« La machine vole, elle vole bien », tels ont été les premiers mots prononcés après le premier, par le pilote d’essais André Turcat. Directeur des Essais en Vol de Sud Aviation, entouré de son équipage : Jacques Guignard, co-pilote, Henri Perrier, ingénieur navigant, Michel Retif, mécanicien navigant.
Cette phrase résumait l’évènement attendu : le premier vol de Concorde 001 qui eut lieu sur le terrain de Toulouse-Blagnac, le 2 mars 1969. Ce vol, d’une durée de 28 minutes, fut en tous points conformes au programme, ceci malgré des conditions minimales que s’était fixé la Direction des Essais en Vol. L’appareil poussé par ses quatre réacteurs Rolls-Royce/SNECMA Olympus 593, décolla à 15h40 et se posa à 16h08.
Fruit d’un travail délicat, long et méthodique, réalisé dans un esprit de coopération exemplaire entre les firmes françaises et britanniques, Concorde ouvre la voie du transport aérien supersonique dans le monde libre, marquant, comme l’a souligné le Président Henri Ziegler, le rôle que peut et doit jouer la coopération européenne dans le domaine de la construction aéronautique civile.
A la date du 25 mars, 5 vols ont été effectués totalisant 4h30. La vitesse de 700 km/h et l’altitude de 5000 mètres ont été atteintes.
Le prototype 002 a effectué à Filton ses premiers essais de roulage, le 14 mars 1969.
La Société Concorde Engines Support Organisation Limited (C.E.S.O) vient d’être crée et enregistrée
Cette Société est destinée à unifier les activités commerciales et d’après-vente pour les réacteurs Olympus 593 qui équipent Concorde ; elle aura pour mission de préparer pour le compte de Rolls-Royce et de la SNECMA les contrats de vente aux avionneurs et aux compagnies aériennes des ensembles Olympus 593 et des pièces de rechanges. Avec l’aide des services techniques de Rolls-Royce et de la SNECMA, tant dans leurs pays respectifs qu’à l’échelle mondiale, cette Société sera responsable de l’établissement de réseaux d’après-vente entièrement intégrée. La nouvelle Société devra également aider les utilisateurs de Concorde dans leurs contacts avec la Bristol Engine Division de Rolls-Royce et avec la SNECMA, conjointement responsables du développement et de la fabrication des moteurs, ainsi qu’avec les principaux fabricants d’accessoires.
Courrier Concorde n° 3.
Les premiers vols du 2 et 8 mars 1969 en photos.
Méthode de travail et Informatique.
On pouvait lire dans une revue aéronautique parue récemment que, lorsqu’une Société renouvelle les méthodes, elle doit penser « traitement de l’information” et qu’une telle politique est vitale pour les entreprises françaises, particulièrement celles qui appartiennent à un secteur de haute technicité, comme celle de l’aéronautique.
C’est cette idée qui vient d’être mise en pratique à Sud Aviation par la création au Siège de la Société d’une Direction de l’Informatique dont la mission est d’améliorer les méthodes de travail en développent l’efficacité des moyens informatiques.
Il faut prendre ici le temps de ”méthodes » dans son sens le plus large. Si l’on connait déjà dans la terminologie de notre Société des Services de Méthodes, chargés d’étudier de nouveaux procédés de fabrication, il existe aussi des méthodes administratives, de comptabilité, de gestion de stocks et même l’on trouve dans les Bureaux d’Etudes ou les Services d’Essais en Vol des méthodes de calcul et des méthodes de dépouillement.
Depuis longtemps déjà certaines de ces méthodes aboutissaient à un traitement mécanisé des informations ; la mécanographie classique par machines à cartes perforées a traité d’abord des problèmes comptables puis a étendu peu à peu son domaine d’action. Plus tard, l’introduction des machines électroniques, les ordinateurs, a permis le développement extraordinaire du traitement automatique des informations, devenu « l’informatique”, mot récemment consacré par le Dictionnaire de l’Académie Française.
