INTERAVIA – Juillet 1963 Juan TRIPP (Pan American Airways) et le Concorde

L’éclat et le retentissement du Salon de Paris ont quelque peu éclipsé un des évènements les plus significatifs de l’histoire de l’aviation civile de ces dernières années. Le 4 juin, Juan Trippe, Président des Pan American Airways, annonçait que sa compagnie venait de signer un contrat avec Sud-Aviation/BAC pour l’achat de six avions civils supersonique Concorde. Ainsi, les Pan American Airways ont pris la décision d’acheter des avions à l’étranger mais, de plus, c’est la première fois qu’une compagnie aérienne annonce sans équivoque qu’elle a l’intention de mettre des avions supersoniques en service. Il est évident que les constructeurs américains ne veut pas se contenter d’observer sagement ; ils vont, de leur côté, essayer de s’approprier le marché avec un avion supersonique de leur fabrication. En dernier ressort les Pan American Airways utiliseront-elle l’avion franco-britannique ou un appareil de construction américaine ? Cela dépendra de nombreux facteurs et d’un certain nombre de questions non encore résolues. Par contre, il ne fait aucun doute que la compagnie sera dans le peloton de tête dès la mise en service du courrier supersonique car sa direction a fait la preuve de son esprit réaliste et de son efficacité et qu’elle voudra maintenant la place de premier plan qu’occupent les Pan American Airways dans l’aviation civile mondiale. La décision finale sera essentiellement dictée par des considérations économiques, et il est à peu près certain que les Pan American Airways seront finalement plus ou moins forcées d’utiliser du matériel américain, même si elles commencent  à exploiter des Concorde. Jusqu’à maintenant, ni Air France, ni la BOAC n’ont fait part de leur intention d’acquérir Concorde ; d’ailleurs ce n’est pas à ce stade que leur décision pourrait faire figure d’exemple. Bien que l’appareil ne puisse être jugé que d’après ses qualités, la décision des Pan American Airways fera réfléchir la direction des différentes compagnies aériennes au moment où il faudra prendre une décision en matière de rééquipement. Les compagnies aériennes en général savent ce qu’elles veulent mais chacune a ses propres problèmes. Par exemple, un avion ayant une autonomie suffisante pour voler économiquement et en toute sécurité de Londres ou Paris à New York n’est pas forcément adapté à un voyage transatlantique à partir de Romme, Francfort ou Zurich.

Malheureusement pour les constructeurs de Concorde, la BOAC, une compagnie sérieuse dont l’influence serait déterminante pour l’avenir de l’appareil est actuellement en difficulté.

Si seulement le gouvernement britannique voulait faire une étude impartiale de la situation et définir clairement sa politique, alors, peut-être, les constructeurs britanniques ne perdraient-ils pas des marchés d’exportation au bénéfice de leurs concurrents étrangers.

On à longtemps prétendu que les compagnies affiliées à la BOAC étaient responsables des échecs retentissants de la compagnie mais cette excuse ne tient plus depuis que certaines de ces compagnies ont déclaré qu’elles préféreraient ne plus être associées à la BOAC. L’autre tête de Turc, l’industrie aéronautique britannique (dont la plupart des produits sont fabriqués d’après les spécifications de la BOAC, politique que les constructeurs doivent commencer à regretter) doit, à son tour, commencer à se lasser des attaques lancées contre elle. D’après un article récent paru dans la presse britannique, on se prépare déjà à rendre le VC-10 responsable des pertes à venir. Cet appareil conçu pour répondre aux besoins de la BOAC, devra être exploité sur des routes plus longues que prévu à l’origine. Ce qui est surprenant c’est que les constructeurs eux-mêmes n’aient pas réagi avec plus de vivacité en insistant sur le fait que la BOAC utilise également des DC-7 et des Boeing 707 et qu’avec ces mêmes avions d’autres compagnies font du bénéfice.

La direction de la BOAC, une industrie nationalisée, devrait se sentir responsable, non seulement envers elle-même mais également envers les constructeurs britanniques et ceux qui sont employés par elle.

En supposant que les constructeurs de Concorde réussissent à vendre l’appareil aux différentes compagnies aériennes, l’action de la Pan American Airways aura été déterminante.

