Article de Jean-Claude TRICHET

A Fairford, les techniciens de la British Aircraft Corporation et de Rolls-Royce/Bristol-Siddeley achèvent la préparation du Concorde 002, qui doit reprendre ses vols à partir de la fin de cette semaine. Des essais de roulement ont déjà eu lieu et le comportement des Olympus 593-2B semble satisfaisant, ainsi que celui des nouvelles entrées d’air à géométrie variable. Rappelons que Concorde 002 avait réalisé l’an dernier 42 heures de vol en 24 sorties avant d’entrer en chantiers de modifications. ; l’appareil devrait atteindre Mach 1 vers la fin de ce mois et Mach 2 vers le trentième vol de la nouvelle série, c’est-à-dire en mai ou juin.

Photographié il y a quelques jours, voici Concorde 002 lors d’un essai point fixe

Le premier de présérie : Concorde 001 en montage final à Filton

Deux problèmes sont actuellement l’objet d’une attention soutenue : celui de la traînés en haut subsonique (Mach 0,9), régime de vol qui sera celui de l’appareil en croisière lorsque le vol supersonique ne sera pas autorisé,

et celui du sillage laissé par l’appareil au décollage et en approche. Nous reviendrons sur ce dernier problème ; en ce qui concerne le vol à Mach 0,9, il semble acquis que la consommation en carburant est très proche de celle prévue à Mach 2 ; Concorde sera donc bien un avion à deux vitesses, ayant sensiblement la même capacité de transport en subsonique et en supersonique.

Ci-dessus, les nouvelles entrées d’air à géométrie variable montées sur Concorde 002. On distingue nettement à la partie inférieure la trappe additionnelle utilisée pour capter un supplément d’air aux basses vitesses et, à l’intérieur, la première partie de la rampe, réglable en inclinaison et la lèvre de la deuxième partie de la rampe, également réglable. La position des divers éléments est également réglable. La position des divers éléments est réglée automatiquement.

La refonte des systèmes de contrôle de la circulation aérienne et la mise en service de Concorde

Lorsque les premiers Concorde entreront en service commercial régulier, ils feront partie des 250.000 mouvements d’avions par attendu à Orly, et le centre de contrôle Nord prendra en charge cette année-là plus de 700.000 mouvements ; cela correspond à un trafic double de celui enregistré en 1968. A cette époque, la première piste du nouvel aéroport de Roissy en France sera mise en service et l’on s’attend à ce que le trafic de l’aviation générale soit beaucoup plus important qu’à l’heure actuelle. L’avènement des avions de transport supersoniques n’est donc pas l’un des problèmes qui préoccupent actuellement les responsables de la circulation aérienne.

Pour clore leur assemblée générale, les membres de l’Association Professionnelle de la Circulation Aérienne avaient organisé un colloque sur ce problème, auquel participèrent MM. Jean Dabos, pilote d’essais de la SNIAS à Toulouse, Maigret du Centre d’expérimentions de la navigation aérienne, Clark, du Centre d’expérimentations Eurocontrol de Brétigny, et Pascal, de la Direction à la navigation aérienne.

Premières études sur la turbulence de sillage

Comment Concorde se comporta-t-il dans l’espace aérien ? ont demandé les contrôleurs français à Jean Dabos. Cet avion a répondu le pilote de la SNIAS, ne représente pas de différence de pilotage fondamental par rapport aux appareils existants, comme l’ont souligné les pilotes des compagnies aériennes qui l’ont déjà évalué. Seule la phase de l’atterrissage est un peu nouvelle, du fait que les yeux du pilote sont à environ 12 mètres du sol lorsque les roues de l’avion touchent la piste. Dans cette phase, le pilote doit se fier entièrement aux indications du radio-altimètre. L’angle d’attaque de l’avion passe de 10 à 11,5 degrés au cours de l’arrondi. Quant à la maniabilité de Concorde, Jean Dabos a révélé qu’on avait effectué des virages à 45° d’inclinaison et des évolutions à 15 G à 42.000 ft d’altitude. Seul le facteur de charges admissibles par les passagers limite nos possibilités d’évolution, a déclaré le pilote de l’équipe d’André Turcat, en ajoutant, à l’intention des contrôleurs, qu’on pourra demander à Concorde d’effectuer exactement les mêmes évolutions qu’aux autres avions.

La question de la turbulence de sillage fut alors posée. On annonça que les services des essais en vol de Concorde passent au crible les résultats accumulés pendant les premières d’essais des prototypes. On s’efforce en particulier de connaitre l’avis des pilotes des avions d’accompagnement. Le pilote d’un Mirage III qui accompagnait le Concorde 001 à 150 ou 200 mètres latéralement a ressenti les effets de l’onde de choc lors d’un vol en léger supersonique. Par ailleurs, lors d’un vol au large de Brest, Concorde a recoupé son sillage quatre à cinq minutes après avoir entamé un virage en décélération depuis Mach 1,5 ; l’équipage a ressenti une légère turbulence.

C’est sur le problème des vitesses dans les circuits d’approche que Concorde commencera à être différent des autres avions. En effet, si les essais ont prouvé que l’avion conservait d’excellentes qualités de maniabilité à 127 noeuds, il n’est pas question de lui demander d’évoluer longtemps à cette vitesse car il vole alors cabré sous un angle de près de 10 degrés que les passagers n’apprécieront pas plus de quelques minutes.

