanniques, il est donc clair que des difficultés sont à attendre et urgent que la coopération s’attache à les surmonter.

Sur le plan strictement français, il serait, enfin, extrêmement profitable aux équipements de notre pays de s’affirmer plus nettement sur les avions actuels des compagnies européennes, à commencer par les Boeing 707 d’Air France et les Douglas DC 8 de l’UTA, solution qui permettrait une conquête simultanée plus aisée des marchés constitués par les avions de demain. Et peut-être est-ce là une des tâches dévolue à notre gouvernement…
On le voit, les problèmes que pose la venue de Concorde ne sont pas simples à résoudre ; il appartenait à notre revue, à l’occasion de ce numéro spécial qu’elle consacre à l’appareil franco-britannique, de les aborder sans concessions. Il est donc d’autant plus agréable de souligner que, toutes ces difficultés surmontées, c’est avec cinq ans d’avance sur le SST américain que Concorde doit apparaître sur les lignes internationales…


La partie consacrée à Concorde de ce numéro spécial a été réalisé par Aviation Magazine et Flying Review International, dans le cadre de la coopération rédactionnelle qui s’est instituée depuis plus de quatre ans entre ces deux revues et Aérospazio, Aviation et Astronautique et Wehr und Wirtschaff. Les textes sont dus à Jacques Gambu, Pierre Condom et, pour la partie moteurs Gordon Swanborough. Nous remercions tous ceux, constructeurs et services officiels qui ont permis la réalisation de ce numéro.


La collaboration franco-britannique et genèse de Concorde.

Opération sans précédent, le développement de Concorde revêt plus d’un aspect caractéristique et fait date en plus d’un point.
C’est, en effet, la première fois qu’un tel programme fait l’objet d’une collaboration totale entre deux industries nationales. Le résultat de ces travaux constitue le premier développement d’un avion de transport supersonique. Ce développement a provoqué l’élaboration de normes et de règlements nouveaux quant à la construction, à l’emploi et à la sécurité.

Il est remarquable de noter que, à peine quinze ans après que les techniciens du monde entier aient métrisé le vol supersonique à l’aide d’avions militaires, le plus souvent monoplaces, ce vol supersonique soit mis à la disposition des avions, dont le premier est Concorde, offrant à plus de cent personnes ce qui était l’apanage, à chaque vol, d’un seul pilote confirmé, construit à coups de millions et disposant de moyens de sécurité qui seront toujours inconnus du passager civil.
Celui-ci ne sera pas assis dans un siège éjectable, il ne commandera pas le conditionnement de sa cabine, il n’aura pas le visage affligé du groin des chasseurs, avec oxygène et micro. Il respirera comme tout le monde et pourra parler à son voisin sans difficulté. Et puis, il aura au moins une hôtesse de l’air à sa disposition…
C’est à ses aspects d’un progrès foudroyant que l’on mesure l’importance de l’opération “Concorde” et sa portée universelle et historique…
Le signataire rougit à la pensée que son article paru il y a quatre ans à peine fera sourire, dans quatre ans également, les milliers de passagers qui, eux aussi, auront volé à Mach 2 et plus au cours d’un voyage plein d’agréments…

Un calendrier significatif. Une collaboration sans précédent.

Des recherches presque parallèles, une conjonction idéale, une rencontre naturelle, une communauté d’intérêts, des accords signés et respectés contre vents et marées, une continuité dans l’effort, une récompense qui sera partagée, une date historique qui sera portée au crédit de deux grandes nations européennes, voilà ce que représente l’opération “Concorde”.
Sans remonter aux origines plus ou moins obscures des premiers vols à Mach 2, c’est en 1956 qu’il faut trouver les véritables sources du programme. Cette année 1956 vit, en effet, les services officiels français penser à l’élaboration de programmes d’avion de transport supersonique. C’est aussi en 1956 que le gouvernement britannique devient le prometteur d’un Comité d’études chargé de déterminer la forme à donner à un avion SST d’évaluer l’importance des moyens à mettre en oeuvre pour parvenir à son élaboration.
Trois années s’écoulent. En 1959, la France demande à Sud Aviation, Nord Aviation et Dassault de préparer un avant projet de SST (Supersonic Transport ou ATS, avion de transport supersonique, en français). L’avion sera moyen-courrier et devra croiser à Mach 2,2.
La même année, première coïncidence, le Comité britannique installé depuis trois ans propose, lui, l’étude d’un SST long-courrier volant à Mach 2,2.
En 1960, alors que la division Bristol a développé son avant-projet BAC 223, le gouvernement britannique passe contrat à la BAC pour l’établissement d’un avant-projet. Le BAC 223 servira de base aux études.

En 1961, le mois d’octobre est celui qui voit le projet de Sud Aviation retenu officiellement. Un nom apparait “Super Caravelle” qui figurait sous la maquette présentée au salon du Bourget six mois auparavant. Les avions Marcel Dassault collaborent au projet.

Le 18 décembre 1961, Sud Aviation divulguait cette photo du premier projet de transport supersonique, la « Super Caravelle”. Le premier dessin franco-anglais présentait quelques différences avec la ”Super Caravelle ». Le nez est maintenant plongeant.
Avec les moustaches et les aérofreins arrière, la version prototype annonce la présérie décrite dans les pages suivantes.

Au début de 1962, on fait les comptes. L’opération va coûter très cher. Comme le voisin d’Outre-Manche aux mêmes conclusions, et comme les études aboutissent à un projet présentant de fortes similitudes, l’idée vient que si l’on se mettait à deux pour tenter l’aventure, celle-ci serait à la portée des ministres des Finances des deux pays Sud Aviation – Dassault à l’échelon des entreprises, contact avec British Aircraft Corporation
L’affaire intéresse tout le monde. Comme il faut des moteurs, les voilà quatre dans le coup. Et, juste avant les gouvernements, les constructeurs se mettent d’accord.
Le 25 octobre 1962, BAC et Sud Aviation signent un accord portant sur la cellule et les équipements du futur avion.
Le 28 novembre, ce sont les motoristes qui en font autant, Bristol Siddeley pour l’Angleterre et la SNECMA pour la France.
Le lendemain, l’accord global est signé à l’échelon des gouvernements. Le feu vert est donné. L’accord est signé par M Jouffroy de Courcel, ambassadeur de France, et M. Julian Amery, ministre de l’aviation du Royaume-Uni.
Le 7 décembre suivant, le Comité des directeurs de Sud Aviation et de la BAC se réunissait pour la première fois. Il mettait au point les premières modalités de l’accord dont les points essentiels étaient – et sont toujours- un partage égal des travaux, des dépenses et des profils à venir. On sait aussi que l’avion projeté doit pouvoir aller de Paris et à plus forte raison de Londres à New York à la vitesse de croisière de Mach 2,2.
Les travaux prirent une tournure plus précise, plus orienté. On savait ce que l’on voulait et comment obtenir un résultat. L’avion prend le nom de “Concorde” en France, “Concord” en Angleterre. Le nom est lancé, il fournit un titre à la plus grande entreprise jamais conduite en aéronautique. Le “e” final viendra plus tard.

Les deux comités des directeurs, à présidence tournantes, se mettent au travail. Les techniciens suivent le mouvement, après l’avoir précédé de façon non officielle depuis deux ans. Les choses se précipitent. Les difficultés sont surmontées à mesure qu’elles se présentent plus ou moins rapidement, mais toujours efficacement. Avionneurs et motoristes travaillent. Et les dates s’accumulent, qui marquent chacune un progrès dans le développement
Inquiète, la grande compagnie américaine Pan American prend les devants sur les collègues du monde entier, hors la France et l’Angleterre directement concernées. Première à commander des jets subsoniques, elle poursuit sa politique audacieuse mais payante et, le 3 juin 1963, elle prend option sur six Concorde

L’affaire est bien lancée. Elle devient irréversible. En février 1964, une première maquette grandeur en bois est construite à Toulouse, afin d’y positionner les équipements. Ces équipements qui ne vont pas tarder à provoquer des modifications. Les compagnies se présentent et, elles aussi, au fil des années, vont demander toujours plus de l’avion. Celui-ci est modifié, amélioré à mesure. Il grossit inévitablement. Les moteurs suivent.
Le 1er mai 1964, le BAC 221 effectue ses premiers vols. C’est une cellule de Fairey FD-2 dotée d’une voilure delta évolutive, véritable maquette volante aérodynamique de Concorde qui étudiera les caractéristiques de vol à basse vitesse. En juin 1964, les premières pièces d’essais sont usinées et testées en laboratoire, en France comme en Angleterre. C’est le début d’une phénoménale série d’essais statiques et de fatigue, allant du métal lui-même, à l’éprouvette de principe, à la pièce primaire, aux premiers ensembles structuraux et aux éléments d’avions complets.
En juillet 1964, Bristol Siddeley fait tourner l’Olympus 593D, correspondant à la première définition de Concorde. Ce n’est qu’un premier pas et l’on passera rapidement au type 593B (B pour Big, gros) qui deviendra l’actuel Olympus 593 tout court.

Le 3 août 1964, le CEAT de Toulouse, qui n’était encore que l’EAT, reçoit sa première éprouvette comprenant un tronçon de fuselage et une attache de voilure, aux fins d’essais thermiques. Car le Concorde est un avion chaud, comme beaucoup d’autres, mais qui restera chaud longtemps à chaque vol. En 1964, il faut traiter un problème important : faire en sorte que Concorde obtienne pendant quelques heures ce que les chasseurs ne connaissent que pendant quelques minutes, et ceci avec une bonne centaine de passagers à bord. Et ceci pendant au moins 30.000 heures sur les 45.000 que l’on veut obtenir de la vie de l’avion. Une véritable gageure en 1964.

A gauche, dans une des souffleries du CEAT de Toulouse, une maquette de Concorde est en essai dans des conditions de vol subsonique. A droite, l’ONERA participe également aux essais en soufflerie. Voici une visualisation ”fixée » au droit du bord de fuite à l’atterrissage.
Du 18 au 26 mai 1965, un premier symposium réunit, à Bristol et à Toulouse, des experts des compagnies ariennes américaines, australiennes, indiennes, du Moyen-Orient et, bien entendu, de France et d’Angleterre. Tous sont tenus au courant de l’avancement des travaux. Si les deux prototypes sont figés dans leur définition, les exemplaires de présérie seront améliorés. Le fuselage est allongé de 2 mètres, mais l’allongement de la cabine atteint 5,90 mètres. Pour le fuselage, 1,10 mètre vers l’avant et 0,90 mètre à la pointe arrière. Pour la cabine recul de la cloison arrière de pressurisation de 4,80 mètres. Nous voici reportés bien au-delà du bord de fuite de l’aile et, ainsi la grande porte ventrale, type « Caravelle”, est remplacée par deux portes latérales. Voilà qui satisfait quelques normes de la FAA américaine.

Le 2 avril 1965, les pilotes Leprince-Ringuet et Coureau font voler un Mirage IIIB très spécial. A caractéristiques variables, cet avion est un véritable simulateur volant de Concorde, avec lequel d’importants problèmes seront défrichés.
En avril 1965, les premières pièces primaires du prototype 001 étaient usinées à Toulouse.
En octobre, on passait des pièces primaires aux assemblages structuraux et, à Toulouse-Saint-Martin, le premier tronçon du prototype 001 était attaqué sur son bâti.
Du côté des moteurs, cal n’allait pas trop mal non plus. Le 1er novembre 1965, soit trois semaines avant le délai contractuel, le premier réacteur Olympus 593B était mis en place sur son banc d’essais. Douze jours plus tard, il développait 14.970 kgp, la plus forte poussée jamais enregistrée en Europe. Le 31 décembre, soit quelques heures avant le réveillon de la Saint-Sylvestre, la poussée atteignait 16.782 kgp avec une réchauffe de 14%, concrétisant alors les efforts conjugués de Bristol Siddeley pour le générateur de gaz et de la SNECMA pour le canal de sortie et la réchauffe. Un beau cadeau aux avionneurs à l’entrée de l’année 1966…
En juin 1966, la SNECMA essayait l’ensemble du canal d’éjection dont elle a la charge dans son grand banc ”Concorde » de Melun-Villaroche.

Le mois d’août, mois de vacances et des transhumances saisonnières, est aussi celui des transferts d’éléments de Concorde. Le 22, des éléments français vont se fixer à Filton et d’autres anglais, s’arrêtent à Toulouse. Même le 26 puis le 31, si bien que les deux prototypes prennent forme petit à petit.
Le 9 septembre 1966, c’est le réacteur « Olympus 593”, qui est essayé en vol pour la première fois. Monté sur le ventre d’un bombardier “Vulcan”, l’ensemble complet vole pour la première fois. Le plafond et le Mach limite de l’appareil permettront d’explorer tout le domaine de vol subsonique de Concorde et de connaître le comportement du réacteur et de ses annexes amont et aval. C’est également en septembre 1966 qu’une nouvelle visière est retenue pour les exemplaires de présérie et de série. On en parle plus loin en détail.
L’année 1967 est là. Le 14 janvier, le fuselage complété du 001 est soumis à un premier essai de surpression. Un incident survient à la porte d’évacuation de l’équipage. Cependant que les éléments continuent d’arriver, un second essai est entrepris le 4 février. Cette fois, tout se passe bien. Alors que la pression normale est de 773 millibars, la cabine tient une pression de 1040 mb pendant 20 minutes, puis 1117 mb pendant 15 secondes.
Le 4 mars 1967, l’avion 001 est mis sur vérins, en position haute, afin de recevoir son atterrisseur. Les nacelles-réacteurs sont également montées et, le 13 mars, les essais d’étanchéité des réservoirs donnent satisfaction. Le 14 avril, le nez basculant arrive d’Angleterre. Trois jours plus tard, il est ajusté sur l’avion.

Finalement le 3 novembre 1967, l’avion quittait son hall de montage et passait, de l’autre côté de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, au hangar des essais en vol.
Extérieurement complété, Concorde 001 était présenté officiellement le 11 décembre suivant, en présence des ministres, officiels, représentants et ingénieurs des deux pays.
Puis, tout rentrait dans l’ombre du grand hangar où l’on préparait l’avion. Le 28 février, date prévue du premier vol, passait sans qu’il se passe quoi que ce soit, mais la conclusion d’une opération de l’ampleur et de l’importance de celle de Concorde pouvait expliquer ce qu’aucuns appelleront un retard et ce que les personnes averties appelleront une ultime mise au point et le respect d’un programme devant amener l’avion aux essais en vol seulement lorsque tout aura été réuni pour les permettre. En tout, il est préférable de suivre un programme qu’un calendrier…

Des milliers d’heures d’essais.

Les problèmes qui se sont posés et qui se posent encore aux ingénieurs et aux techniciens qui participent à un titre ou à un autre à la réalisation du projet “Concorde” sont tellement nombreux et de nature si diverses que le fil qui les rassemble est devenu peu à peu presque invisible. Entre les performances choisies et les difficultés qui ont surgi depuis 1962, il existe cependant un enchaînement logique et des liens réciproques qui font qu’il s’agit d’un tout cohérent.
Le choix de la vitesse de croisière, bien qu’il ait déjà été déterminé non seulement en fonction de données économiques mais aussi techniques, peut être considéré comme étant à la base de tous les problèmes soulevés tant par la réalisation de la structure que par celle que par celle des propulseurs ou des systèmes. En effet,si, pour des raisons de rendement, que nous analyserons plus loin, il était indispensable de choisir une vitesse de croisière nettement supérieure à celle des appareils commerciaux actuellement en service, c’est-à-dire avoisinant ou dépassant Mach 2, réciproquement cette vitesse a imposé un environnement entièrement nouveau pour un avion commercial.
La conséquence la plus connue du vol à grande vitesse est certainement l’échauffement dû à la recompression adiabatique à l’impact de l’air sur l’avion et au frottement de l’air sur la surface mouillée de l’avion, mais elle n’est pas seule. La vitesse est le facteur essentiel du choix de la formule aérodynamique, c’est également le principal élément de définition du groupe motopropulseur. C’est encore la vitesse qui impose pratiquement le profil des vols et l’altitude de croisière. Or, ces conséquences directes du choix de la vitesse d’exploitation entraînent à leur tour de nombreuses conséquences qui n’ont de secondaires que le nom. L’aile “delta” a amené la géométrie variable de la pointe avant, les moteurs sont restés classiques dans leur conception mais des entrées d’air à configurations multiples se sont révélées indispensables. Cependant, c’est dans la conception des structures et des systèmes que l’influence de l’environnement supersonique de Concorde s’est fait le plus sentir.

L’échauffement cinétique, s’il pose naturellement quelques problèmes de revêtement en raison des températures parfois très élevées auxquelles il est porté, influe sur une foule d’autres facteurs dont on oublie bien souvent de fixer l’importance. Le conditionnement, par exemple, est rendu extrêmement ardu et sa solution est réellement une performance lorsqu’on sait qu’à Mach 2, à l’altitude de croisière normale, l’air extérieur capté par une prise dynamique passe brutalement de – 56°C à 150°C ! Le problème de la chaleur a imposé aussi des études poussées pour assurer le bon fonctionnement des systèmes hydrauliques. La nature même du turboréacteur à utiliser a été déterminée par des considérations du même ordre après des essais. Le vol supersonique est également responsable du déplacement du centre de pression de l’appareil en cours de vol et du rôle de lest qui a été imparti pour la première fois au carburant pour combattre ce déplacement.
L’altitude imposée par le choix de la vitesse en fonction du rendement général de l’appareil, si elle limite dans une certaine mesure les effets de l’échauffement cinétique puisque l’air extérieur à l’altitude de croisière possède en général une température de l’ordre de – 50°C à – 60°C, a posé par contre de nombreuses questions nouvelles ; risque d’ébullition du carburant, absence de données météorologiques, radiations cosmiques, présence d’ozone, apparition d’étincelles aux connections, etc.
Il faut encore signaler que l’environnement supersonique de Concorde est responsable du choix des équipements de navigation et a présidé à la conception des ensembles de contrôle de vol.

