INTERAVIA – Avril 1964 – Principales objections à l’aviation commerciale supersonique

Par Bo K. O. LUNDBERG, directeur général de l’institut de recherches aéronautiques suédoises

Cet article présente les principales conclusions du rapport de la FAA “Vitesse et Sécurité” dans l’aviation civile ainsi que les arguments fondamentaux sur lesquels reposent ces conclusions. Il n’a pas été possible, faute de place, d’inclure dans l’article les analyses détaillées et les données statistiques qui sont à la base du rapport. L’auteur espère que ce schéma suscitera une discussion d’ensemble couvrant tous les avantages et les inconvénients du vol supersonique et où chaque point particulier comme la sécurité, l’économie d’exploitation, le bang sonique et les conséquences indirectes du transport supersonique serait traité en détail et, si possible, évalué numériquement.

Sécurité.

La seule chose que l’on puisse dire avec presque cent pour cent de certitude sur la sécurité de l’avion de transport supersonique et des opérations en supersoniques, c’est qu’elle va être notablement moins grande que celle atteinte par l’avion subsonique actuelle sur longues distances. Ceci vient principalement de la quantité sans précédent de caractéristiques entièrement nouvelles, de l’effet d’échauffement cinétique sur les structures et les circuits, de l’absence presque totale d’expérience dans le domaine supersonique du côté militaire, de la vitesse balistique de l’appareil qui nécessite une navigation très exacte et rend l’équipage pratiquement aveugle en ce qui concerne les collisions avec les autres avions ou la rencontre de phénomènes météorologiques et, enfin, du fait que tout écart de la trajectoire optimale de montée et de croisière en vue d’une économie maximale de carburant entraînera une augmentation de la consommation beaucoup plus grande que pour un avion subsonique et risquera d’avoir un effet critique sur les réserves.

Toutes ces conditions s’ajoutent pour produire une somme de risques, imprévisibles et contre lesquels on ne peut rien, beaucoup plus grande que pour les avions subsoniques (probablement plus de dix fois plus élevée). Tous les efforts et les sommes d’argent considérables qui doivent être et seront certainement mis en oeuvre pour abaisser les risques d’accidents prévisibles du transport supersonique ne changeront rien à ce fait.

Economie d’exploitation.

Même avec les calculs les plus délibérément optimistes du prix de revient du siège-km fondés sur des méthodes standards utilisées pour les avions à réaction subsoniques actuels, le transport supersonique ne pourra soutenir la lutte sur le plan économique avec les avions subsoniques perfectionnés pour les raisons suivantes :

– Les tarifs des services réguliers assurés par avions subsoniques continueront à baisser par suite, a) la concurrence des transports à la demande toujours moins chers, b) des prix de revente réduit de ces appareils, c) des améliorations techniques abaissant par exemple le prix de l’entretien et, d) des progrès importants que l’on peut attendre dans certains domaines comme celui du contrôle de la couche-limite.

– Etant donné le marché beaucoup plus étendu ouvert au transport subsonique et la plus grande capacité de transport offerte par l’avion supersonique, le nombre de nouveaux types d’avions subsoniques présentés sur le marché (probablement de 10 à 15 fois plus grand, que le nombre de nouveaux types d’avions supersoniques. Ceci signifie que la progression technique de ces dernières machines et donc les possibilités de réduire le prix du siège-km du transport supersonique sera beaucoup plus lente ou beaucoup moins sûre que celle des avions subsoniques à moins que chaque nouveau type d’avion supersonique ne soit produit qu’en très petites quantités ne suffisant pas à amortir les frais de mise au point et d’outillage ou qu’il ne soit laissé en service que pendant un temps insuffisant pour amortir son prix de revient.

– Les courriers supersoniques ne voleront probablement qu’avec des coefficients de remplissage très réduits lors des nombreux vols qui devront être faits avec des heures de départ ou d’arrivée incommodes afin d’obtenir un coefficient d’utilisation suffisamment élevé de l’appareil, à moins que des tarifs spéciaux comportant une perte pour l’exploitant ne soient appliqués pour ces vols.

