Le 23 mai dernier, lors d’une réunion tenue à New York par l’Aviation Space Writers Association, la British Aircraft Corporation et Sud Aviation ont donné quelques détails sur l’état d’avancement du programme Concorde. M. W.J Strang, directeur et ingénieur en chef des usines BAC de Filton, a parlé des progrès accomplis dans la construction de l’appareil et a notamment mis l’accent sur la façon très stricte dont sont respectés les délais.
Le programme des essais structuraux prévoyait de commencer en juillet 1966 l’expérimentation d’une éprouvette voilure-fuselage de 8,20 mètres de longueur et de 13,40 mètres de largeur. Cette éprouvette a déjà été transférée le 4 mars des usines de Sud-Aviation au Centre d’Essais Aéronautique de Toulouse. Il s’agissait en outre de mettre au point pour les essais de fatigue une nouvelle technique permettant l’application à la cellule complète de cycles d’échauffement, de cycles de refroidissement et de charges mécaniques. La solution a été trouvée et les installations sont d’ores et déjà utilisées à Filton pour l’expérimentation d’un tronçon de fuselage de 4,50 mètres de longueur.
Le tronçon fuselage/voilure du Concorde destiné à des essais de résistance a quitté le 4 mars dernier l’usine de Sud Aviation à Toulouse pour être transporté au CEAT à Pont de l’Hers. Les essais ont débuté en avance sur le programme ; il était prévu en effet qu’ils ne commencent qu’en juillet.
Conformément au programme de production, il a fallu tout d’abord, sur le bâti de montage des usines Sud-Aviation, assembler neuf parties principales de la cellule à la structure centrale du prototype. Cette phase de construction est maintenant terminée et à partir du mois de septembre la British Aircraft Corporation sera en mesure d’expédier à Toulouse les parties avant et arrière du fuselage ainsi que des éléments de l’entrée d’air et du logement des réacteurs.
Le réacteur Bristol Siddeley/SNECMA Olympus 593 qui équipera le courrier supersonique Concorde a tourné au banc le 11 novembre 1965, soit trois semaines avant la date initialement prévue. Il a atteint après un temps d’essais assez court la poussée garantie pour les premiers exemplaires et a déjà fonctionné au régime de décollage et aux températures devant turbine fixés pour la version de série. La simulation des températures dans l’entrée d’air pour le vol à Mach 2 a donné des résultats satisfaisants et l’expérimentation
de la tuyère à section variable du flux primaire a été concluante. L’avance qui a été prise dans le domaine des essais au banc du réacteur est actuellement de 100 heures.
Les travaux sur le Concorde sont aujourd’hui consacrés principalement à la réalisation des deux prototypes et aux programmes de mise au point correspondants. Le premier prototype est construit à Toulouse par Sud-Aviation et le second à Filton par la British Aircraft Corporation. Les deux appareils seront utilisés comme laboratoires volants et recevront à cet effet un équipement hybride (digital et analogique) pour l’enregistrement des données que fourniront les 3000 capteurs équipant chaque prototype. Les centres d’essais à Toulouse et à Bristol sont actuellement dotés d’installation qui permettront de transmettre directement toutes les données recueillies aux gros ordinateurs à usages multiples des firmes BAC et Sud-Aviation.
Pour imprimer les informations relatives à un seul vol d’essais, il faudrait une bande de papier de plus de 6 kilomètres de longueur. Les enregistrements de données seront de ce fait analysés électroniquement, ce qui permettra de disposer des résultats dans un délai d’à peine trente minutes. Cette automatisation est prévue pour faciliter le travail, mais elle doit surtout permettre d’accélérer le programme des essais vol.
Après la réalisation des prototypes, il est prévu de construire deux appareils de présérie. Ceux-ci seront plus gros que les prototypes et leur cellule correspondra à celle de la version de série. Ils auront un aménagement standard dans une partie de la cabine et possèderont un équipement complet pour les essais. Le premier appareil de présérie volera à Bristol en septembre 1969 et le second à Toulouse en novembre 1969. Au milieu de 1970, les premiers appareils de série permettront d’activer le programme des essais et d’enregistrer au total plus de 4000 heures de vol avant homologation qui est prévue pour le mois d’avril 1971.