Il faut cependant comprendre que l’informatique ne doit pas se borner à remplacer la mécanographie classique, en se limitant à faciliter ou étendre les applications de celles-ci grâce à une amélioration des performances des calculateurs.
En effet, si la mécanographie classique substituait directement le calcul mécanique au calcul manuel, laissant inchangées les méthodes de collecte et d’exploitation des informations, les possibilités nouvelles offertes par les ordinateurs conduisent à concevoir une réforme des méthodes de travail de façon à réaliser une meilleure intégration de ces méthodes et des moyens.
Cette intégration doit être obtenue dans le sens ”vertical », par la mise en place d’information réduisant le cycle entre la saisie de l’information et le résultat, ainsi que dans le sens « horizontal” par le regroupement des informations de diverses natures dont la synthèse est nécessaire pour la prise de décisions.
On voit l’importance que prend l’informatique, non seulement sur l’amélioration de l’efficacité des moyens informatiques proprement dits, mais aussi l’adaptation des méthodes de travail dans tous les domaines. Cette importance ne peut se mesurer seulement par la puissance des matériels, le nombre et la qualité des spécialistes qui les mettent en oeuvre. Elle tient à l’objectif que l’on se propose, c’est-à-dire, comme l’exprimait récemment le plus célèbre constructeur américain d’avions commerciaux : ”La mise en place d’un dispositif dont l’action coordonnée assure la gestion et le contrôle total, intégré, efficace et exact d’un programme dynamique de construction aéronautique ».
Pour mieux illustrer ces idées, il faut donner une vue plus concrète des problèmes que l’informatique permet déjà de résoudre dans notre Société et de ceux que l’on devra maintenant aborder par la mise au point de méthodes nouvelles.
Pour la situation actuelle des moyens qui équipent les Centres d’informatique répartis dans les divers Etablissements de la Société et pour les applications qui sont couramment traitées dans ces Centres, nous renvoyons les lecteurs des « Echos” à un article déjà paru dans cette revue (août-septembre 1967).
Nous voulons décrire aujourd’hui une application qui correspond à un problème d’actualité, puisqu’elle est relative au dépouillement des essais en vol de Concorde.
Les essais en vol d’un appareil prototype comprennent une première phase de mise au point qui dure plusieurs mois. Le raccourcissement de ce délai présente, on le conçoit, un intérêt majeur.
Or ces essais nécessitent l’enregistrement en vol d’un grand nombre de facteurs variables, de paramètres, tels que les températures en nombreux points, les pressions, les efforts exercés sur divers éléments, les vitesses, les déplacements latéraux, transversaux et longitudinaux.
On note ainsi qu’à chaque essai de Concorde, pour chaque instant de vol, on peut enregistrer les valeurs de près de trois mille paramètres.
Il est donc essentiel de pouvoir interpréter rapidement les résultats de chaque vol, de façon à en tirer le plus tôt possible des enseignements susceptibles d’orienter la conduite des essais ultérieurs ou d’entraîner des modifications de l’appareil. Et, pour cela, il faut pouvoir rapprocher les résultats des essais, avec les précisions effectuées par le Bureau d’Etudes, qu’il s’agisse de la répartition des températures ou des efforts, des qualités de vol ou des performances ce qui conduit à saisir et à traiter par le calcul des centaines de milliers de données à chaque vol.
Seuls les ordinateurs sont capables d’effectuer avec une rapidité convenable un tel travail. Voyons donc comment sont utilisés les ordinateurs pour les essais en vol de CONCORDE
COORDINATION DES MOYENS INFORMATIQUES POUR LES ESSAIS EN VOL DE CONCORDE
(IDENTIFICATION DES COEFFICIENTS AERODYNAMIQUES)
Il existe tout d’abord au Service des Essais en Vol de Toulouse, un système constitué par un ordinateur de moyenne puissance (C.I.I. 90-40) accompagné de divers matériels périphériques et dont la fonction consiste :
1) à visualiser immédiatement après chaque vol, sur bande photographique, l’évolution des paramètres correspondant aux objectifs principaux de l’essai.