En ce qui concerne les performances idéales qui souhaiteraient obtenir du contrôle, les pilotes des « Concorde”, Jean Dabos les a énumérées ainsi :
Montée à Vi = 400 Kts jusqu’à une altitude de 35.000 ft, puis accélération en montant pour arriver à Mach 1,15 à 44.000 ft (530 Kts). Cette phase de pilotage reste à définir ; toutefois on sait assez bien ce profil en affichant une vitesse verticale de 400 ft-mn. Ensuite on maintien 530 Kst jusqu’à l’altitude de 50.000 ft, où l’on arrive à Mach 2. Il n’est pas souhaitable de demander à l’avion d’effectuer des évolutions pendant la phase transsonique et la montée supersonique. En effet, ce type d’avion est capable de voler à divers régimes avec la même motorisation, mais le choix du régime influe beaucoup sur l’économie de l’avion.


Exemple d’approche de Concorde pour l’arrivée à Roissy, étudiée en simulation. Il entre dans la TMA à 325 kts, volant alors avec une assiette cabrée à 6 degrés.

En croisière, il serait souhaitable d’allouer à chaque Concorde un couloir sans plafond car le profil d’un vol à Mach constant n’est pas une ligne droite, compte tenu des variations de conditions atmosphériques. Avec un ”plancher » de départ de 40.000 ft, Concorde devrait arriver de l’autre côté de l’Atlantique à l’altitude de 6000 ft. Quant à la précision de navigation, Jean Dabos, répondant au représentant du SNPL, a souligné les résultats remarquables obtenus avec le navigateur inertiel SAGEN-FERRANTI qui n’a cependant pas été retenu pour équiper les avions de série. Malgré ce type de vols où les évolutions étaient fréquentes et les facteurs de charge souvent élevés, l’erreur globale n’a jamais dépassé 5 nautiques.

Pour la descente, on fait décroître l’altitude finale de croisière, jusqu’à 325 noeuds ; on maintient ensuite cette vitesse jusqu’à l’approche finale. C’est ici que les contrôleurs ont manifesté leur inquiétude, car les avions actuels entrent dans la TMA (zone de contrôle terminale) à moins de 200 noeuds. La finale, après un éloignement de 160 noeuds, ce qui permettra à Concorde de s’insérer entre les autres avions de transport à réaction.

Un problème d’artilleurs

De toute façon, il faut s’attendre à une modification de méthodes actuelles de contrôle de la circulation aérienne, comme l’a laissé entendre M. Maigret du CENA. L’épaisseur d’espace aérien utilisé par un avion de transport supersonique, et les vitesses verticales importantes changeront totalement le problème. Ainsi les chiffres précédemment indiqués portent sur des vitesses anémométriques corrigées ; pour 450 noeuds indiqués dans ces conditions, il faut compter une vitesse propre à 20.000 ft et 570 noeuds à 25.000 ft. Et dès lors on remarque très bien un Concorde sur l’écran d’un radar, car les matériels actuels, peuvent difficilement suivre l’avion, du fait de leur vitesse de rotation d’antenne faible.

Pour éviter ces phénomènes de focalisation des ondes de choc sur les zones habitées, il est suggéré d’établir un système de « fenêtres” d’entrée dans les couloirs de croisière supersonique. La position de ces fenêtres serait définie, à deux minutes près dans le temps, par le centre de contrôle océanique. Or, si on veut accorder à l’avion de transport supersonique un régime optimal de montée, le passage dans cette fenêtre définit l’heure de décollage. Un problème de coordination entre les centres océaniques et régionaux apparait, alors. Ajoutons que cette méthode de travail nécessitera de disposer de puissants moyens de calcul électroniques. C’est en effet un véritable calcul d’artillerie qu’il faudra effectuer pour chaque avion supersonique avant de lui donner l’autorisation de décoller.
Effet économique de l’attente de Concorde à l’arrivée. On voit qu’il est préférable de lui faire commencer la décélération plus tôt. Mais dans le cas d’une attente prévue de 30 mn, il faudra prendre la décision plus d’une heure à l’avance.


Ces problèmes, a déjà pu les explorer par la simulation. Il faut souligner que seule l’Europe travaille à ces études, et que tous les organismes internationaux (ainsi que la FAA) utilisent le résultat des travaux conduits par l’agence Eurocontrol, le CENA et le centre britannique de Hurn. En France, on a utilisé le simulateur analogique de l’ENAC et l’on a effectué des expérimentations avec un Mirage IV. Par ailleurs, le simulateur de trafic d’Eurocontrol à Brétigny a été relié électroniquement au simulateur de pilotage de Concorde à Touloise. Depuis près d’un an toutes les études sur les futures structures et méthode s de contrôle de la circulation aérienne en France et en Europe sont conduites en tenant compte de la mise en service des avions de transport supersoniques (mise en service de l’aéroport de Roissy, coordination militaires-civils, cohabitation de l’aviation générale avec les autres trafics, etc).

Plusieurs études ont été conduites par Eurocontrol. La plus récente simulait la présence simultanée de 35 avions de transport supersoniques et 80 avions subsoniques dans l’espace aérien nord de l’Europe. Les contrôleurs qui ont participé à ces exercices ont unanimement déclaré que la présence des avions supersoniques n’était pas gênante en elle-même. Il apparait cependant qu’il faudra concevoir de nouveaux équipements pour présenter les données du contrôle. Pour les radars, la vitesse de rotation des antennes devra être accrue notablement (elle est actuellement de 4/mn). La présentation de l’altitude de ces avions par ”étiquettes » attachées aux échos, s’est avérée difficilement utilisable pour les avions supersoniques, en raison de leurs vitesses verticales élevées.

Finalement, il semble que la mise en service de Concorde ne posera aucun problème grave pour le contrôle des avions au départ mais nécessitera des études plus approfondies pour le contrôle des avions à l’arrivée, notamment lors de l’insertion d’un avion supersonique dans le reste du trafic lorsqu’il est redevenu subsonique.