Diversité des problèmes, diversité des solutions, mais un tout cohérent : le premier Mach 2 commercial Concorde qui mettra l’Europe pour la première fois depuis la guerre, en position de pionnier…
Toute invention humaine, qu’elle soit l’oeuvre d’un seul cerveau ou le fruit d’un bureau d’études complet, réclame la sanction des essais avant que puissent s’affirmer sa valeur et son utilité. Sans les essais, partiels, d’ensembles, simulés, etc., une invention n’est qu’une spéculation technique. Dans le cas de Concorde, cette vérité première et cent fois vérifiée revêt un aspect fondamental.
En effet, alors que le progrès aéronautique n’est fait, le plus souvent, que d’évolutions successives, il faut se rendre compte que l’opération “Concorde” ne constitue pas une étape comme les autres dans l’évolution générale de la technologie, mais bien une révolution, tant le pas franchi est grand.
D’où une somme de précautions devant précéder l’élaboration de l’avion lui-même. Précautions qui se traduisent par un ensemble d’essais aux mille aspects divers. L’avion est chaud et haut, il doit être sûr et d’une grande longévité. Pour parvenir à satisfaire à tous ces impératifs, d’énormes moyens d’essais ont dù être mis en place, tant en France qu’en Angleterre. Parfois même ailleurs, puisque le seul exemple des essais aérodynamiques nous apprend que plus de cinquante souffleries ont travaillé et travaillent encore pour “Concorde” en France, en Angleterre, mais aussi en Hollande.

Si les problèmes aérodynamiques sont relativement aisés à maitriser, ceux de la résistance des matériaux, de la structure entière, des équipements, etc, sont plus ardus, parce que nouveaux.
En résumé, il fallait aboutir à un avion capable de réaliser, pendant près de la moitié des 45.000 heures de sa vie projetée, ce que font les avions militaires de pointe pendant quelques centaines d’heures durant toute leur carrière…

Le choix d’un matériau.

Jusqu’à Mach 2,2 un avion de transport supersonique peut faire appel, pour sa construction, à un alliage d’aluminium.
Connu déjà depuis longtemps mais utilisé surtout par les motoristes pour certaines pièces de réacteur, l’alliage AU2GN dont le correspondant anglais est le Hiduminium RR-58, à fait l’objet d’un programme d’essais intensifs conduits en France par les laboratoires de métallurgie des firmes Pechiney, Cégédur, Sud Aviation et de l’ONERA. Ces tests, qui durèrent cinq ans, permirent d’affirmer que l’AU2GN présentait d’excellentes caractéristiques mécaniques en températures. Celles-ci ne sont altérées après un vieillissement de 30.000 heures à 130°C. Dans ces mêmes conditions de durée et de chauffage, son fluage est pratiquement nul sous les contraintes de vol du genre de celles prévues pour Concorde. Enfin, sa tenue en fatigue n’est pas affectée jusqu’à 150°C.
Restait aux métallurgistes à le proposer à l’avionneur sous forme utilisable. En fait, l’effort industriel a permis d’offrir des tôles épaisses allant de 6 mm à 18 cm d’épaisseur et ayant jusqu’à 3,20 mètres de large. De même, des pièces coulées, forgées, des profilés étirés furent rapidement disponibles.
L’alliage AU2GN comprend, selon ses teneurs minimales et maximales, en métaux d’apport, entre 95,87% et 91,85% d’aluminium. Les apports communs aux deux alliages extrêmes sont le cuivre (1,8 et 2,7%), le magnésium (1,2 et 1,8%), le silicium (0,15 et 0,25%, le fer (0,9 et 1,4%) et le nickel (0,8 et 1,4%).

L’alliage contenant le moins d’aluminium comporte encore 0,2% de manganèse, 0,1% de zinc, 0,05% de plomb, autant d’étain et 0,2 % de titane.

Dans un des laboratoires de la BAC, à Filton, on a effectué des essais de fluage de l’Hiduminium RR-58 (AU2GN en France). La flèche : un caisson dans lequel baigne une éprouvette.
Signalons, en passant, que la construction de Concorde fait également appel à des alliages d’aluminium plus classiques dans certaines parties non sollicitées par la température ou par les efforts à tenir, et que l’acier et le titane ne sont présents que dans quelques éléments de l’installation motrice, des gouvernes et du train d’atterrissage.
La conception structurale de l’avion, compte tenu des contraintes thermiques qu’il devra subir, repose sur l’emploi du maximum de pièces usinées rendues déformables par une forme dite alvéolée. On utilise également des structures triangulaires à membrures articulées et d’autres usinées avec de larges ouvertures, représentant une sorte de treillis dans la masse. De plus, on a cherché à utiliser les pièces les plus grandes possibles, de façon à réduire au maximum les points d’assemblage. Ceci, allié à la recherche du plus grand nombre de pièces usinées, aboutit à l’obtention de pièces de plus de 7 mètres d’un seul tenant, telles que les panneaux de revêtement de l’aile. Enfin, l’usinage a permis d’abaisser de 20% la masse de structure par rapport à une construction classique, et les opérations d’usinage ont imposé des machines-outils importantes, très précises et à commande numérique. Le temps gagné en supprimant en grande partie les opérations d’assemblage vient compenser largement la perte de matière résultant de l’usinage. Cette perte est spectaculaire si l’on songe qu’une pièce finie arrive à peser de 10 à 12 fois moins que son ébauche…

De l’éprouvette à l’avion entier

Les métallurgistes ayant obtenu la matière première satisfaisante, les techniciens chargés d’étudier les structures se mirent à l’ouvrage. Le programme commença par l’essai de petites éprouvettes soumises aux efforts de traction, en condition de température. Il finira, dans cinq ans environ, avant la fin des essais statiques et de fatigue conduits sur l’avion entier.
Rappelons que si chaque associé – Sud Aviation et BAC – a la charge des essais statiques et de fatigue des éléments d’avion qu’il fournit, les tests complets effectués sur l’avion entier doivent être menés en France en ce qui concerne les essais statiques et en Angleterre pour les essais de fatigue.
L’année prochaine, le programme des essais structuraux de Concorde absorbera 60% des charges de travail du Centre d’Essais Aéronautiques de Toulouse.
Si les premiers tronçons-éprouvettes de fuselage ont été essayés dans les installations existantes du CEAT, les grands ensembles nécessitaient la construction d’un hall spécial qui recevrait également l’avion complet aux fins d’essais statiques.

A gauche : dans un caisson thermique, un élément de la voilure de Concorde, un longeron en l’occurrence, subit des tests de vieillissement. A droite : Cette console de plancher de cabine usinée sur une machine à commande numérique Gramic-Ferranti pèse 10 fois moins que son ébauche.
En novembre 1963, commençait l’étude d’un ensemble de bâtiments devant être érigé à l’Hers, annexe importante située à quelques kilomètres du centre proprement dit. En fait, nous trouvons à l’Hers les nouvelles installations consacrées au “Groupe Structure Concorde”.
Le hall principal offre une longueur de 68 mètres, une largeur de 51 mètres et une hauteur de 28 mètres. Sur le sol bétonné, d’une épaisseur de 80 centimètres, on a tracé la place qu’occupera la cellule entière de “Concorde” lorsque seront entrepris les essais statiques complets.
C’est en juin 1966 que les premiers essais statiques partiels étaient entrepris, les essais de fatigue suivant en septembre 1967. Les trois tronçons actuellement en essais semblent un peu perdu dans ce hall immense, mais l’utilité de ces tests n’est pas contestable. Ils consistent non seulement à reproduire les conditions de température rencontrées à chaque phase de vol, mais aussi à appliquer les charges aérodynamiques encaissées.

A gauche : au CEAT de Toulouse, un tronçon de fuselage est soumis aux essais de fatigue. La pièce est devenue un ensemble structural complet. A droite : dans un autre hall du CEAT, le train principal est soumis aux divers efforts qu’il rencontrera dans les conditions réelles d’emploi.
Pour chauffer une éprouvette, puis la refroidir, des sources de température et de froid importantes ont dû être installées. A l’Hers, lorsque le programme tournera à plein, avec l’avion complet installé, c’est une puissance de 30.000 kW qui sera nécessaire. Pour refroidir la structure, un seul essai imposera l’emploi de 30.000 litres d’azote liquide abaissant la température de l’écoulement d’air léchant les parois de l’avion. De plus, les essais comporteront, bien entendu, la pressurisation du fuselage, sa climatisation, la mise en pression des réservoirs et la circulation du combustible froid et chaud, se combustible servant, ainsi qu’on le sait, d’élément de transfert de chaleur.

Dans le grand hall de l’Hers du CEAT abrite deux bâtis d’essais de fatigue. A gauche : un élément de fuselage et sa portion d’aile dans leur chambre chaude. A droite : la partie du fuselage et de la voilure contenant le train d’atterrissage dans son grand bâti. Les ventilateurs assurent le refroidissement de toute la structure.
Pour conduire un essai, sa programmation et ses mesures, une section spéciale a été installée avec l’emploi d’un calculateur numérique “Pallas” permettant l’exécution de l’essai à partir d’un programme mis en mémoire sur bande magnétique rapide. Pour situer l’importance des moyens de mesure et leur rapidité, soulignons qu’une éprouvette comportant 5,50 mètres de fuselage et 20,50 mètres de voilure d’un seul tenant est capable de recevoir jusqu’à 5000 capteurs (extensomètres, thermocouples, etc.) et que dix secondes suffisent pour recueillir les informations fournies par 2000 de ces capteurs…

Le laboratoire de Blagnac.

La chose est classique. Tous les avions modernes faisant appel largement aux énergies hydraulique et électrique, voire pneumatique, pour le bon fonctionnement des équipements dont l’importance prend maintenant le pas sur la cellule seule, exigent que ces sources d’énergie et ces équipements soient essayés séparément avant le premier vol, puis subissent des tests de fatigue garantissant la suite des vols et même la vie entière de l’avion.

Dans le cas de Concorde, le classique prend d’autres dimensions. L’avion est supersonique, il est chaud, il doit vivre 45.000 heures. Cela impose des précautions bien compréhensibles au stade des essais préliminaires et, partant, des installations dont les frais d’investissement sont finalement amortis par la vie de l’avion, même si cette considération n’apparait pas sur les livres comptables…
A Toulouse-Blagnac, Sud Aviation a donc construit un hall spécial, long de 87 mètres, large de 47,10 mètres et dont la hauteur varie de 10,50 à 15,50 mètres.

En haut : deux aspects du banc hydraulique. Les éléments du train sont enfouis dans une fosse. Le bâti pyramidal représente la dérive.
Ce hall abrite un banc d’essai dans lequel toutes les commandes et gouvernes de vol sont installées exactement à la place qu’elles occupent dans l’avion. De plus, les systèmes électriques de sollicitation des commandes hydrauliques sont également en place de façon absolument fidèle, les circuits de conditionnement d’air, l’ensemble du train d’atterrissage débattant dans les fosses creusées à cet effet, etc., tout ce qui vit dans l’avion est reproduit.
Les longueurs de câbles et de circuits sont reproduites ainsi que leur cheminement à travers la structure de l’avion. Leurs supports sont les mêmes. Enfin, toutes les parties chaudes sont reproduites. Tout cet ensemble est chapeauté par le simulateur de vol dont nous parlons par ailleurs et qui est déjà, dans une certaine mesure, connecté au banc. Dans le hall, on trouve encore des bureaux d’études, des salles de dépouillement des essais, des ateliers, une chambre climatisée et divers laboratoires de recherches.
Le rôle du laboratoire est complexe et complet. Chaque pièce, chaque circuit, chaque vérin, etc., est essayé séparément avant d’être monté sur le banc d’ensemble. Cette phase est maintenant déterminée depuis longtemps, mais de semblables opérations peuvent avoir et ont déjà eu lieu. En effet, les essais peuvent faire apparaître l’opportunité de modifications qui sont alors apportées, essayées sur le banc et, finalement, reportées sur avion. Une telle procédure permettra d’alléger le programme des essais en vol en précédant celui-ci. De même les pannes simulées possibles sont examinées au banc, ce qui permet de prévoir les procédures de secours, d’en apprécier l’efficacité et de confirmer les études techniques.
Bien entendu, l’absence des réacteurs a imposé la présence de moteurs électriques au niveau de leurs relais d’accessoires. Ces moteurs restituent les conditions de fonctionnement des réacteurs dans tous les cas de vol. Depuis les moteurs électriques, tout le reste de l’équipement est identique à celui monté sur avion, pompes, alternateurs, etc.
Tous les équipements ont subi, sur ce banc, les essais d’endurance de 1000 heures devant précéder le premier vol du prototype. Quant aux essais de fatigue qui se poursuivent, ils ne se termineront qu’après 24.000 vols simulés représentant 45.000 heures.
Le temps de contrôle après vol et de dépouillement des essais est parfois plus long que celui des essais eux-mêmes, malgré la disposition de nombreux moyens d’enregistrement. Ces enregistrements concernent l’échauffement, les variations de pression et le contrôle des déplacements, le tout en fonction du temps. Les enregistreurs, à haute précision et grande fidélité, sont à déroulement continu et développement instantané permettant la lecture directe. Reste, alors, l’exploitation de ces enregistrements.

Les quatre moteurs fournissant la puissance au banc et remplaçant les quatre réacteurs sont des triphasés 220 vols 50 périodes fonctionnant sur le secteur. Leurs sorties représentent exactement les puissances et régimes à l’entrée des pompes hydrauliques et des alternateurs, qui sont des pièces avion. Ils sont commandés par les manettes réacteurs du poste de pilotage installé à sa place sur le banc, et peuvent l’être également depuis le simulateur.
Les moteurs tournent à des régimes pouvant osciller de 0 à 1500 tr/mn donnant, à leurs sorties, des régimes de 1340 à 5000 tr/mn correspondant à ceux d’entraînement des accessoires. Chaque moteur comporte deux sorties d’une puissance de 100 ch et une troisième de 80 ch. Deux moteurs entraînant normalement deux pompes hydrauliques et les deux autres une seule, ce qui laisse deux sorties disponibles ou de réserve.
La configuration du banc actuel est celle du prototype 001. Peu de modifications seront nécessaires pour parvenir à la définition série autorisant la certification.
Fonctionnant jour et nuit – ainsi d’ailleurs que les caissons d’essais d’endurance thermique d’éléments de structure se trouvant dans le hall – le banc d’essais et d’endurance hydraulique doit impérativement avait totalisé les 45.000 heures d’essais simulés avant la date prévue de la certification de Concorde, soit dans le courant du mois de juin 1971.
Le programme des essais, après avoir totalisé les mille heures conditionnant l’autorisation de vol, sera toujours en avance sur les essais en vol, de façon à pouvoir débloquer chaque nouvelle tranche d’essais dès que la précédente est complétée.

La propulsion, autre exemple brillant de la coopération.

Dans l’ensemble de la coopération franco-anglaise ayant abouti à l’avion Concorde, un des exemples les plus brillants de cette coopération est le développement de son système de propulsion. Voilà qui contredit l’impression acquise trop facilement par les détracteurs de l’opération “Concorde”.
En effet, alors que le réacteur choisi, le Bristol Siddeley Olympus 593, dérivé d’une longue série de moteurs ayant existé bien avant que Concorde ne soit lancé, alors que l’on pouvait s’attendre à une maitrise d’oeuvre totale s’attendre à une maitrise d’oeuvre totale du côté anglais, l’opération se trouve scindée en deux grands départements : le générateur de gaz sera anglais et les systèmes de sortie français
Coupe d’une nacelle réacteur – Stade prototype. 1. Tuyère d’air secondaire ; 2. Porte d’air tertiaire ; 3. Echangeur de chaleur moteur ; 4. Conditionnement d’air de l’échangeur de chaleur ; 5. Volet d’air ambiant ; 6. Volet d’admission d’air ; 7. Porte anti-feu ; 8. Volet d’air secondaire ; 9. Rampe mobile arrière ; 10. Rampe mobile avant ; 11. Porte basculante à clapets ; 12. Volet de refroidissement échangeur de chaleur ; 13. Volet de refroidissement, compartiment moteur ; 14. Pörte d’échappement du groupe de démarrage ; 15. Porte d’évacuation d’air secondaire ; 16. Tuyère d’air primaire ; 17. Déviateur de jet.

En fait, le programme propulseur consiste en une organisation de développement unique, mais dont les deux têtes, se trouvent de chaque côté de la Manche. On attendait des problèmes de langage, d’autres de la dispersion des centres industriels et d’essais, d’autres encore dus à la philosophie de conception, d’autres enfin provoqués par la différence des systèmes de mesures. Tous ces problèmes, qui se présentaient en fait, ont été surmontés et ceci est à porter au crédit des deux contractants.

Division du travail.

