INTERAVIA – Décembre 1966 : Le SST à géométrie variable de Boeing

A la fin du mois de septembre, la Boeing Company a présenté une maquette en vraie grandeur de son nouveau projet d’avion de transport supersonique. Par rapport au projet initial décrit il y a quelques mois dans ces colonnes (cf.Interavia 8/1966), l’appareil est plus long (93,26 mètres au lieu de 90,82 mètres et plus lourd (306.220 kilos ai lieu de 272.200 kilos) en sorte qu’il peut transporter à peu près autant de passagers que l’avion de ligne géant Boeing 747 de la même compagnie. Cette augmentation de longueur et de poids a évidemment pour principal objet de permettra à l’appareil de franchir une distance telle que soient satisfaits les desiderata des compagnies aériennes qui assurent des services internationaux sur de longs parcours.

Le SST de Boeing dont la désignation officielle est maintenant Boeing 2707 pourra transporter 277 passagers en version mixte 1ère classe/classe économique sur une distance de 6800 kilomètres. En version haute densité, il pourra transporter jusqu’à 350 passagers sur une distance quelque peu réduite par rapport à la précédente. Sa vitesse maximale en croisière sera de 2897 km/h. La distance franchissable maximale annoncée par le constructeur dépasse de 400 kilomètres les spécifications de la FAA. Boeing, en la circonstance, a observé le principe selon lequel la charge utile admissible au décollage ne doit pas être réduite par des questions de température, tout en respectant les normes des compagnies aériennes en matière de réserves de carburant. En outre, il est proposé une version dite domestique qui, semblable dans ses lignes extérieures, pèse tout de même quelques 50 tonnes de moins que la version intercontinentale.
En utilisant le maximum de la poussée, la longueur de piste au décollage du SST de Boeing sera substantiellement inférieure à celle qu’exigent les règlements de la FAA. La vitesse au décollage serait de 300 km /h pour la version intercontinentale avec une longueur de piste de 2300 mètres conforme aux Federal Air Regulation. La vitesse d’approche de l’appareil serait sensiblement la même que celle de la version intercontinentale du Boeing 707, soit 250 km/h avec une longueur de piste de 1950 mètres conforme aux règlements de la FAA.

Le principe de la voilure à géométrie variable a été conservé, car toute l’équipe d’ingénieurs qui a travaillé chez Boeing sur ce projet de SST est intimement persuadé que c’est la seule formule qui permette d’obtenir la plus grande efficacité dans toute la gamme de vitesse. Toutefois, par rapport au projet original, certains perfectionnements ont été apportés qui augmentent les performances en vol supersonique sans diminuer pour autant les bonnes caractéristiques de l’appareil tant en vol subsonique qu’au décollage et à l’atterrissage.

Les dessins ci-dessous donnent une idée de l’aspect général extérieur du projet définitif SST de Boeing. La voilure est représentée d’une part en configuration de vol supersonique (flèche de 72° vers l’arrière) et
d’autre part déployée au maximum pour le décollage et l’atterrissage (flèche de 30° vers l’arrière) ; on notera également la configuration de vol subsonique (flèche de 42° vers l’arrière). Sur le dessin du haut (flèche maximale), les moteurs représentés sont des turboréacteurs à double flux JTF17 de Pratt & Whitney ; sur le dessin du bas (voilure déployée au maximum), ce sont des turboréacteurs GE4 de General Electric.

Maquette en vraie grandeur du turboréacteur à double flux Pratt & Whitney JTF17 Propose pour le SST américain. Ce réacteur de 27.000 kilos de poussée a été réalisé par le motoriste dans le cadre du programme de contrôle par le gouvernement américain et qui doit aboutir à la sélection d’un constructeur de cellule et d’un constructeur de moteur pour réaliser le prototype du SST. Le réacteur Pratt & Whitney est caractérisé par une soufflante frontale à deux étages et un compresseur haute pression à six étages, entraînés respectivement par une turbine à un étage et une turbine à deux étages.

Maquette en vraie grandeur du turboréacteur General Electric GE4, installée dans les usines de la Boeing Company à Seattle, sert à étudier le meilleur emplacement possible sur le SST. Le réacteur proposé par General Electric est caractérisé par un compresseur à neuf étages et à arbre unique qu’entraîne une turbine à deux étages ; le constructeur envisage d’utiliser des aubes de stator à incidence variable pour obtenir le meilleur compromis entre l’entrée d’air à vitesse supersonique et le moteur. Un réacteur GE4 entièrement équipé a tourné pour la première fois au banc le 18 juillet 1966.
La maquette du SST présentée par Boeing à Seattle était équipé du coté gauche de deux turboréacteurs General Electric GE4 et du côté droit, de deux turboréacteurs à double flux Pratt Whitney JTF17. Cette photographie de la partie arrière du SST étudié par Boeing donne une idée des dimensions impressionnantes de ces réacteurs qui développent chacun 27.000 kilos de poussée. On note la présence entre les réacteurs 1 et 2, d’un panneau déflecteur qui sert à canaliser le flux d’air vers l’entrée du réacteur N° 2 lorsque, en vol subsonique, les volets disposés à l’emplanture de la voilure juste au-dessus de ce réacteur sont ouverts.

