Aviation Magazine – Avril 1969 : Concorde, le plus grand programme d’essais jamais entrepris

Article de Jacques GAMBU

Non, jamais un premier vol n’a suscité autant d’intérêt que celui du prototype 001 de Concorde, tant auprès des spécialistes que dans le grand public. Premier sur bien des plans, l’appareil franco-britannique, après avoir franchi avec succès ce nouveau stade de son développement, va maintenant travailler dans le calme, hors des feux de l’actualité pendant plusieurs années, afin d’assurer à ses futurs passagers confort et sécurité.
Le programme d’essais en vol que nous présentons aujourd’hui ainsi que quelques aperçus de ce qu’on peut attendre du plus grand projet lancé en coopération par l’Europe.
L’aspect coopération, ainsi que le grand nombre de firmes qui participent à la réalisation du programme ont posé un problème nouveau qui ne s’était jamais posé avec tant d’acuité, celui de l’exploitation simultanée de données complexes d’expérimentation par des bureaux d’études multiples très éloignés les uns des autres.
Une organisation a été mise sur pied pour résoudre cette question et fonctionne parfaitement, prouvant la réalité de la compréhension tant à l’échelon des sociétés qu’à celui des individus.

Le programme des essais.

Le programme des essais en vol Concorde doit s’étaler sur plus de trois ans. Sept avions au total (c’est-à-dire les deux prototypes 001 et 002, les deux avions de présérie 01 et 02 et les trois premiers avions de série 1, 2 et 3) y participeront, et, au moment de la certification de type, ils auront ensemble accumulé plus de 4000 heures de vol.


Concorde vient de réussir ses tous premiers pas sur la longue route qui doit le conduire à la certification officielle. Le prototype 001, que l’on voit dans ces pages, sera suivi de six autres appareils, afin d’exécuter un colossal programme d’essais en vol.

Les photos historiques !

A l’issue du premier vol, André Turcat, précédant son équipage d’essais, descend l’escalier, très calme et détendu.
Le programme peut être scindé en trois grands chapitres : mise au point, endurance et certification.
La mise au point concerne essentiellement les avions prototypes et de présérie. Son but est de vérifier les prévisions et d’optimiser l’avion et ses équipements pour en obtenir les meilleures performances. Près de 2000 heures de vol sont réservées pour la mise au point.
Les vols d’endurance effectués uniquement par deux avions de série totaliseront 1500 heures et auront pour but de démontrer que l’avion satisfait à toutes les exigences d’exploitation avec toute la fiabilité requise pour ses divers systèmes.
Les vols de certification nécessiteront environ 750 heures et leur but est de prouver que l’avion peut, en toute sécurité, être affecté au transport des passagers. Ils seront effectués sur les deux avions de présérie et sur deux des avions de série. Après obtention du certificat de navigabilité de type, on prévoit encore 200 heures d’essais environ pour certification du système d’atterrissage tout temps et des exploitations effectuées à partir d’aéroports situés à haute altitude.

Rôle de chaque appareil.