L’accord inter-gouvernemental franco-britannique, qui couvre non seulement la phase de développement, mais aussi la mise en production et la mise en service de l’appareil, a donné à Bristol Siddeley une totale autorité sur le générateur de gaz, de son entrée d’air à la sortie des turbines, la responsabilité de la SNECMA s’attachant à un ensemble du système d’éjection. La BAC, de son côté est responsable des entrées d’air et des nacelles-moteurs.
Le système d’éjection comprend la sortie turbines, la réchauffe, une première tuyère à section variable, l’inverseur de poussée, un silencieux à obstacles rétractables et la tuyère d’éjection à col convergent-divergent. De plus la SNECMA a en charge l’alimentation en combustible du système de réchauffe et sa régulation. Les heures d’essais sont partagées à raison de 60% pour l’Angleterre et 40% pour la France.
Enfin, puisque le système d’éjection constitue une part moins importante que l’ensemble du générateur de gaz, la SNECMA construit des éléments de ce générateur. Ceci égalise les coûts globaux des travaux entre la France et la Grande-Bretagne et empêche ainsi tout échange d’argent entre les deux pays, chose importante qui figurait dans l’accord inter-gouvernemental.

Pour la même raison, d’ailleurs, un arrangement similaire a été mis sur pied au niveau de la cellule et c’est ainsi qu’inversement la BAC construit des éléments de structure conçus par Sud Aviation.
En sélectionnant la part dévolue à la SNECMA, on a reconnu la capacité de cette firme dans la fabrication de composants utilisant des tôles métalliques. C’est ainsi que l’entrée d’air et ses vannes directrices, le carter de la chambre de combustion, celui de sortie et le cône terminal ont été choisis, ainsi que le disque des étages de compression haute pression et leurs aubes de stator.

Parties arrière d’une tuyère. 1. Porte d’air tertiaire ; 2. Déviateur ; 3. Silencieux ; 4. Tuyère secondaire ; 5. Inverseur de poussée à coquilles et à grilles.
Ces pièces sont fabriquées en France, avec des matériaux français, et selon des dessins anglais, aux mesures converties en système métrique. Ces pièces sont ensuite réceptionnées et contrôlées par Bristol qui utilise les moyens de mesure anglais pour cela. Cette procédure n’a apporté aucun problème et a, par ailleurs, prouvé que les craintes de difficultés provenant d’une fabrication entre la France et l’Angleterre aux systèmes de mesures différents n’étaient absolument pas fondées.
Cette division du travail s’appliquera, plus tard, à la production de série du réacteur. A ce stade, la SNECMA entreprendra, en plus, l’assemblage final les essais et la livraison d’une partie de ces moteurs.

Le programme de développement.

En tout, le programme de développement du moteur de Concorde comprendra de 28 à 30.000 heures d’essais au banc ou en vol, jusqu’en 1971, soit au moment où le certificat de navigabilité sera accordé et l’entrée en service acquise.
Ce programme est partagé entre la France et l’Angleterre. Il prévoit l’utilisation des installations d’essais de Bristol Engines Division de Rolls Royce (anciennement Bristol Siddeley) et celles du National Gas Turbine Establishment pour l’Angleterre, celles de la SNECMA de Melun Villaroche et du Centre d’Essais de Propulseurs (CEP) de Saclay pour la France.

Vue écorchée du réacteur BS Olympus 593 équipé du canal SNECMA d’éjection, de réchauffe et d’inversion de poussé. Les éléments de silencieux rétractables ne sont pas ici visibles.
Les essais comprennent quatre grandes phases complémentaires. Essais au banc dans les conditions standard, essais avec conditions simulées en caisson, essais sur bancs volants et essais sur les prototypes et appareils de présérie. On va ainsi des tests purement techniques à ceux devant aboutir à la certification.
La division de ces essais est basée sur environ 12.000 heures au sol et en caisson de simulation d’altitude, et un minimum de 16.000 heures d’essais en vol, la plus grande partie de ces dernières étant effectuée sur les Concorde eux-mêmes. De plus, les essais au banc continueront après l’entrée en service commercial des avions, pour quelque 3000 heures, afin de compléter la première expérience acquise en service.

Un total de 17 moteurs de développement au banc est actuellement construit. Onze d’entre-eux sont déjà soumis aux essais et ont totalisé plus de 2500 heures de fonctionnement au banc – bien en avance sur le programme prévu – et près de cent heures en vol sur le “Vulcan” transformé à cet effet, en banc d’essais volant. Les six moteurs suivants seront progressivement mis à la disposition des installations d’essais pendant cette année.
De plus, quatre moteurs pour essais au point fixe et quatre autres pour essais en vol ont été livrés à Sud Aviation à Toulouse. D’autres sont prévus pour livraison pendant le mois en cours (mai 1968). 14 autres moteurs seront livrés en 1968.
Les premiers tours de l’Olympus 593B, maintenant plus simplement Olympus 593, eurent lieu en novembre 1965, soit un mois avant la date contractuelle. Ils succédaient à près de 16 mois d’essais au banc de deux réacteurs 593D, prévus à l’origine pour l’équipement du Concorde première manière.
Cette expérience initiale, qui comprenait des essais au sol derrière une entrée d’air grandeur construite en bois, a permis d’obtenir un ensemble de paramètres valables pour le moteur définitif sur un nombre important de points, en particulier le refroidissement par air des aubes de guidage de la turbine.

Essai de la réchauffe d’un Olympus 593 sur le banc à l’air libre de la SNECMA, à Melun-Villaroche. En raison du bruit, les essais ont lieu la nuit. La structure surmontant la tuyère est destinée à dévier le jet lorsque l’inverseur de poussée est mis en fonctionnement.
En développant un réacteur à double corps, et à cause du fait que les deux arbres sont concentriques, des difficultés apparurent dans la transmission des signaux électriques provenant des extensomètres fixés sur l’arbre interne, soit celui du mobile Haute Pression (HP). Le problème fut résolu en essayant isolément ce mobile et en le traitant comme un élément de générateur de gaz unique. Une expérience précieuse a été ainsi acquise en ce qui concerne les caractéristiques de vibration et les efforts encaissés par les disques et les pales du mobile et les remèdes ont été apportés quant aux résonnances possibles intervenant aux régimes de fonctionnement normal de ce mobile.

Installations d’essais.

Cinq bancs d’essais spéciaux sont utilisés à Bristol, trois à Melun-Villaroche et un à Saclay (CEP), ce dernier étant utilisé en liaison avec la SNECMA. Quatre bancs-caissons pour essais en altitude simulée sont employés également, soit deux au NGTE et deux au CEP.

La disposition prototype du volet de décharge intérieur d’entrée d’air, en configuration de décollage

La solution retenue pour la présérie et comportant des volets multiples incorporés

De plus, de nouveaux bancs d’essais seront construits, tant en France qu’en Angleterre, pour répondre à la demande croissante d’essais inhérente à la production de série et à la livraison des moteurs de production et de rechange, ceci à partir de l’année prochaine. Ces besoins seront partiellement couverts en adaptant des bancs d’essais existants aux puissances nouvelles.

Dans le caisson d’altitude du CEP de Saclay, un réacteur « Olympus” est équipé du canal d’éjection complet. On discerne les grilles fixes d’extrados du système d’inverseur de poussée, à l’extrême droite sur notre document.

A Bristol, deux des bancs d’essais les plus modernes ont été construits spécialement pour les essais de l’Olympus 593. Ils sont équipés pour permettre le fonctionnement des moteurs derrière une entrée d’air grandeur, ou avec un réchauffeur d’entrée.
Pour ce réchauffage, on utilise un Olympus 300. Cette installation permet de simuler, en température et en pression, la gamme complète des conditions de vol de Concorde jusqu’à Mach 2,2 et jusqu’à 18.300 mètres.
Cela parce que, en dépit de son enveloppe de vol très étendue, Concorde voit sa plage de pression d’entrée contenue entre 0,703 et 1,3 kg/cm2 seulement. En effet, la diminution de pression ambiante provenant de l’altitude élevée de croisière est compensée par l’accroissement de pression dynamique dû au nombre de Mach élevé de vol à cette altitude.

Sur la maquette de Concorde construite en Angleterre, le motoriste a montré les deux configurations du système d’inversion de poussée. La tuyère gauche est obturée par les deux coquilles interceptant le jet. A droite, la tuyère est absolument dégagée.
Un des deux bancs d’essais est également équipé pour permettre d’environner le réacteur d’une ambiance thermique correspondant à celle qu’il trouvera en vol, à l’intérieur de la nacelle-moteur, lorsque Concorde volera en régime supersonique. De même, le combustible admis dans le moteur en essais est pré-réchauffé. Enfin, une représentation fidèle de la nacelle-moteur permet au réacteur complètement équipé, comme lors de son montage sur avion, d’être essayé dans les conditions correctes de température.

Des enregistreurs et calculateurs digitaux, déjà montés sur les nouveaux bancs d’essais de Bristol et sur le “Vulcan” sont également montés sur les autres bancs d’essais. Ceci a permis d’accélérer la vitesse de dépouillement des essais et celle d’exploitation. Les résultats d’essais en vol du “Vulcan” et ceux des essais en caisson d’altitude sont intégrés afin de fournir une couverture complète du domaine de vol de Concorde. Dans la partis basse De ce domaine le “Vulcan” permet de réaliser des essais absolument réels du réacteur, y compris l’étude des caractéristiques d’emploi de la réchauffe depuis 297 km/h jusqu’à Mach 0,98. Pour la partie haute du domaine de vol, le grand banc d’essai du NGTE, qui est équipé pour les tests réels, mais sans réchauffe, derrière une entrée d’air grandeur à section variable identique à celle montée sur avion, permet d’explorer le domaine de Mach 1,8 à Mach 2,2.

C’est un bombardier Vulcan qui sert de banc d’essais en vol du réacteur Olympus. Le domaine de vol de l’avion permet d’explorer le comportement du réacteur dans tous les cas d’utilisation en régime subsonique, décollage, approche, etc.

Pour relier ces deux parties du domaine de vol, un autre banc d’essai du NGTE simule toutes les conditions de vol depuis le décollage jusqu’à Mach 2,2, mais avec le réacteur directement connecté à une alimentation d’air sans nacelle-amont. De son côté, le CEP de Saclay dispose de deux caissons d’altitude identiques, ce qui permet non seulement de comparer les résultats d’essais, mais aussi d’accroître les possibilités d’expérimentation.

Un des éléments d’essais est le banc du NGTE permettant les essais du réacteur sec dans des conditions réelles d’entrée d’air avec une entrée type “Concorde” soumise aux différentes conditions de pression, de débit d’air et d’évolutions d’ondes de choc. Le fonctionnement intégré, correct du système automatique de contrôle d’entrée d’air et celui du contrôle de la réchauffe ont été étudiés sous diverses conditions d’alimentation d’air, y compris dans le cas d’attaque oblique (vol dérapé) et dans celui d’un réallumage en vol.

Le premier prototype au cours d’un essai de réacteurs à Toulouse-Blagnac

Le second banc important du NGTE va recevoir bientôt une nacelle-moteur permettant les essais complets d’environnement en pression et température à l’extérieur de la dite nacelle et venant ainsi compléter les essais déjà entrepris avec le banc Bristol équipé d’un réacteur Olympus 300 dont nous avons parlé plus haut.
Ce banc a également entrepris des essais de comptabilité du moteur des sas en panneaux de nid d’abeille montés dans la manche d’entrée d’air. Différentes grilles de ce genre permettent de reproduire les conditions de distorsion de l’écoulement en amont du réacteur correspondant à divers régime de vols réels. Tous les exemplaires livrés actuellement ou en cours de livraison sont essayés de cette manière.

Les problèmes de liaisons.

Après une première tentative visant à employer des interprètes, dont les connaissances en matière de termes techniques firent rapidement défaut, les équipes d’ingénieurs ont acquis une expérience suffisante des habitudes relatives de chacun pour pouvoir discuter en direct. Bien que ce soit la responsabilité officielle de chaque équipe de comprendre le langage de l’autre équipe, et que l’intention soit de chaque équipe doive parler dans sa propre langue, en en est arrivé au point où les ingénieurs de Bristol parlent français pour être sûrs d’être compris. De même les ingénieurs de la SNECMA parlent anglais dans le même souci. D’ailleurs, des cours de langue étrangère ont été organisés par les deux sociétés pour parvenir à ce but.

Des réunions bimensuelles sont tenues alternativement à Bristol et à Villaroche, avec les ingénieurs responsables des deux firmes. Les problèmes de communications sont grandement facilités par un service trihebdomadaire dans les deus sens entre Orly et Lullsgate (Bristol) par Air France. Ce service est effectué par Bréguet “Deux Ponts” et intéresse, aussi bien les passagers que le fret. L’avion est capable d’emporter deux réacteurs complets ou leur équivalent de pièces.
Dans le programme d’essai de l’Olympus, Bristol et la SNECMA travaillent selon un calendrier commun et harmonieux entre le générateur de gaz et la section de sortie. La SNECMA dispose d’un réacteur en coupe et les liaisons trihebdomadaires d’Air France réduisent notablement les problèmes que pourraient poser la dispersion des centres d’essais. Bristol a délégué un détachement d’ingénieurs résidant à la SNECMA et vice versa.
Bien que les deux équipes soient en liaison téléphonique heure par heure, la transmission des résultats d’essais et l’intégration du programme de développement ont été grandement facilités par l’installation d’un réseau de télécommunications reliant Bristol, le NGTE, le CEP et la SNECMA et travaillant 24 heures sur 24 sur quatre voies. Grâce à ce réseau, les résultats d’essais sont directement et immédiatement disponibles pour tous les centres.

La liaison avec tous les clients de Concorde a été continue pour s’assurer que le réacteur et son installation sont bien étudiés et réalisés selon les standards souhaités par les compagnies aériennes. Des réunions régulières sont tenues, d’une part entre les constructeurs et la BOAC, Air France et la Pan American (un
triumvirat est connu dans ce contexte sous le sigle ABP), cependant que, d’autre part, un autre comité connu sous le nom de Comité ”Mentzer“, ou ”ASC Comite », groupe les acheteurs de l’avion. Ces réunions ont permis de réunir un cahier des charges commun et ont permis également d’apporter d’utiles modifications, importantes ou mineures, au moteur pendant son développement. On a donné une particulière importance à l’inclusion de facilités pour l’inspection interne des moteurs sur avion.

Support technique.

Une nouvelle firme franco-britannique, appelée CESO Limited, a été créée pour prendre en charge tous les problèmes d’après-vente de l’Olympus 593. Cette ”Concorde Engine Support Organisation“ a été créée pour éviter que les questions ou plaintes des compagnies puissent être communiquées à la légère, soit à la SNECMA, soit à Bristol. La CESO sera donc capable d’obtenir le support complet technique des deux constructeurs associés, et celui des services existants de Rolls Royce, Bristol et SNECMA, tout cet ensemble représentant sans doute le plus grand service d’après-vente dans le monde.*

Quelques détails.

Le réacteur Olympus 593 est un groupe double corps, simple flux, à taux de compression moyen et muni d’une réchauffe légère. Les compresseurs HP et BP ont chacun sept étages. Ils sont suivis d’une chambre de combustion annulaire comportant 8 tubes à flamme. Enfin, on trouve deux turbines HP et BP mono étages. Le canal arrière comprend successivement la section de réchauffe à une seule couronne, la tuyère primaire à section variable, l’inverseur de poussée à paupières et grilles de sorties d’intrados et d’extrados, le silencieux à obstacles escamotables et le convergent-divergent terminal.

Tous les ensembles mobiles de ce canal d’éjection sont actionnés par des commandes pneumatiques.
Au Stade ”0″, soit au moment de l’entrée en service de l’avion, la poussée au décollage 14.890 kgp plus 14% dus à la réchauffe.
Au Stade « 1”, soit deux ans après la mise en service, la poussée sera de 15.902 kgp plus 9% de réchauffe, seulement. Cette poussée sera obtenue simplement en poussant la manette des gaz plus loin.
Le potentiel de développement du moteur permettra d’atteindre jusqu’à 19.051 kgp plus 20% de réchauffe.
Voici encore quelques chiffres : débit d’air : 204 kg/sec. Taux de compression : 15/1. Longueur du générateur de gaz : 3,61 mètres. Longueur totale avec le canal d’éjection : 7,10 mètres. Poids approximatif : 2540 kg.

Ce que sera le premier Concorde de production

L’avion de transport supersonique BAC/Sud Aviation Concorde est un monoplan à voilure delta. La description est relative au modèle de présérie lequel diffère, par quelques détails, des deux prototypes actuels.

La voilure.

La voilure présente une envergure de 25,60 mètres pour une surface de 358,25 m2. Sa corde de référence atteint 27,66 mètres.
Les seuls éléments mobiles de l’aile sont les éléments articulés au bord de fuite et dont la surface totale est de 32 m2.
Une évolution judicieuse des profils à bord d’attaque cambré donne un aspect curieux à la voilure, vue de profil, mais répond aux nécessités aérodynamiques et de formes imposées par le domaine de vol de l’avion très étendu.
La structure de l’aile a été choisie afin d’obtenir une grande simplicité de réalisation des noeuds et jonctions, une efficacité de découpage de la fabrication et une précision de calculs de résistance.
L’ensemble du revêtement de l’aile est constitué de panneaux usinés à partir de plaques métalliques pré-tractionnées. Cette technique permet d’inclure, dans le raidissage du revêtement, les renforts d’encadrement de portes de visite et les surépaisseurs nécessaires à la pose des équipements. Cette structure intégrale fournit, à poids égal, une plus grande rigidité, une meilleure tenue des efforts locaux et des charges thermiques, qu’une structure classique qui serait, par ailleurs, très difficile à réaliser compte tenu de la faible épaisseur de l’aile.