Le principe de la voilure à géométrie variable a été conservé, car toute l’équipe d’ingénieurs qui a travaillé chez Boeing sur ce projet de SST est intimement persuadé que c’est la seule formule qui permette d’obtenir la plus grande efficacité dans toute la gamme de vitesse. Toutefois, par rapport au projet original, certains perfectionnements ont été apportés qui augmentent les performances en vol supersonique sans diminuer pour autant les bonnes caractéristiques de l’appareil tant en vol subsonique qu’au décollage et à l’atterrissage.
Le système d’articulation qui constitue le pivot de la voilure à flèche variable a été étudié et mis au point par Boeing, à partir d’une idée de la NASA et en coopération avec des ingénieurs de la NASA. Il a été soumis à des essais correspondant à 30.000 cycles de fonctionnement, soit à peu près la durée de vie prévue de l’appareil, sans que des défaillances aient été constatées. La voilure à géométrie variable peut passer rapidement de la position flèche maximale (72°) – ce qui permet au SST de voler à 2900 km/h – à la position envergure maximale (30° de flèche) ce qui donne à l’appareil de bonnes caractéristiques de maniabilité aux faibles vitesses. L’envergure est alors de 53,03 mètres.
Des volets à fentes de bord de fuite et des becs de bord d’attaque ont été disposés sur 85% de la voilure ; ainsi, la portance au décollage et à l’atterrissage se trouve augmentée et, de plus, l’appareil peut grimper rapidement après avoir décollé de pistes relativement courtes et effectuer des approches à des régimes moteur relativement bas sans que l’altitude de l’avion soit très différente de celle des avions de ligne à réaction en service aujourd’hui. Ces dispositions auront d’autre part pour effet de diminuer le niveau de bruit aux alentours des aéroports, mais Boeing poursuit de toute façon activement ses recherches en vue de diminuer encore ce niveau de bruit.
Articulation de la voilure pivotante. Ce pivot à double point d’appui occupe toute l’épaisseur de l’aile ; il a été soumis à des essais très poussés qui ont permis de conclure à l’extrême solidité et au bon fonctionnement des deux paliers durant toute la vie opérationnelle de l’appareil.

1 – Surface de raccordement à la partie mobile de la voilure : 2 – Chapeau de palier supérieur ; 3 – Surface de raccordement à la partie fixe de la voilure : 4 – Ouverture ; 5 – Palier inférieur ; 6 – Double point d’application des charges ; 7 – Palier supérieur ; 8 – Double point d’application des charges.

Si l’appareil doit voler à des vitesses subsoniques, la flèche de la voilure sera calée à 42° et les volets seront quelque peu sortis pour mieux profiler le bord de fuite. Dans ces conditions l’avion volera en régime de croisière économique à des vitesses égales à celles des avions de ligne subsoniques actuellement en service.
Boeing a procédé à des essais complets de structure qui ont permis de vérifier le bien-fondé des calculs théoriques ; la plupart des éléments de la cellule seront réalisés en alliage de titane, soit un mélange fait de 90% de titane, 6% d’aluminium et 4% de vanadium. Pour les structures secondaires, il sera fait un large emploi de nid d’abeilles en titane.
La structure de voilure est extrêmement forte ; c’est elle qui supportera les pivots de l’aile et elle servira en même temps de support du train d’atterrissage principal. Chaque atterrisseur est constitué par deux jambes de quatre roues chacune, disposées par paires. Les deux jambes sont décalées l’une par rapport à l’autre. La jambe avant de chaque atterrisseur rentre vers l’avant à l’intérieur de l’aile, cependant que la jambe arrière rentre vers l’arrière dans le fuselage. Cette multiplication des roues permet de mieux répartir le poids de l’appareil en sorte que la pression exercée au sol par chaque pneu est inférieure à ce qu’elle est avec les gros avions subsoniques actuels. Les quatre réacteurs seront dotés d’un canal d’entrée à section variable qui permettra de réduire les sifflements stridents provoqués par le compresseur lors des approches sur les aéroports. La configuration adoptée pour le canal d’entrée résulte de nombreux essais effectués pendant plusieurs années qui ont démontré que l’entrée d’air continuait à assurer un écoulement stable même à des nombres de Mach élevés à l’intérieur du canal. La configuration retenue pourra être adaptée aussi bien au réacteur General Electric qu’au réacteur étudié par Pratt & Whitney.