– Le transport supersonique devra compter toujours plus avec la concurrence des avions subsoniques des types STOL et VTOL en particulier qui pourront utiliser des aéroports situés beaucoup plus près des centres urbains. Ceci réduira sérieusement le nombre des routes sur lesquelles le gain de temps et de confort réalisé par le transport supersonique sera effectif, même en prenant des heures de départ et d’arrivée également commodes, car il faut penser que le temps passé en transport au sol est généralement la partie la plus inconfortable du voyage.

– Les exploitants doivent appliquer des taux d’amortissements du matériel volant beaucoup plus élevés à cause de l’incertitude au sujet de la durée en service des avions supersoniques et du faible prix de revente de ces appareils.

– Les courriers supersoniques sont très inférieurs aux avions subsoniques du point de vue souplesse d’emploi et possibilité d’utilisation économique sur étapes courtes et moyennes ou en ce qui concerne le remplacement d’une partie de la charge passagers par du fret.

– La complexité du courrier supersonique et l’échauffement cinétique entraînent des frais et des temps d’entretien beaucoup plus élevés que pour les avions subsoniques, le dernier point ayant pour conséquence une réduction du coefficient d’utilisation.

– Les restrictions imposées par le bang sonique (limitations géographiques des vols de nuit ou obligation d’effectuer le passage du vol subsonique au vol supersonique à haute altitude) réduiront plus ou moins les possibilités d’utilisation ou la charge marchande selon les compromis entre les intérêts des populations et ceux des exploitants des courriers supersoniques qui seront acceptés par les pays survolés.

– Si les accords réalisés à ce sujet ne suffisent pas à réduire les effets du bang sonique à des perturbations mineures et que les surpressions engendrées au sol causent des chocs aux personnes, troublent réellement leur sommeil, casse des vitres, etc…, le transport supersonique deviendra vite impopulaire et bien des voyageurs préfèreront prendre des avions subsoniques plutôt que de contribuer à la gêne imposée à leurs proches. Les exploitants auront de plus à réparer les dégâts causés par leurs appareils.

– Le facteur de multiplication du poids ou, en d’autres termes, l’influence sur le poids total de l’avion de tout kilogramme supplémentaire (par suite des répercussions sur la puissance et donc le poids des moteurs, le poids de carburant, la surface alaire, etc…, qu’il faut augmenter pour conserver les mêmes performances) sera accru si l’on impose des maxima fixes pour les surpressions admissibles en croisière supersonique ou pendant le passage du vol subsonique au vol supersonique. On devra d’abord appliquer à toute augmentation de poids initial (correspondant par exemple à un accroissement de la charge marchande ou des réserves de carburant, ou destinée à accroître la résistance de la structure) le facteur de multiplication normal qui est de l’ordre de 10 pour les long-courriers à réaction subsonique et qui peut être de 15 à 20 pour un courrier supersonique en dehors de toute considération de bang sonique. Lorsque, ensuite, des maxima seront spécifiés pour les surpressions sonores, par exemple 9,8 kg/m2 en montée supersonique et 7,3 kg/m2 en croisière, le facteur de multiplication augmentera considérablement et pourra même devenir infini. On retombe en effet dans le cercle vicieux, les moteurs plus puissants et donc plus lourds demandant plus de carburant pour franchir la même distance, tout ce poids supplémentaire nécessitant une augmentation de la surface alaire pour conserver les vitesses de décollage et d’atterrissage, ce qui fait une autre augmentation de la poussée des moteurs pour répondre aux conditions concernant le bang sonique, etc.

Ce dernier point montre que pour les versions ultérieures des courriers supersoniques (modifications ou nouveaux types), il sera beaucoup plus difficile d’augmenter la charge utile, la distance franchissable ou les dimensions de l’avion que dans le cas des avions subsoniques. Ce manque de souplesse de l’avion supersonique pour d’éventuelles transformations est en fait l’un des plus sérieux obstacles à son amélioration future. Il entraînera une différence sans cesse croissante entre les possibilités des avions à réaction subsoniques de l’avenir et celles des courriers supersoniques en ce qui concerne l’accroissement de la charge marchande et donc la rentabilité.

Il est suggéré ici d’établir pour tous les projets d’avions supersoniques le facteur de multiplication tenant compte des limitations du bang sonique et de le comparer avec le facteur de multiplication normal des avions à réaction subsoniques de façon à permettre aux acheteurs éventuels de courriers supersoniques de comparer dans les deux cas les effets sur l’économie d’exploitation techniques éventuelles.