A propos des caractéristiques techniques de la version de série, M. Strang a dit à peu près ceci : Au stade des études, chaque long-courrier est une machine très sensible et la moindre modification peut avoir une grande répercussion sur le poids total. Le courrier supersonique ne constitue pas une exception dans ce domaine. Dans le cas du Concorde, une augmentation de 1% de la traînée nécessite l’emport d’une tonne supplémentaire de carburant pour un vol transatlantique effectué avec les réserves de carburant prévues par les compagnies aériennes. C’est la raison pour laquelle a été défini un niveau de performances minimales acceptables, à savoir le transport d’une charge payante d’environ 11.500 kilos sur le parcours Paris-New York
sans escale, compte tenu d’un décollage par temps chaud et de certains autres facteurs défavorables. Or, comme l’autonomie du Concorde a donné lieu dans le passé à de fausses interprétations, il convient de préciser que les performances minimales en question donnent une distance franchissable supérieure à 6400 kilomètres avec, bien entendu, la réserve de carburant exigée par la FAA.
Pour ce qui concerne l’exploitation de l’appareil franco-britannique, M. Strang pense que la structure tarifaire jouera comme d’habitude un grand rôle. Il a déclaré en substance : Nous aimerions voir pour Concorde l’application des mêmes tarifs que pour les avions subsoniques. Dans ces conditions, et avec une augmentation de cinq points du coefficient d’occupation, le Concorde permettrait de réaliser une plus grande marge bénéficiaire. Cependant, l’inconvénient de tout cela est que le succès serait trop grand, car pourquoi quelqu’un utiliserait-il un avion subsonique si le voyage à bord d’un appareil supersonique ne coûte pas plus cher ?.Aussi c’est avec regret que nous devons admettre l’application de tarifs plus élevés pour ne pas défavoriser les avions subsoniques. Le seul précédent que nous avons pour nous guider est la majoration tarifaire de 10% décidée lors de la mise en service des avions à réactions afin d’empêcher le passager de se détourner des avions à hélices. Mais cette mesure s’est finalement soldée par un échec.
Dans le cas le plus favorable, c’est-à-dire sans tarifs spéciaux, le coefficient d’occupation du Concorde atteindrait certainement des valeurs très élevées de l’ordre de 85%. En admettant que dans ces conditions d’occupation des avions subsoniques restent malgré tout de 55%, la différence de 30% se traduirait par un gain supplémentaire représentant 60% des recettes d’exploitation. En d’autres termes, les avions supersoniques domineraient le transport sur grandes distances au fur et à mesure de leur sortie d’usine.
Dans le cas légèrement moins favorable d’une différence de 10% entre les tarifs, les constructeurs estiment que le coefficient d’occupation du Concorde sera néanmoins de 65 à 70%. Si l’on admet un coefficient d’occupation de 50 à 55% pour les avions subsoniques, cela donnerait encore un gain supplémentaire correspondant à 35% des recettes d’exploitation. La différence tarifaire pourrait aussi bien provenir d’une majoration des tarifs pour les vols supersoniques que d’une baisse des tarifs pour les vols subsoniques. Une telle mesure de protection en faveur du transport subsonique freinerait un peu, mais pas pour longtemps, la conquête du marché long-courrier par l’avion supersonique.
Pour le courrier supersonique, la situation la plus défavorable du point de vue économique serait créée par un écart tarifaire tel que le coefficient d’occupation serait du même ordre que celui des avions subsoniques. Selon les estimations faites par les constructeurs, il faudrait pour cela que la différence de tarifs soit d’environ 30%. Dans ce cas, l’avion supersonique serait néanmoins plus rentable que l’avion subsonique, mais il aurait évidemment plus de mal à s’imposer.
Par rapport au prototype, la version de présérie du Concorde aura un fuselage plus long et une porte supplémentaire en arrière de la voilure. Le poids maximal au décollage a été porté à 159.000 kilos et la charge marchande à 12.700 kilos.
Ci-dessous : Maquette de l’intérieur de la cabine du Concorde. La version standard comprend 136 sièges disposés par rangées de quatre avec un espacement de 86 centimètres (34 pouces) entre les rangées. Sur le côté droit ont été installés des sièges de types variés pour montrer différentes possibilités d’aménagement de la cabine.
Assemblage final de la partie avant du prototype 001 du Concorde à l’usine Filton de la British Aircraft Corporation. Cette section du fuselage sera ensuite transportée à Toulouse où elle sera intégrée à la structure fabriquée en France.