De même, nervures et longerons sont traités soit en caisson, soit en treillis pour la plupart usinés et généralement évidés, de façon à permettre une excellente accessibilité interne de l’aile (réservoirs et équipements).

On peut scinder la voilure en cinq groupes structuraux. La voilure centrale vient de construction avec la partie correspondante du fuselage. Non démontable, elle transmet la plus grande partie des efforts aérodynamiques, ceux dus aux réacteurs, de même qu’elle encaisse les réactions de l’atterrisseur principal. On trouve six longerons dans la partie arrière (caissons avec âmes et semelles usinées) qui contient le logement de l’atterrisseur, et, à l’avant, trois longerons en “I” à âme simple, en raison des charges plus faibles à transmettre. La partie arrière reçoit des nacelles-réacteurs qui sont fixées par un système d’attaches démontables permettant la libre dilatation différentielle entre les éléments assemblés. Un bouclier thermique, composé d’une tôle d’acier inoxydable et d’un tissu en fibre de verre enserrant un isolant réfractaire, sépare les nacelles de la voilure.

Premier stade d’un développement historique, le prototype 001 de Concorde est préparé minutieusement en vue de ses premiers vols qui auront lieu à Toulouse. Le 002 suivra le 001, à partir de Filton.
Enfin, les nervures sont en treillis tubulaires à l’arrière et en simples profilés extrudés à l’avant, sans âme aucune. Le revêtement, qui ne présente aucune solution de continuité en envergure, est relié à celui du fuselage par l’intermédiaire de joints de dilatation souples évitant toute interférence entre ces deux peaux aile-fuselage.
Chaque demi-aile extrême est un caisson à âmes multiples usinées, comme les nervures, en raison de la très faible épaisseur de cette partie de voilure.
La jonction aile extrême aile centrale se fait par une couture continue de boulons de tractions logés dans des alvéoles usinées directement dans les panneaux de revêtement.
L’onglet extrême avant est une structure caisson à âmes multiples triangulées par des tubes, sauf celles formant cloison de réservoir qui sont, bien entendu, à âmes pleines.
Les nervures sont ramenées à de simples profilés extrudés d’intrados et d’extrados chargés de raidir le revêtement.

Chaque onglet, droit et gauche, est fixé au fuselage au droit de quatre de ses cadres, par des ferrures réglables, et à la partie centrale de l’aile par une double rangée de boulons à tête fraisée.
Les becs d’attaque constituent une série d’éléments longs de 1,20 mètre environ, construits à base de revêtements et de nervures usinés et chaque élément est fixé séparément à la voilure sans être reliée à ses voisins, afin d’atténuer les contraintes thermiques.
Les élevons, enfin, sont au nombre de trois par demi aile. Chaque élevon est lui-même constitué de deux éléments reliés par une liaison souple actionnés par une servocommande unique. Leur structure est réalisée à base de nid d’abeille d’alliage léger collé.

Les nacelles réacteurs.

Chaque nacelle-réacteur, qui abrite deux moteurs, est divisée structuralement en trois parties : les entrées d’air, les compartiments-moteurs et le corps arrière supportant les tuyères et les inverseurs de poussée. Les entrées d’air comprenant deux veines indépendantes, ont une structure en alliage léger usiné avec une peau intérieure raidie par usinage et par profilés extrudés et avec une peau extérieure fraisée chimiquement et soudée électriquement par points, aux cadres internes. Le bord d’attaque est en acier inoxydable s’appuyant sur une structure en nid d’abeille brasé.
Les compartiments moteurs sont séparés par une cloison verticale réalisée par du « stresskin” d’acier inoxydable soudé électriquement, 4 larges portes d’accès (2 par flanc) sont articulées sous la voilure et constituent les parois latérales et inférieures des compartiments moteurs. Leur étanchéité est assurée par des joints spéciaux résistant au feu. Les deux portes avant sont construites à base d’alliage léger, tandis que les 2 portes arrière sont à base de titane.

Le fuselage.

D’une longueur totale de 58,84 mètres, sans compter la perche anémométrique avant, le fuselage offre une section sensiblement ovoïde (bilobe raccordé) et la soute à fret arrière offre une longueur de 39,32 mètres. Quant à la largeur maximale, elle est de 2,63 mètres à l’intérieur et de 2,88 mètres à l’extérieur, la hauteur maximale extérieure est de 3,32 mètres. Dans ce fuselage, le volume pressurisé atteint 240 m3 environ.

Les portes d’accès sont au nombre de 4. A l’avant, on trouve, la porte-passagers de 0,76 x 1,68 mètre et, à droite, la porte de service de 0,61 x 1,22 mètre. Les mêmes dimensions sont retenues pour les 2 portes intermédiaires qui ont les mêmes destinations. La hauteur au-dessus du sol de ces portes varie entre 4 et 5 mètres.
A l’arrière 2 issues de secours de 0,61 x 1,22 mètre sont disposées, à raison de une de chaque côté. La porte d’accès à la soute supérieure offre un passage de 0,76 x 1,52 mètre. Quant à la porte de soute inférieure, qui se trouve à 3,60 mètres au-dessus du sol, elle offre un passage de 0,84 x 0,99 mètre.
Dans la version 132 passagers, la soute à bagages présente un volume global de 20,90 m3. La soute inférieure principale est longue de 8,08 mètres, haute de 0,96 mètre et large de 1,40 mètre. Elle offre un volume de 8,75 m3. La soute arrière, de 3,63 x 1,83 x 2,40 mètres, présente un volume utilisable de 12,15 m3.
La section bilobée du fuselage à son plan de jonction au niveau du plancher séparant la cabine des soutes. Certains éléments de la voilure disposés de part et d’autre du fuselage participent à sa rigidité longitudinale.
D’une manière générale la structure du fuselage est classique. Elle comprend des cadres espacés de 0,53 mètre en moyenne, un lissage très serré et un revêtement soudé électriquement sur les lisses et rivés aux cadres.

Les lisses sont de section en “Z” à l’avant et en “T” au centre et à l’arrière, c’est-à-dire là où la fatigue acoustique est plus accusée. Les cadres sont réalisés en deux pièces, de façon à accroître la sécurité et satisfaire le principe “fail safe”. Le Concorde est, en effet, le premier avion dont le fuselage est, sur la presque totalité de sa longueur, soumis à la fois à des charges de pressurisation, aérodynamiques, acoustiques et thermiques.

Par exemple, les hublots – ces indésirables nécessaires – font l’objet de soins spéciaux. Chacun d’eux est constitué d’un élément intérieur tenant la pressurisation (deux lames de verre trempé chimiquement et séparées par une couche plastique) et un autre extérieur en verre semi-trempé, faisant fonction de bouclier thermique. Il peut également tenir des charges de pressurisation pendant un certain temps, ce qui apporte un troisième élément “fail safe”, pour les hublots. On sait que les dimensions réduites de ceux-ci ont été imposés par un règlement américain de la FAA qui prévoit que le geste d’un fou tirant une balle de pistolet dans un hublot ne doit pas provoquer une décompression inacceptable de la cabine.

Concorde ! Version présérie

Le fuselage est composé de 5 grandes parties principales : extrême avant, avant, intermédiaire, centrale et arrière. La pointe avant comprend une partie non-pressurisée basculant vers le bas et comportant le radôme, puis une partie pressurisée recevant les glaces frontales et latérales du poste d’équipage. La partie avant comprend les deux portes, passagers et de service, et le logement du train avant. La partie intermédiaire inclut la soute inférieure et reçoit les ferrures de fixation des onglets de voilure, construits séparément
La partie centrale, séparée en quatre tronçons, constitue la plus grande partie de la cabine. Les espaces sous plancher occupés par le logement du train principal, les réservoirs de carburant, ainsi que les soutes à équipements ne sont pas pressurisées. C’est donc la structure sous plancher de cabine qui supporte les charges de pressurisation en ces endroits. De plus, au droit des réservoirs, la rigidité des membranes supportant la pression de cabine est également suffisante pour tenir les efforts d’inertie de la masse de carburant jusqu’à 15 G en cas d’atterrissage d’urgence. L’ensemble structural sous plancher est également conçu pour atténuer les contraintes thermiques. Dans le même but, les parois latérales des réservoirs sont usinées avec des ondulations.
Dans la zone du logement de train, la tenue en flexion du fuselage est assurée par une poutre centrale constituée d’un important panneau fraisé et deux parois latérales réalisées en panneaux intégraux.

La partie arrière, non pressurisée, reçoit les réservoirs arrière de transfert de carburant, ainsi qu’une béquille arrière escamotable. Les cadres de cette partie reçoivent les renforts chargés de reprendre les efforts transmis par les longerons de la dérive.

Du nez basculant…

Pour satisfaire les impératifs contradictoires d’une bonne visibilité au décollage, à l’approche et à l’atterrissage, et du meilleur dessin aérodynamique en vol de croisière à Mach élevé, la pointe avant est à géométrie variable.
L’ensemble comporte donc un nez basculant et une visière. Alors que le nez basculant est capable de trois positions (haute, intermédiaire et basse), la visière, qui donne sa forme à l’avant du fuselage et sert de bouclier thermique au pare-brise proprement dit, ne connait que deux positions haute et basse.
Les mouvements sont commandés hydrauliquement par un circuit normal, un circuit de secours, et une commande manuelle d’ultime secours.
Dans le cas, bien improbable où tous ces moyens seraient inopérants, la visibilité avec la visière haute serait encore suffisante pour permettre l’atterrissage.
Pendant le décollage, le nez est à la position 5° et la visière est en position basse. L’ensemble est relevé 4 minutes environ après le décollage. En fin d’approche et à l’atterrissage, nez et visière sont en position basse. Il faut 6 secondes pour manoeuvrer la visière, 12 secondes pour abaisser le nez complètement et 19 secondes pour le relever.

… A la dérive…

La dérive est haute de 11,60 mètres et sa corde de référence atteint 10,59 mètres. Sa surface nette, hors fuselage, est de 33,90 m2. La dérive supporte la gouverne de direction, tronçonnées en deux éléments et offrant sur une surface totale de 10,40 m2.
La structure de la dérive repose sur 10 longerons verticaux, parallèles à l’axe d’articulation du gouvernail et rivés sur les cadres et renforts de fuselage prévus à cet effet. Ces longerons, et quelques nervures légères, reçoivent le revêtement constitué de panneaux intégraux s’étendant d’une seule pièce sur toute la hauteur de la dérive.

Deux dispositifs présents sur les prototypes et non prévus pour l’instant, sur les appareils suivants : à l’avant, de petites « moustaches” et, à l’arrière, deux aérofrein faisant suite à la dérive et venant assister la phase 1 des essais, le parachute de queue.

Le train d’atterrissage.

Le train d’atterrissage tricycle offre une voie de 7,72 mètres pour un empattement de 18,19 mètres. Il est complété par une béquille arrière protégeant le fuselage en cas de cabrage exagéré de l’avion au sol. Le train principal Hispano-Suiza comprend 2 boggies ayant chacune un empattement de 1,67 mètre et une voie de 0,67 mètre. Les pneus de 47 x 15,75 x 22 sont gonflés à une pression de 12,65 kg-cm2.

Chaque demi-train est constitué d’un fût en acier matricé dans lequel est logé un amortisseur oléo-pneumatique. Ce fût est contreventé en traînée par une contrefiche et latéralement par une autre contrefiche télescopique qui assure le verrouillage en position basse. Le balancier de boggie est articulé à la base de la jambe élastique et est maintenu en place par deux amortisseurs de tangage qui servent également à positionner correctement le boggie lors de la rétraction.
Cette rétraction se fait latéralement, vers l’intérieur. Un système mécanique fait d’abord coulisser l’amortisseur à l’intérieur du fût et vers le haut, afin de réduire l’encombrement du train et de faciliter son logement. Le relevage se fait sous l’action d’un vérin hydraulique agissant sur des bielles de rétraction. Le logement est obturé par deux trappes : une de fuselage qui se referme lorsque le train est sorti et une autre reliée mécaniquement à la jambe et qui obture le puits de train ménagé dans l’aile. Les logements de train sont refroidis par un circuit de conditionnement en dessous de 80°C.

L’atterrisseur principal est solidement fixé dans des ”sabots de Denver » d’un genre nouveau muni de dynamomètres mesurant la poussée.
Le train principal réalisé par Hispano-Suiza, s’escamote latéralement.

1 – Traverse supérieure ; 2 – Embiellage de relevage ; 3 – Guignol d’embiellage ; 4 – Verrouillage point haut ; 5 – Fixation de contrefiche ; 6 – Contrefiche télescopique ; 7 – Vérin de relevage ; 8 – Fût ; 9 – Accrochage point haut ; 10 – Amortisseur principal ; 11 – Amortisseur de tangage ; 12 – Balancier ; 13 – Compas ; 14 – Trappe de jambe ; 15 – Contrefiche fixe ; 16 – Fixation de vérin ; 17 – Vérin de trappe ; 18 – Trappe principale de fuselage.
Le train avant Messier est un diabolo doté de pneus de 31 x 10,75 x 14 gonflés à 12,25 kg/cm2. Ce diabolo est orientable de 60° de chaque côté qui maintient leur température, lorsqu’il est commandé par les volants à la disposition de l’équipage, et de 10° lorsqu’il est sollicité par les pédales de direction.
Le diabolo avant est monté en bout d’une jambe contreventée latéralement à droite et à gauche par deux contrefiches, et vers l’arrière par une autre contrefiche télescopique qui assure le verrouillage en position basse.

Le relevage a lieu vers l’avant sous l’action de deux vérins hydrauliques. Le logement est obturé par deux trappes de fuselage se refermant lorsque le train est sorti, et par trois trappes secondaires liées mécaniquement à la jambe. Dès que l’amortisseur est détendu, un dispositif automatique rappelle le diabolo dans l’axe avant rétraction totale dans le fuselage.
Le système de freinage des roues principales comprend notamment un ensemble de régulation contrôlant la tendance au dérapage de chaque roue et limitant la décélération à 0,4 G environ. Ce dispositif électro-hydraulique fonctionne sur le circuit hydraulique principal. Avec le circuit de secours, c’est l’action du pilote qui règle l’intensité du freinage.
Le calcul des freins tient compte de l’éventualité d’un atterrissage à la masse maximale autorisée, ou d’une accélération-arrêt à la masse maximale au décollage avec l’emploi de deux inverseurs de poussée symétriques sur les quatre
Enfin, l’ensemble de l’atterrisseur peut être sorti en détresse par simple chute par gravité, après déverrouillage mécanique

L’énergie hydraulique.

Etant extrêmement sollicitée et devant être extrêmement sûre, l’énergie hydraulique fait appel a un système extrêmement complexe dont nous sortirons que les principaux aspects. Le système utilise un fluide résistant sans détérioration aux températures allant de – 60°C à + 220°C.
Son utilisation normale sur avion comprend une plage allant de – 40°C à + 120°C. La pression d’utilisation est de 275 bars, soit 281 kg/cm2.

Trois circuits sont installés.

Le premier (vert) alimente un des deux corps chaque servocommandes des gouvernes de vol, un vérin de sensation artificielle sur chacun des trois axes, un moteur hydraulique de pompe de transfert de carburant et quatre moteurs de commande des entrées d’air, soit celle des réacteurs 2 et 3, le relevage du train complet et des trappes, le freinage des roues avec le système anti-dérapage, l’orientation des roues avant, le nez basculant et la visière.
Le second (bleu) alimente le second des deux corps de servocommandes et de servo-relais, un second vérin de sensation artificielle sur les trois axes, un second moteur hydraulique de pompe de transfert et les quatre moteurs de commande des entrées d’air des réacteurs 1 et 4.
Le troisième (jaune) constitue le circuit de secours des deux précédents, à l’exception des sensations artificielles. De plus, il alimente le freinage de détresse (sans anti-dérapage), les freins de parkings et un moteur de pompe de transfert de carburant de secours du circuit vert ou du circuit bleu.
Chaque circuit est alimenté par deux pompes chacune entraînée par un réacteur différent (1 et 4 pour le bleu, 2 et 3 pour le vert et 2 et 4 pour le jaune).

Les pompes principales (bleu et vert) ont un débit de 130 litres/minute à 3750 t/mn. Celles de secours 65 lit/mn à la même vitesse. Les pompes sont alimentées à partir de bâches pressurisées à 4 bars, soit 4,20 kg/cm2, par prélèvement d’air sur le réacteur correspondant. Chaque bâche assure l’alimentation des deux pompes de chaque circuit qui débitent sur un collecteur.
Un accumulateur monté sur la tuyauterie de refoulement commune aux deux pompes et en amont du collecteur peut absorber les coups de bélier et assurer une superpuissance destinée à suppléer au temps de réponse des pompes lors d’une demande importante et instantanée des servitudes ou des servocommandes.

