Vidéo du Concorde F-BVFD, tronçon a Dugny Le Bourget, le 18 septembre 2021.
© Montage :Christian Leblanc (Cap Avenir Concorde).
Chaque année, lors de l’ouverture au public des réserves du Musée de l’Air à Dugny, quelques passionnés avertis viennent rendre visite à une ancienne machine volante pas comme les autres.
A quoi ressemble cette machine ?
C’est un tronçon de fuselage long de 6,60 m entièrement nu, revêtu d’une peinture largement défraichie, reste d’un avion de légende : le Concorde immatriculé F-BVFD, alias Foxtrot-Delta, exploité durant cinq ans par Air France de 1977 à 1982.
Qu’est-il donc arrivé à ce 11e exemplaire (1) de série du supersonique franco-britannique avant que ses restes ne soient entreposés dans l’enceinte des réserves du Musée de l’Air à Dugny ?
Le Foxtrot-Delta effectua son premier vol le 10 février 1977 et fut livré à Air France le 26 mars. Huit mois plus tard, après des négociations difficiles avec les autorités américaines, Concorde fut enfin autorisé à atterrir à New York/JFK pour des vols commerciaux. C’est le F-BVFD qui a eu l’honneur d’ouvrir la ligne Paris/New York/Paris au cours d’un aller-retour les 22 et 23 novembre et d’inaugurer ainsi les fameux numéros de vols AF001 et AF002 d’Air France.
Plis philatéliques commémoratifs de l’ouverture de la ligne New York-Paris transportés par le F-BVFD © Collection Philippe Picherit
Cinq jours ont passé et le 28 novembre, en provenance de Rio de Janeiro (vol AF086), à la suite d’une descente tardive, d’une approche non stabilisée à poussée réduite des réacteurs et d’une assiette trop cabrée, il effectua un atterrissage dur à Dakar.
Il heurta la piste avec un fort vario, écrasant les deux roulettes du cône de queue et raclant les paupières des tuyères, ce qui entraina une semaine d’immobilisation sur place pour réparations et ensuite un convoyage à vide de Dakar sur Roissy (vol AF303V le 1er décembre). Sur un autre vol, son état fut encore dégradé en raison de l’oubli d’un bouchon d’accès de boroscope (2) d’un réacteur créant alors une fuite d’air brûlant sur le métal de l’aile avec dépassement de la température critique de l’alliage d’aluminium AU2GN (3).
Malgré d’importantes réparations, il ne put reprendre pleinement sa place dans la flotte d’Air France du fait d’une déformation de structure induisant une trainée additionnelle et d’un surpoids qui impactèrent significativement son rayon d’action en régime supersonique.
Le 12 janvier 1979, le F-BVFD prit une nouvelle immatriculation N-94FD dans le but d’être exploité par la compagnie américaine Braniff International, comme d’autres Concorde d’Air France et de British Airways (4), pour des vols entre Dallas-Fort Worth et Washington-Dulles, en continuation de vols d’Air France et de British Airways en provenance d’Europe. Cette aventure se révélant non rentable, il retrouva son immatriculation initiale le 1er juin 1980.
Le Foxtrot-Delta réalisa son dernier vol le 27 mai 1982 après avoir effectué 5814 heures de vol lors de 1929 cycles. Air France n’avait plus vraiment besoin de sept avions dans sa flotte Concorde.
Stocké dans la zone technique de Roissy-CDG, il servit de réservoir de pièces de rechange pour les autres Concorde en service. Il fut ainsi cannibalisé, notamment le poste de pilotage qui servit à alimenter le 214 (G-BOAG) en pièces détachées. Le nez a été vendu aux enchères en 1995 à un riche collectionneur américain pour la somme de 300 000 F (environ 46 000 €).
Douze ans après son dernier vol, l’avion, fortement dégradé par la corrosion, fut découpé par des cisailles hydrauliques le 18 décembre 1994 et ferraillé.
Un tronçon avant de fuselage fut récupéré par le Musée du Bourget. Aujourd’hui, il est stocké en extérieur à Dugny devant les hangars de l’association Les Ailes Anciennes.
Vues aériennes de la zone Dugny-Atlantique avec la position du tronçon du F-BVFD © Google Map – Philippe Picherit.
(*) Apex : extension ou raccordement du bord d’attaque de la voilure avec le fuselage.
Diaporama de photographies du tronçon du Concorde F-BVFD stocké à Dugny, prises de 2008 à 2018 :
[ngg src= »galleries » ids= »6″ display= »basic_slideshow »]Et chaque année, les passionnés du Concorde se posent la question : pourquoi laisser à l’abandon ce tronçon d’un avion d’exception ? Ne pourrait-il pas rejoindre le 001 et le Sierra-Delta dans le hall Concorde, afin de montrer aux visiteurs une coupe avec la structure interne du fuselage du supersonique ?
Nous savons que ce tronçon fait partie de l’inventaire du Musée de l’Air et qu’il est également inscrit au patrimoine national. Nous croyons ardemment que la direction du Musée a dans ses projets la volonté de le sortir de l’abandon pour le mettre en lumière au sein des collections.
Lors de l’assemblée générale de l’AAMA (Association des Amis du Musée de l’Air) du 2 octobre 2021, Christian Leblanc, co-auteur de cet article, a questionné la directrice du musée sur le devenir du tronçon du Fox Delta pour une éventuelle exposition au public. Madame la directrice a répondu qu’une réflexion est en cours.
Nombre de passionnés du supersonique espère que le « FD » va être extrait de sa position actuelle peu confortable. Tout laisse à croire maintenant que les préparatifs sont en cours pour un prochain transfert du tronçon dans le hangar HT-3000. Ainsi il sera enfin à l’abri des intempéries.
Gageons que ce n’est qu’une étape intermédiaire avant une restauration puis une exposition au public au sein du musée au côté des Concorde 001 et Sierra Delta. A moins qu’il ne trouve place dans la section aviation commerciale du futur hall qui sera construit en lieu et place des Halls A et B.
Foxtrot-Delta, nous ne t’oublions pas.
Philippe Picherit, Christian Leblanc de (CAC) et (AAMA) et PB (AAMA).
Notes :
(1) Le 8e assemblé à Toulouse-Blagnac et le 5e des 7 avions de série d’Air France.
(2) On peut comparer une boroscopie à une endoscopie ou coloscopie, pour la médecine. Il s’agit là aussi de passer par un orifice, un flexible au bout duquel se trouve une minuscule caméra qui permet de visualiser les criques ou dommages sur les ailettes des étages de compresseurs ou de turbines (stators et rotors). Cette inspection est systématiquement effectuée après une ingestion d’oiseaux ou de corps étrangers, par exemple.
(3) Cet alliage AU2GN dénommé RR58 en Angleterre avait été à l’origine conçu pour les pistons des célèbres moteurs Merlin montés sur les Spitfire, Mustang, Mosquito et Lancaster.
(4) En fait, les Concorde n’ont jamais été repeints aux couleurs de la Braniff. Ce sont juste les publicités qui ont répandu cette image dans le public.
Annexe 1
Les sept Concorde exploités par Air France. Sur 20 avions construits, 10 en France (à Toulouse) et 10 en Angleterre (à Filton), les six premiers n’ont servi qu’aux essais et aux mises au point (n°001, 002, 101, 102, 201 et 202)
Source : www.lesvolsdeconcorde.com (Compilation Philippe Picherit)
Annexe 2
Schéma montrant la répartition de la part du travail (étude et fabrication) entre la Grande-Bretagne et la France.