Le prototype 001, comme c’est logique, est le premier Concorde à avoir volé. Il est tout spécialement chargé de l’ouverture du domaine de vol et, pour cela, il est équipé d’une installation d’excitations forcées par laquelle l’équipage peut appliquer divers modes de flexion du fuselage, de la voilure ou de la dérive, en phase ou en opposition de phase, à une fréquence donnée. Cet avion effectuera également la plupart des essais de qualités de vol ainsi que la mise au point du pilote automatique et du système de navigation.
Il est muni d’une installation d’essais très complète permettant d’enregistrer simultanément plus de 3000 paramètres distincts, sous diverses formes :
– Magnétique numérique PCM (système QS).
– Magnétique analogique FM.
– Télésurveillance.
– Enregistreur d’accident (version provisoire)
– Enregistrement oscillographique.
– Enregistrement graphique.
– Visualisation (cadrans, instruments verticaux, etc.).
Bien entendu, certains de ces paramètres sont enregistrés deux ou plusieurs fois afin de permettre d’effectuer des recoupements.
Le prototype 002 sera réservé pour les essais de l’installation motrice, des entrées d’air variables, des silencieux, des inverseurs de poussée, etc, et aux essais de l’installation électrique et du circuit d’alimentation en carburant ainsi qu’à la mesure des performances. Le domaine de vol dans lequel il évoluera ayant préalablement été débloqué par le 001.
En ce qui concerne la suite du programme, on peut dire que :
– L’avion de présérie 01 sera plus spécialement affecté à la mise au point et à la certification des qualités de vol.
– L’avion de présérie 02 servira à la mise au point de systèmes et à la certification de l’installation motrice.
– L’avion de série n° 1 sera réservé pour la mise au point de systèmes ainsi qu’à la certification des performances et des systèmes.
– L’avion de série n° 2 servira d’abord à la certification de l’installation de radionavigation et du pilote automatique, puis sera affecté aux essais d’endurance.
– L’avion de série n° 3 sera uniquement consacré aux essais d’endurance.
Les installations d’essais des deux prototypes sont pratiquement identiques, à la seule exception de l’installation d’excitations forcées qui n’est montée que sur le 001 ; toutefois, il faut dire que le 002 est capable de l’installation, sa structure étant aménagée en prévision du montage des pots vibrants électrodynamiques.

Cinq phases d’essais

Les essais en vol des deux prototypes comprendront cinq phases successives pour l’exploration complète du domaine, depuis les basses vitesses jusqu’à la croisière à Mach 2.
– Phase 1 : Depuis le premier vol jusqu’à la fin du domaine subsonique, environ Mach 0,93, avec essais d’excitations forcées ; la progression dépendant du nombre de modes structuraux à étudier en vol. Cette première phase, sera suivie d’un chantier d’assez longue durée (plusieurs semaines) au cours duquel seront, en particulier, changés les réacteurs.
– Phase 2 : Elle couvre le domaine transsonique de Mach 0,93 jusqu’à environ Mach 1,3, où la régulation des entrées d’air entre en action ; l’étude des qualités de vol est importantes en raison des variations de centrage qui interviennent alors. Il faudra définir les limites du couloir Mach/centrage, en même temps que l’on procédera aux premières mesures de la carte de surpressions dues au bang sonique sur les circuits utilisés pour les expérimentations avec un Mirage IV.
– Phase 3 : Extension du domaine de vol jusqu’à Mach 2. L’avion 001 explore le domaine en ce qui concerne la maniabilité et les phénomènes aéro-élastiques ; tandis qu’à l’intérieur du domaine déjà exploré le 002 fera des études plus détaillées en ce qui concerne l’installation motrice et les performances.
– Phase 4 : Elle concerne les vols en croisière à Mach 2 soutenu pendant au moins 30 minutes et les premières évaluations de la consommation spécifique.
– Phase 5 : Comprend l’exploration des fortes incidences (ce qui, chronologiquement, ne vient pas forcément après la phase 4) et la vérification de la conformité des performances de décollage et d’atterrissage par rapport aux règlements TSS (Transport Super Sonique).

Les installations d’essais embarquées.