La conclusion qui s’impose est que l’avion supersonique ne sera pas rémunérateur. Elle est appuyée par le rapport préparé par le Stanford Research Institute pour la FAA et intitulé : “Une analyse économique du transport supersonique”. Ce rapport arrive entre autres aux conclusions suivantes :

– Si l’on se fonde sur les informations dont on dispose sur les différentes conceptions d’avions supersoniques et sur l’état actuel de la technique, l’exploitation du plus économique des avions de transport supersonique ne sera pas aussi rentable que celle des long-courriers à réaction actuels. On s’attend à des seuils de rentabilité plus élevés et à des coefficients annuels d’utilisation plus faibles. Il n’y a par conséquent aucune justification économique directe pour le lancement d’études et de mise au point d’un avion de transport supersonique.

– Etant donné les frais d’exploitation plus élevés du transport supersonique par rapport à l’avion à réaction subsonique, les finances des compagnies aériennes souffriront de la mise en service du premier et le potentiel de rentabilité de beaucoup de ces compagnies décroîtra en supposant des coefficients de chargement similaires pour les deux types d’avions et l’application des mêmes tarifs.
Le Stanford Research Institute est apparemment arrivé aux mêmes conclusions que nous sans tenir compte de tous les facteurs mentionnés plus haut.

Il est donc évident que le courrier supersonique ne remplira pas la neuvième des dix conditions demandées par l’IATA pour cet appareil ; Le prix de revient du siège-km du courrier supersonique doit être égal ou plus faible que celui des avions à réaction subsoniques de rayon d’action et de dimensions comparables en service au moment de son introduction.

Les radiations cosmiques

L’effet des radiations cosmiques aux altitudes auxquelles doit croiser l’avion supersonique constitue un obstacle important à l’intérêt, à la sécurité, à l’économie et, probablement aussi, à la régularité du transport supersonique. Une limitation du nombre d’heures de vol devra probablement être prévue pour les équipages de courriers supersoniques afin de ne pas dépasser les doses maxima admissibles. Les équipages seront en effet exposés non seulement aux radiations cosmiques normales mais aux radiations des taches solaires assez fréquentes et qui ne peuvent être évitées. Un point plus important sans doute pour la rentabilité de l’avion supersonique sera la question des grosses taches solaires moins fréquentes mais dangereuses aux altitudes élevées et que l’avion devra éviter en descendant aux altitudes inférieures et en continuant son vol à vitesse subsonique. Ces taches peuvent se produire à peu près à n’importe quel moment et l’on dispose de 10 à 15 minutes seulement pour les éviter de sorte que le courrier supersonique devra toujours emporter des réserves de carburant suffisamment importantes pour lui permettre d’atteindre son point de destination ou un aéroport de déroutement en volant à partir du milieu de l’Atlantique, par exemple, à vitesse subsonique.

Ces taches solaires peuvent intéresser simultanément jusqu’à 100 courriers supersoniques croisant au-dessus de l’Atlantique Nord et de la partie septentrionale du continent nord-américain et les obliger à descendre aux altitudes inférieures avec les dangers de collision que représentent ces manoeuvres et le vol subsonique aux basses altitudes, une partie du trafic au-dessus des océans et des continents s’effectuant sur des routes qui se croisent.

Si l’on peut pas mettre au point un dispositif avertisseur capable de différencier avec certitude les taches solaires dangereuses peu nombreuses de celles plus fréquentes (à peu prés une ou deux fois par mois) qui n’ont pas d’effet réellement nocif, les occasions de changer les plans de vol seraient si nombreux que la situation deviendrait inacceptable non seulement sur le plan de la rentabilité et de la sécurité des vols mais aussi du point de vue régularité des services et intérêt du transport supersonique pour les passagers.

Le bang sonique.

Le phénomène du bang sonique constitue un obstacle à la rentabilité du courrier supersonique tellement important qu’il ne pourra probablement pas être compensé même par l’octroi de subventions très élevées. De plus, l’aviation supersonique développée à une échelle suffisamment grande pour être valable causerait du fait de ce bang sonique une grave gêne à des centaines de millions de gens à la surface de la terre. Rien que pour ces deux raisons l’aviation supersonique ne doit être introduite que lorsqu’une investigation complète du phénomène du bang sonique aura été faite et aura montré que les avantages économiques de même que les inconvénients pour les populations sont négligeables, ou bien lorsque le bang sonique aura pu être éliminé par de nouvelles découvertes ou inventions.

