INTERAVIA Octobre 1961 Du choix d’un propulseur pour avions commerciaux supersoniques

Article de P.J. FERRARA de la General Electric Company

A l’origine de l’aviation, la vitesse s’est trouvée limitée parce qu’on ne disposait pas de moteurs ayant une puissance suffisante pour un encombrement et un poids acceptables. Cette restriction s’est atténuée progressivement : avec l’apparition du moteur à pistons suralimenté à turbocompresseur, puis du turbopropulseur, la vitesse a augmenté, mais une nouvelle limite a été imposée, due cette fois aux caractéristiques aérodynamiques particulières de l’hélice. Avec le turboréacteur, cet obstacle est tombé, si bien que la vitesse des avions n’a plus été limitée que par le mur du son. Le passage du mur du son étant devenu à son tour une réalité quotidienne, rien ne s’oppose désormais à ce que soit toujours satisfait le secret désir de voyager de plus en plus vite.

Avant de définir les caractéristiques des groupes propulseurs appelés à équiper les avions de transport supersoniques, il est indispensable de dégager certaines idées essentielles qui pourront servir de point de départ aux travaux de recherches et d’études nécessaires à la réalisation de ces moteurs. Nous sommes convaincus, à la General Electric Company, que l’avion de transport supersonique sera un jour une réalité et qu’il prendra la place qui lui revient dans le transport aérien commercial. Ce sera un appareil dont la vitesse se situera dans le supersonique supérieur (plus de Mach 2), mais il est certain que toutes ses gouvernes seront aérodynamiques ; ce ne sera ni un véhicule balistique, ni un véhicule gravitant sur orbite. En outre, les conceptions aérodynamiques sur lesquelles seront fondées les caractéristiques de l’avion seront sensiblement les mêmes que celles qui ont été à l’origine des avions militaires actuellement en service ou en cours d’étude.

Il est certain également que le groupe propulseur de l’avion de transport supersonique utilisera un carburant classique dont la combustion sera assurée par l’oxygène de l’air, c’est-à-dire répondant à la même formule que celle des moteurs d’avions actuels. Si certains avions supersoniques d’aujourd’hui sont équipés de moteurs-fusées qui transportent en eux l’oxygène nécessaire à la combustion de leur carburant, ce système de propulsion s’applique plus particulièrement aux incursions au-delà de l’atmosphère terrestre. Il est admis généralement que l’altitude de croisière de l’avion de transport supersonique se situera dans les limites de l’atmosphère. Certains carburants dits chimiques ou exotiques, pour lesquels l’aviation militaire a manifesté il y a quelque temps un grand intérêt, ne seront vraisemblablement pas utilisés pour l’avion de transport supersonique. Sur le plan de l’exploitation, l’avantage que constituerait une diminution du poids du carburant transporté si celui-ci avait un pouvoir calorifique supérieur serait très certainement annulé par un prix prohibitif (environ quatre fois celui des carburants classiques) et par un danger de toxicité.

Quand à l’époque approximative de la mise en service de l’avion de transport supersonique, il est probable qu’elle coïncidera avec le moment où les compagnies de transport aérien pourront se permettre financièrement d’ajouter cette unité à leurs flottes ? Très vraisemblablement, cette époque se situera au-delà du moment où il sera possible de réaliser et l’avion et les moteurs. En conséquence, la technique aura sans doute progressé dans une certaine mesure avant que soit entreprise l’étude de l’appareil ou avant qu’il soit lancé sur le marché. La conception du moteur définitif s’inspirera donc de techniques sur lesquelles on travaille actuellement ou de techniques nouvelles dont on n’a pour l’instant aucune idée.

Pour ce qui concerne le groupe propulseur proprement dit, les grandes vitesses se traduisent par un avantage très net. Cette considération fondamentale est mise en évidence dans la Figure 1 qui montre que le rendement thermique global des turbines augmente sensiblement lorsque la vitesse augmente. Il est bien dommage que le même avantage ne s’applique pas à la cellule mais, compte tenu des progrès enregistrés récemment dans le domaine aérodynamique, on peut prévoir que le rendement d’ensemble de la combinaison cellule-moteurs dans le cas de l’avion de transport supersonique sera sensiblement le même que dans le cas de l’avion de transport subsonique d’aujourd’hui, pour une vitesse accrue dans des proportions énormes.