L’énergie électrique

L’énergie électrique, qui a la charge des fonctions essentielles de commande, de fonctionnement et de signalisation, fait appel à une génération aussi sûre que celle hydraulique.
La génération principale consiste en un courant alternatif triphasé, 200/115 volts, 400Hz. Elle est assurée par 4 alternateurs de KVA entraînés par des relais à vitesse constante, un par réacteur.
Les alternateurs peuvent être utilisés soit isolément, soit en combinaisons parallèles de 2,3 ou 4 grâce à des disjoncteurs judicieusement disposés.
Une prise de branchement au sol pourra alimenter les quatre barres principales en courant alternatif, en utilisant les interconnexions précédentes.
Chacune des 4 barres essentielles est reliée à la barre principale de l’alternateur correspondant par un inverseur qui permet, en cas de perte d’alimentation normale de la barre principale, d’alimenter la barre essentielle associée en courant triphasé 220/115 volts, 400Hz produit par un alternateur de secours entraîné hydrauliquement par le circuit bleu.
L’alimentation en courant continu 26 volts est assurée à partir du courant alternatif par 4 trans-redresseurs de 150 A et 2 batteries de 25 ampères-heures de fonctionnant en tampon.
A destination des commandes de vol une génération alternative monophasée de 1800Hz sous 26 volts est obtenue par deux convertisseurs statiques alimentés en courant continu de 26 volts.
L’alimentation en courant alternatif 26 volts sera assurée par 2 transformateurs 115/26 volts monophasés 400Hz de 1400VA alimentés en courant alternatif à partir de 2 barres essentielles courant alternatif.

D’une manière générale

:- Une panne unique ne provoquera pas la perte permanente de plus d’un circuit.
– En cas de perte permanente de deux alternateurs le système sera encore capable d’assurer toutes les charges essentielles.
– En cas de perte des quatre alternateurs, les réacteurs continuant à tourner, l’alternateur de secours entraîné par le circuit hydraulique normal sera capable d’assurer les charges essentielles avion et les charges essentielles réacteurs.
– En cas de perte totale des quatre réacteurs, le groupe de secours (EPU) entraînera deux pompes hydrauliques de secours assurant ainsi les charges essentielles avion tant au point de vue hydraulique qu’au point de vue électrique.
On voit, par ces exemples, que la probabilité d’une défaillance générale en vol du système électrique est, comme le système hydraulique, à peu près nulle. Dans ce domaine particulier et complexe des énergies de servitudes, un même soin a été apporté à l’obtention d’une sécurité maximale que dans la conception et la fabrication de l’avion lui-même.

A – Ensemble des commandes de vol dans le poste de pilotage

1. Volant copilote ; 2. Manche pilote ; 3. Timonerie commande de direction ; 4. Pédales direction ; 5. Bielles de commandes direction ; 6. Réglage du pédalier ; 7. Arbre de torsion conjugaison gauchissement ; 8. Arbre de torsion conjugaison direction ; 9. Guignols de commande direction ; 10. Arbre de torsion commande de direction ; 11. Châssis support des commandes ; 12. Boitier de commande trim profondeur (mécanique et électrique) ; 13. Boitier de commande de trim de direction (mécanique) ; 14. Boitier de commande trim gauchissement (mécanique ; 15. Renvois de commandes boitier trim et restitution d’efforts ; 16. Bielle de limitation d’autorité du pilote automatique gauchissement (idem sur profondeur et direction, non visible sur dessin) ; 17. Vérins hydrauliques restitution artificielle d’efforts gauchissement (idem sur profondeur et direction non visible sur dessin) ; 18. Mélangeur mécanique (tangage-roulis) ; 19. Bielles de commandes roulis, lacet, tangage ; 20. Mélangeur mécanique roulis-lacet ; 21. Commandes de gauchissement ; 22. Volant pilote ; 23. Restitution artificielle d’efforts (profondeur) ; 24. Restitution artificielle (direction) 25. Restitution artificielle (gauchissement) ; 26. Servocommande relais gauchissement ; 29. Régulateur de tension de câbles ; 30. Poulies de renvois ; 31. Câbles de commandes élevons droit ; 32. Câbles de commandes gouvernail ; 33. Câbles de commande élevons gauche.

B – Ensembles de trim sur console centrale.

34. Commande de trim de profondeur copilote ; 35. Réducteur ; 36. Boite de transmission ; 37. Arbre de conjugaison commande pilote ; 38. Arbre de commande trim profondeur ; 39. Pignon de commande trim 40. Garde-chaîne de commande ; 41. Pignon de commande trim de direction ; 42. Réducteur commande pilote ; 43. Commande de trim profondeur pilote : 44. Commande de trim direction ; 45. Commande de trim gauchissement ; 46. Arbre de commande trim direction ; 47. Arbre de commande trim gauchissement 48. Cardans d’arbres de commande ; 49. Pignon de commande de trim de gauchissement

C – Commandes de vol dans la voilure.

50. Poulies de renvois ; 51. Secteur de commande des élevons ; 52. Renvoi de commande ; 53. Servocommande d’élevons internes ; 54. Boitier de synchro détecteur des chaines de commande, des chaines de surveillance et d’indicateurs de position des élevons (sur chaque servocommande) ; 55. Bielles de commandes d’élevons interne ; 56. Points fixes de structure ; 57. Elevons internes ; 58. Timonerie de commandes vers élevons intermédiaires ; 59. Renvoi de commandes ; 60. Servocommande élevons intermédiaires ; 61. Bielle d’attaque de servocommande ; 62. Bielles de commandes d’élevons internes 63. Elevons intermédiaires ; 64. Servocommande élevons externes ; 65. Bielles d’attaque servocommande 66. Bielles de commandes d’élevons externes ; 67. Timonerie de commandes vers élevons externes 68. Renvoi de commande ; 69. Point fixes sur structure ; 70. Elevons externes.

D – Commandes de vol dans la dérive.

71. Poulies de renvoi ; 72. Renvoi de commandes ; 73. Secteur de commande des servocommandes ; 74. Renvoi ; 75. Relais ; 76. Points fixes sur structure servocommande supérieur) ; 77. Bielle d’attaque de servocommande ; 78. Servocommande supérieure ; 79. Bielles de commandes de gouverne supérieure ; 80. Gouverne supérieure ; 81. Bielle d’attaque servocommande ; 82. Servocommande inférieure ; 83. Bielles de commandes de gouverne inférieure ; 84. Points fixes sur structure ; 85. Boitier de synchros détecteur des chaînes de commande des chaînes de surveillance et d’indicateurs de positions des élevons (servocommandes supérieur et inférieur) ; 86. Gouverne inférieure.

Répartition du combustible et circuit de transfert d’équilibrage.
La disposition des réservoirs :

Ci-dessus : Le processus de transfert selon les cas de vol.

1. Réservoirs de centrage extrême avant ; 2. Réservoirs de centrage avant et central ; 3. Nourrices avant 4. Réservoirs principaux avant ; 5. Réservoirs principaux centraux ; 6. Nourrices arrière ; 7. Réservoirs principaux extrêmes ; 8. Réservoir avant de fuselage ; 9. Réservoirs arrière de fuselage ; 10. Réservoir de centrage arrière ; A. Pompes électriques ; B. Intercommunication réservoirs d’équilibrage ; C. Robinets de secours ; D. Robinets de circuit interne ; E. Pompes hydrauliques ; F. Circuits de transfert ; G. Circuit de vidange rapide ; H. Valve de vidange.
Avec pleins complets, l’avion emporte 84 tonnes de combustible en vol, une quantité supplémentaire pouvant être admise pour utilisation avant le décollage. Par ailleurs, 20 minutes suffisent pour remplir les réservoirs ; alors qu’ils ne contiennent plus que 20% de leur capacité maximale. La pression de remplissage est de 3,5 kilos/cm2.

Un problème crucial : L’échauffement cinétique.

Le frottement de l’air ainsi que sa compression adiabatique sur les surfaces d’un avion volant à Mach 0.77 provoque une élévation maximale de la température du revêtement de 30°C environ. Cet avion volant à Mach 2, l’échauffement cinétique passe à 120°C, à Mach 3, l’augmentation de température atteindrait plus de 330°C. Ces chiffres situent immédiatement l’importance des problèmes thermiques dans la réalisation des TSS. Pour Concorde, les ingénieurs ont choisi on le sait la solution la plus sage, c’est-à-dire la dernière vitesse permettant l’utilisation classique comme l’aluminium AU2GN. Mais malgré tout les températures atteintes sur la peau de l’appareil et l’énergie calorifique emmagasinée tout au long du vol ont posé des problèmes nouveaux

Ci-dessus, le schéma montre les températures d’équilibre du revêtement de la partie supérieure de l’avion lors d’une croisière à Mach 2,2, à une altitude de 17.000 mètres en atmosphère standard. Il s’agit de valeurs théoriques.
Contrairement à ce qui se passe sur des avions commerciaux en service aujourd’hui, aucune donnée aérodynamique et thermique ne sera stable pendant le vol. Ceci pour deux raisons ; la réduction de la durée des vols et l’environnement supersonique. L’influence du premier facteur est évidente. Concorde reliera Paris à New York en moins de trois heures et demie. Pendant ce temps, sa masse diminuera de plus de 70 tonnes, et la brièveté du vol ne lui permettra pas d’atteindre son équilibre thermique.
L’influence de l’environnement supersonique se traduit principalement de deux façons différentes mais qui toutes deux ont des répercussions sur le circuit de carburant de l’appareil. La première, d’ordre aérodynamique, est le déplacement du centre de pression de plusieurs mètres vers l’arrière au passage de la vitesse du son. Cette modification des réactions aérodynamiques de l’avion aurait pu être compensée par une action sur les surfaces de contrôle, mais à cette solution peu satisfaisante en raison de l’augmentation de traînée qu’elle engendre, a été préféré un déplacement de gravité en vol obtenu par un transfert de carburant vers l’arrière. Pour mettre au point les circuits nécessaires pour faire remplir au carburant cette nouvelle fonction de lest mobile, une maquette à l’échelle 1 du circuit de combustible de Concorde a été construite à Filton. Elle pèse près de 250 tonnes et permet de simuler les conditions d’altitude, d’attitude et de température qui régneront à bord de l’avion. En particulier, il est possible de reproduire les angles de descente jusqu’à 10° et ceux de montée jusqu’à 50°. On peut également faire varier les angles de roulis jusqu’à 10° sur ce banc.

La deuxième conséquence, l’échauffement cinétique, se traduit par un apport continuel d’énergie thermique pendant toute la durée du vol. Un certain équilibre thermique de surface est atteint assez rapidement mais en réalité cet équilibre ne s’établit pas entre la quantité de chaleur que perd globalement l’avion et celle qu’il absorbe. Il s’agit d’un équilibre entre l’énergie thermique fournie à la peau de l’avion par le frottement et la compression de l’air et celle qui est absorbée par le reste de la masse de l’avion ; essentiellement le carburant. Ainsi, la chaleur restituée au carburant par la structure et les circuits hydraulique et de conditionnement peut atteindre 7500 K cal par minute et même d’avantage.
On voit que dans le cadre des problèmes engendrés par l’environnement supersonique de Concorde, le carburant est fortement concerné, Le carburant peut en effet atteindre dans les réservoirs des températures de l’ordre de 85°C et à l’arrivée au brûleur sa température s’élève jusqu’à 160°C.
Le problème carburant est compliqué par l’altitude de croisière de Concorde. En effet, à 17.000 mètres, la pression atmosphérique est d’environ 0,072kg/cm2 et la tension de vapeur des carburateurs usuels aux températures d’utilisation est assez nettement supérieure à cette valeur, de sorte que sa mise sous pression des réservoirs, ils se mettraient à bouillir. Or la pressurisation impose un renforcement de la structure des canalisations et des réservoirs et par suite provoque une augmentation du poids de l’installation très néfaste. En définitive, un moyen terme a été choisi. Le carburant qui sera brûlé sur Concorde sera du JP1 dont la tension de vapeur est d’environ 0,063 kg/cm2 dans les conditions d’utilisation et les réservoirs seront légèrement pressurisés à partir de 13.000 mètres d’altitude, de façon à accroître la sécurité du système sans trop alourdir l’avion.

Pour étudier l’ensemble des problèmes relatifs au circuit d’alimentation des réacteurs et au carburant lui-même un banc d’essai très complet a été construit à Thornton, en Angleterre. Ce banc a été largement utilisé pour des essais d’endurance des composants mécaniques du circuit et pour la détermination précise du rôle de la stabilité thermique du carburant. Il se compose d’un circuit d’alimentation qui fournit aux installations d’essais proprement dites un carburant possédant les caractéristiques normales des carburéacteurs usuels ; viennent ensuite de 2250 litres réchauffé à la vapeur qui font croître la température du carburant jusqu’à 100°C. Le carburant passe ensuite dans le circuit d’essais proprement dit qui est constitué pour les matériels mêmes qui doivent équiper Concorde.

Le banc d’essais à haute température installé au Thornton Research Center a permis d’étudier avec une grande précision à la fois le comportement des composants du circuit combustible et celui des composants.
Les essais effectués à Thornton durent en général 100 heures sous un débit de 2250 1/h avec des températures nettement plus élevées que celles qui seront effectivement atteintes sur l’avion réel, car elles résultent d’estimations anciennes. Par contre, jusqu’ici la montée en température utilisée sur le banc est assez sensiblement plus lente que prévue sur l’appareil grandeur.

Les enseignements apportés par le grand banc du Thornton Research Center ont été nombreux et plutôt rassurants dans l’ensemble. L’action néfaste de certains matériaux, comme le cuivre et ses alliages, sur les carburants a été confirmée et les constructeurs ont en conséquence veillé soigneusement à les éliminer totalement du circuit carburant. Actuellement des solutions satisfaisantes ont été mises au point pour l’ensemble des composants mécaniques et des filtres et la fourniture d’un carburant répondant aux exigences du Concorde ne pose plus de problème important. La majorité des carburants du type JP-1 convient parfaitement, il suffira d’attacher un peu plus d’attention à l’élimination des traces d’oxygène, d’azote et de soufre pour que toute la production de JP-1 puisse être utilisée sans inconvénient.

Le conditionnement.

Le problème du conditionnement de Concorde se pose pour l’essentiel dans les mêmes termes que pour les avions commerciaux classique : comme amener sans risque à 17.000 mètres en quelques dizaines de minutes, des passagers dont l’état de santé est incertain et leur assurer un confort satisfaisant.
La solution mise en oeuvre pour les avions actuels qui évoluent de 8000 mètres, consiste à construire une cabine étanche et à y insuffler de l’air pour rétablir à l’intérieur une pression convenable, c’est-à-dire correspondant à une altitude à laquelle la vie est normalement possible. C’est une extrapolation de cette méthode qui est utilisée sur Concorde.

Ci-dessus : Intérieur d’un tronçon de fuselage de Concorde de 6 mètres de long construit par la BAC pour essayer les systèmes de conditionnement d’air de la cabine des passagers.

Le choix de l’altitude fictive rétablie est un élément essentiel du problème car la cabine est soumise pendant le vol à une suppression interne d’autant plus grande que cette altitude est basse et le calcul de la structure doit en tenir compte. On conçoit donc que le souci de l’allègement fasse adopter une valeur aussi élevée que possible.
Pour Concorde on a choisi 7000 pieds, soit 2100 mètres environ, ce qui est très supportable pour de courts séjours sans entraînement particulier, à l’altitude de 19.000 mètres, la suppression est ainsi de l’ordre de 0,70 atmosphères, alors qu’elle atteindrait presque 0,94 si on rétablissait les conditions du sol.
Autre servitude physiologique, il importe que l’évolution de l’altitude fictive dans la cabine reste toujours très lente car les variations rapides, la pression ambiante provoquent des douleurs diverses, principalement au niveau de l’oreille. En conséquence, on limite les vitesses de montée ou de descente apparentes à 2,50 mètres par seconde en fonctionnement normal.

Pour diverses raisons telles que la pollution et l’échauffement, l’air doit être sans cesse renouvelé. Introduit dans la cabine à pression et températures convenables, il parcourt un circuit très étudié, puis est expulsé dans l’atmosphère, à travers des soupapes de régulation. Aux taux de 75 kg par minute, l’air de la cabine est ainsi entièrement changé toutes les deux minutes environ.

Le rôle des soupapes d’évacuation que nous venons de mentionner est double. Leur fonction essentielle est de réguler la pression cabine ainsi que l’évolution de l’altitude fictive correspondante aux valeurs choisies et limiter éventuellement la suppression interne. Mais, en cas d’incidents de fonctionnement de l’ensemble du système, elles doivent aussi assurer la sécurité stricte en limitant, tout souci de confort exclu, la pression interne de façon qu’elle ne devienne jamais dangereuse ni pour la structure ni pour les passagers.
La fiabilité prend aussi une importance considérable, c’est pourquoi il existe deux soupapes en fonctionnement automatique et deux autres identiques commandées manuellement.

Une question reste en suspend : où prendre cette masse énorme d’air, indéfiniment renouvelée, de 1,25 kg par seconde nécessaire à la pressurisation et à la ventilation ? Dans l’atmosphère bien sûr, mais vers 19.000 mètres la pression n’est guère que 6% de celle qui règne au sol, il faudra donc comprimer fortement. Inutile pourtant de prévoir un compresseur spécial car les turboréacteurs qui propulsent l’avion exigent pour leur fonctionnement des quantités d’air autrement importantes et à une pression supérieure qu’ils doivent générer eux-mêmes. C’est donc sur les propres compresseurs des moteurs légèrement surdimensionnés qu’on prélève, au niveau convenable l’air de conditionnement.
Cependant le problème n’est pas pour autant entièrement résolu. La compression échauffe considérablement l’air qui peut atteindre 600°C au point de prélèvement et un simple échangeur de chaleur utilisant comme fluide réfrigérant l’air ambiant, ne peut suffire à rétablir une température satisfaisante. Bien que cet air de refroidissement soit aux environs de – 56°C, il s’échauffe à cause des frottements inévitables et de recompression dynamique à l’entrée de l’échangeur et peut atteindre 150°C dans certains cas de vol. Par ailleurs, à très haute altitude l’air contient de l’ozone à une concentration suffisante pour provoquer à la longue des conjonctivites et d’autres irritations. Si les passagers occasionnels peuvent n’en être que peu affectés, il n’en est pas de même de l’équipage qui effectue des vols fréquents. Enfin, il est possible qu’on rencontre des pollutions radioactives.

