Le Berry Républicain – 2 Mars 2019 : Ce que Concorde doit à ces Berruters

Anniversaire. Il y a cinquante ans, le 2 mars 1969, Concorde, avion supersonique franco-britannique, effectuait son premier vol à Toulouse. Des Berruyers ont participé à la construction du mythique oiseau blanc, qui a connu son dernier vol en 2003.

Ils se souviennent !

C’est dans l’usine Michelin de Saint-Doulchard, aujourd’hui dirigée par Jacques Glémot (à gauche) et dans laquelle ont travaillé Pascal Joly et Guy Laflotte, qu’ont été conçus les pneus pour faire redécoller le Concorde quelques mois seulement après le crash de Gonesse, en 2000.

Photo Pierrick Delobelle

Le 2 mars 1969, il y a 50 ans jour pour jour, Concorde, qui permettait de relier Paris à New York en 3 h 30, effectuait à Toulouse son premier vol. Des Berrichons ont participé à la construction du mythe qui a connu son dernier vol en 2003.

Témoignages.

Fierté. Systématiquement, le mot fuse de la bouche de ces Berrichons quand est posée sur la table l’épopée de Concorde. Béatrice, Pascal, Guy, Roland ou encore Christian ont contribué à écrire l’histoire de l’avion supersonique qui, il y a 50 ans, le 2 mars 1969, effectuait son premier vol.

1. Des pneus fabriqués à Saint-Doulchard

Il s’appelait Concorde. C’était un oiseau blanc. Il reste leur idole. Et eux, ils ont 63 et 70 ans. Quand, le 2 mars 1969, l’avion franco-britannique effectuait son premier vol, Pascal Joly et Guy Laflotte ne savaient pas encore qu’ils allaient participé au mythe. C’est grâce à eux, et à leurs collègues de l’usine Michelin de Saint-Doulchard, que Concorde a pu reprendre son envol, quelques mois après le crash de Gonesse (Val-d’Oise). Trois ans avant de rester définitivement cloué au sol par son échec commercial, Concorde s’écrasait le 25 juillet 2000 sur un hôtel à proximité de l’aéroport de Roissy. Le bilan : 113 morts. La cause : une lamelle en titane restée sur la piste faisait éclater un pneu dont les débris détérioraient un réservoir. Sa résurrection, Concorde la doit au manufacturier de pneumatiques Michelin. Et notamment aux salariés du site berrichon. ”Je me revois participer à la réunion technique à Clermont-Ferrand lors de laquelle un ingénieur a lancé » : “Je pense avoir la solution”, glisse Pascal Joly, entré chez Michelin en 1980, technicien qualité à Saint-Doulchard parti à la retraite en 2017. ”Et comme on était à l’époque la seule usine de la société à faire du pneu d’avions, ceux du Concorde sont sortis de chez nous ». Entre 300 et 400 pneus, comme celui qui trône dans un bâtiment de l’usine Saint-Doulchard, ont été fabriqués dans le Cher pour relancer Concorde. Un exemplaire de la « belle bête », comme la qualifie Guy Laflotte, Bib de 1967 à 2009, et chef d’atelier durant l’épisode Concorde, trône aujourd’hui encore à l’entrée d’un bâtiment de l’usine. « Vous voyez cette entaille, montre-t-il du doigt. C’est ce qu’une pièce métallique identique à celle du drame de Gonesse provoquait seulement sur nos pneus lors des tests sur la rouleuse”.

Photo Pierrick Delobelle

Le pneu radial NZG, plus résitant, était né. L’avion supersonique allait pouvoir redécoller. « Au total, entre 300 et 400 pneus destinés à équiper Concorde ont été conçus ici », note Jacques Glémot, l’actuel directeur de l’usine berrichonne. Cela a été une sacrée aventure, lance Pascal Joly, hochant de la tête et levant au ciel les yeux. « Il y a clairement eu un avant et un après-Concorde. D’un coup d’un seul, il n’y avait plus d’un côté les petits techniciens berrichons et de l’autre les grands techniciens clermontois. Tout le monde travaillait main dans la main pour fabriquer ce pneu haute-couture. C’était devenu la priorité des priorités”. La même étincelle dans le regard, Guy Laflotte enchaîne : ”Cela restera une aventure humaine grandiose et une immense fierté. Sans doute ce que j’ai vécu de plus fort dans ma carrière ».

Pascal Joly et Guy Laflotte évoquent « une aventure humaine grandiose ». Photo Pierrick Delobell

Une date « restera à jamais gravée” dans les esprits de Pascal et Guy. Et aussi cette ”sensation incroyable d’être scotché au siège au moment du décollage ». Le 15 décembre 2001, ils embarquaient, comme une cinquantaine de salariés de Michelin Saint-Doulchard, à bord de Concorde. « Le plus beau des cadeaux que l’on pouvait nous faire pour nous remercier, nous qui n’avions pas les moyens évidemment de se payer ce luxe, lance Pascal Joly, qui a conservé de cette boucle au-dessus de l’Atlantique au départ de Clermont-Ferrand une flopée de photos souvenirs et le goût du grand cru bordelais servi en vol. On a senti une véritable reconnaissance pour notre travail”.