Dans son appel d’offres pour l’étude et la mise au point d’un courrier supersonique, la FAA a indiqué que la moyenne admissible des surpressions engendrées au sol par les ondes de choc à la verticale de l’avion, ou valeur nominale calculée dans le cas d’une trajectoire rectiligne en vol supersonique dans les conditions correspondant à celles de l’atmosphère standard, ne devrait pas dépasser 9,8 kg/m2 pendant la phase d’accélération et de montée à l’altitude de croisière de 7,3 kg/m2 pendant le vol de croisière et la descente avec ralentissement. Le Concorde et les projets américains atteindront probablement ces limites ou s’en approcheront beaucoup. Or, si l’on se fonde sur les deux critères suivants, il est peu probable que la limite de 7,3 kg/m2 elle-même soit acceptable pour les populations au sol.

Carte des Etats-Unis sur laquelle sont représentés les bandes de 150 kilomètres de largeur correspondant au sillage au sol des ondes de choc produites par un courrier supersonique d’un poids total de 180 tonnes volant à Mach 3 à 20.000 mètres d’altitude dans les conditions atmosphériques standards. La largeur de la zone intéressée peut augmenter dans le cas d’un vent latéral ou d’écarts de route. La zone de sillage sonique d’un avion volant à Mach 2,2 à 18.000 mètres d’altitude n’aurait plus que 80 kilomètres de largeur.

Le premier critère est le critère de la perturbation du sommeil pour lequel c’est l’intensité nominale qui est importante. Des surpressions de l’ordre 7,3 kg/m2 sont susceptibles de réveiller la plupart des gens dormant avec leurs fenêtres ouvertes lorsque le niveau de bruit de fond est faible. En évaluant l’importance de la gêne causée il faut tenir compte de ce que bien des gens, par exemple ceux qui travaillent de nuit, les malades et les bébés dorment pendant le jour. De plus, la fréquence des bangs sera relativement élevée sur bien des routes utilisées par les courriers supersoniques et elle augmentera au fur et à mesure de l’expansion du transport supersonique. Il n’est pas admissible d’interrompre peut-être plusieurs fois par jour ou par nuit le sommeil des gens et l’on peut se demander si un moyen de transport ne causant même que des perturbations légères du sommeil, telles qu’elles n’affecteraient, par exemple, que les gens au sommeil léger mais ceci dans de vastes zones et à une grande distance de l’appareil, peut de toute façon être accepté. Il serait d’autre part peu généreux et anti-démocratique de faire supporter des bangs soniques plus forts (d’une intensité de montée de 9,8 kg/m2, par exemple) que ceux jugés acceptables pour les zones à forte population aux gens vivant, ou séjournant occasionnellement ou se trouvant en transit dans des régions moins habitées. On doit finalement faire observer que le bang sonique peut sérieusement affecter les malades dans les hôpitaux, les convalescents dans les maisons de repos et les curistes des stations balnéaires, certains de ces endroits étant inévitablement situés dans la zone du sillage des ondes de choc si les vols supersoniques ne sont pas limités à l’espace aérien se trouvant au-dessus des océans.

Le deuxième critère est le critère du coefficient de sécurité. La valeur des surpressions engendrées s’écarte beaucoup de la valeur moyenne (ou valeur nominale) suivant les conditions atmosphériques et, en particulier, les discontinuités dans la répartition des températures et la force et la direction des vents, de même que suivant les manœuvres du courrier supersonique comme les virages et les modifications de l’assiette. Si les valeurs moyennes de surpression atteignent 7,3 et 9,8 kg/m2, des surpressions de 14,6 et 19,5 kg/m2 se produiront fréquemment en n’importe quel point du sillage. Elles briseront les vitres et occasionneront des chocs graves aux personnes et aux animaux. De plus, pour peu que le trafic supersonique sur la route considérée soit appréciable, des super-bangs soniques de 48,8 kg/m2 se produiront occasionnellement. Ces amplifications ou concentration des ondes de choc dues aux conditions atmosphériques et aux manœuvres de l’avion pourront être réduites par un contrôle très strict des opérations mais ne pourront jamais être complètement éliminées. Il n’est pas possible d’introduire un mode commercial de transport qui, comme contrepartie inévitable, exposerait les gens à des commotions graves et endommagerait leurs biens, même si les compagnies aériennes jugées responsables des dommages étaient obligées de payer de fortes indemnités. Le critère qui nous occupe demande donc un coefficient de sécurité élevé se définissant comme le rapport entre, a) une surpression élevée (n’englobant pas nécessairement le cas extrême du super-bang) supportable pour le public et que celui-ci ne pourrait accepter de voir dépasser que dans des conditions de répétition données, par exemple une fois par jour ou une fois par semaine, et, b) la surpression moyenne correspondante.

