Le premier vol de Concorde, rappelons-le, remonte au 2 mars 1969 et ses premiers paliers à Mach 1 et Mach 2 respectivement au début octobre 1969 et début novembre 1970. Après des chantiers effectués ente autres pour accroître l’étanchéité des nacelles-réacteurs et apporter certaines améliorations aux entrées d’air, les prototypes ont repris leurs vols d’essais, le 002 début avril et le 001 dans le courant du même mois.
L’avion de présérie 01, dont les essais de vibration au sol ont déjà commencé, volera à Filton en octobre. A Toulouse, le montage du 02, doté des parties avant et arrière prévues pour la version de série, a été ralenti pour que l’avion puisse effectuer ses essais avec des moteurs équipés de la nouvelle tuyère n° 28 ; son premier vol aura lieu au début de 1972. Avec les cellules d’essais, les importantes séries de tests se déroulent conformément au calendrier établi : la première phase des essais statiques à froid est terminée à Toulouse, tandis que les essais de fatigue se poursuivent activement en Grande-Bretagne.
Pour ce qui est de la construction en série, on sait que les gouvernements français et britannique ont autorisé fin avril, la mise en fabrication des appareils n° 7 à 10, ainsi que le lancement des approvisionnements pour les appareils n° 11 à 16. Le montage final est assuré à la fois à Toulouse et à Filton, la cadence devant atteindre par la suite 3 à 4 appareils par mois.
Le premier Concorde de série, dont le jonctionnement général est en cours, volera vers la fin de l’année prochaine. Il participera avec les deux exemplaires suivants et, bien entendu, les prototypes et avions de présérie aux essais devant aboutir, début 1974, à l’obtention du certificat de navigabilité, qui sera suivie peu après par la mise en service des six premiers appareils de série. Etant donné les excellentes performances réalisées par les deux prototypes, il a été décidé de ramener de 4500 à 3850 le nombre d’heures de vol pour l’ensemble du programme d’essais.
Jusqu’à maintenant, l’Aérospatiale et BAC ont enregistré pour Concorde, 74 options émanant de 16 compagnies aériennes. Depuis le mois dernier, ces compagnies possèdent les informations capitales concernant la version de série, en particulier celle sur les coûts d’exploitation et la charge marchande pouvant être garantie sur les lignes New York-Londres et Paris.
Avec Air France et BOAC, la définition des clauses techniques, qui constituent l’annexe 1 des contrats définitifs, est terminée, et ‘on pense que les deux compagnies signeront probablement ces contrats dans le courant de cet été. Selon les constructeurs, d’autres passations de commandes fermes ne devraient alors plus tarder.
Concorde : du travail pour 50.000 personnes
Interview de M. Henri Ziegler, Président-Directeur-Général de la SNIAS
Monsieur le Président, plus d’une année s’est écoulée depuis la création de la Société Nationale Industrielle Aérospatiale. Discerne-t-on déjà quelques effets bénéfiques de la fusion intervenue entre Sud Aviation, Nord Aviation et la SEREB ?
La fusion des trois sociétés Sud Aviation, Nord Aviation et SEREB, s’est située dans la logique industrielle. Ce regroupement des forces correspondait à une nécessité absolument essentielle. Nous sentons dans le monde économique et industriel moderne, le besoin de grouper des moyens de plus en plus puissants, sur le plan financier, sur le plan intellectuel, sur le plan des moyens matériels, pour arriver à faire face aux immenses programmes qui sont ceux du monde moderne.
La mise en route du nouveau groupe s’est effectué sans à-coups et une nouvelle structure opérationnelle a été organisée, comportant une branche ”Avions » et trois Divisions spécialisées : les Hélicoptères, les Engins Tactiques, les Systèmes Balistiques et Spatiaux. Certaines fabrications ont ainsi été regroupées et les activités ont été relancées, par une remise en ordre des programmes et la mise en oeuvre d’activités nouvelles.
Les effets en sont positifs, puisque chacune des trois anciennes sociétés, a réalisé en 1970 des bénéfices supérieurs à ceux de 1976, référence plus significative que 1968, où, du fait des évènements de mai, elles avaient, à l’exception de la SEREB, enregistré des pertes importantes.
Selon vos prévisions de l’été dernier, le chiffre d’affaires de la SNIAS devait s’élever en 1970 à environ 3,4 milliards de francs, soit une augmentation de 12% par rapport à l’exercice précédent. Les comptes ne seront arrêtés, bien entendu, que vers le milieu de cette année. Toutefois, les éléments actuellement en votre possession, vous permettent-ils de penser que ce résultats a été atteint, voire dépassé ?
Selon les prévisions de l’été dernier, le chiffre d’affaires de l’Aérospatiale pour 1970, toutes les taxes comprises, s’élevait à 3,4 milliards de francs environ, en augmentation de 14% et non de 12% par rapport à l’exercice précédent. Cette prévision a été dépassée puisque le chiffre d’affaires réalisé en 1970, est provisoirement estimé à 3,7 milliards de francs, marquant ainsi une augmentation de plus de 24% sur celui de 1969.
Début 1970, le bilan de la SNIAS par branches d’activité était à peu près le suivant : avions 50% du chiffre d’affaires ; hélicoptères, 21% ; engins tactiques, 10% ; systèmes balistiques et spatiaux, 15% ; divers, 4%. Or, depuis lors, la situation semble avoir quelque peu évolué. Quelle est la répartition actuelle et comment la situation se présente-t-elle vers 1975 ?