Pour renforcer la position actuelle, il serait peut-être intéressant de demander à d’autres pays de s’associer au projet ou, à la rigueur, de prendre en considération les spécifications d’un grand nombre de compagnies aériennes. Les compagnies aériennes nationales ne sont pas entièrement responsables des échecs de l’industrie aéronautique européenne. Il faut également que les constructeurs fassent un examen de conscience. Le Concorde doit être un succès dès sa sortie ; il ne peut y avoir de défaillance majeure ; c’est ”vaincre ou mourir“ et il n’y aura pas de repêchage. La concurrence sera prompte à passer à l’action et une seule défaillance ne fera pas seulement perdre la première place dans ce domaine particulier mais elle fera perdre le marché tout entier. Il n’y a pas que l’avenir d’un avion particulier qui soit mis en cause mais l’avenir des industries aéronautiques nationales ; le fait que le Président des Etats-Unis soit intervenu personnellement le confirme. La mise au point d’un avion civil supersonique est considérée aux Etats-Unis d’une importance vitale ; en effet, quelques heures après la décision des Pan American Airways, le Président des Etats-Unis a déclaré que son pays mettrait tout en œuvre pour réaliser, le plus rapidement possible, un avion de transport supersonique supérieur à ceux de n’importe quel autre pays au monde. S’agissait-il d’une simple vantardise. Lorsqu’il déclarait que l’avion américain serait supérieur ou avait-il des raisons sérieuses de faire une telle déclaration ? Nous ne pensons pas que ces raisons existent car, dans ce cas, les Pan American Airways auraient été informées et la décision d’acheter des Concorde n’aurait pas été prise. Il est encore moins certain que le Président ne faisait que se vanter. Ce qu’il voulait probablement dire c’est que l’industrie américaine, qui sans aucun doute connait tout ce qu’il y a à connaître sur les projets de ses concurrents, à la certitude qu’elle peut faire mieux. Si les Européens veulent conserver une place dans la construction aéronautique, ils feront bien de se rappeler le De Havilland Comet et le Boeing 707, le BAC One-Eleven et le Douglas DC-9. Par contre, si le Concorde était un succès, elle pourrait jouer un rôle de catalyseur dans la formation d’Air Union.

Il reste à entendre un certain nombre de personnes qui plus que quiconque, sont intéressés à ce projet d’avion supersonique : les pilotes. Ils ne vont pas manquer d’exiger que les services de météorologie, d’aide à la navigation, et de contrôle de la circulation aérienne répondent aux besoins de l’avion de transport supersonique. Les météorologistes essaient de mette de l’ordre dans leurs maison mais la mise en application de leurs plans sera des plus coûteux et on ne sait pas trop où trouver les fonds nécessaires. Que penser des aides à la navigation ? L’OACI est-elle sûre qu’il n’y a rien en suspens ?

Les premiers avions civils supersoniques qui seront mis en service disposeront de tout l’espace voulu, au-dessus des avions subsoniques mais, au bout d’un certain temps, le trafic aérien se sera déplacé vers le haut et il n’y aura pas plus d’espace disponible que de nos jours aux altitudes plus faibles. Il faudra par ailleurs une navigation plus précise ne serait-ce que pour tenir compte de l’augmentation de vitesse et même en supposant que les minima de séparations restent les mêmes. Le concept ”voir et être vu » qui aurait dû disparaître des l’avènement des avions civils à réaction doit maintenant tomber définitivement dans l’oubli. Il est désormais prouvé qu’à partir du moment où on se rend compte à vue que deux avions volant à ces vitesses sont sur deux trajectoires de collision l’accident ne peut-être évité. Où en sont les systèmes de navigation avec les réseaux de transmissions automatiques des données ? Sont-ils prêts ? Il est bien connu que les contrôleurs de la circulation aérienne travaillent dès aujourd’hui aux limites de capacités humaines et il est difficile de voir comment ils pourront résoudre les problèmes associés au contrôle de la circulation des avions supersoniques s’ils ne disposent pas de matériels améliorés. Les systèmes de télécommunications sont-ils suffisants pour répondre aux besoins de l’aviation supersonique ? Plus l’avion va vite, plus rapides doivent être les échanges d’informations. Avant que M. Juan Trippe ne fasse sa déclaration et en dépit de la preuve tangible fournie par les travaux entrepris à Toulouse et à Bristol, beaucoup de personnes qui occupent des postes importants dans l’aviation se refusaient à admettre que l’avion supersonique deviendrait réalité. M. Trippe a prouvé que le cauchemar était réel et à un point tel que le Président des Etats-Unis est intervenu en personne.