Ces deux critères mis ensemble concourent à donner comme intensité moyenne du bang sonique pouvant être admise sans récrimination par le public une valeur maximale de quelque 1,5 à 2,4 kg/m2. Or cette limite rendrait une exploitation commerciale du vol supersonique impossible du point de vue rentabilité car elle imposerait au courrier supersonique des limites dimensionnelles telles qu’il ne pourrait emporter que quelques passagers.

Pour éviter ces inconvénients on a proposé de restreindre l’utilisation des avions supersoniques aux routes transocéaniques à commencer par celles au-dessus de l’Atlantique Nord. Ceci réduirait d’après les calculs la capacité du marché de l’avion supersonique pour les Etats-Unis seulement de 350 à 400 appareils environ et porterait le prix du courrier supersonique américain aux alentours de 40 millions de dollars. Il faut cependant observer que les routes orthodromiques Londres-New York et Paris-New York passent pour un tiers au-dessus des terres : Terre-Neuve, la Nouvelle-Ecosse, et la côte nord-est des Etats-Unis et que les zones placées dans le sillage sonique sont toutes habitées. De plus, le trafic maritime intense existant sur ces mêmes routes serait fortement gêné par des bangs soniques se répétant plusieurs centaines de fois par jour. On en arrive à se demander si les opérations supersoniques même limitées aux routes transocéaniques sont possibles.

La forme de l’onde de choc produite par un avion supersonique diffère très sensiblement de celle d’une onde sonore normale. Les différences soudaines de pression rencontrées au passage de l’onde de choc suffisent à causer un vif malaise. A – forme une onde de choc sonore normale : b – forme de l’onde de choc et variation de la pression suivant la ligne AA du croquis c ; d – pression atmosphérique.

