Aviation Magazine – Mai – Juin 1971 : Le transport supersonique

Article de Jean GRAMPAIX

Où en est ce supersonique dont on parle tant ?

A ce jour, 16 compagnies aériennes ont pris des options sur 74 « Concorde”. Aucune option sur le ”Tu-144 » n’a été divulguée. « Concorde” doit être mis en service commercial en 1974, alors que le ”Tu-144 » effectuera des vols réguliers « expérimentaux”, en principe, dès la fin de cette année. Il y donc un sérieux écart entre les deux. Difficile à dire. Tout dépend de ce que l’on entend par ”expérimentaux », ici.

Il n’est pas dit que « Concorde”, à la même époque, ne pourrait pas effectuer des vols semblables. Quoi qu’il en soit, ces deux supersoniques existent et se préparent à un trafic long-courrier, la solution n’étant applicable qu’au trafic long-courrier dans l’état actuel de la technique. Cette génération de supersoniques – nous dirons deux mots de la seconde un peu plus loin – est représentée par des avions d’une masse au décollage de l’ordre de 170 tonnes, d’une capacité de l’ordre de 130 places, volant à Mach 2, d’une autonomie correspondant à la traversée de l’Atlantique Nord.

Aucune estimation valable ne peut être donnée sur le marché du ”Tu-144 » ; ce marché dépend d’un grand nombre de facteurs dont certains se situent hors du domaine aéronautique. Quant à « Concorde”, on évalue son marché entre 250 et 300 unités, ce chiffre étant susceptible d’augmentation si une seconde génération ”Concorde » était construite.

Nous n’en sommes pas là. Néanmoins, il est envisagé certains développements de la première génération pour 1975.
Ces développements interviendraient pour permettre aux appareils dont il s’agit de concurrencer le supersonique à grande capacité. Pour « Concorde”, ces développements pourraient être les suivants : diminution du prix de revient du siège-km offert ; accroissement de l’autonomie tout en conservant une honnête rentabilité (on songe à des étapes comme Rome-New York et, dans un avenir plus éloigné, à des étapes de l’ordre de Paris-Los Angeles ; c’est là un élément majeur, car le vol supersonique est d’autant plus intéressant que l’étape est longue) ; accroissement de la charge payante par augmentation de la masse au décollage et du volume disponible ; réduction du bruit au décollage ; adaptation à des philosophies nouvelles de maintenance – du type AIDS (Aircraft Integrated Data Systems) – et de navigation (navigation par satellites).

▲ Dans une des souffleries du TSAGI, l’ONERA soviétique, une maquette du Tu-144, est essayée dans les conditions de vol aux basses vitesses.

Par quels moyens pourraient être obtenus ces résultats ?

Améliorations aérodynamiques concernant le fuselage (dessin d’un fuselage correspondant à la loi des aires) et l’aile (augmentation de la surface d’où découleraient un accroissement de poids au décollage, de meilleures performances au décollage, à l’atterrissage, en montée et croisière) ; améliorations apportées au moteur (et c’est celles-là qu’il faut attendre les résultats les plus probants : diminution de consommation spécifique, d’où accroissement de la charge payante ou de l’autonomie ; augmentation de la poussée particulièrement si elle permet d’éviter la réchauffe dans certaines conditions de vol, ce qui a pour effet de réduire la consommation spécifique, améliore la montée et élève l’altitude de vol de croisière). Un mot enfin de la deuxième génération. Elle est celle qui correspond au projet Boeing 2707 qui, pesant 350 tonnes au décollage, emmènera 250 passagers à Mach 2,7. On lui reconnait dès à présent cinq ou six ans de retard sur la réalisation franco-britannique ”Concorde ».

L’avion de transport supersonique vient-il trop tôt ?

Nous consacrons dans ce numéro, un encart spécial à ”Concorde ». De cela, il résulte que l’appareil franco-anglais est une réussite technique et qu’il ne lui reste pratiquement plus qu’à faire la preuve de sa rentabilité.