2) à vérifier que certains paramètres sont restés dans des limites préétablies.
3) à contrôler le fonctionnement des enregistreurs de bord.
4) à transférer sur bande magnétique standard, la totalité des enregistrements de façon à faciliter leur exploitation ultérieure par l’ordinateur du Centre d’Informatique Scientifique.
Pour répondre à ses diverses missions, il a fallu élaborer un système comprenant, autour de l’ordinateur, un ensemble cohérant de matériels périphériques classiques ou spéciaux (table traçantes, lecteurs de bande….) et, également, un ensemble de programmes constitué par un ”moniteur » de coordination mettant en oeuvre plusieurs sous-programmes, fournissant aux divers matériels du système ses instructions de fonctionnement.
Au Centre d’Informatique Scientifique nous trouvons un ordinateur de très grande puissance (CDC 6600) qui est utilisé, de façon générale, pour traiter tous les problèmes du Bureau d’Etudes et dont la charge en ce qui concerne les Essais en Vol représente déjà de l’ordre de 15 à 20%. Cette charge est constituée par un ensemble de travaux divers, tels que le calcul des performances compte tenu de caractéristiques du vol, le contrôle du fonctionnement du conditionnement d’air, la recherche des coefficients aérodynamiques…. Prenons à titre d’exemple, cette dernière catégorie de travaux.
Le Bureau d’Etudes à déjà établi par des calculs théoriques appuyés sur des résultats d’essais au sol (souffleries, simulateur) les équations auxquelles doivent répondre les mouvements de l’appareil. Il s’agit, d’après les essais en vol, de vérifier ou préciser ces calculs et, en particulier, de constater si les coefficients préétablis entrant dans ces équations sont compatibles avec les enregistrements.
Ces enregistrements correspondent, pour le seul mouvement longitudinal de cinq paramètres : l’incidence, l’assiette, la vitesse, la vitesse de tangage, le braquage de profondeur.
Pour chacun de ses cinq paramètres, à chaque sollicitation, on enregistre de l’ordre de deux cents à trois cents valeurs. A partir de ces informations, il s’agit de retrouver les valeurs de seize coefficients.
C’est ici qu’intervient l’ordinateur, mais auparavant il a fallu établir la méthode mathématique qui permet de passer du faisceau des informations au résultat recherché et il a fallu établir le programme grâce auquel l’ordinateur peut appliquer cette méthode mathématique.
Ces opérations ont donc nécessité l’intervention des ingénieurs mathématiciens pour la mise au point de la méthode et des ingénieurs programmes pour l’établissement du programme, avant que le traitement proprement dit, ait pu être effectué sur l’ordinateur.
Enfin, on trouve un troisième système d’ordinateurs fonctionnant pour les essais de Concorde, c’est celui qui permet la simulation au sol des essais en vol. Il comprend un ordinateur (DDP 224) couplé à une machine analogique (RED 5000) et il remplit des missions multiples : définir et mettre au point les systèmes de pilotage, étudier les charges de travail de l’équipage, étudier les charges de travail de l’équipage, entraîner le personnel navigant, préparer certains vols d’essais et en exploiter les résultats.
Aussi bien dans la préparation des vols qu’en vue de l’exploitation des résultats, le simulateur va donc, dans certains cas, jour un rôle complémentaire de celui a été confié à l’ordinateur de Centre d’Information.
C’est ainsi que dans la mise au point de la méthode relative à l’identification des coefficients aérodynamiques, il a permis, avant que ne commence les essais en vol, de tester la méthode mathématique qui avait été élaboré. Il permettra, lorsque sera abordée la phase d’essais en vol relative à cette identification, de préciser les meilleures conditions d’essais.
Ainsi, les trois systèmes informatiques qui concourent à l’exécution des essais en vol de Concorde, s’ils ont chacun leurs missions bien spécifiques, restent tout de même liés dans certaines de leurs activités, réalisant, partiellement, cette unité d’action et cette intégration des méthodes et des moyens qui, dans de nombreux cas, sont une condition de l’efficacité.