Refroidissement à air chaud.

La principale difficulté est le refroidissement de l’air prélevé aux réacteurs ; on la résout par un processus assez curieux.
Un premier pas vers le but est effectué en faisant passer cet air à travers un échangeur de chaleur refroidi par circulation d’air ambiant. La grande différence des températures des deux fluides (600 et 150°C) permet une chute spectaculaire et on sort à 200°C seulement. On entre alors dans une machine qui est la pierre angulaire du système. C’est un turbocompresseur comprenant une turbine et un compresseur centrifuge montés sur un axe commun.
Paradoxalement c’est au compresseur que l’air est admis : sa pression, mais hélas aussi sa température, sont relevées et on obtient ainsi 310°C à la sortie. C’est apparemment un pas en arrière. Un deuxième échangeur de chaleur analogue au premier permet de revenir aux 200°C initiaux mais c’est insuffisant. On a songé alors à utiliser une partie de la masse du carburant de l’avion qui est à 80°C seulement et qui peut absorber un nombre considérable de calories. Par un échangeur supplémentaire, monté à la suite du précédent, et refroidi par la circulation de 65% du kérosène de l’avion, on amène l’air de conditionnement autour de 90 à 100°C. On le dirige ensuite sur l’entrée de la turbine qu’il entraîne en se détendant, fournissant au compresseur l’énergie nécessaire. Ce montage original en boucle – compresseur – échangeur – turbine – est connu sous le nom de “boot strap”.

Maquettage grandeur des groupes turbo-réfrigérateurs dans la voilure

Le taux de détente considérable réalisé dans la turbine grâce à la compression préalable provoque un refroidissement très intense de l’air qui peut sortir à – 25°C.
Les chiffres cités sont évidemment relatifs à un cas de vol extrême. Ils sont très différents suivant la phase considérée et l’altitude ; on doit même parfois réchauffer la cabine. C’est pourquoi un système complexe de régulation thermique existe, qui prend comme référence la température réelle en certains points de la cabine, et agissant par des courts-circuits établis par des vannes commandées électriquement, assure un mélange d’air froid et d’air chaud prélevés à divers niveaux de circuit pour maintenir l’ambiance autour de 20 à 25°C.
Des organes annexes sont prévus dans le circuit de génération d’air pour résoudre les difficultés qui ne sont pas relatives à la température. On pense que l’ozone sera dissociée aux températures élevées atteintes au départ mais si besoin est, un convertisseur catalytique sera monté en amont de l’échangeur primaire. De même, la possibilité de placer un filtre à particules radioactives en aval du même échangeur est réservée.
Un séparateur d’eau élimine la plus grande partie de l’eau contenue dans l’air de conditionnement avant son entrée dans la cabine pour éviter la formation de brouillards ou même de pluie à l’intérieur par suite du refroidissement. Inversement il sera sans doute utile d’humidifier l’air trop desséché, au poste de pilotage seulement.

Distribution de l’air cabine

1 – Alimentation air frais cabine ; 2 – Matelas isolant en laine de verre ; 3 – Rampe d’évacuation air de ventilation ; 4 – Boite de répartition ; 5 – Gaine d’arrivée d’air frais ; 6 – Filtre ; 7 – Air et ventilation ; 8 – Air de recirculation ; 9 – Air frais ; 10 – Alimentation de face interne de hublot cabine : 11 – Air de cabine évacué.
Pour le prototype de Concorde, l’ensemble du système de conditionnement comporte trois circuits de génération indépendants, du modèle que nous venons de décrire, branchés sur trois des quatre turboréacteurs. L’un d’eux alimente directement le poste de pilotage, un autre la cabine avant et le troisième la cabine arrière. Toutefois, la cabine avant reçoit également le supplément de production des deux autres groupes.
Les trois groupes ont été largement calculés et l’éventualité d’une défaillance totale de l’un deux est très improbable. Toutefois, même dans ce cas, les deux groupes restant sont suffisants, moyennant une réduction de vitesse de l’avion pour maintenir dans la cabine des conditions de pression et de températures acceptables. Dans le cas extrême où deux groupes seraient hors d’état de marche, en même temps, le dernier ensemble pourrait encore assurer un confort minimum des passagers mais en vitesse subsonique.

Pour accroître la fiabilité d’ensemble du matériel et réduire les perturbations du plan de vol dues à des pannes, les appareils de série comporteront quatre groupes, un par turboréacteur.

A 17.000 mètres au-dessus de l’Atlantique.

L’exploitation de Concorde pour autant qu’on puisse le prévoir avant les premiers essais en vol, posera des problèmes nouveaux dont il est difficile de fixer exactement l’importance. Certains voient approcher l’heure de vérité avec appréhension, car les inconnues sont grandes, d’autres font preuve d’un optimisme parfois aveugle. Naturellement la réalité se situera probablement entre ces deux extrêmes ; mais il est déjà à peu près certain que les multiples essais et simulations qui ont été effectués depuis 1962 permettront de résoudre du premier coup la plupart des difficultés nouvelles auxquelles les exploitants de Concorde : équipages et compagnies, se trouveront confrontés.
Deux questions essentielles se posent avec acuité nouvelle : la navigation et la prévision météorologique. La première est rendue délicate en raison de la vitesse de croisière de l’appareil et l’extrême précision requise, la seconde constitue l’une des inconnues que seuls les essais en vol lèveront.

Naviguer sans navigateur.

A la vitesse de croisière du Concorde les méthodes classiques de navigation en usage sur les avions commerciaux actuels ne seront plus suffisantes. Il faut plusieurs minutes à un navigateur entraîné pour effectuer un relevé. Ce délai n’est pas compatible avec les performances des avions supersoniques, c’est pourquoi cette tâche a été confiée à des calculateurs électroniques placés sous le contrôle direct des pilotes. Cette suppression du navigateur à déjà soulevé bien des discussions ; elle semble parfaitement justifiée. Toutefois il n’est pas encore sûr que la disparition d’un membre de l’équipage résulte automatiquement de ce transfert de fonction.
La définition du système de navigation la plus appropriée à Concorde a été fixée par l’ensemble des impératifs de précision, de rapidité et de commodité d’exploitation requis par les conditions de vol de l’appareil.
Les deux pilotes doivent, pour mener à bien leur tâche, connaître la position géographique de l’avion ainsi que ses écarts par rapport à la route choisie. Ils doivent également savoir très précisément l’heure estimée de leur passage aux points de référence et celle de leur arrivée à destinations, afin de simplifier les problèmes de régularisation du trafic et réduire les attentes. En plus de ces informations, la connaissance de la réserve de combustible qui restera disponible à l’arrivée est indispensable pour juger des manoeuvres de déroutement éventuelles.
La détermination des données horaires et géographiques doit être très précise. En croisière Concorde devrait rester à l’intérieur d’un couloir de 237 kilomètres de part et d’autre de sa route prévue, à 100 kilomètres de sa destination, l’écart par rapport à la route devra être inférieure à 9 kilomètres et une demi-heure avant son arrivée l’heure de celle-ci devrait être connue à 3 minutes près.

Il n’est évidemment pas question que Concorde soit piloté à la main pendant son vol de croisière, en fait même lors des manoeuvres de décollages, d’approche et d’atterrissage ; les pilotes seront largement soulagés par le pilote automatique. Pour que ce dernier opère normalement, il est indispensable qu’il puisse être couplé au système de navigation et qu’une programmation de la route à suivre soit possible.
Seul un système de navigation à inertie associé à un ensemble de calcul digital à programmes incorporés pouvait répondre globalement à toutes ces conditions. Ce type de matériel s’imposait d’autant plus qu’il a l’avantage de fournir la référence verticale extrêmement précise, qu’il est indispensable de connaître pour assurer le contrôle du vol. Les mesures pendulaires corrigées qui fournissent normalement la verticale vraie sur les avions subsoniques seront inutilisables à bord de Concorde en raison des longues périodes d’accélération longitudinale auxquelles sera soumis l’appareil. Il est prévu que ces périodes pourront atteindre 20 mn à 0,1 g.

Sur les appareils de présérie et de série, le système à inertie sera doublé pour assurer la sécurité de l’ensemble. Il comprendra deux plates-formes à inertie pure auto surveillées, stabilisées à l’aide de gyros flottés et bouclées en mode de Schûler. Elles fourniront toutes les données d’azimut et d’assiette pour l’ensemble des instruments de bord, du directeur de vol, du pilote automatique, de l’auto-manette et des calculateurs de navigation.
L’ensemble de navigation à inertie sera complété pour la navigation en zones terminales par deux ensembles VOR/ILS/DME, deux récepteurs de balise et deux radioaltimètres de basse altitude utilisés pour l’atterrissage automatique. D’autre part, une plate-forme “bigyro” non inertielle sera montée pour permettre des recoupements et accroître encore le taux de sécurité.
Cependant la définition exacte du système de navigation ne sera pas définitivement acquise qu’après les premiers vols. Dans la version prototype, le système de navigation par inertie SF 500-AE 51 développé conjointement par Ferranti et la Sagem sera complété par un radar Doppler Marconi appelé à recaler les plates-formes inertielles en cas de dérive lente. Toutefois il ne semble pas à priori que cette solution ait beaucoup d’avenir car on lui reproche une consommation électrique trop importante à haute altitude et un manque de précision au-dessus des mers calmes.

Les systèmes de radio navigation à longue distance ont également été envisagés. Ils répondent entièrement aux spécifications et sont propres à être utilisés comme un moyen complémentaire de vérification des indications du système inertiel. Dans l’éventualité de demandes particulières des compagnies, les constructeurs ont prévu la possibilité d’installer à bord certains équipements de navigation optionnels. Ainsi pourraient être monté un système du type “Loran-C”. D’autre part, la plate-forme “bigyro” pourrait être remplacée par une troisième plate-forme à inertie avec son calculateur associé.
L’ensemble des informations de pilotage et de navigation fournies par le système inertiel, les récepteurs radio, le gyro compas, la centrale anémométrique, les sondes altimétriques, les jauges et tous les autre organes de mesure sera distribué sous forme de signaux électriques au pilote automatique, au directeur de vol et aux instruments de bord. Pour faciliter l’exploitation par les deux pilotes des informations géographiques, elles seront présentées sur un routier automatique dont l’écran occupera la majeure partie du panneau central de la planche de bord. Cet appareil permettra la représentation de la position géographique de l’avion, celle de la route à suivre et celle de la route suivie effectivement. Il sera également possible d’orienter la carte selon le nord ou dans le sens de la route suivie. Naturellement des changements d’échelle de la carte suivant les phases de vol seront possibles.
Bien qu’il ne fasse pas partie intégrante du système de navigation, le pilote automatique, du fait qu’il fonctionne en association avec lui pendant la plus grande partie du temps de vol, ne peut en être entièrement dissocié.

Le pilote automatique assure les fonctions classiques de stabilisation, de contrôle d’altitude, de cap, de maintien de la vitesse ou du nombre de Mach, ainsi que les manoeuvres de virage coordonné, d’acquisition d’altitude, d’approche automatique VOR et ILS. Le matériel monté sur le prototype résulte des travaux d’un consortium composé de la Flight and Control Division de Bendix, de la société Elliot-Automation et de la SFENA. Il est prévu que les ensembles destinés aux avions de série seront fabriqués à parts égales par la SFENA et Eliott-Automatique. Les caractéristiques les plus originales du pilote automatique et du directeur de vol sont d’ordre technologique. Pour tenir les spécifications de fiabilité imposées, les ingénieurs ont utilisé largement les composants intégrés et ont attaché une attention spéciale à la réduction du nombre des connexions et à leur configuration.
L’ensemble du système de navigation, ainsi que celui constitué par le pilote automatique et les organes de contrôle et de vol auront une probabilité de panne inférieure à 10-5 pour trois heures. Cette probabilité tombant à 10-8 pendant la dernière minute de vol comme cela est requis pour la certification d’un système d’atterrissage automatique.

Quel temps fait-il à 17.000 mètres ?

Les appareils transatlantiques qui sont aujourd’hui en exploitation volent à une altitude de croisière d’environ 9000 mètres. Des services météorologiques spécialisés fournissent aux aérodromes terminaux toutes les informations nécessaires à l’établissement de plans de vol précis et satisfaisants. En outre, les avions de ligne
sont équipés de radars météorologiques capables de déceler les formations nuageuses dangereuse ses à plus de 100 kilomètres, ce qui permet facilement les manoeuvres d’évitement. Le seul problème météorologique qui subsiste est la détection des turbulences en ciel clair. Cependant dans ces CAT (Clear Air Turbulence) ne semblent pas devoir rester indéfiniment hors de portée des détecteurs.
Concorde disposera-t-il d’un ensemble d’informations aussi complet ? Dans l’état actuel des choses, certainement pas. Concorde devra, au moins au début de son exploitation, se contenter des ses instruments autonomes de détection.

Le radar météorologique de bord deviendra pour lui un instrument très important et ses performances devront très nettement supérieures à celles des matériels classiques. Actuellement, un radar opérant sur la bande X (3,6 à 2,42 centimètres) et d’une portée de 376 kilomètres est prévu. Cette portée accrue est indispensable en raison de la vitesse de l’avion.
Les trois facteurs météorologiques les plus importants pour la bonne exploitation de Concorde et plus généralement de tous les TSS sont sans aucun doute, la température, les turbulences et les cristaux de glace. Or, malheureusement on en est actuellement à des suppositions plus qu’à des certitudes sur les probabilités de rencontre des phénomènes anormaux vers 17.000 mètres d’altitude.
Il faut deux minutes à un XB-70 volant à Mach 3 pour effectuer un changement de cap de 20° avec une inclinaison transversale de 20°. Son rayon de virage est alors de plus de 200 kilomètres. Concorde, quant à lui, à sa vitesse de croisière, avec une inclinaison transversale de 30°, mettra près de 12 minutes pour effectuer un virage de 360° et il aura parcouru ainsi une circonférence de quelque 500 kilomètres.
Ces chiffres illustrent bien l’importance des prévisions météorologiques pour l’établissement des plans de vol des appareils supersoniques. Les manoeuvres d’évitement étant beaucoup plus longues qu’avec des avions subsoniques et la vitesse avec laquelle les TSS iront à la rencontre des turbulences étant évidemment très supérieure à celle des avions classiques, il sera absolument vital de prévoir tous les phénomènes de nature à perturber les vols longtemps à l’avance.

Les spéciales de la météorologie sont cependant optimistes. Ils pensent généralement que les turbulences en ciel clair sont rares à l’altitude de croisière de Concorde, en tout cas beaucoup moins fréquentes que dans la troposphère. Par contre, ils s’attendent à ce que les variations de températures brusques rencontrées ^parfois en altitude posent quelques problèmes au début faute d’expérience. Mais ils espèrent dans le même temps, que cette difficulté se lèvera très vite.
Tous insistent sur l’importance de la fiabilité du radar météorologique et la nécessité d’éviter de pénétrer dans des formations de cumulo-nimbus ou de les survoler de trop près. Les constructeurs ont d’ailleurs prévu la possibilité d’équiper Concorde avec un deuxième radar fonctionnant aussi sur la bande ”X « ou, au contraire sur la base ”C“.
Les radiations cosmiques qui ont eu leur heure de gloire dans la presse ne posent en fait aucun problème sérieux. Leur niveau sera très faible et ne pourra croître de façon significative qu’à l’occasion d’éruptions solaires. Or, les astronomes savent prévoir ces phénomènes et au cas où un accroissement imprévu du niveau de radiation se produirait, un détecteur embarqué donnerait une alerte immédiate. Il suffirait de réduire la vitesse et l’altitude pour retrouver des conditions normales.

Les satellites.

Tant pour résoudre les problèmes de navigation que ceux posés par les prévisions météorologiques on a songé à l’emploi des satellites.
Le projet “Diescures” proposé par le CNES et le SGAC pour la navigation aérienne au-dessus de l’Atlantique Nord mettrait en oeuvre deux satellites jumeaux. Ces deux satellites, rigoureusement identiques, permettraient, par la mesure du temps de propagation des signaux radio, une localisation très précise des avions qui, dans le cas de Concorde, se traduirait par une économie de carburant suffisante pour justifier l’implantation de l’équipement de bord nécessaire.
Si l’aide à la navigation civile par satellite est encore à l’état de projet, par contre les satellites météorologiques sont entrés dans la réalité depuis longtemps et leur exploitation devrait s’imposer très rapidement.

Les premiers vols de Concorde.