Aux Etats-Unis, le vote du Sénat de mars dernier stoppant les crédits gouvernementaux nécessaires au développement du Boeing 2707, qui devrait transporter plus de 300 passagers sur l’Atlantique Nord et le Pacifique, a causé un grand trouble, aussi bien dans l’opinion, que chez le maitre-d’oeuvre du programme, et ses principaux coopérants. Le projet est, il est vrai, ambitieux et vise une croisière de Mach 3, peut-être Mach 2,7 au minimum. Selon que la situation sera révisée ou non, l’effectif de Boeing consacré au SST et aux avions nouveaux passera de 31.000 à 26.500 employés entre le début et la fin de l’année 1971, selon le vice-président Lowell P. Mickelwait.

Plan trois vues du Boeing 2707 dont l’avenir est actuellement compromis à la suite du vote du Sénat américain. Mais qui finira, sans doute, par être finalement développé, ne serait-ce qu’en raison de la présence des Concorde et du Tu-144. Ce projet, très ambitieux, à la fois à grande capacité et supersonique (Mach 2,7 à 3), peut souffrir de retard dans son développement sans trop de dommages, du moins quant au prestige.

Et pendant ce temps, en Union Soviétique, le Tupolev ”Tu-144″ poursuit ses essais avec satisfaction.

A droite : Le Tu-144, dont la mise en service est imminente, a volé, le 12 novembre 1970 à 2430 km/h à une altitude de 16.960 mètres. Son envergure est de 27,66 mètres et sa longueur de 58,25 mètres. La vitesse de croisière est de 2500 km/h et l’autonomie de 7350 kilomètres, avec une charge utile de l’ordre de 12 tonnes.
A gauche : Les essais thermiques ont été conduits dans de nombreux laboratoires. Ici, cette photo de l’agence TAS, montre un élément du fuselage soumis aux essais caloriques d’un véritable corset de tubes infra-rouges
La longueur de piste FAA, soit d’accélération/arrêt, est de 2700 mètres au décollage. L’appareil doit emporter 120 passagers.

 


Les exemplaires de séries commencent à sortir d’usine et il n’est pas douteux que sa mise en service, sera celle du premier transport supersonique mondial. Il présentera alors une capacité, des performances en croisière et une autonomie sensiblement comparables à celles du « Concorde”, lequel, malgré les polémiques diverses, doit le suivre à quelques mois de distance sur les lignes.

Alors, que feront les Etats-Unis ?

Fermeront-ils, à coups de réglementation sur le bruit et la pollution, leurs aéroports internationaux aux SST, sous prétexte (caché) qu’ils n’ont pas le leur ?

S’il est une loi naturelle, c’est bien celle qui dit que si on n’arrête pas le progrès, quel qu’en soit le prix. L’avenir tout proche nous dira si cette loi conserve son universalité.

La vérité sur Concorde

Après avoir accumulé 400 heures de vol en 200 sorties – dont 90 heures à Mach 1 et plus douzaine à Mach 2 et plus – les deux prototypes actuels de ”Concorde » ont fait preuve la preuve que l’avion constituait une réussite technique incontestable. Ainsi que précisait notre Président Roger Cabiac, dans son éditorial du 15 février 1971, les deux prototypes ont tenu leurs promesses.

Ci-dessus : Le bruit est l’ennemi n° 1 des avions à réactions et le combat qui est mené contre lui, commence à l’étude du bruit émis par un réacteur seul fonctionnant au sol, tel cet Olympus espionné par un micro portatif.

ci dessus  L’avion complet en vol, grâce, notamment, au dispositif automatique et télécommandé, d’enregistrements mis au point par l’ONERA.

Quant à la série, il est évident qu’elle bénéficie des résultats enregistrés jusqu’ici et qui font toujours l’objet d’extrapolations dans ce sens, et les bureaux d’études sont parfaitement fondés pour avancer des chiffres relatifs aux modèles de production. Ceux-ci suivent en fabrication de façon qu’il n’ait aucune césure entre prototypes, présérie et série.

Ci-dessus : Le bruit est l’ennemi n° 1 des avions à réactions et le combat qui est mené contre lui, commence à l’étude du bruit émis par un réacteur seul fonctionnant au sol, tel cet Olympus espionné par un micro portatif.

