Article de Jean-Marie RICHE

L’Opinion britannique a très mal reçu un propos de M. Jean Chamant, Ministre des Transports, selon lequel les ”retards » de Concorde seraient imputables à des livraisons tardives des « moteurs britanniques” et d’équipements britanniques (les servo-commandes ont été spécifiquement mentionnés) de Concorde.
Le député de Bristol a immédiatement demandé au Ministre de la Technologie des explications sur la déclaration du Ministre des Transports français. Celle-ci survenait malencontreusement à l’heure même où le gouvernement Wilson avait, d’extrême justesse, décidé d’épargner Concorde dans la vague d’économies sur les grandes options nationales de la Grande-Bretagne.
Après les nouveaux téléphones (2 milliards de Livres) et les investissements dans les industries nationalisées (1,564 millions de Livres) Concorde vient au 3ème rang avec 250 millions de Livres, devant l’Airbus (93 millions de Livres), dans la liste des ”vaches sacrées » que le gouvernement de Londres vient d’émonder (1). C’est dire que ce projet a été l’une des cibles favorites de ceux des Ministres de M. Wilson qui ne l’ont jamais admis qu’à contrecœur.

M. Chamant qui s’entretenait familièrement avec quelques journalistes accrédités auprès de son ministère, n’avait pas la moindre conscience d’être attiré dans un piège. Il parlait sans préparation. Mais en face de lui se tenaient quelques interlocuteurs à l’affût du sensationnel et ravis de trouver dans ses observations, matières à agacer une opinion particulièrement chatouilleuse. L’exploitation immédiate de l’incident a été suivie d’une réaction, fort compréhensible de Londres. Le jour même a été diffusée une mise au point française déclarant que « la responsabilité de ces retards ne saurait être attribuée à un pays plutôt que l’autre”.
Mais, au fait, retard par rapport à quoi ? Voilà des mois que les techniciens assistent sur la valeur très relative de la date du 28 février qu’ils se sont appliqués à désacraliser. Comment en effet, des années à l’avance, prévoir à un jour près non pas la sortie d’atelier, opération industrielle impérativement planifiable et dont la date fut d’ailleurs plusieurs fois changées, mais un évènement qui dépend de problèmes tels que les mises au point et le travail d’intégration des systèmes d’un prototype aussi délicat et aussi nouveau que Concorde ?

A ce stade, le seul délai vital pour Concorde est la date de certification et la livraison à terme, en 1971, des appareils que les compagnies commanderont ferme. Bien sûr, plus le débat des essais en vol, tardera, et plus les compagnies retarderont la transformation de leurs options en commandes. Mais à quelques semaines près, tenir un délai approximatif paraît beaucoup moins important que de ne donner le feu vert qu’à un prototype équipé pour remplir sa mission dans les meilleures conditions possibles
Et ce prototype est aussi bien français qu’anglais, au même titre que l’autre prototype construit à Bristol. Aucune compétition ‘est engagée entre les deux avions malgré la fâcheuse habitude qu’on commence à prendre de se référer au Concorde français et au Concorde anglais.
Tous les constructeurs associés en ce pari sont conscients de jouer solidairement un véritable quitte ou double. Ils ne peuvent perdre sans risquer de s’aliéner la confiance des gouvernements et sans remettre en cause leur propre existence.
(1) The Economist, 20 janvier 1968

En 1968, le programme d’essais du Concorde absorbera 60% des activités du CEAT

Article de Jean de GALARD

La Délégation Ministérielle pour l’Armement a convié, le mardi 23 janvier, les représentants de la presse aéronautique à une visite détaillée du Centre des Essais Aéronautique de Toulouse (CEAT) qui relève directement, au même titre que le Centre d’Essais en Vol (CEV) et le Centre d’Essais des Propulseurs (CEP), de la Direction Technique des Constructions Aéronautiques (DTCA). Au programme de la visite : les moyens mis en oeuvre pour réaliser une partie de la part française du programme d’essais du Concorde et un exposé sur les essais en cours de l’engin VERAS (Véhicule Expérimental de Recherche Aérothermodynamique et Structurale) plateforme étudiée par la DRME pour un domaine largement hypersonique (plus de Mach 5). Nous reviendrons ultérieurement plus en détail sur des recherches d’un caractère très spectaculaire.
Le programme des essais du Concorde, qui a représenté en 1967 environ 50% des activités du CEAT et qui en absorbera au moins 60% en 1968, comprend notamment : les essais en soufflerie d’une maquette à l’échelle 1 : 18 de la version présérie de l’appareil (dont on note au passage qu’elle ne comporte pas les moustaches qui ornent la section avant du fuselage du prototype 001) ; les essais mécaniques d’éprouvettes petit modèle ; les essais hydrauliques de tuyauteries souples ; les essais de conditionnement d’air ; les essais de structure et certains essais de fatigue (la majeure partie de ceux-ci étant assurée en Grande-Bretagne) ; les essais de pneumatiques et de train.

Trois éprouvettes de grandes dimensions sont actuellement soumises à divers essais de structure et de fatigue dont certains dureront entre quatre et cinq ans (une cellule complète du Concorde destinée aux essais statiques sera livrée au CEAT dans le courant de cette année. D’une manière générale, les essais statiques ont un caractère destructif, c’est-à-dire que les contraintes exercées sont poussée à l’extrême jusqu’à la cassure, alors que les essais de fatigue consistent à vérifier la durée de vie. L’éprouvette 1.8.b, section importante du fuselage central et d’une partie de la voilure, actuellement soumise à des essais de structure, ne comporte pas moins de 3000 capteurs et les mesures peuvent être faites simultanément sur 3000 capteurs en dix secondes. Une autre éprouvette, désignée 2,6/2,7 et correspondant à la section arrière du fuselage, est utilisée pour la simulation de l’échauffement et du refroidissement qui interviennent en vol réel. Un vol de 2 heures se réduit ici par un cycle de 40 minutes.

En haut : la machine ”Adamson », utilisée par le CEAT, pour les essais pneumatiques, est unique en Europe. Elle permet de réaliser des accélérations de 0 à 650 km/h en 14 secondes et de reproduire les conditions correspondant au décollage et à l’atterrissage ; dans ce dernier cas, de l’air chaud est dirigé pendant une heure sur le pneu avant la prise de contact avec le sol, pour simuler les conditions correspondant à la descente de l’avion supersonique. En bas : l’installation d’essais du système de conditionnement d’air du Concorde. A droite : l’atterrisseur principal actuellement expérimenté au CEAT est celui qui sera monté sur le prototype 002 en cours d’assemblage à Filton. Les vitesses de chute envisagées sont normalement de 2 m/s, le cas extrême étant constitué par une vitesse de chute de 3,66 m-/s.