Dans le double but d’étudier la définition définitive de l’appareil et d’entraîner les premiers équipages, un certain nombre de dispositifs de simulation ont été utilisés à mesure de l’avancement du projet “Concorde”.
Les premiers simulateurs employés par Sud Aviation à Courbevoie et la BAC à Filton étaient simplement constitués d’un poste de pilotage sommairement aménagé, associé à des éléments de calcul analogiques donnant une représentation acceptable de la mécanique de vol l’avion. Ces ensembles ont permis de dégrossir l’étude des qualités de vol et des moyens de pilotage en fonction des mesures aérodynamiques effectués en soufflerie sur des maquettes.
Le stade suivant de simulation nécessité par la recherche“ de l’optimisation des systèmes : commandes de vol, pilote automatique, autotrim, automanette, centrales anémométriques, stabilisateurs, etc.., a consisté dans la réalisation, à Toulouse, d’un simulateur beaucoup plus évolué permettant d’effectuer, avant même l’achèvement du premier prototype, des essais en vol.
Construit par la société française LMT associée à la firme britannique Redifon, le simulateur de Toulouse a connu deux phases de développement. De sa mise en service en mai 1966 jusqu’à l’été de l’année suivante, bien qu’équipé aussi complètement que le permettaient les informations fragmentaires dont il disposait, il servit essentiellement à compléter l’étude aérodynamique de l’avion. Mais à la fin de l’été 1967, l’ensemble de simulation a été entièrement remanié pour l’amener à une configuration aussi proche que possible du premier prototype de l’avion réel. Opérationnelle depuis le 1er octobre 1967, cette nouvelle version qui dispose de tous les équipements montés sur le 001 à l’exception de certains qui ne sont pas encore disponibles tels le “map display” est utilisée de façon presque continue par les différents équipages qui effectueront les premiers vols.

Le simulateur définitif comporte un poste de pilotage entièrement équipé, monté sur une plate-forme mobile à trois degrés de liberté qui restitue, pour le pilote, les impressions dues aux mouvements de l’avion. Un système de visualisation réalisé au moyen d’un ensemble de télévision en couleur en circuit fermé fournit au pilote, devant le cockpit, une image exacte de la piste de Toulouse-Blagnac et de ses environs pour compléter la simulation des phases de décollage et d’atterrissage. Ce système comprend trois éléments : une caméra asservie à la position simulée de l’avion se déplaçant au-dessus d’une maquette au 1/2000 de la région de Toulouse, un circuit de transmission de l’image TV en couleur et enfin un ensemble de trois projecteurs, un par couleur fondamentale, projetant l’image prise par la caméra sur un écran de 3,20 mètres sur 2,40 mètres

La cabine est fixée sur un système mécanique à vérins hydrauliques commandé par un calculateur digital. Il est possible grâce à ce dispositif de restituer pour le pilote les accélérations, les rafales, les turbulences, l’effet des aérofreins ou des inverseurs de poussée à la commande.
La simulation du comportement de l’avion et des systèmes est réalisée grâce à deux ensembles de calcul, l’un digital, l’autre analogique. Pour la première fois en Europe, le calculateur digital est la base d’ensemble. C’est lui qui traite la majorité des calculs à effectuer pour simuler l’avion en fonction des éléments variables tels que les données aérodynamiques, paramètres moteurs, etc. Ce calculateur a été considérablement modifié entre les deux phases de développement du simulateur. Ses possibilités ont presque doublé car on a pu, d’autre part, introduire certaines données résultant des expérimentations menées pendant la phase 1. D’autre part, la quasi-totalité des éléments réels prévus pour l’avion sont aujourd’hui disponibles et le recours à une simulation analogique ne se justifie plus.

Le calculateur analogique à l’origine traitait la simulation des servocommandes, des amortisseurs, des efforts sur les commandes, de l’automanette, du trim automatique, du directeur de vol, du gyroscope et des gyromètres, ces équipements n’étant pas disponibles lors de la mise en route de l’installation en 1969. Depuis, les fonctions de la calculatrice analogique ont été réduites au bénéfice de celles du calculateur digital.
Un ensemble électronique complexe réalise l’adaptation entre le calculateur digital et les différents éléments du simulateur (commandes, instruments, voyants, caméra de visualisation, etc.). Cette interface a également doublé d’importance entre la phase 1 et la phase 2.
Un poste de commande permet d’envoyer directement aux calculatrices des éléments de simulation d’incidents qui sont répercutés au poste de pilotage en fonction des conditions de vol en cours. Les actions de l’équipage sont transmises au groupe de calcul qui les interprète immédiatement, les calculatrices opèrent en temps réel, et envoie les ordres qui en découlent aux différents organes de simulation : des instruments de vol, visualisation, restitution de mouvement, etc., compte tenu des affichages concernant les conditions extérieures faits par ailleurs. Des enregistreurs et des traceurs de route permettent de suivre l’évolution figurée de l’avion et d’analyser, après les vols, les manipulations effectuées sur le simulateur.
Le simulateur a été installé à proximité immédiate du banc d’essais hydrauliques pour pouvoir être connecté avec lui afin d’effectuer des expériences en vraie grandeur. En effet, le simulateur peut fonctionner de façon autonome à l’aide des réactions programmées dans l’ensemble de calcul, mais il peut également être raccordé, pour leur étude, à des équipements réels.

Depuis sa mise en service, le simulateur de Toulouse a permis d’étudier comme on n’aurait pu le faire par aucun autre moyen, le comportement de l’ensemble pilote-avion et de préciser ainsi celle du système de restitution d’efforts, les réactions de l’équipage en cas de panne, les difficultés de pilotage résultant de la défaillance des sous-systèmes. Il a également aidé à fixer la répartition optimale des tâches entre les différents membres l’équipage.
Parallèlement aux expériences menées au sol dans le simulateur de Toulouse, un simulateur volant constitué par un Mirage III B du CEV d’Istres a été utilisé par les équipages d’essais de Concorde. Cet appareil dit a stabilité variable, est un appareil de série dont les commandes de vol ont été modifiées de façon à simuler pour son pilote un grand nombre de configurations de vol et de manoeuvre, c’est–à-dire que, pour certains cas déterminés, tout se passe pour le pilote comme s’il était réellement aux commandes du Concorde.
Enfin, pour compléter l’entraînement des pilotes, un Mirage IV A du CEV modifié de façon à présenter le même rapport poids-poussée que Concorde (0,42) a été utilisé au mois de novembre de l’année passée à partir du terrain de Toulouse. Ce même appareil, après avoir subi de nouvelles modifications (les éléments essentiels des commandes de Concorde lui seront notamment adaptés), servira encore à une campagne d’essais.
La fonction du navigateur étant confiée à un ensemble de calculateurs digitaux qui affichent instantanément devant les pilotes les données nécessaires au vol le poste de pilotage de Concorde n’a été conçu pour accueillir qu’un équipage de trois personnes : les deux pilotes et un mécanicien navigant. Cependant, un siège supplémentaire situé derrière celui du commandant de bord, et un strapontin installé au niveau de l’allée centrale derrière le poste mécanicien, ont été prévus. Tous les sièges sont montés sur rails pour faciliter l’accès aux différentes places et sont équipés de harnais de sécurité à enrouleur à inertie.

Le siège du mécanicien peut, de plus, pivoter et ses rails autorisent des mouvements longitudinaux et latéraux. Cette disposition permet au mécanicien de passer au mécanicien de passer de sa position normale face au panneau de commande général à une position avancée d’où il a une très bonne vue sur l’ensemble de planche de bord et sur le panneau de signalisation général situé au plafond. D’autre part, il peut accéder aisément à la majorité des commandes de la console centrale. Le premier pilote peut de son côté, en cas d’absence momentanée du mécanicien, surveiller le panneau de commande général et manoeuvrer les commandes principales, en reculant son siège au maximum.
Les indicateurs et les commandes sont répartis entre la planche de bord, le pylône central, les consoles latérales, le panneau de plafond et le panneau de commande générale des systèmes. Jusqu’à ces derniers mois, de profondes modifications ont été apportées tant à l’emplacement des appareils qu’à la nature des indicateurs. La définition qui semble offrir un compromis raisonnable entre la tendance un peu hardie des premières maquettes d’aménagement et l’aspect un peu trop traditionnel de certaines solutions proposées, offre en outre une homogénéité satisfaisante.

La partie centrale de la planche de bord est presque entièrement occupée par l’écran principal du radar météo et le routier automatique. Au-dessus de ces deux appareils sont regroupés tous les instruments de contrôle moteur ainsi que les voyants de réchauffe et d’inversion de poussée. La disposition des appareils sur chacune des planches pilotes est celle qui est communément adoptée. Les indicateurs à échelles verticales n’ont été retenus que lorsque leur intérêt était manifeste.
Le pylône central contient dans partie avant toutes les commandes du routier automatique, du système de contrôle de vol automatique et du système “data link”. Il supporte comme de coutume les manettes de gaz, ainsi que celle du système hydraulique. Les commandes de la visière et du nez basculant ont été également disposées sur le pylône central.
Le panneau de plafond placé entre les deux pilotes se présente sous la forme d’une série de cinq panneaux échelonnés de manière à être plus facilement vu des deux places avant. La première planche regroupe essentiellement les alarmes générales, la deuxième contient les commandes manuelles de secours du système de commande de vol, la troisième est occupée par les interrupteurs de stabilisation du trim automatique et système de sensation musculaire. La quatrième planche est consacrée à des commandes radio ainsi que la dernière.

Le panneau de commande générale des systèmes devant lequel se tient normalement le mécanicien navigant fournit tous les renseignements concernant le fonctionnement des différents systèmes de l’avion. Les voyants, les indicateurs et les commandes sont groupés en huit sous-ensembles correspondant chacun à l’un des systèmes suivants : groupe turbopropulseur, combustible, hydraulique, électricité, conditionnement d’air, oxygène, détection de fumée, et antigivrage.
Dans l’ensemble, l’équipage de Concorde bénéficiera d’un confort comparable à celui des passagers quant à l’insonorisation, l’isolation thermique et le conditionnement. Deux glaces ouvrantes sont prévues de part et d’autre du poste comme issue de secours. Leur ouverture peu s’effectuer aisément à l’aide d’une seule main, et une corde stockée au-dessous de chaque fenêtre dans la console latérale devrait faciliter l’évacuation de l’équipage en cas d’accident.
La visibilité des pilotes a fait l’objet d’une attention spéciale des ingénieurs. Nous parlons par ailleurs des systèmes de basculement de la pointe avant et de manoeuvre de la visière. Grâce à l’adoption de cette solution, lors du roulage avec le nez basculé, la visière baissée, les pilotes voient 12 mètres devant eux, soit 5 mètres en avant de l’appareil.

Les essais en vol.

Le programme des essais en vol a été compliqué du fait des modifications intervenues entre la définition des prototypes et des avions de série. D’autre part l’incertitude qui règne quant à la date du premier vol ne permet pas d’affirmer que les délais initialement prévus seront tenus dans le détail. Seul objectif final, l’obtention du certificat de navigabilité en juin 1971 ne sera certainement pas déplacée.
Les vols d’essais seront divisés en trois parties correspondant chacune à un objectif précis. La première partie menée pour 60% avec les deux prototypes et pour 40% avec les deux avions de présérie, aura pour but la mise au point complète de l’avion, c’est-à-dire la vérification de ses qualités aérodynamiques et l’optimisation des réglages des différents équipements.
Les deux autres parties seront directement orientées en vue d’obtenir le certificat de navigabilité. Les essais auront donc deus aspects complémentaires : démontrer la sécurité des vols avec passager et assurer la conformité de l’appareil avec les règlements officiels en vigueur pour l’exploitation. C’est pourquoi il faut distinguer les vols de certifications proprement dits et les vols d’endurance qui préfigurent les vols commerciaux eux-mêmes.
Au total, sept avions seront utilisés pour les essais : les deux prototypes, les deux avions de présérie et trois appareils de série. Ils totaliseront, lorsque le premier Concorde de compagnie entrera en exploitation, plus de 4300 heures de vol.

Calendrier des essais en vol de Concorde, sept avions seront utilisés pour conduire ce programme : 1 – le prototype (Sud) ; 2 – le prototype 002 (BAC) ; 3 – présérie 01 (BAC) ; 5 & 7 – Série (Sud) ; 6 – Série (BAC).

Un aspect insolite de ”Concorde » le fait ici ressembler à quelque gigantesque oiseau picorant, bien posé sur ses pattes. J. Pérard a fixé une attitude très originale du 001.

L’exploitation de Concorde.

Si le développement de Concorde laisse encore la place à quelques inconnues techniques son exploitation régulière par les compagnies aériennes pose tant de problèmes nouveaux qu’on peut se demander si ce n’est pas là, l’inconnue majeure. Tous les chiffres ont été avancés, toutes les estimations que l’on peut faire risquent d’être démenties par l’expérience. La rupture entre les performances des SST et celles des la génération précédente d’avions de ligne est trop profonde pour qu’il soit possible de faire une simple extrapolation. C’est cette absence d’éléments absolument certains qui explique à la fois l’optimisme des uns et les prévisions pessimistes des autres. Dans la lutte de communiqués à laquelle se livrent les deux parties depuis plusieurs années, l’objectivité n’a pas toujours été de règle, l’entrée en lice du SST américain ayant faussé les cartes. Evidemment, on ne peut juger la rentabilité d’un avion commercial dans l’absolu, il faut se livrer à des comparaisons, mais il est quelque peu excessif de faire des rapprochements poussés entre Concorde dont la définition est pratiquement acquise et un appareil aux caractéristiques techniques et commerciales encore évolutive et qi au demeurant ne prendra l’air que dans quatre ans.

Il semble plus sage de se référer au passé plutôt qu’à un avenir encore incertain. Quelques chiffres permettent de situer le problème et les difficultés auxquelles se heurtent les prévisions. Le prix d’achat de Concorde sera approximativement deux fois et demi celui d’un Boeing 707-320 B. Par rapport à ce même avion que l’on peut prendre comme le type des appareils subsoniques long-courriers actuels, le prix de revient au siège/kilomètre de Concorde sera assez nettement plus élevé : 0,105F/siège/km, contre 0,070F/siège/km pour l’avion américain. Par contre, la productivité annuelle du supersonique franco-britannique, en raison même de sa vitesse, sera nettement supérieure à celle des subsoniques On l’estime actuellement à environ 815 millions de sièges/km, alors que la productivité annuelle d’un Boeing 707-320B s’établit autour de 556 millions de sièges/km. D’autre part, selon les constructeurs, un remplissage de l’ordre de 39% devrait assurer l’équilibre des recettes et des dépenses. Cette caractéristique permettrait de ne pas limiter l’utilisation de l’appareil aux routes aériennes à gros trafic, ce qui sera fondamental pour la bonne utilisation des performances de Concorde.

En dehors de toutes les caractéristiques chiffrables de Concorde, un certain nombre de facteurs qui influenceront sans aucun doute son exploitation sont très difficiles, sinon impossible à évaluer. En particulier on ne sait absolument pas quel sera l’attrait de Concorde auprès des usagers, ni quels seront les effets d’une augmentation du prix des places. On a vu par le passé que les prévisions peuvent se révéler absolument erronées. Toutefois le goût des passagers pour la nouveauté est certainement l’un des atouts importants de Concorde. En conclusion, on ne peut qu’être raisonnablement optimiste quant à l’avenir commercial de Concorde parce que l’introduction d’avions supersoniques dans le trafic passagers va dans le sens de l’évolution normale des liaisons commerciales. Les considérations chiffrées les plus strictes ne sauraient contrebalancer l’engouement que provoqueront sans doute les possibilités nouvelles offertes par Concorde.

Le carnet de commandes.

Arrêté au 30 janvier 1968, le carnet de commande de Concorde totalisait 74 options. En dehors des 8 exemplaires commandés par la BOAC et des 8 commandés par Air France, on cite tout d’abord la Pan Am qui signa le premier contrat le 3 juin 1963. Les compagnies ayant pris option sur Concorde sont la Pan Am, déjà citée (8), Continental Air Lines (3), American Airlines (6), TWA (6), MEA (2), Quantas (4), Air India (2), Japan Airlines (3) Sabena (2), United Airlines (6), Eastern Airlines (6), Braniff (3), Lufthansa (3), et Air Canada (4).

Soulignons que le premier ordre de la Pan Am portait sur six unités et qu’un second, passé le 16 juin 1966, amena ce chiffre à 8. De même, American Airlines se manifesta par deux ordres, le premier (4) le 7 octobre 1963, et le second (2) le 16 janvier 1964. Quant à Eastern Airlines, les six appareils commandés le furent en trois reprises, soit deux le 28 juin 1966, deux le 15 août 1966 et deux le 28 avril 1967.

Le bruit, ennemi n° 1.

Le bruit va-t-il devenir l’ennemi numéro 1 de l’avion de transport supersonique ? La certification de l’avion Concorde a imposé la mise en place du Comité FAUSST (French American and United Kin-don SuperSonique Transport) dès 1964. Le 11 août 1965, Sud Aviation et la BAC adressaient officiellement la demande de certification de Concorde au représentant européen de la FAA à Bruxelles.