A la date du 25 février 1971, une avance de 17 millions de livres était consentie à la BAC, qui doit couvrir la constructions des six premiers exemplaires de série, dont trois, d’ailleurs, seront employés aux essais et mises au point en vol, ainsi qu’aux essais opérationnels sur itinéraires réels. Cette somme couvre également les approvisionnements à longs délais de livraison nécessaires pour les quatre appareils suivants.

Ainsi donc, la réussite technique largement démontrée devrait être suivie de l’impact commercial. De toute façon, le programme « Concorde” a atteint son point de non-retour et les éléments issus des essais en vol permettent aux deux partenaires français et britannique d’avancer des arguments touchant le domaine commercial. C’est, d’ailleurs, le moment qui a été choisi par les détracteurs de « Concorde” de tous pays. A ceux-ci il est possible de répondre, maintenant, de façon sereine. Voici quelques aspects des nombreux problèmes posés par l’emploi d’un avion supersonique de transport.

Dans le domaine de l’exploitation, qui intéresse les compagnies ayant pris options sur l’appareil (74 exemplaires jusqu’à ce jour), il faut considérer que ces compagnies disposeront d’une flotte mixte composée des avions long-courriers actuels subsoniques et d’une autre, plus modeste en quantité, du moins au début, constituée d’exemplaires de ”Concorde ». Si le parc ainsi constitué est équilibré en fonction du réseau et des besoins des compagnies, il ressort des études faites et, répétons-le, reposant sur les résultats des essais effectués jusqu’à ce jour, que l’exploitation des « Concorde” doit se solder par un bénéfice global, au sein du budget des compagnies.

Par exemple, un ”Concorde » aménagé en classe unique pour 110 passagers, soit une charge payante de 9 tonnes, pourra être rentable sur Paris-New York avec un prix du billet de 10% inférieur à celui de première classe actuellement pratiqué sur les avions subsoniques. Les calculs ont montré qu’une compagnie exploitant « Concorde” dans des conditions et un coefficient de remplissage de 50% seulement, mais parallèlement à l’exploitation de ses avions subsoniques remplis à 55%, en classe économique, gagnerait plus d’argent que si elle n’exploitait que ses avions subsoniques seuls. Si le coefficient de remplissage de ”Concorde » passe à 60%, le bénéfice annuel global doit être accru de 3%. Avec un coefficient de 63%, le gain passe à 4%.

Restent les problèmes liés à l’utilisation et au vol des avions supersonique, problèmes qui ont d’ailleurs, fourni quelques arguments à leurs détracteurs. Car il ne faut pas oublier que « Concorde”, s’il est visé par les polémiques, n’est pas le seul à pouvoir transporter plus de 100 passagers à plus de Mach 2. Il y a aussi le ”Tu-144 » dont nous parlons par ailleurs et qui sera, sans aucun doute, mis en service commercial avant l’avion franco-britannique, à l’intérieur de l’immense territoire soviétique d’abord, à l’extérieur ensuite.

– Oxygène atmosphérique. Certains ont prétendu que « Concorde » consommera une trop grande partie d’oxygène contenue dans l’atmosphère. Cet argument tombe de lui-même si l’on sait que la combustion de tout ce qui peut brûler dans le monde, charbon et pétrole contenus dans le sous-sol de la planète, en même temps, ne ferait qu’abaisser la teneur en oxygène de notre atmosphère de 20,95% à 20,32%. Cela correspond à ce que trouve un homme quittant le niveau de la mer et grimpant au sommet d’une colline.

– Trainées de condensation. On craint que, finalement, un avion supersonique volant très haut ne laisse des trainées de condensation persistantes dans la stratosphère qui se traduisent, à la longue, par la formation d’un voile capable d’affecter le rayonnement thermique du globe terrestre et, partant, d’apporter des modifications climatiques. Cela ne tient pas, car le degré hygrométrique de la stratosphère est très bas et les trainées s’évaporeront, se dilueront très vite. Il en est de même pour les émissions de vapeur d’eau des réacteurs, lesquelles ne risquent pas de former une couche nuageuse permanente. Pour nous en persuader, disons qu’un simple orage envoie dans la stratosphère plus de vapeur d’eau que 500 avions de transport supersoniques volant simultanément durant une journée entière.