Pour 1970, le chiffre d’affaires par activité se décompose approximativement selon le pourcentage suivant : avions, 44% ; hélicoptères, 27% ; engins tactiques, 15% ; systèmes balistiques et spatiaux, 12% ; et 2% d’activités très diverses. En 1975, les programmes « Concorde” et ”Airbus » devant atteindre leur rythme de croisière, l’activité avions évoluera de façon sensible et son pourcentage dans le chiffre d’affaires devrait augmenter de plus de 10%. Par contre, on peut s’attendre à une légère régression du pourcentage de l’activité hélicoptères. En ce qui concerne enfin, aussi bien les engins tactiques que les systèmes balistiques et l’espace, leur part devrait accuser une amélioration certaine.
A combien se montera, selon les dernières estimations, le coût des opérations « Concorde” et ”Airbus » d’ici la date de l’homologation de ces appareils ? D’autre part, qu’elle sera, au stade de la production en grande série, l’importance des effectifs affectés à chacun de ces programmes dans les usines de l’Aérospatiale ?
Selon nos dernières estimations, le coût de l’opération « Concorde”, portant sur les exercices de 1962 à 1974, atteindra 11 milliards de francs, dont 50% financés par la France, à la date de l’homologation. Pour l’Airbus, les dépenses portant sur les exercices de 1967 à 1976 atteindront 2,2 milliards de francs, dont 46,7% financés par la France.
En ce qui concerne les effectifs, il semble utile, dans la situation présente, de faire les estimations du personnel travaillant sur ”Concorde » dans un sens plus exhaustif que pour celles qui ont été faites dans le passé, en tenant compte :- de l’activité rechanges (15% cellule, 60% moteurs, 40% équipement).
– de l’élaboration des matières premières.
– de la réduction de la durée du travail hebdomadaire et de la suppression des heures supplémentaires lorsqu’on sera en série.
– de l’application de la cadence variable permettant d’atteindre la cadence de 4 avions par mois au lieu de 3 avions par mois.
Toutes ces corrections ou adjonctions cumulées permettent d’estimer à 50.000 le nombre de personnes directement occupées fin 1976, chiffre porté à 70.000 pour la cadence 4.
Bénéficiant de certaines modifications prévues pour la version série, le Concorde 02 ne volera que vers le début de 1972. La SNIAS et BAC pourront-elles néanmoins respecter le calendrier en ce qui concerne l’homologation et les premières livraisons de l’avion de série ?
Une chose est certaine, c’est que la meilleure façon d’accélérer l’homologation et la mise en service des avions de série est de mettre, le plus rapidement possible, en vol des avions représentatifs de la série. C’est également la meilleure façon de ne pas gaspiller d’argent inutilement sur des versions intermédiaires sans intérêt. Dans cet esprit, j’ai fait porter tout notre effort, et bien entendu avec le plein accord des sociétés de moteurs et de notre partenaire britannique, sur le développement du nouveau type de tuyère à inverseur aval et du type de moteur bénéficiant des derniers perfectionnements prévus pour la série, et j’ai décidé que le second avion de présérie, en cours de fabrication à Toulouse, volerait avec ces nouveaux types de tuyère et de moteur à la mi-1972.
Ceci nous permet d’avoir les meilleures chances de notre côté pour obtenir dans les meilleurs délais la certification et la mise en service de nos Concorde.
On sait que l’Aérospatiale consacre des études très poussées au problème des nuisances posé par l’exploitation des avions de ligne supersonique. Peut-on s’attendre, dans un avenir plus ou moins proche, à des résultats qui soient opposables aux arguments actuellement avancés par les adversaires du TSS ?
Nous sommes, en effet, pleinement conscients de l’importance à attacher aux questions concernant l’influence du TSS sur l’environnement ; pour en approfondir l’étude, ma société a signé conjointement avec BAC et Boeing un accord réciproque d’informations techniques sur les nuisances.
Les arguments fondés sur ces questions par les adversaires du TSS ne résistent pas à une étude scientifique sérieuse. Nous contribuons bien entendu à ces études, mais surtout, nous avons le privilège de pouvoir obtenir des résultats de mesures directes, effectuées sur les prototypes dont nous disposons conjointement avec BAC. Cette série de mesures permettra d’étayer les études théoriques qui montrent déjà qu’aucun risque sérieux climatique ne peut être présenté par une flotte de plusieurs centaines de supersoniques. Dans les domaines les plus réalistes du bruit et du bang sonique, nous poursuivons les études nécessaires, non seulement pour l’atténuation à la source, par les modifications d’appareillage possibles, mais aussi par la recherche de procédures opérationnelles adaptées.
Pour le bruit, Concorde déjà n’est pas aussi bruyant que certains avions en service. De plus, un gain appréciable peut être attendu tant des innovations dans le domaine des réacteurs (tuyères à inverseur aval, silencieux du jet), que des modifications d’approche à l’atterrissage et des écrans au sol. Dans le domaine du bang sonique, la nuisance est essentiellement liée à la zone de localisation de ce bang, associée à des accélérations ou virages importants. Or, les études et essais montrent la possibilité pour le pilote de confiner étroitement cette focalisation. Aussi, il nous parait réaliste d’envisager une réglementation opérationnelle limitant la focalisation à quelques zones marines.
Ces études et essais nous ont déjà indiqué le manque de fondement scientifique est technique de certaines attaques ; cependant, ils continueront dans les années à venir, au fur et à mesure de l’extension de la flotte supersonique, afin d’apporter une garantie totale.