Dans le document intitulé “l’OACI et les problèmes technique associés à l’avion de transport supersonique” que l’OACI vient de distribuer à tous les Etats membres, cet organisme prévoit qu’un accord international définissant le niveau acceptable des surpressions dues au bang sonique. De tels accords doivent évidemment être basés sur des essais très complets couvrant les cas extrêmes, par exemple les gens ayant le plus besoin de tranquillité. Les essais doivent déterminer également la différence entre les surpressions moyennes et les surpressions réelles dues aux effets d’amplification et de concentration des ondes de choc que l’on n’est pas sûr de pouvoir éliminer en service par un contrôle très strict du vol supersonique. Les essais devront de préférence être effectués dans différents pays de façon à être représentatifs des différentes sensibilités au bruit des diverses populations et à refléter les opinions les plus divergentes sur l’importance d’éviter le bruit, particulièrement à la campagne. Les Suisses ont, par exemple, exprimé leur crainte que des vols
supersoniques au-dessus de leur pays ne viennent troubler la tranquillité de leurs nombreux centres de villégiature si importants pour leur industrie touristique.
Il semble donc que les essais en vue d’étudier les perturbations du sommeil et les essais similaires devraient être effectués sous surveillance médicale et porter sur des populations suffisamment représentatives groupant un assez grand nombre d’individus. Pour que les essais sur grande échelle soient moins chers, on pourrait remplacer les vols effectués par des avions militaires supersoniques par la mise à feu de charges explosives simulant un bang sonique. On arrive à produire ainsi de façon bien plus précise les surpressions voulues et l’on peut augmenter progressivement celles-ci, ce qui permet d’effectuer des essais même tout près d’hôpitaux et de déterminer la limite acceptable pour les différentes sortes de malades sans risque de dépasser celle-ci. Il va sans dire que l’on tiendrait compte seulement des observations cliniques objectives, par exemple pour la perturbation du sommeil, et non des plaintes des individus.
 Le courrier supersonique devra compter toujours plus avec la concurrence des avions subsoniques et, en particulier, avec celle des appareils V/STOL qui pourront utiliser des aéroports plus proches du centre des villes, le courrier supersonique étant au contraire obligé d’utiliser les aéroports les plus éloignés pour des raisons de bruit et de longueur de pistes. La figure montre les temps passés au sol et en vol pour une distance de 4000 km. 1 – dans le cas d’un avion à réaction à vitesse subsonique élevée utilisant des aéroports situés à 12 km du centre des cités desservies et, 2 – dans le cas d’un courrier supersonique à Mach 2,2 utilisant des aéroports situés à 32 km du centre. A – temps de vol ; B – temps au sol ; C – temps pendant lequel les passagers restent attachés à leurs sièges.
Toute l’aviation civile risquerait d’être compromise si l’accord international sur le niveau de bang sonique admissible devait être basé sur des essais insuffisants et sur des recherches sociologiques et médicales ne permettant pas de déterminer de façon adéquate le préjudice causé aux gens suivant leur besoin de tranquillité. Si tel était le cas et si des surpressions nominales de l’ordre de 7,3 kg/m2 et de 9,8 kg/m2 étaient acceptées, on donnerait aux constructeurs et aux futurs exploitants du transport supersonique l’impression fausse qu’ils peuvent poursuivre leurs projets en toute sécurité. Impression fausse car, après quelques années d’exploitation et d’expansion du transport supersonique, lorsque des millions de dollars et des efforts énormes auront été engagés dans l’entreprise, les coups de tonnerre soniques de plus en plus violents et fréquents risquent de réveiller (aux deux sens du terme !) les gens des pays intéressés qui se dresseront pour réclamer des limitations beaucoup plus sévères du bruit. La plupart des gouvernements accèderont alors probablement à la demande de leurs administrés.
Il est très important à ce point de rappeler que même un abaissement modéré de la limite nominale du bang sonique entraînerait des pénalités considérables pour l’avion de transport supersonique du point de vue poids total, frais d’exploitation et dimensions de moteurs. En effet, la réduction des surpressions engendrées au sol par un avion supersonique ayant des dimensions minimales données ne peut être réalisé qu’en augmentant les altitudes auxquelles l’avion passera du régime subsonique au régime supersonique et les altitudes de croisière en vol supersonique. Ceci demande des moteurs plus puissants et donc plus lourds, une plus grande quantité de carburant et probablement aussi une surcharge alaire accrue, etc. A un niveau technique donné, l’effet du bang sonique ne peut donc être réduit que par des mesures impliquant l’accroissement du poids de l’avion. Celui-ci empêche de son côté la diminution du bang sonique recherchée et l’on rentre dons dans un cercle vicieux.
Pour faciliter l’étude de ce problème on suggère l’introduction d’un rapport accroissement de poids/réduction du bang sonique qui serait calculé pour chaque projet de courrier supersonique. L’auteur a fait quelques calculs approximatifs qui indiquent que ce rapport est de l’ordre de 5/1 dans le cas du bang sonique en montée ce qui voudrait dire qu’une réduction des surpressions de 10% par exemple de 9,8 à 8,8 kg/m2, entraînerait un accroissement du poids total de l’avion de 50%.
Quelles que soient les restrictions importantes ou légères imposées pour le bang sonique dans les divers pays, on voit donc que ce phénomène constituera un handicap sans précédent pour les opérations des avions supersoniques.
Conséquences indirectes néfastes.
Si l’on accepte de consacrer au transport supersonique les sommes énormes et les efforts considérables qui sont nécessaires pour sa mise au point, cela risque de ruiner les perspectives qui s’ouvrent actuellement pour un transport aérien réellement pratique, sûr, bon marché et mis à la portée de tous.
Les gouvernements intéressés à la question de transport supersonique peuvent, par exemple, trouver peu sensé d’appuyer énergiquement les projets devant entraîner une réduction des tarifs (par le contrôle de la couche-limite, entre autres) et des distances villes-aérodromes (au moyen des appareils V/STOL en particulier) si ceux-ci doivent retirer toute chance de rentabilité aux opérations supersoniques. Les progrès dans ces domaines se trouveraient alors sinon empêchés, du moins considérablement retardés. Ces mêmes gouvernements peuvent d’autre part céder à la tentation de camoufler l’échec économique de l’avion supersonique au moyen de subventions, de tarifs spéciaux et d’accords commerciaux favorisant le transport supersonique et défavorisant l’avion subsonique. Tout ceci conjugué aux conséquences du bang sonique créerait une tension sans précédent dans l’aviation.
Les efforts consacrés à la mise au point et à l’introduction de l’avion supersonique réduiront sérieusement la quantité d’efforts pouvant être voués à l’amélioration de la sécurité du vol, celle-ci étant une condition absolue pour l’expansion rapide de l’aviation civile. Si les risques ne diminuent pas dans la proportion même où l’aviation se développe, le nombre annuel croissant d’accidents portera un sérieux coup à la confiance des passagers.
Il faut d’autre part, pour que le transport aérien continue à représenter une économie de temps réelle et cela pour le plus grand nombre des services et celui des liaisons directes de ville à ville. Ces améliorations n’étant possible que dans le contexte d’une expansion générale de l’aviation et cette expansion étant gênée par l’aviation supersonique à cause de l’effet contraire de celle-ci sur la réduction des tarifs et l’augmentation de la sécurité, il semble que le courrier supersonique entraînera une perte plutôt qu’un gain total de temps pour le passager par rapport à l’économie de temps que l’on pourrait obtenir en concentrant les efforts sur le développement de l’aviation subsonique.