Le 15 décembre 2001, les Bibs berrichons ont pu voler à bord de Concorde. Ici à côté de François Michelin, ancien président directeur général du manufacturier clermontois de pneus. Photo d’archives.

Une cinquantaine d’employés du site Michelin de Saint-Doulchard avait assisté à la résurrection, à Clermont-Ferrand, en 2001, de Concorde. Photo d’archives.

Tous les employés de Michelin ont pu laisser une trace indélébile sur le pneu radial nouvelle génération NZG qui a permis de faire redécoller l’avion supersonique. Photo d’archives

2. Une partie de l’aile construite à Bourges

Il y avait aussi un peu de Bourges dans le Concorde. Au début des années 1970, une partie de son aile est sortie des hangars de Nord-Aviation, devenu entretemps la Société Nationale Industrielle Aerospatiale (SNIAS). ”Ce changement, les infrastructures et les connaissances du personnel ont permis de participer au programme Concorde, se souvient Roland Narboux, président de l’association Patrimoine Aéronautique Bourges Berry (PABB). L’établissement avait récupéré cette partie de l’aile, le tronçon 21, de chez Dassault qui avait assuré la fabrication des prototypes ».

Le tronçon 21 de l’aile de Concorde a été fabriqué dans un hangar de la SNIAS, à Bourges. Photo Patrimoine aéronautique Bourges Berry. A cette époque « de grande révolution pour le secteur”, Roland Narboux était ingénieur à la SNIAS : ”Les méthodes de travail n’avaient rien à voir avec tout ce qui avait été fait avant. Chaque pièce était numérotée et
faisait l’objet d’un suivi. Cela peut paraître anodin en 2019, ça ne l’était pas. Cette partie de l’aile n’avait aucune ligne droite et pour la première fois était utilisé un alliage d’aluminium nécessitant des traitements thermiques et de surface pointus. Au début, on était perdu comme des rats ».

Les parties de l’aile du Concorde étaient acheminées depuis Bourges jusqu’à Toulouse et Filton (Angleterre) avec l’aide de l’avion-cargo Guppy. Photo Patrimoine aéronautique Bourges Berry. Les allers et venus du Guppy, avion-cargo chargé de transporter les pièces depuis Bourges jusqu’aux sites d’assemblage à Toulouse et Filton, en Angleterre, n’ont duré que quelques années. « On n’a jamais atteint le rythme de croisière prévu de 7 parties d’aile par mois, raconte Roland Narboux. Au total, seules 20 pièces ont été produites à Bourges, dont deux prototypes et deux pré-séries. Concorde a été un échec commercial, mais a marqué la ville et des personnes qui, comme moi, sont fières d’avoir participé à l’aventure”

. 3. Une pilote aux racines berrichonnes

Seule Française pilote de Concorde, Béatrice Vialle est née en 1961 à Bourges. Photo DR

Concorde, capable de relier Paris à New York en 3h30, a marqué l’histoire de l’aéronautique. Une Berruyère aussi. Fille d’un père militaire, Béatrice Vialle, née à Bourges en 1961 avant de vivre quelques années à Saint-Amand, a été l’une de deux seules femmes – avec la Britannique Barbara Harmer – à avoir piloté Concorde. Un événement qui aurait pu ne jamais se produire, Béatrice Vialle ayant débuté en mai 2000 une qualification interrompue par le drame de Gonesse. Le bijou technologique et pneumatique Michelin a finalement permis à la Berruyère de réaliser 46 allers-retours au-dessus de l’Atlantique avec le supersonique. Une série débutée le 11 septembre 2001. Dans le cockpit du grand oiseau blanc, Béatrice Vialle a connu toutes les émotions. Elle y a appris les attentats des tours jumelles du World Trade Center. Elle y a été la dernière a en manipulé les commandes lors de l’ultime vol commercial de Concorde pour Air France, le 31 mai 2003. L’image de la Berruyère s’extirpant du nez du Concorde a fait le tour du monde.

L’ultime vol commercial de Concorde pour Air France a eu lieu le 31 mai 2003. L’image de la Berruyère s’extirpant du nez de l’avion a fait le tour du monde.

L’ultime vol commercial de Concorde pour Air France a eu lieu le 31 mai 2003. L’image de la Berruyère s’extirpant du nez de l’avion a fait le tour du monde.

4. Un Berruyer a assisté en direct au crash de Gonesse

La main droite remonte la manche gauche de sa veste. Au récit, Christian Girardeaux joint le geste pour témoigner. ”Regardez, j’en ai encore les frissons ». Quand, le 25 juillet 2000, la France entière découvrait la seule vidéo du Concorde en feu avant le crash de Gonesse tournée par un routier espagnol, le Berrichon a, lui, vécu en direct la catastrophe aérienne.