La maquette présentée par Boeing dans ses usines de Seattle a permis de constater que le constructeur avait apporté un soin particulier au confort des passagers et avait veillé notamment à ce que ceux-ci puissent être absolument libres de leurs mouvements. C’est ainsi que les modèles de sièges retenus sont d’un type nouveau
et comportent un dossier et un appui-tête à inclinaison réglable ; des écrans de télévision en couleurs renseigneront durant le vol les passagers sur l’activité des membres de l’équipage à l’intérieur du poste de pilotage. Ils permettront également de suivre les manoeuvres de repli où de déploiement de la voilure, et, lors des décollages et des atterrissages, les passagers verront sur ses écrans exactement ce que voit le pilote aux commandes de l’appareil. Entre chaque groupe de cinq hublots circulaires de 16,5 centimètre de diamètre, des panneaux ont été aménagés pour les commandes du système de conditionnent d’air et pour le circuit électrique. La cabine se caractéristique par les points particuliers suivants :

– Des rangées de six sièges en moyenne avec une cuisine et une toilette de chaque côté du fuselage.
– Une conception modulaire permettant le remplacement rapide de siège par des cuisines et des toilettes.
– Des équipements spéciaux, tant pour les passagers que pour les bagages, facilitant le service à bord de la cabine.
L’éclairage de la cabine peut changer de couleur et varier d’intensité ; les sources lumineuses sont constituées par des plafonniers de forme semi-elliptique et par de petites veilleuses disposées autour des hublots. Grâce à un système (optionnel) de manutention du fret constitué par deux compartiments disposé sous le plancher, le volume de la soute à bagages et au fret du Boeing 2707 dépasse le volume requis par les compagnies aériennes qui exigent 0,14 m2 par passager. Chacun de ces compartiments à bagages comporte un palan incorporé et un dispositif permettant les déplacements latéraux.
Le fuselage comporte quatre portes d’accès pour les passagers, chacune mesurant 1,06 mètre de largeur. Grâce à celles-ci, l’embarquement pourra s’effectuer à partir de deux jetées voisines avec quatre passerelles classiques ; en cas d’évacuation de l’appareil, la sortie des passagers pourra s’effectuer rapidement par ces portes, au moyen de rampes pneumatiques gonflables.

En plus de la version normale, Boeing propose un type particulier du fuselage dont la partie située en avant de la voilure est élargie, d’une part pour respecter la loi des airs, d’autre part pour pouvoir loger un plus grand nombre de sièges. Ce modèle optionnel mesure 30 centimètre de plus de largeur, ce qui permet d’aménager des rangées de sept sièges avec deux couloirs (comme sur le Boeing 747). L’aménagement intérieur de la cabine sur ce modèle optionnel serait donc le suivant : un compartiment 1er classe à l’avant comportant des rangées de quatre sièges ; une section de la cabine aménagée avec des rangées de six sièges et deux couloirs (là où le fuselage est plus large) ; enfin à l’arrière, une section aménagée avec des rangées de cinq sièges séparés par un couloir. La largeur maximale du fuselage de la version normale est de 4,77 mètres.

Dans la disposition adoptée par les ingénieurs de Boeing pour l’aménagement du poste de pilotage, il a été tenu compte de la plupart des recommandations des pilotes de ligne et des ingénieurs mécaniciens ainsi que de l’expérience acquise lors des programmes d’essais en vol des appareils trissoniques B-70 et F-12. Des systèmes de télévision en circuit fermé permettront au pilote de suivre les manoeuvres de rentrée et de sortie du train et de voir distinctement des bords de roulement lors des évolutions au sol. En général, la disposition adoptée sur le tableau de bord et sur les panneaux de contrôle est identique à celle qui existe sur les avions de ligne à réactions actuellement en service, même si le SST est pourvu d’appareils et d’instruments qui n’existent pas sur les premiers.

La Boeing Company a rédigé 68 notices techniques sur la manière de traiter le titane aux différents stades de la construction de l’appareil ; ces notices sont le résultat de longueur recherches et expériences. Boeing a
par ailleurs procédé à plus de 500 études largement étayées sur les applications possibles du titane. Toutes ces notices et ces études ont déjà été remises aux principaux sous-traitants. North American par exemple réalise dès maintenant la partie extérieure du pivot de la voilure et Northrop a en construction trois caissons de voilure.
Boeing a mis au point un procédé de formage sous vide à haute température, au moyen d’une matrice dont la face travaillante est en céramique et qui est montée sur un support en acier, on peut ainsi former des plaques de titane de 25,5 millimètres d’épaisseur et de 2,10 mètres de longueur. Les essais et études de Boeing ont conduit aussi à de nouvelles techniques de soudage pour résister aux hautes températures résultant des vitesses supersoniques.