Figure 1 – Rendement thermique global du turboréacteur en fonction du nombre de Mach. L’augmentation de la vitesse en palier entraîne un accroissement du taux de compression dans l’entrée d’air, qui se traduit par une augmentation du taux de compression du turboréacteur.

Si l’amélioration du rendement des moteurs due à l’accroissement de la vitesse peut compenser dans une certaine mesure la diminution correspondante du rendement aérodynamique (finesse) cette compensation ne porte que sur la distance parcourue par kilogramme de carburant consommé. Comme cette réduction de la finesse implique, pour un avion de tonnage donné, une poussée plus grande, il en résulte que l’avion devra être équipé d’un plus grand nombre de groupes propulseurs ou que ceux-ci devront être de plus grandes dimensions. Il va sans dire, que si l’on veut que l’avion puisse franchir la même distance, l’accroissement nécessaire de la puissance installée ne doit pas se faire au détriment de la quantité de carburant emportée. Dans ces conditions, toute augmentation du poids du groupe propulseur entraînera ipso facto soit une diminution de la charge marchande pour un poids et des dimensions de l’avion pour une charge marchande et une distance franchissable données.

1 – Caractéristiques.

Le groupe propulseur conçu pour entraîner un avion de transport à des vitesses de croisière supersoniques doit pouvoir répondre également aux conditions particulières d’utilisation durant les autres phases d’un vol : décollage, montée, accélération, descente, attente et atterrissage. S’il faut assurer les meilleures conditions d’exploitation pour toutes ces phases de vol, il est plus que vraisemblable que les difficultés à surmonter pour conférer au moteur supersonique les caractéristiques voulues seront herculéennes.

Le groupe propulseur devra fournir une poussée au décollage suffisamment forte pour que l’avion puisse quitter le sol après avoir roulé sur une distance compatible avec les longueurs de pistes actuelles. Or ce résultat devra être obtenu avec un avion qui ne pourra décoller qu’après avoir atteint une très grande vitesse. Compte tenu de la distance sur laquelle cette grande vitesse devra être atteinte, il sera nécessaire que le rapport poussée/poids de l’avion soit sensiblement plus élevé que celui qui caractérise un avion subsonique afin que la même vitesse soit atteinte beaucoup plus vite. Il est possible que la puissance requise au décollage soit suffisante pour que soient remplies les conditions correspondant aux autres phases du vol et que les problèmes à résoudre ne soient pas spécialement ardus. Cependant, étant donné l’importance du problème du bruit, il est probable que l’excédent de poussée éventuellement disponible ne pourra pas être utilisé en raison de la nécessité de limiter le bruit, donc d’utiliser les moteurs à puissance réduite. En fin de compte, les caractéristiques de décollage de l’avion seront établies en fonction de ces considérations aussi bien que des considérations relatives à la conception même de l’avion.

Pendant la phase de montée et d’accélération, la poussée développée devra être aussi grande que possible, compte tenu des restrictions imposées à la vitesse de l’avion par le phénomène du bang sonique et par les facteurs de charge admissibles en cas de rafales. Les performances exigées du groupe propulseur pourraient fort bien être calculées en fonction des conditions propres à cette phase du vol. S’il est assez difficile de définir des conditions précises de poussée, il convient de considérer par ailleurs que la poussée requise pour la montée sera excessive pour le vol de croisière, ce qui reviendra à transporter un poids mort pendant cette phase du vol, et à n’obtenir qu’un rendement de l’ensemble cellule-moteurs médiocre. Il serait préférable de disposer d’un moteur capable de fournir sa poussée maximale pendant la phase de croisière. Du fait que l’avion dans son ensemble tire un grand avantage de montées et d’accélérations rapides, le temps consacré à la montée devra être aussi court que possible et, en l’occurrence, la consommation relative ou le rendement thermique ne présentent qu’une importance secondaire.

Lorsqu’il sera intégré dans le transport aérien commercial, l’avion supersonique devra pouvoir être exploité compte tenu des moyens et des règlements du contrôle de la circulation aérienne existante à l’époque considérée. Selon les progrès qui seront enregistrés dans le domaine du contrôle de la circulation aérienne, il est à prévoir que généralement à la fin de son voyage, l’avion devra effectuer un circuit d’attente ou être dérouté en direction d’un autre aéroport où il pourra se poser. Les règlements actuels définissent les réserves de carburant nécessaires en fonction de l’autonomie ou des distances, en sorte qu’il y aura toujours intérêt à ce que le groupe propulseur ait une consommation faible. Il devra donc avoir un rendement élevé, non seulement à la vitesse de croisière nominale, mais encore à des vitesses subsoniques basses et pour les phases de vol ne nécessitant qu’une puissance réduite.