Christian Girardeaux a été témoin du crash de Gonesse, en 2000. Photo Pierrick Delobelle

À l’époque directeur des achats Europe pour Case, société de machines agricoles, Christian Girardeaux se trouvait au moment de la tragédie à quelques kilomètres, à Villepinte, dans son bureau : « Entendre le Concorde décoller tous les jours à 11h45, c’était mon petit plaisir, se souvient le président de l’union aéronautique du Centre. Quand, ce jour-là, j’ai entendu son bruit impressionnant mais à l’horaire inhabituel de 16h45 car il s’agissait d’un vol charter, je me suis de suite retourné. Concorde était quasiment sur la tranche. En feu. Quelques secondes après, au loin, je voyais une épaisse fumée noire. J’ai de suite compris…” Au-delà de cette ”image qui restera toujours gravée dans [mon] esprit », le Concorde a marqué la vie du Berrichon. « Comme tous les passionnés d’aéronautique d’abord, car cet avion a représenté un immense bond technologique et plus personnellement car à mon niveau j’ai contribué au Concorde”. Avant le premier vol commercial en 1976 du grand oiseau blanc, Christian Girardeaux a travaillé à Châtellerault (Vienne), au sein de la Société française d’équipements pour la navigation aérienne, sur le vérin de commande du compensateur, système qui maintenait la gouverne dans une position permettant l’équilibre de l’avion. Remontant sa manche, il lâche : ”Concorde, c’est pour moi ce sentiment étrange de fierté mêlé à l’horreur ».

Benjamin Gardel


Martine Marage a été hôtesse de l’air sur le Concorde*

Rencontre avec Martine Marage. Blancafortaise, elle a commencé sa carrière d’hôtesse de l’air chez Air France, et aime revenir dans sa Sologne pour y respirer l’authenticité, la littérature et un bon bol d’air dans la maison familiale.

Martine Marage entre ciel et terre

Martine est une pionnière. L’une des premières hôtesses de l’air à avoir volé sur le mythique avion supersonique, le Concorde. C’était il y a quarante-deux ans, en 1976, elle participait alors aux vols d’endurance pour obtenir son homologation commerciale. Martine fait partie des premiers vols Paris-Les Açores-Caracas et du premier vol Paris-Washington en mai 1976. En 1998, elle se fait un nom parmi les hommes en devenant cheffe de division du personnel navigant commercial Air France pour l’Asie. Une importante responsabilité d’une équipe de 28 instructeurs, 5 responsables de secteur, 500 chefs de cabine et 1740 stewards et hôtesses de l’air.

Comment avez-vous organisé votre vie ?

Avant toute chose, il est nécessaire de s’entraîner physiquement, faire du sport pour atteindre un équilibre physique et mental et tout mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs d’Air France, une très belle entreprise. Il est essentiel aussi d’être à l’écoute d’une clientèle internationale, faire confiance et s’adapter au jour le jour face à, parfois, des équipes que je ne connaissais pas. Il est primordial également de s’organiser pour la vie de famille. Pas question d’arriver en retard sinon l’avion aura décollé sans moi ! Je fonctionnais en mode tiroir, lorsque j’en fermais un, j’étais dans un autre monde et me donnais complètement à mon entreprise, c’était ma liberté et mon plaisir !

Vous devez avoir une tonne de souvenirs…

Le premier décollage du Concorde en 1976 a été un moment très fort. Je me souviens aussi de l’accouchement en vol d’un bébé philippin entre Téhéran et Manille, que les parents ont appelé Francis, et d’un dîner de Noël chez Mobutu, au milieu de la forêt tropical, au milieu des chants grégoriens, avec de la vaisselle de Limoges et des verres en cristal, inouï !

Quel est votre plus mauvais souvenir ?

L’accident du Concorde à Gonesse le 25 juillet 2000, j’ai participé à la cellule de crise. Air France a un savoir-faire et met en place très rapidement des cellules d’accompagnement de très grande qualité. Et puis, il y a eu les obsèques de l’équipage, ce fut tragique. Je me souviens d’une amie, une hôtesse allemande, de son enterrement en Allemagne et aussi de l’immense tristesse à la Madeleine en mémoire des 113 victimes.

M’ancrer dans un territoire

Vous revenez en Berry pour vous ressourcer ?

Je reviens dans le pays de ma famille et de mes vacances. J’ai un profond attachement pour la maison familiale qui a été transmise de génération en génération, tout me rappelle les émotions de ceux qui l’ont habitée, la Sologne proche, les arbres immenses qui bordent ce canal… Après avoir vécu à 10.000 mètres d’altitude, j’ai besoin de m’ancrer dans un terroir, d’avoir les deux pieds dans la terre, ce pays m’apaise et je suis tellement amoureuse de la littérature berrichonne, des vieilles pierres. Je soutiens les actions locales comme la réhabilitation de l’abbaye de Loroy (lire notre édition du 13 novembre), Alain-Fournier m’a toujours transportée dans le rêve. J’habite le reste de l’année à Paris et y respire de plus en plus difficilement.