– Eléments de pollution. Le gaz carbonique contenu dans l’atmosphère représente 3000 milliards de tonnes et seulement 0,7% provient de l’homme et de son activité industrielle, ce qui est faible, les plantes absorbant, chaque année, 200 millions de tonnes de gaz, par ailleurs très dangereux. Or, si 500 « Concorde” volaient simultanément toute une journée, le taux de gaz carbonique augmenterait de 0,00005%. Quant à l’oxyde de carbone dégagé, il ne le sera qu’en faibles quantités et, d’ailleurs, doit se transformer rapidement en gaz carbonique.

D’autre part, les résidus d’hydrocarbures, principaux agents du brouillard industriel, n’existent pratiquement pas du fait de « Concorde” tant au roulage à grande vitesse qu’au décollage. Avec la nouvelle chambre de combustion annulaire des réacteurs, cette émission est nulle. Même chose pour l’émission de particules, car il faudrait entre 5 et 10 siècles d’utilisation d’avions supersoniques pour obtenir la même quantité de particules que celle provoquée par l’éruption du volcan Krakatoa, émission qui s’était élevée jusqu’à 50.000 mètres et avait laissé des millions de mètres-cubes d’eau, de produits chimiques et de matière solides dans l’atmosphère pendant plus d’un an sans qu’aucun changement ne soit apparu dans la température au niveau du sol, ni dans le cycle des saisons.

En résumé, mentionnons que la pollution de l’air due au transport aérien dans son ensemble ne représente pas 1% de celle causée par les activités industrielles terrestres. La mise en service des ”Concorde » – et autres avions supersoniques – ne pourra représenter que le cinquième de ce taux, si bien que « Concorde” entre pour le 500ème du problème global de la pollution de l’air.

D’un bruit à l’autre

Là, nous touchons un point essentiel de l’emploi des avions supersoniques commerciaux et qui fait l’objet de réglementations très strictes du côté américain, réglementations reprise par l’ensemble des autres nations. Le bruit est une source de nuisance contre lequel il faut se battre.

Pour ”Concorde », comme pour tous les avions à réaction en général, la certification, soit l’autorisation de fréquenter les grands aéroports internationaux, est liée au niveau de bruit qu’il provoque, tant au décollage qu’en approche et à l’atterrissage.
Ce bruit peut prendre naissance dès l’entrée d’air et se terminer par l’éjection des gaz chauds animés d’une grande énergie.
Dans le cas de « Concorde”, c’est cette dernière cause qui prend la plus grande importance, le bruit à l’entrée étant négligeable. Des études de silencieux ont été conduites depuis le début du développement de l’appareil.

Nous pouvons affirmer dès maintenant que grâce à la disposition de la tuyère à géométrie variable et à l’ensemble de silencieux en cours de développement – ceux actuellement montés sur les deux prototypes ont déjà apporté de bons résultats sans perte de poussée appréciable au décollage – le niveau de bruit de ”Concorde » ne sera pas supérieur à celui des quadriréacteurs subsoniques actuels. Il sera même inférieur à celui de certains appareils opérant aujourd’hui et qui sont tout juste tolérés sur certains aéroports.

Mais il est un autre bruit qui est, lui, propre aux avions supersoniques. Nous voulons parler, évidemment du fameux bang sonique lequel, pour un avion comme Concorde, intervient, compte tenu de son altitude de croisière, à Mach 1. Or, pour des parcours tels que Paris-New York ou Londres-New York, il n’y a pratiquement aucun problème car, lorsque l’appareil aura atteint son altitude minimale d’accélération, de l’ordre de 12.000 mètres, il sera alors au-dessus de l’eau. Le programme d’essais concernant ce problème du bang sonique que laisse l’avion derrière lui sur une grande largeur de sol, prévoit 50 vols effectués le long des côtes ouest de la Grande-Bretagne et jusqu’en Irlande. Onze de ces vols ont été effectués et les autres doivent avoir lieu en 1972.