A chacun des régimes d’exploitation considérés ci-dessus correspond un moteur aux caractéristiques particulières. La nécessité de disposer d’une poussée importante au décollage conduit à l’adoption du turboréacteur à double flux caractérisé par un rapport de dilution assez élevé et par une vitesse d’éjection des gaz relativement faible. Si l’on cherche à obtenir la poussée maximale pour la montée et l’accélération transsonique sans tenir compte de considérations d’économie, le turboréacteur simple à hautes performances, doté éventuellement de la postcombustion, est manifestement indiqué. Pour la croisière à vitesse supersonique qui constitue une partie importante du vol, il faut surtout rechercher un rendement optimal. D’autre part, à des vitesses de croisière très élevées, le simple statoréacteur offre des avantages : bon rendement et simplicité de fonctionnement. Enfin, pour la phase d’attente précédant l’atterrissage, il faut un moteur caractérisé par une faible consommation à des vitesses faibles et pour des puissances réduites, c’est-à-dire un turboréacteur à double flux ayant un taux de dilution élevé. Dans tous les cas, comme les puissances exigées doivent être plus grandes, le groupe propulseur doit être aussi léger que possible, tout en conservant les mêmes qualités que les moteurs actuellement en usage dans l’aviation commerciale pour ce qui concerne la sécurité, la tenue en service, l’entretien, etc. Rassembler toutes ces possibilités et réunir toutes ces qualités en un seul groupe propulseur, voilà en effet une tâche herculéenne.

2 – Le problème du Bruit.

Compte tenu de ce qui précède, on peut définir un groupe propulseur capable de donner à l’avion de transport supersonique les performances requises. On a constaté cependant que pour une utilisation commerciale, les exigences de l’exploitation imposent des conditions supplémentaires qui ne sont pas particulièrement économiques mais qui n’en sont pas moins absolument indispensables.

Depuis la mise en service de l’avion commercial à réaction, le problème du bruit a pris une importance considérable. Il va sans dire qu’on ne saurait admettre pour l’avion de transport supersonique un niveau de bruit supérieur à celui des avions à réactions d’aujourd’hui. Contrairement pour ce qui s’est passé pour l’avion à réaction subsonique, l’avion de transport supersonique sera étudié dès le départ pour répondre, en matière de bruit, à des conditions rigoureuses. A cet égard, il est heureux que l’expérience acquise avec les avions subsoniques civils ou militaires nous permettent de mieux comprendre les conditions dans lesquelles se produit le bruit des turboréacteurs, ce qui aide à la conception même de ces turboréacteurs.

On a découvert empiriquement que le bruit produit par les moteurs à réaction est dû à deux phénomènes particuliers à ce genre de propulseurs. La première source de bruit est l’effet de cisaillement provoqué par la pénétration à grande vitesse des gaz d’éjection dans l’air ambiant, effet qui produit le grondement de réaction. En diminuant la vitesse d’éjection, on peut réduire considérablement ce bruit. Cette réduction du niveau sonore est illustrée par la Figure 2 qui montre qu’un turboréacteur développant une poussée de 25.000 livres (11.300 kilos) pour une vitesse d’éjection de 3000 pieds par seconde (910 m/s) ce qui correspond aux caractéristiques de fonctionnement d’un turboréacteur à postcombustion, sera plus de soixante fois plus bruyant (18 db) qu’un turboréacteur développant la même poussée avec une vitesse d’éjection de 1600 pieds par seconde (490 m/s) ce qui correspond aux caractéristiques de fonctionnement d’un turboréacteur à double flux. L’avantage que l’on assure en travaillant à la réalisation d’un moteur à faible vitesse d’éjection est évident même dans le cas où l’on a recours à des silencieux, puisque ceux-ci permettent une réduction supplémentaire du bruit, quelle que soit la vitesse d’éjection.

Figure 2 – Relation entre le bruit et la vitesse d’éjection des gaz dans le cas d’un moteur ayant une poussée au décollage de 25.000 livres (11.400 kilos).

