Par Peter MASEFIELD, administrateur délégué de la British Aircraft Ltd.
Nous sommes en 1970.
Les cent passagers à destination de New York viennent d’arriver à l’aéroport de Londres par le monorail parti de Victoria Station il y a 15 minutes. Leurs bagages sont chargés à bord de l’avion d’acier, en forme de flèche et aux lignes pures, qui attend sur l’aire d’embarquement.
Le chargement des bagages se fait beaucoup plus aisément qu’il y a une dizaine d’années. Les formalités douanières enfin ont été abandonnées au départ. Les lenteurs aux aéroports, cauchemar des années 50 et 60, ont été réduites à peu de choses. Il le faut bien d’ailleurs à une époque ou la liaison entre l’aéroport de Londres et Idlewid ne dure plus que deux heures. Les nouveaux bâtiments de l’aéroport étant enfin achevés, le transport aérien, en 1970, commence vraiment à s’affirmer.
A présent que les voyages supersoniques (à Mach 3,5, 2000 nœuds ou 3700 km/h) sont monnaie courante pour les passagers payant un tarif majoré, on aperçoit le changement de rythme qu’ils entraînent dans les affaires du monde où le temps est réellement de l’argent. Une autre conséquence a été de permettre le développement économique du transport aérien subsonique à des tarifs beaucoup plus avantageux qu’on aurait pu le supposer au début de l’ère de la turbine entre 1950 et 1960.
En effet, tandis que les 100 passagers à destination de New York montent à bord de leur avion supersonique, près de là, le “Batarif” équipé de turboréacteurs à double flux embarque ses passagers pour effectuer le même trajet. La durée du vol jusqu’à New York sera de 7 heures et quart, c’est-à-dire plus de trois fois celle de notre « Supersonicus“. Mais ses 300 passagers paieront moitié prix.
Cette distinction entre tarifs élevés pour les grandes vitesses et tarifs économiques pour les vitesses plus fables a mis quelques temps à s’imposer. Mais elle est maintenant établie et le transport aérien parvient à satisfaire les deux catégories principales de passagers, ceux qui visent avant tout à perdre le moins de temps possible en voyage et ceux qui considèrent un tarif économique comme plus important qu’un gain de quelques heures.
Cependant que les deux avions à destination de New York roulent sur la piste (le décollage vertical des avions commerciaux n’interviendra que dans quelques années) pour des liaisons sans escale l’une de deux heures, l’autre de sept, il est intéressant de comparer rétrospectivement notre époque de 1970 avec celle des premiers services à réaction il y a dix ans, lorsque le vieux Boeing 707 était le dernier cri.
Les temps de 1960, comparés à ceux d’aujourd’hui, forment un curieux contraste (cf.tableau).
Les premiers avions à réaction, en 1960, étaient désavantagés dans le sens Est-Ouest par l’obligation de faire escale pour refaire les pleins. Dans l’autre sens, leur horaire sans escale de 6 heures 35 minutes représentait une amélioration sensible.
Cependant le gain de 1 heure 50 minutes réalisé au sol entre les aérogares urbaines est une des acquisitions les plus importantes des dix dernières années. Ce gain, en 1960, aurait correspondu à une augmentation de 80 km/h de la vitesse d’un avion à réaction d’une aérogare urbaine à l’autre. En 1970, si ce gain de temps n’existait pas, la vitesse moyenne d’une aérogare urbaine à l’autre serait réduite de 530 km/h.
A présent le “Supersonicus” décolle sur une courte distance qui fait songer au vieux DC 3 plutôt qu’aux premiers avions commerciaux à réaction. Il monte abruptement à 12.000 mètres à la vitesse de Mach 0,9. Douze minutes après le décollage et à 320 kilomètres du départ, l’avion, survolant la mer, franchit le mur du son en montée. Mach 2 est passé à 18.000 mètres. Quatre minutes plus tard, 160 kilomètres de plus ont été parcourus et Mach 3 est dépassé.
Les passagers se calent maintenant confortablement dans leurs fauteuils à 3700 km/h et à 23.000 mètres d’altitude et ils contemplent le vaste panorama des nuages disséminés et de la mer miroitante tout au loin en-dessous d’eux, la côte d’Irlande se dessinant à leur droite comme une carte, tandis que l’hôtesse de l’air, souriante, apporte le deuxième petit déjeuner de la journée, qui ne sera pas le dernier.