Les points de mesure de l’intensité du bang sont situés, donc, le long de ces côtes dont la densité de population est très modeste. D’autres points seront embarqués à bord de bateaux. Ainsi, il sera possible de tracer une sorte de spectre général de ce fléau inévitable qu’est le bang sonique, dont l’intensité varie avec de nombreux paramètres permis lesquels la vitesse, bien sûr, mais aussi le poids et les dimensions de l’appareil et les caractéristiques de l’atmosphère traversée à une altitude donnée.

Quant aux traversées de terres plus ou moins habitées, il faut, tout d’abord attendre les résultats définitifs des essais en cours, ensuite connaître la position des Etats survolés, en déduire éventuellement des itinéraires satisfaisants et, surtout, respecter les réglementations qui ne manqueront pas d’intervenir entre temps, venant s’ajouter à celles existantes. De toute façon, les constructeurs ont admis que le bang sonique serait interdit au-dessus des terres habitées et c’est notamment, en tenant compte de cette hypothèse que les prévisions de vente de « Concorde” ont été établies.

Comparaison de la zone au sol connaissant un niveau de bruit de 105 EPNdB à l’atterrissage, à gauche et au décollage. A droite, entre un Boeing 747-100, en pointillé, et un Concorde, en ligne continue. L’aspect est favorable.


Courbe montrant le niveau de bruit produit par divers avions à réaction au moment du décollage et en survol, à 6500 mètres du lâcher des freins.


La même comparaison mesurée en approche, à 1852 mètres de l’entrée de la piste. On remarquera que Concorde s’inscrit parmi quelques quadriréacteurs classiques subsoniques. Le trait noir représente la limite du bruit acceptée par la nouvelle norme FAR-36 qui, si elle était appliquée aujourd’hui, interdirait l’emploi d’un bon nombre d’avions actuels.

Les moteurs

La propulsion de ”Concorde » est assurée par quatre réacteurs Rolls-Royce (Bristol Siddeley) et SNECMA Olympus 593. Leur poussée dépasse les 17 tonnes au décollage et un système de réchauffe permet, en phase d’accélération notamment, d’augmenter la poussée de 10% environ. Il s’agit plus, d’ailleurs, d’un augmentateur de poussée que d’une réchauffe proprement dite.

Depuis le début de son développement, le moteur a subit un certain nombre d’améliorations touchant la poussée, la consommation spécifique et l’émission de fumée, ainsi que la pollution.

Dans ces améliorations, la SNECMA – qui est chargée de l’ensemble du canal d’éjection arrière comprenant la réchauffe modérée, les tuyères à géométrie variable, le système de silencieux et celui d’inversion de jet – a apporté une contribution dépassant ses prérogatives initiales.


Chaque nacelle-moteur contient, à gauche et à droite, deux réacteurs et leur système complexe d’entrée d’air à géométrie variable et de tuyères, arrières. Les essais ont montré qu’à Mach 2 l’arrêt simultané des deux moteurs d’un même côté n’entraînait pas un danger pour l’avion.

Actuellement, nous en sommes au moteur type 593 Mk-602 dans lequel une nouvelle chambre de combustion annulaire a été adaptée, qui permet d’éliminer les émissions de fumée sans recours à un additif spécial dans le combustible. Un nouveau compresseur basse pression a été développé, qui ne comporte plus de pré-rotation à l’entrée. Avec ce système, on a gagné 5% sur le débit d’air et la roue directrice d’entrée a été remplacée par un support de palier avant cinq branches radiales. En aval, le système de silencieux SNECMA à pelles escamotables connait des améliorations constantes, mais la grande amélioration a été le déplacement, en cours d’essais actuellement, du système d’inversion de poussée à l’extrême arrière de la tuyère secondaire. Le nouveau système, appelé tuyère à reverse aval (TRA), procure, en plus, de sa fonction originelle, une augmentation de poussée et une réduction de la traînée de nacelle dont le dessin extérieur est rectangulaire alors que la section de sortie des gaz est évidemment circulaire.