Une autre source de bruit particulière aux moteurs à turbines, c’est le sifflement à haute fréquence provenant du compresseur. Ce bruit prédomine lorsque le régime est réglé pour des puissances faibles, pendant la prise de terrain par exemple, alors que le bruit dû à l’éjection se trouve considérablement diminué. Ce sifflement est dû à la rencontre du sillage des aubes mobiles du rotor avec les aubes fixes du stator, ainsi qu’au bruit engendré par les aubes du rotor elles-mêmes. La fréquence de ce bruit correspond au passage d’une aube de rotor sur une aube de stator, dépend, pour un nombre d’aubes donnés pour un étage donné, de la vitesse de rotation du rotor. Il apparaît donc que ce bruit a une fréquence discrète, dont les variations se situent à l’intérieur d’une octave, et qu’il peut être supprimé par le recours à la technique dite de résonance. Les expériences réalisées jusqu’ici ont montré qu’il était possible d’obtenir une réduction notable (de l’ordre de 8 db) du niveau de bruit perçu.

3 – Emplacement des groupes de propulseurs.

En dehors des mesures énoncées ci-dessus, le sifflement du compresseur pourra être atténué également par le choix judicieux de l’emplacement des réacteurs. Le propulseur de l’avion de transport supersonique se caractérisera par une entrée d’air longue et étroite, ce qui aura pour effet de concentrer le bruit dans une zone étroite très proche du prolongement de l’axe du moteur. En fait, compte tenu de l’angle d’incidence qui sera probablement celui de l’avion lors de son approche, le “pinceau” de bruit pourrait fort bien être dirigé vers le haut plutôt que vers le bas.

L’expérience acquise dans ce domaine est suffisante pour qu’il soit possible de maintenir le bruit de l’avion supersonique au même niveau que celui de l’avion subsonique pour une même poussée. Mais, selon ce qui a été dit précédemment, pour atteindre sa vitesse de croisière, l’avion de transport supersonique exigera probablement une poussée supérieure à celle de son prédécesseur subsonique, en sorte qu’il aura probablement, pour une charge donnée, des dimensions plus grandes et un poids plus élevé. Tout ceci se traduira par un niveau sonore supérieur de 3 à 4 décibels à celui de l’avion subsonique, pour une distance franchissable, une charge marchande et une vitesse d’éjection des gaz comparables.

4 – L’exploitation de l’avion supersonique.

Avant de parvenir à des conclusions quant à la comparaison des niveaux sonores, il convient de faire intervenir les conditions d’exploitation de l’avion supersonique. Pour ce qui concerne le bruit, les limites supérieures admissibles dépendent ou dépendront du public, en sorte que seul le bruit perçu par le public entrera en ligne de compte pour la fixation des limites tolérables. L’altitude permet d’atténuer le bruit d’une manière considérable. Etant donné que l’avion de transport supersonique disposera d’une puissance supérieure à celle de l’avion subsonique, sa montée s’effectuera suivant une pente très raide. La Figure 3 fait apparaître la différence des gradients de montée à prévoir, ainsi que les niveaux sonores qui seront enregistrés au sol en différents points situés à la verticale de la trajectoire de montée. Il est manifeste que l’avion de transport supersonique, bien qu’il fasse plus de bruit, sera moins gênant au sol à plus de 3500 mètres du point où il a commencé à rouler, étant donné sa forte pente de montée.

La méthode actuelle qui consiste à diminuer le bruit au-dessus des zones résidentielles par une réduction de la puissance s’appliquera à l’avion de transport supersonique dans une mesure plus large encore. Aujourd’hui, la puissance est réduite jusqu’au niveau permettant d’assurer la vitesse ascensionnelle minimale, ce qui diminue évidemment le bruit. La réduction du niveau sonore qu’il est possible d’obtenir est plus grande dans le cas des avions disposant d’une puissance considérable, étant donné que cette puissance peut être diminuée dans une proportion plus importante, en sorte que, selon la vitesse ascensionnelle minimale à assurer, il est possible que l’avion de transport supersonique fasse moins de bruit au sol que l’avion subsonique, la différence pouvant atteindre 9 db en faveur du premier. La Figure 3 établit à ce propos une comparaison entre avions de transport supersoniques et subsoniques pour des puissances données.