Une réglementation toute nouvelle, et dont certains chapitres restent encore à préciser, doit présider à la certification des SST futurs. Et, parmi les chapitres encore non définis, figurent ceux relatifs au bruit. Aux bruits, pourrions-nous dire, car ils sont de deux sortes.
Tout d’abord, celui de l’avion provoqué par l’avion au décollage et, surtout à l’approche et à l’atterrissage, intéresse les aéroports et leurs riverains plus ou moins éloignés. La solution du problème est dans l’étude de silencieux efficaces sans pénalité inacceptable de poussée ou de consommation. Il y a également l’étude de procédures propres au supersoniques et aussi dépendant de l’acceptation des services de tutelle des aéroports internationaux de chaque pays.
Dans l’état actuel des travaux, le système de silencieux à éléments rétractables, actuellement monté sur Concorde, permet d’espérer un bruit qui ne sera pas supérieur à celui des avions actuels. Mais la réglementation en cours d’élaboration par la FAA n’imposera-t-elle pas des restrictions plus sévères ? Le principe qui serait retenu est que l’avion supersonique représentant un progrès dans de nombreux domaines doit afficher également un progrès dans celui du bruit. Il est évident que si ce principe était retenu, les pénalités qui en résulteraient toucheraient durement la rentabilité de l’avion supersonique, qu’il soit américain, franco-anglais ou soviétique.
Il faut donc espérer que le principe admis consistera à reconnaître que tout progrès se paie et que le bruit fera partie de la note à payer en restant sur les normes actuellement en vigueur. Reste le bang sonique. Celui ne peut pratiquement pas être atténué par des moyens techniques et il faudra composer avec lui. Pour mieux connaître le problème de nombreux et patients essais ont été conduits dans le monde.

Aux Etats-Unis, la ville d’Oklahoma fut soumise, en même temps que ses environs, à six mois d’expérience au cours desquels 1200 bangs soniques furent déclenchés. En France, l’opération “Jéricho” menée avec un Mirage IV A, a permis de mieux connaître le problème et, notamment, de comprendre le mécanisme encore mal précisé des focalisations provoquant les supers-bangs. La focalisation intervenant pendant l’accélération transsonique est un problème important qui peut jouer sur la façon de conduire un vol commercial, au moins pendant sa phase initiale et jusqu’à l’arrivée de l’avion au-dessus des océans ou des régions faiblement habitées.
Rappelons, pour fixer les idées, que le bang sonique d’un SST croisant à 11.000 mètres couvrira une bande de 39.000 kilomètres de large à Mach 1 et de 69 kilomètres de large à Mach 2. On voit que les zones concernés par le phénomène sont extrêmement importantes. Une réglementation sera nécessaire quant à la circulation aérienne des SST au-dessus des régions habitées. A ce sujet, le SST américain, plus lourd et plus rapide que Concorde, sera défavorisé et risque de voir ainsi une bonne partie de son avantage de vitesse disparaître dans le profil de vol que lui imposeront les règlementations.

Le contrôle de la circulation aérienne.

Lorsque les quadriréacteurs arrivèrent sur les lignes, il était admis qu’aucune attente ne devait leur être imposée, la pénalisation qu’entraînait pour le vol à basse altitude étant de façon trop importante. Il a donc été mis au point des procédures d’attente à haute altitude. Actuellement, elles servent très peu ; dans l’hypothèse la moins favorable, l’attente se partage entre la haute altitude et les couches basses. Par l’expérience acquise, par le jeu des réserves, en un an et demi le problème a été résolu. N’en sera-t-il pas de même pour le supersonique vis-à-vis des subsoniques actuels ?

En subsonique.

Quoi qu’il en soit, cette notion d’altitude intervient dans les facteurs qui touchent au contrôle de la circulation aérienne : volume dont on dispose pour caser les avions, efficacité des moyens de contrôle.
Autre élément qui conditionnera le contrôle de la circulation aérienne : le bruit. Il y aura peut-être moins à s’effrayer du bruit qu’on le pensait tout d’abord. Le supersonique, en subsonique sera peut-être moins bruyant que les subsoniques actuels. Il sera plus bruyant en virage en raison d’un phénomène de focalisation lié à cette configuration. Or, estime-t-on, le vol subsonique d’un supersonique entraînerait un accroissement de consommation de l’ordre de 20% ; chiffre important certes, mais très en-dessous des prévisions qui furent faites à ce propos. D’où il apparaît que la notion de bruit intervient, elle aussi, dans le contrôle de la circulation pour les projets de contrôle actuellement en chantier.

Deux phases.

A propos de ces projets, nous considérons deux phases : la croisière, le décollage-approche. Actuellement pour la première phase, la formule qui prévaut est celle de la croisière ascendante. Si elle est maintenue, le contrôle de la circulation aérienne va se trouver devant une impossibilité : il n’existe pas de moyens qui permettent d’assurer la séparation des avions dans ces conditions.
Or, nous parlons de l’Atlantique Nord, il ne semble pas que, même en croisière, à altitude constante, on en soit à réduire les normes d’espacement. L’expérimentation menée à ce propos a conclu qu’il fallait reprendre les anciennes limitations. On en n’est donc pas à introduire un facteur aussi complexe que la croisière ascendante.
Alors, Eh bien alors on attaque la question un peu plus par la bande : “faites-moi de bonne navigation, je vous ferai un bon contrôle…”. Avec, à l’esprit, la navigation par inertie et la navigation au moyen de satellites artificiels. Car c’est surtout sur L’Atlantique qui en est cause ; en Europe, l’infrastructure radio est évidemment plus dense et donc les écarts de navigation moins importants. Les satellites apporteront-ils la solution sur l’Atlantique ? Possible, mais des problèmes restent à résoudre et notamment celui de la proximité des deux antennes – émission et réception – sur un même satellite.
Passons aux questions de contrôle relatives au décollage et à l’approche. Ici l’aérodynamique apporte sa note : chacun sait que les évolutions d’une aile delta diffèrent assez de celles d’une aile classique ; celles de la géométrie variable – Boeing 2707 – apportant leurs particularités. Pas de doute que les trajectoires d’approche vont évoluer et s’adapter dans cette phase. En bref, pas de besoins nouveaux ici du fait du supersonique, simplement cette adaptation aux trajectoires nouvelles. Toutefois, il est à noter que, tout comme l’on pense automatisation du contrôle de route, on pense automatisation de l’approche et diverses expérimentations sont en cours. Mais la solution n’est pas en vue.

Dans trois ans.

Pour l’heure, on en est à la régulation radar, qui permet un espacement de 3 NM en approche. Et la formule va se développer. C’est ainsi que, dans quelques trois ans, la France serait entièrement couverte en radars de surveillance, de 2000 mètres jusqu’aux altitudes où se rencontrent les supersoniques. Chaque station comprendrait un radar de surveillance, un radar secondaire et un extracteur, les extracteurs étant reliés à un calculateur central. Cette couverture se ferait en conjuguant les installations civiles et les installations militaires. Ainsi, l’image de la circulation serait reçue en différents points ; problème : la transmission des images. Trois modes de transmission peuvent être retenus, par relais hertzien, par télévision (compression de bande), par la digitalisation des informations. C’est cette dernière qui a été retenue en France.
Pour terminer, deux mots de cette expérimentation menée à Brétigny et qui a consisté à intégrer un Mirage IV dans le circuit d’avions plus lents. Simple accoutumance aux caractéristiques de maniabilité de la machine considérée avec le point de vue du contrôleur, évidemment, nous a-t-on dit. Il faudra attendre pour en savoir un peu plus long.

Passagers et transport supersonique, par le docteur Jean LAERNHE du service de santé d’Air France

Au XIXème siècle, Arago dans un retentissant discours devant les députés français, s’était élevé avec vigueur contre les transports ferroviaires, prédisant aux futurs usagers pleurésies et catarrhe, asphyxies sous les tunnels et annonçant d’épouvantables catastrophes que ne manqueraient pas d’engendrer les vitesses folles de 50 km/h que l’on prévoyait alors. Aujourd’hui, de sombres augures ont modernisé ces arguments et les opposent au transport aérien supersonique, qui, à les entendre, exposera ses passagers à l’anoxie aiguë, à l’ébullition dans le vide stratosphérique, à l’asphyxie par l’ozone, au mur de la chaleur et aux bombardements nucléaires cosmiques ! Sans parler du fameux bang supersonique.
Or, si quelques inconnues subsistent encore, les progrès considérables réalisés ces dernières années ont permis de trouver les solutions de tous ces problèmes. Le succès du supersonique est d’ailleurs, à ce prix car il serait inconcevable que le progrès technique vienne forcer les aptitudes biologiques de l’homme. Le passager gagnera en rapidité, certes, mais il bénéficiera aussi d’un meilleur confort, d’un milieu physiologique mieux adapté, d’une sécurité accrue

Radiations ionisantes.

Malgré des altitudes de croisière élevées pouvant atteindre 20.000 à 25.000 mètres, la pressurisation rétablira dans la cabine une altitude fictive inférieure de plusieurs centaines de mètres aux altitudes actuelles. Les structures, les hublots, les circuits de compression sont calculés de telle sorte que toute panne de pressurisation soit hautement improbable et que si par extraordinaire, il s’en produisait une, la compression soit suffisamment lente pour permettre sans danger pour les occupants, une descente à une altitude compatible avec une respiration efficace.
Pour les montées et descentes à vitesse subsonique, les températures très basses de la haute atmosphère (- 50°C) seront facilement neutralisées par le réchauffement de l’air dans les compresseurs. Aux vitesses supersoniques, par contre, l’échauffement aérodynamique de certaines parois rendra nécessaire une réfrigération qui sera assurée par des échangeurs de température avec l’air extérieur et avec le carburant.
Quant à l’ozone, ou oxygène triatomique, qui existe en concentrations entre 20.000 et 25.000 mètres (jusqu’à 30 ppm), alors que le maximum admissible pour l’homme est de 0,1 ou 02 ppm, sa thermolabilité et la catalyse de sa dissociation par le nickel permettront aisément de soustraire les occupants de l’avion à ses effets fâcheux.

Plus complexe est le problème des radiations ionisantes existant en haute altitude et réparties de façon irrégulière autour de notre globe, en raison du champ magnétique terrestre qui les concentre dans les régions polaires, Ce rayonnement, dont une part est à peu près stable du fait de son origine galactique est fonction pour une autre part, de l’activité solaire qui peut venir l’augmenter considérablement. Les résultats effectués en période de soleil calme, permettent de conclure qu’une exposition de 500 heures par an à l’altitude de 20.000 mètres correspondait à une irradiation inférieure à REM par an, alors que l’on admet 5 REM pour les travailleurs exposés aux radiations. Un passager qui volerait 12 heures par an (2 voyages Paris-New York et retour) ne recevrait pas plus de 30 miliREM, ce qui est très inférieur au maximum toléré pour le public, soit 500 milliREM par an. Lors des éruptions solaires qui surviennent selon un cycle de 11 ans, par contre, on a pu relever jusqu’à 25 milliREM-heure à 24.000 mètres, quelques dizaines minutes après l’éruption et pendant plusieurs heures. L’observation permanente du soleil permettra d’établir un système d’alerte qui laissera le temps à l’avion de descendre à une altitude de sécurité avant que le rayonnement ne l’atteigne. Les radio-communications pouvant être temporairement perturbées, un détecteur de radiations installé à bord donnera également l’alarme. La probabilité de rencontrer de telles conditions de radioactivité est d’ailleurs extrêmement faible et ne devrait pas entraver de façon notable l’exploitation du supersonique

Mach 3, 140 décibels.

Le bruit, grâce à l’insonorisation des cabines, sera, pour les passagers, analogue, à celui des jets actuels, soit 70 à 80 décibels ; cela malgré les moteurs et, surtout, le bruit aérodynamique qui, à Mach 3, est évalué à plus de 140 décibels. Le “bang” supersonique est un problème beaucoup plus sérieux, encore incomplètement connu, mais qui n’intéresse que les populations de surface, à l’exclusion des passagers. Il entraînera certainement des limitations altimétriques et géographiques aux commerciaux supersoniques.
Peut-être le futur passager de classe Mach 2 ou 3 ne pourra-t-il pas se défendre d’un certain sentiment d’angoisse devant la nouveauté de tout cet environnement, d’autant que les formes de l’avion, ses hublots encore plus petits, ses attitudes inhabituelles de décollage et d’atterrissage ne manqueront pas de surprendre. Mais l’attrait d’une vitesse et d’un confort accrus, la fierté aussi, d’appartenir au Club Supersonique compenseront aisément cette petite anxiété. La SNCF n’a-t-elle pas annoncé que le train “Capitole avait vu ses usagers augmenter de 45% depuis qu’il roule à 200 km/h ? N’en déplaise à Arago, authentique savant mais mauvais prophète, il n’y a dans le supersonique, non plus dans le chemin de fer, rien qui ne soit à l’échelle humaine.

Développements futurs.

Il n’est pas d’exemple qu’un appareil appelé à être produit en série n’ait donné lieu à des améliorations et à des versions nouvelles au fil des années. Ce principe a été vérifié suffisamment souvent pour que l’on songe à ce que pourrait être Concorde stades 2-3 et la suite.
Tout d’abord, il convient de préciser un point d’histoire. A l’origine des études de l’avion supersonique franco-anglais, soit bien avant qu’il ne porte le nom qu’on lui connaît aujourd’hui, le point de départ des recherches était fondé sur l’obtention d’une vitesse de croisière de 2200 kilomètres heures, à une altitude oscillant entre 15.000 et 17.000 mètres, ce qui correspond à un nombre de Mach de 2,05. Ce domaine était, et reste, considéré comme la valeur optimale de la vitesse pour l’appareil projeté.

Ce n’est que plus tard que l’on pensa à aller un peu au-delà de cette vitesse. Le chiffre de Mach 2,2 fut avancé, divulgué, repris par tous les moyens d’information, et finalement considéré.
L’avion grossissant à mesure de son développement et alors que la construction des prototypes était lancée, le souci de conserver à Concorde une vie de 45.000 heures imposa d’abaisser légèrement la température maximale garantie en la ramenant de 426° K à 400° K. Cela impliqua donc un retour au Mach initial de 2,05.
Cette donnée de base étant établie, on peut donc prévoir des améliorations de l’avion actuel portant d’abord sur la vitesse, sur la capacité ou sur l’autonomie. Il est certain que ces améliorations ne pourront porter sur ces trois paramètres en même temps. Et un choix sera alors permis aux compagnies dont les demandes seraient affectées par la nature du réseau.

Le choix reste aux compagnies.

C’est ainsi qu’un premier stade de développement de Concorde pourrait consister à porter la vitesse de croisière à Mach 2,2 sans toucher à la capacité ou à la charge marchande de l’appareil, ou encore de conserver le Mach actuel de 2,05 en offrant quelques centaines de kilos supplémentaires de charge.

Les progrès des réacteurs aidant, des améliorations touchant la capacité peuvent être envisagées sans qu’il soit nécessaire, pour cela d’allonger le fuselage. Il est plus vraisemblable de prévoir une augmentation de la section du fuselage, à l’avant notamment et il restera, de toute façon, aux compagnies de choisir la façon de bénéficier de l’amélioration offerte. Soit en augmentant le nombre de sièges, soit en augmentant la quantité de combustible emportée.
De toute façon, rien ne saurait intervenir dans l’immédiat. Seul le verdict des essais en vol permettra d’envisager un développement de Concorde.
Par les chiffres, les différents stades du développement de Concorde

Le partage des fabrications de Concorde

L’accord signé le 29 novembre 1962 fut suivi de nombreuses réunions des deux comités des directeurs et des ingénieurs anglais et français. Les modalités d’application aboutirent au partage d’application aboutirent au partage des fabrications suivantes :
La BAC, division de Weybridge, est chargée de la construction de la pointe avant, de la dérive et de sa gouverne de direction.
La BAC, division de Filton, réalise la partie avant du fuselage et, en collaboration avec Rohr (USA), les nacelles réacteurs.

La BAC, division de Preston, construit la partie arrière du fuselage.
Le reste du fuselage, soit les parties intermédiaires et centrales, sont le fait de Sud Aviation, dans ses usines de Toulouse, Marignane et St Nazaire. La plus grande partie de la voilure venant de construction avec le fuselage, les éléments détachables sont relativement peu nombreux.
Les onglets sont le fait de Sud Aviation-Bouguenais.
Les deux demi-voilures extrêmes sont à la charge des Avions Marcel Dassault.
Quant aux élevons, ceux des prototypes ont été construits par Rohr (USA), mais les modèles de présérie seront de construction plus classique et, sans doute, confiés à Sud Aviation qui a réalisé déjà quelques exemplaires d’études et d’essais.
Dans le domaine des équipements, des plus nobles aux plus discrets, la collaboration consiste, dans un sens France-Angleterre comme dans l’autre, en une maîtrise d’oeuvre confiée à un équipementier, à charge pour lui de trouver un homologue, soit anglais, soit français qui disposera d’une charge de travail sous licence. C’est ainsi que l’atterrisseur principal est signé Hispano Suiza et le train avant, Messier.
Sud Aviation s’est vu confier la maîtrise d’oeuvre de l’ensemble des circuits hydrauliques, des commandes de vol, des instruments de navigation, de radio et de l’alimentation du système de conditionnement d’air.

De son côté, la division de Bristol (Filton) de la BAC a la charge des systèmes électriques, d’oxygène, du circuit combustible, des instruments des réacteurs, des servocommandes, de la détection incendie, du dégivrage de la voilure et des entrées d’air et, enfin, de la distribution de l’air conditionné.
Dans le domaine des moteurs, le partage est de 60% pour l’Angleterre et 40% pour la France.
Terminons en ajoutant que deux chaînes parallèles sont implantées, l’une en France et l’autre en Angleterre, en ce qui concerne l’assemblage final, les essais en vol et la production de série des appareils.
L’ensemble de ce dispositif, unique en son genre, a donné d’excellents résultats et doit prouver son efficacité bien au-delà du stade des études et de la sortie des prototypes. Son prolongement logique est la production de série, puis le service après-vente. Quand ce dernier stade sera obtenu, ce que certains appellent une aventure, sera devenu routine…