A gauche : La tuyère secondaire constitue le support du nouveau système de tuyère à reverses aval (TRA). A droite : on voit une unité à deux coquilles réalisées par la firme Stresskin (USA) en essais.
La TRA apporte une solution intéressante dans tous les domaines et les essais en soufflerie permettent, tous les espoirs. Une telle tuyère, qui intéresse les deux moteurs d’un même côté quant au système de reverse, doit apporter une augmentation de la charge marchande de l’ordre de 20% sur l’étape traditionnelle Paris-New York. Cela est attendu pour les premiers appareils de série et ce dès leur livraison aux compagnies, soit sans qu’il soit nécessaire d’une opération de « retro-fitt” (retour à l’usine de l’appareil pour remise au standard nouveau).

Essai de réchauffe modérée au banc à l’air libre d’Istres.

Sous des sunlights qui ne sont pas du cinéma, mais de travail, le prototype 001 rentre au hangar à l’issue d’un vol d’essai de nuit.*

Enfin, en ce qui concerne la partie chaude du générateur de gaz dont Rolls-Royce à la responsabilité, une légère augmentation de la température d’entrée turbine, apportera, en même temps qu’un régime de rotation un peu plus élevé, une augmentation supplémentaire de poussée avec une consommation spécifique plus faible. Si bien que les calculs issus des essais en vol réalisés jusqu’à maintenant le démontrent, Concorde tiendra son pari de transporter neuf tonnes de charge marchande sur Paris-New York avec les réserves d’usage. Deux ans après, cette charge pourra passer à 11.340 kg ce qui lui permettra soit d’emporter plus de charge, soit de disposer d’une autonomie supérieure.

Problèmes de certification

Un avion commercial, si bon soit-il peut opérer que s’il bénéficie de la certification officielle des pays utilisateurs ou visités. D’une manière générale, les réglementations régissant la délivrance du certificat de navigabilité sont inspirées, sinon copiées, sur les normes américaines.
En dehors des questions de sécurité, que tous les constructeurs du monde ont su maîtriser depuis longtemps, celles des nuisances provoquées par l’emploi de l’avion au décollage, à l’approche et à l’atterrissage, restent les pièces maîtresses du problème. Dans son éditorial du 15 février, Roger Cabiac traite notamment de ce problème. Il fait, bien entendu, allusion aux questions de bruit qui sensibilisent les autorités aéroportuaires, lesquelles n’agissent pas toujours de leur propre chef, mais doivent tenir compte d’un environnement, souvent politique, non négligeable.

Si l’on s’en tient aux normes actuelles, de même qu’aux résultats obtenus par les deux prototypes, l’avion ”Concorde » devrait être accepté sur tous les aéroports internationaux. Mais ces normes peuvent changer et sont, d’ailleurs, en voie de l’être. Le principe général est que tout avion nouveau apporte un ensemble de progrès par rapport à ces précédents. Qu’il s’agisse de performances, de confort, d’autonomie, etc, cela est le problème des constructeurs. Mais, dès qu’il s’agit d’utiliser le nouvel appareil, donc de fréquenter les aéroports internationaux, les autorités interviennent et les normes deviennent de plus en plus sévères, telle la FAR-36 américaine, car il est logique d’espérer d’un avion nouveau un progrès dans ce domaine du bruit, parallèlement aux autres.

Peut-être « Concorde” bénéficiera-t-il de dérogations, au moins provisoires, s’il ne répond pas exactement aux normes nouvelles en voie d’élaboration et de mise en application.

L’avion ayant tenu ses promesses sur le plan technique, il lui reste à satisfaire et à respecter les normes. Les progrès enregistrés dès maintenant dans le domaine du bruit, et ceux espérés encore, permettent de penser qu’après avoir surmonté les problèmes techniques, ”Concorde » fera face avec succès à ceux d’utilisation, notamment dans la phase initiale et terminale de chacun de ses vols commerciaux. Si tout se passe ainsi, la certification de l’avion est prévue en 1973.