Figure 3 – Comparaison des niveaux sonores pendant la montée, dans le cas d’un avion supersonique et d’un avion subsonique. Le premier disposant d’une poussée plus forte, sa pente de montée est plus accentuée et le bruit qu’il produit est atténué par l’altitude, de sorte que ce bruit est, à 3600 mètres du point où l’avion a commencé à rouler sur la piste, comparable à celui de l’avion de transport subsonique.

A et C : supersonique B et D : subsonique

Le vol à vitesse supersonique s’accompagne toujours d’une hausse brutale de pression qui donne lieu à ce que l’on appelle le bang sonique. Le problème qui en résulte dépend de l’avion et non pas du groupe propulseur ; cependant l’influence que ce problème peut exercer sur l’exploitation des avions est importante du point de vue de la conception des moteurs. Il a été établi que l’intensité du bang sonique dépend d’un certain nombre de facteurs dont le plus important est l’altitude. A moins que d’importants progrès techniques permettent un jour de supprimer le bang sonique ou d’en atténuer considérablement l’intensité, il sera absolument nécessaire que l’accélération transsonique permettant d’atteindre la vitesse de croisière supersonique se produise à haute altitude. Cette condition ne devrait pas être trop restrictive étant donné que le vol à la vitesse de croisière devra s’effectuer probablement  à haute altitude afin d’obtenir la finesse optimale permettant des facteurs de charge acceptables pour la voilure. La restriction imposant de ne pas dépasser la vitesse du son au-dessous d’une certaine altitude pourrait fort bien constituer le facteur essentiel qui conditionnera la puissance et la formule du groupe propulseur.

Pour que l’avion de transport supersonique puisse franchir des distances comparables à celles que peut parcourir un long-courrier subsonique, sa vitesse et son altitude devront être aussi proches que possible des valeurs nominales calculées (ou égales à ces valeurs). Toutefois, pour atteindre la vitesse et l’altitude de croisière optimales, l’avion devra passer par des phases de vol autres que la phase de vol supersonique pour laquelle il a été conçu, ce qui pourra se traduire par une pénalisation extrêmement sévère. Il est donc important, comme le montrent les résultats des études faites jusqu’ici sur un certain nombre de types de turboréacteurs, que la vitesse et l’altitude de croisière nominales puissent être atteintes le plus rapidement possible. Pour cela, il faut que l’avion dispose d’un fort excédent de poussée par rapport à la traînée. Cependant, pour un avion donné, l’altitude à une influence marquée sur la poussée des moteurs, alors que la traînée reste pratiquement inchangée. La valeur du rapport poussée-traînée en fonction de l’altitude est indiquée par la Figure 4. On voit que pour fournir la même accélération, un turboréacteur devra avoir à       36.000 pieds, soit 11.000 mètres, (courbe supérieure) une poussée supérieure de 75% à celle qui lui serait nécessaire à 25.000 pieds, soit 7600 mètres (courbe inférieure). Il serait donc nettement avantageux de pouvoir produire à faible altitude l’accélération permettant d’atteindre la vitesse de croisière supersonique. Mais comme le problème du bang sonique imposera vraisemblablement une altitude minimale, il est probable que le rapport poussée-traînée le plus favorable devra être obtenu par une augmentation de la puissance, conformément à la courbe supérieure de la Figure 4.

Figure 4 – Rapport entre la poussée d’accélération et l’altitude à laquelle s’effectue le passage en vitesse supersonique (phase transsonique). La courbe supérieure A correspond à la poussée d’un moteur qui doit permettre la vitesse sonique à 36.000 pieds d’altitude ; la courbe B représente la poussée requise pour la traversée de la plage transsonique à 25.000 pieds. La courbe C représente la poussée requise pour une accélération de 2 pieds/sec². La courbe D représente la traînée à Mach 1.

5 – Forme des entrées d’air.

L’avion de transport supersonique fait intervenir un autre problème, celui du dessin des entrées d’air. L’expression entrée d’air est d’ailleurs assez mal choisie, car la fonction de cet élément est beaucoup plus importante que ne l’indique son appellation. En vol à vitesse trisonique, l’entrée d’air doit comprimer l’air qui pénètre à 30 fois sa pression d’admission, avec un rendement pouvant atteindre 95%. D’après les recherches et les études en cours, ce résultat peut être obtenu, encore que les dispositifs requis soient appelés a être très perfectionnés et très compliqués.