 Attrait pour les passagers.

 Il y aurait sans aucun doute un grand intérêt pour les passagers pressés à voir le temps de vol sur des distances de plus de 3000 kilomètres réduit d’environ 2 à 4 heures, à condition toutefois que les prix restent les mêmes ou presque les mêmes que sur les services subsoniques rapides, que les distances villes-aéroports soient identiques et que les heures d’arrivée et de départ soient aussi commodes à peu de choses près que celles des services subsoniques.
Ces trois conditions étant remplies, l’avantage et l’attrait du transport supersonique pour le passager resteront cependant assez modérés, même dans le cas de passagers très pressés, la durée des voyages sur les avions à réaction subsoniques étant déjà dans l’ensemble suffisamment courte. Le besoin d’augmenter la vitesse se faisait sentir de façon beaucoup plus nette avant l’avènement des avions à réaction. L’augmentation de confort offerte alors en même temps que l’augmentation de la vitesse par les avions à réaction n’aura pas non plus son correspondant avec l’avion supersonique où le temps pendant lequel on devra rester attaché à son siège pour la montée et la descente sera plus grand, où l’angle du plancher de la cabine s’écartera plus de l’horizontale surtout au cours de la montée, où le niveau de bruit à l’intérieur de la cabine sera plus élevé et où les passagers seront probablement plus serrés et soumis à un plus grand nombre de secousses sévères dues aux rafales.
Même l’attrait modéré présenté par le gain de temps pour les voyageurs très pressés n’incitera probablement pas ceux-ci : a) à payer un supplément de prix important pour le service supersonique lorsqu’il existera un service subsonique entre les aéroports mieux placés, ni, c) à prendre l’avion supersonique lorsque les heures de départ et d’arrivée de l’avion subsonique seront plus commodes. Il est probable que pour la majorité des passagers, c’est-à-dire la plupart des touristes et bien des hommes d’affaires, l’avantage et l’attrait du vol supersonique, resteront très minces. Les passagers seront plutôt attirés par les futurs services subsoniques opérant à partir d’aéroports plus proches du centre des villes à cause de la durée réduite du trajet au sol qui est effectué dans des conditions plus inconfortables. On peut donc conclure de toutes ces raisons que les avantages du vol supersonique pour le passager et l’attrait qu’exercera sur lui ce mode de transport sont considérablement surestimés par les partisans du courrier supersonique.
Un sondage de l’opinion publique sous la forme d’une enquête auprès des passagers serait très nécessaire pour étudier le marché du courrier supersonique, mais il faudrait pour que cette enquête soit valable que les gens questionnés soient suffisamment informés non seulement du gain de temps réalisable avec le transport supersonique, mais aussi des inconvénients présentés par le vol supersonique par rapport à des services subsoniques améliorés. Il est à remarquer qu’aucune enquête de ce genre réellement objective n’a encore été faite.