Les trois stades suivant de la réalisation du premier prototype – sous-assemblage, assemblage général et montage final – ont déjà été étudiés dans le moindre détail et ces trois opérations seront effectuées dans les usines de Boeing à Seattle. Le fuselage a été divisé en six tronçons principaux ; les onglets de voilure, de même que la section centrale et les sections extérieures de l’aile seront réalisés à part. Les gouvernes seront constituées d’un noyau de nid d’abeilles revêtu de plaques de titane collées au moyen d’un adhésif polyamide. Ce que l’on peut dire d’ores et déjà, c’est que le montant des dépenses pour le prototype qui sera finalement retenu par la FAA correspondra à environ 50% du coût total du programme. Cette somme comprend, dans le cas de Boeing, la plupart des principaux contrats de sous-traitance pour la réalisation de la cellule, soit 70% du poids de la structure et 55% du total de l’usinage.
Boeing a étudié très attentivement les possibilités et les références de nombreux constructeurs tant aux Etats-Unis qu’au Canada et a sélectionné à ce jour six sous-traitants pour réaliser les éléments du fuselage et de la voilure.

Depuis l’ouverture du concours pour la réalisation d’un SST américain (fin 1963), la compagnie Boeing a déjà investi plus de 15 millions de dollars dans des travaux d’étude et de mise au point ; si l’on ajoute à cette somme les crédits consentis par le gouvernement, on arrive à un total de 35 millions de dollars. Boeing prétend que, s’il est choisi par la FAA pour réaliser le SST Americain, son premier prototype volera à la fin de 1969 et le Boeing 2707 pourra être mis en service commercial vers le milieu des années 1970.

Le projet étudié par Boeing comporte un nez de fuselage à double articulation, ce qui permet de diminuer la traînée et d’offrir un large champ de visibilité en vol supersonique et ce qui donne, aux vitesses subsoniques ainsi qu’à l’atterrissage, une visibilité plus grande que celle dont dispose les pilotes sur la plupart des avions à réaction subsoniques actuellement en service. Le nez basculant, grâce aux deux axes d’articulation, rend plus facile les évolutions de l’appareil au sol et permet de maintenir constant l’angle d’attaque des divers accessoires, tels que prise de pression et antenne radar. Lorsque l’appareil roule au sol, le nez est placé en position médiane.

Cette section du fuselage en titane a été réalisée par Boeing dans le cadre du programme d’étude du SST décidé par le gouvernement américain, afin de démontrer l’aptitude du constructeur à former et à assembler des sections réalisées en titane. On distingue les panneaux de revêtement du fuselage, des poutres de plancher, des lisses et des cadres

Coup d’oeil à l’intérieur du poste de pilotage aménagé sur la maquette du projet SST de Boeing. Comme on peut s’en rendre compte, la visibilité lors du décollage et de l’atterrissage est assez exceptionnelle, grâce au nez basculent. La disposition générale des instruments sur le tableau de bord et les panneaux de contrôle ne diffère pas radicalement de celle qui a été adoptée sur les avions de ligne subsoniques de Boeing, ce qui facilitera l’entraînement et la transformation des pilotes.

Détail de la structure du SST de Boeing. 1 – Nez pivotant. 2 – Poste de pilotage. 3 – Porte d’entrée. 4 – sièges de 1ère classe (rangées de 4). 5 – Train avant. 6 – Porte-bagages. 7 – Cuisine. 8 – sièges classe touriste (rangées de 6). 9 – Soute à fret sous le plancher. 10 – Cadres du fuselage. 11 – Becs de bord d’attaque. 12 – Nervures d’aile. 13 – Poutres supportant le plancher. 14 – Plancher étanche. 15 – Réservoirs de carburant. 16 – Logements des atterrisseurs principaux. 17 – Pivot d’aile. 18 – Aile extrême à 30° de flèche. 19 – Volets. 20 – Spoilers. 21 – Aileron. 22 – Vérin de commande de la voilure à flèche variable. 23 – Logement des atterrisseurs principaux. 24 – Réacteurs. 25 – Cloison de la soute à fret. 26 – Porte cargo. 27 – Compartiment fret du pont principal. 28 – Elevon. 29 – Profondeur. 30 – Cloison étanche. 31 – Dérive ventrale. 32 – Dérive. 33 – Pointe arrière. 34 – Sortie de secours