Une caractéristique importante de l’entrée d’air supersonique, c’est le lien étroit qui existe entre elle et le débit d’air. Contrairement à ce qui se passe dans le cas d’une entrée d’air conçue pour des vitesses subsoniques, le débit d’air doit être maintenu pour des raisons de rendement à une valeur bien déterminée, pour une vitesse et une altitude données. Les écarts entre cette valeur et le débit réel ont des effets catastrophiques, tels que le dégagement ou l’absorption d’une onde de choc, qui se traduisent par une réduction extrêmement brutale des performances du turboréacteur. En conséquence, il est hautement souhaitable qu’il existe une régulation réciproque entre l’entrée d’air et le groupe propulseur, et une parfaite adaptation. D’autre part, étant donné l’influence du débit d’air sur le rendement de l’entrée d’air, les variations de poussée requises en cours de vol doivent être obtenues par d’autres moyens que par des modifications du régime du groupe propulseur. A titre d’exemple, les J93 équipant le B-70 doivent tourner à régime constant (100%) pendant le vol à vitesse supersonique, les variations de poussée étant obtenues par une modification de la poussée spécifique (poussée par unité de poids d’air admis).

On n’insistera jamais assez sur l’importance de l’entrée d’air. Aux vitesses supersoniques relativement élevées, la poussée du groupe propulseur agit sur les surfaces internes de l’entrée d’air, laquelle tire littéralement l’avion. En l’occurrence, le rôle du groupe propulseur est de créer un champ d’écoulement et de communiquer une certaine énergie à l’air en circulation. Cette fonction est manifeste dans le statoréacteur d’aujourd’hui qui se compose uniquement d’une entrée d’air, d’un brûleur et d’une tuyère d’éjection. En raison donc de son importance, l’entrée d’air devra faire l’objet d’une particulière attention lors de l’étude de l’avion de transport supersonique.

6 – Les températures de fonctionnement

A des vitesses supersoniques supérieures, la température de l’air à l’entrée du groupe propulseur est très élevée. Ceci mis à part, le comportement du turboréacteur depuis l’entrée du compresseur jusqu’à la sortie de la turbine ressemble à celui d’un turboréacteur à des vitesses subsoniques. Toutefois, cette température élevée influence dans une large mesure la conception et les conditions de fonctionnement du groupe propulseur. C’est ainsi que certains éléments tels que les disques de turbine et les aubes par exemple sont généralement refroidis par de l’air prélevé sur le compresseur. Aux vitesses supersoniques supérieures, l’efficacité de l’air en tant qu’agent de refroidissement est considérablement diminuée du fait de sa température. Certains éléments qui jusqu’ici travaillaient à froid, comme le compresseur, devront fonctionner à des températures proches des températures actuelles de fonctionnement des turbines ; il conviendra donc de les réaliser avec des matériaux capables de résister à des températures de cet ordre, tout en offrant des caractéristiques acceptables de durée. En outre, étant donné que les abords du groupe propulseur seront portés à une température extrêmement élevée, il y aura risque d’incendie chaque fois qu’il se produira une fuite de carburant ou d’huile ; des précautions particulières devront être prises à cet égard.

7 – Le refroidissement de la cellule.

Il est naturel que le constructeur de la cellule soit tenté d’utiliser le carburant pour refroidir la structure de l’avion. Cette conception n’est pas nouvelle ; à l’intérieur de toutes les turbines à gaz construites par General Electric, c’est le carburant qui assure le refroidissement de l’huile de lubrification. Néanmoins, la quantité de chaleur que devra absorber le carburant sera considérablement plus grande, s’il faut refroidir toute la cellule. L’utilisation du carburant pour l’absorption de la chaleur dégagée par la cellule aura une influence plus grande sur le carburant lui-même que sur les groupes propulseurs. En fait, ce qu’il faut, c’est que ces derniers puissent consommer le carburant à mesure de son échauffement, sans attendre que celui-ci atteigne un degré excessif. Cette condition cependant a pour effet de déterminer un débit critique de carburant au-dessous duquel sa température subira une augmentation excessive. Sans doute ce débit minimal de carburant sera-t-il inférieur au débit requis pour le régime normal de croisière, mais il pourrait avoir pour effet d’interdire les vols à puissance réduite, comme ce peut être le cas au cours d’une décélération ou d’une descente rapide. Décélération et descente devront donc être effectuées plus lentement afin que ce débit de carburant minimal soit maintenu jusqu’au moment où les effets de l’échauffement aérodynamique se seront atténués.