Il y eu un temps où des gens peu clairvoyants prétendaient supprimer les hublots des avions supersoniques. Comme ils comprenaient mal la psychologie du passager et la beauté des tableaux qui s’offrent lorsque l’avion glisse dans la pureté du ciel au-dessus d’une immense mer de nuages à près de 65 kilomètres à la minute.
Ayant adopté la vitesse de croisière de 3700 km/h (Mach 3,5) le ”Supersonicus » poursuit sa marche vrombissante par le tonnerre du bang sonique. A l’intérieur de la cabine dont le refroidissement est assuré par un liquide, tout est quiétude et sérénité.
Après un déjeuner pris en une heure sans se presser, il est temps d’abandonner l’altitude de 23.000 mètres. A 500 kilomètres de New York l’autorisation d’atterrir étant déjà obtenue, le “Supersonicus” amorce la descente, ralentit, avec une vitesse d’enfoncement supérieure à 25 m/sec. Une fois descendu à 12.000 mètres, il redevient subsonique et, deux heures dix minutes exactement après le décollage, il atterrit docilement à Idlewild.
Il est maintenant 11h10 à Londres. Mais, à New York, qui retarde de 5 heures, l’horloge indique 6h10 du matin.
Les voyageurs passent à la douane et montent dans une limousine rapide de l’aéroport ou dans un hélicoptère à turbine (en payant un supplément). Quarante cinq minutes après l’atterrissage nos voyageurs supersoniques entrent dans leur hôtel. Il est 7 heures du matin, l’heure du troisième déjeuner de cette journée de 29 heures. Quand à l’avion, il repart à 8h15 (heure locale) pour Londres où il arrive à 15h30, six heures et demie après son départ pour New York.
A Mach 3,5 deux liaisons par jour au maximum peuvent être assurées dans les deux sens en évitant aux passagers de partir et d’arriver à des heures indues : pas de décollage avant 8h00, pas d’atterrissage après minuit. L’emploi du temps d’un avion peut se présenter ainsi :
Départ de Londres
– 1 – 9h00 GMT
– 2 – 17H30 GMT
Départ de New York :
– 1 – 8h15 heure locale (13h15 GMT)
– 2 – 16h30 heure locale (21h30 GMT)
On obtient un taux d’utilisation raisonnable de huit heures quarante minutes par jour, c’est-à-dire 3140 heures par an.
Évidemment, les frais sont plus élevés que pour les avions subsoniques. Mais, malgré les pris majorés, les appareils décollent à pleine charge. Et tous ceux qui sont prêts à consacrer cinq heures de plus à leur voyage peuvent toujours prendre les “Batarifs« dont les tarifs sont deux fois moins chers.
Ces appareils décollent aussi à pleine charge. Le payeur n’est-il pas de tout temps maître de faire son choix ?
L’âge supersonique a fait de l’Atlantique une étape courte. Désormais un voyage aux antipodes ne prend pas plus de six heures : la marche du progrès est inéluctable.
Bientôt : la balistique sera mise au service des voyageurs.
1960 | 1970 | 1970 | |
Subsonique | Supersonique | Batarif | |
112 passagers | 120 passagers | 300 passagers | |
A l’aérogare urbaine de départ | 15 minutes | 10 minutes | 10 minutes |
En autobus vers l’aéroport | 45 minutes (monorail) | 20 minutes (monorail) | 20 minutes |
A l’aéroport de départ | 30 minutes | 10 minutes | 15 minutes |
Temps de cale à cale | 9h05 | 2h10 | 7h15 |
A l’aéroport d’arrivée | 45 minutes | 20 minutes | 35 minutes |
En autobus pour l’aérogare urbaine | 1 heure | 25 minutes | 25 minutes |
D’une aérogare urbaine à l’autre | 12h20 | 3h35 | 9h00 |
Vitesse moyenne du centre-ville à centre-ville | 454 km/h | 1564 km/h | 621 km/h |
Vitesse de cale à cale | 611 km/h | 2670 km/h | 761 km/h |
Vitesse de croisière | 901 km/h | 3701 km/h | 925 KM:H |
Nombre de Mach en croisière | 0,85 | 3,5 | 0,87 |