 8 – Le problème de la décélération.

L’emploi d’inverseurs de poussée pour un avion de transport supersonique a fait l’objet d’une particulière attention. En effet, bien qu’à l’atterrissage le poids de l’avion ne soit plus que la moitié de son poids au décollage, le recours à des moyens de freinage autres que les freins de roues sera sans doute aussi souhaitable qu’il l’est pour les avions d’aujourd’hui. Examinons certaines caractéristiques de l’avion de transport supersonique : comme cet appareil aura un rapport poussée/poids au décollage assez élevé, comme d’autre part l’écart sera considérable entre le poids au décollage et le poids à l’atterrissage, la proportion de la poussée qu’il sera nécessaire d’inverser pour augmenter le freinage sera sensiblement inférieur aux 40 % utilisés dans le cas des avions subsoniques d’aujourd’hui. L’adjonction d’un inverseur de poussée devra donner lieu à une étude minutieuse, eu égard à l’influence que cet inverseur pourra exercer sur le comportement de la tuyère d’éjection. En effet, dans le cas du moteur supersonique, toute variation de l’efficacité de la tuyère se répercute sur la poussée avec des effets quatre fois plus importants. On voit donc que le problème doit être étudié sérieusement. Quelle que soit la formule, le groupe propulseur d’un avion commercial supersonique aura vraisemblablement une tuyère à géométrie variable, ce qui implique que l’étude de l’inverseur fasse l’objet d’un soin particulier.

9 – Conclusion.

Il existe déjà des groupes propulseurs permettant d’atteindre des vitesses supersoniques. Les avions supersoniques d’aujourd’hui, chasseurs, bombardiers et avions d’assaut sont capables de voler à plus de deux fois la vitesse du son ; en outre, des avions militaires appelés à dépasser Mach 3 sont en cours d’étude. On peut donc se demander si les groupes propulseurs qui équipent ces avions ne conviendraient pas à l’avion commercial supersonique.

Certes ils pourraient être utilisés sur des avions de transport à vitesse supersonique et ils sont d’ores et déjà disponibles. Toutefois, il est probable qu’ils ne répondraient pas, pour ce qui concerne l’économie et la souplesse d’emploi, aux conditions particulières de l’exploitation commerciale, étant donné qu’ils ont été conçus en fonction d’usages différents. Mais un fait est plus important encore : étant donné que l’époque de la mise en service de l’avion de transport à vitesse supersonique sera subordonnée à bien d’autres facteurs que la réalisation des groupes propulseurs, on peut admettre que d’importants progrès techniques auront été réalisés avant que l’avion supersonique fasse son entrée sur les lignes commerciales. Dans ces conditions, pour définir ce que sera le groupe propulseur de l’avion de transport supersonique, il faut tenir compte de l’évolution à prévoir dans le domaine des moteurs.

En résumé, on peut classer en deux groupes les caractéristiques du groupe propulseur destiné à l’avion de transport supersonique : le premier, relatif aux performances, concerne les conditions économiques d’exploitation ; le deuxième qui ne tient pas compte de conditions économiques d’exploitation fait état par contre de considérations humaines et sociales. Ce serait déjà un exploit remarquable de réaliser un ensemble qui permettrait à lui seul d’obtenir pour chacune des différentes phases du vol les meilleures performances et les meilleures conditions d’exploitation. L’obligation de tenir compte d’autres considérations (bruit, bang sonique) complique encore le problème. Toutefois, grâce à l’expérience acquise tant avec les long-courriers actuels qu’avec les bombardiers supersoniques nous disposons des connaissances et compétences requises.

Un certain nombre de problèmes qui se poseront à l’occasion de la réalisation de l’avion de transport supersonique ont déjà été abordés et nous sommes convaincus que des solutions satisfaisantes seront trouvées. A vrai dire, le fait d’être en mesure de définir ces problèmes avant même que soit entreprise l’étude définitive du groupe propulseur est très précieux. Les connaissances à acquérir, cependant, restent extrêmement vastes et l’énormité de la besogne réclamera une coopération très étroite entre tous les intéressés : compagnies de transport aérien, constructeurs de cellules, motoristes. Quoiqu’il en soit, nous avons la conviction que la tâche peut être menée à bien.