Nous avons vu que, pour les prototypes, plus de 3000 paramètres distincts sont enregistrés à chaque vol. Le standard d’installation d’essais des avions de présérie et de série étant relativement réduit par rapport aux prototypes, c’est de cette installation que nous allons parler.
L’ensemble d’enregistrement magnétique numérique (système Quasi-Statique) comprend trois sous-ensembles qui recueillent les mesures à l’avant et à l’arrière de la cabine et délivrent leurs messages, à la cadence de 3000 mots par seconde, à un seul enregistreur dont ils se répartissent les pistes.
Ils utilisent la même base de temps qui régit les cycles et synchronise toute l’installation d’essais en vol. L’autonomie de la bande de l’enregistreur est de trois heures. Pour les paramètres fondamentaux, cet enregistrement est doublé par un enregistreur d’accident qui fonctionne à la cadence de 375 mots par seconde.
Pour 400 à 500 paramètres vibratoires, à fréquence supérieure à 10 Hz, quatre enregistreurs magnétiques analogiques spécialisés enregistrent continuellement sur le 001 les renseignements qui seront dépouillés au sol par des chaînes également spécialisées. Sur le 002, il est prévu un enregistreur magnétique analogique 50 Hz.
Les enregistrements oscillographiques sont utilisés en complément pour l’observation des phénomènes rapides, avec des bandes passantes variant de 0 – 10 Hz jusqu’à 0 – 1000 Hz. Le nombre moyen de mesures enregistrées au cours de chaque vol est d’une vingtaine pour chacun des dix enregistreurs installés.
Les enregistreurs graphiques permettent à l’ingénieur navigant de suivre directement, en cours de vol, l’évolution d’un paramètre. Les visualisations sur les planches et pupitres des ingénieurs navigants leur donnent la possibilité de lire directement la valeur d’un paramètre sur un cadran circulaire ou sur un indicateur vertical.
Une partie de ces informations est retransmise par télésurveillance à la station de Toulouse, soit directement, soit par l’intermédiaire des stations-relais de Saint-Nazaire et Marignane en France, de Filton en Grande-Bretagne, et ultérieurement de Porto au Portugal. Seul l’avion 001 est équipé de télésurveillance.

Les cabines du 001 ainsi que celle du 002, ont été aménagées en laboratoire pour les trois ingénieurs

Même avec l’appui apporté par les liaisons radio avec la base, il n’est pas possible à un seul ingénieur d’assurer une surveillance correcte des essais. Par conséquent, les fonctions ont été réparties entre trois ingénieurs. Le premier suit les informations relatives aux qualités de vol, aux performances, aux systèmes de commandes de vol ; le second surveille les systèmes de conditionnement d’air, d’électricité et de carburant, et le troisième à la charge des moteurs est systèmes associés.
Les principales difficultés rencontrées dans la définition de l’installation d’essais en vol provenaient des conditions d’ambiance devant exister en vol, en particulier des températures et des différences de températures. Chaque système a donc nécessité des études poussées, faisant le plus souvent appel à des matériels nouveaux, et les toutes dernières techniques ont dû être utilisées aussi bien pour les chaînes de mesures que pour les enregistreurs. En outre, l’installation d’essais en vol comporte sa propre génération électrique continue.
C’est ainsi que toutes les mesures de température, pression, accélération, déplacement, contraintes, etc, sont assurées avec la précision requise qui est souvent supérieure à 1%. Les installations d’étalonnage, existant aussi bien à Toulouse qu’à Filton, assurent l’interchangeabilité des mesures. Avant chaque vol, il est également prévu d’effectuer des vérifications sur l’avion au moyen d’équipements de tests portatifs.
Enfin, le poids total de l’installation d’essais embarquée est de l’ordre de treize tonnes, dont environ 7 tonnes pour les équipements de cabine répartis en 39 armoires occupant un volume de treize mètres cubes, et six tonnes pour les tuyauteries, câblages, raccords, supports et prises diverses.

Les moyens de dépouillement.

Etant donné la masse d’informations recueillies au cours de chaque vol, il a été nécessaire de faire appel à des moyens de dépouillement automatique pour assurer que les résultats d’un vol sont connus avec toute la rapidité et toute la précision désirées.
C’est ainsi que les centres de dépouillement sont conçus de façon à permettre une exploitation primaire immédiate des paramètres enregistrés à bord, et aussi afin de fournir aux calculateurs scientifiques (comme les ordinateurs de bureaux d’études) les éléments de diverses études plus complexes.
Les dépouillements primaires sont représentés, environ une heure après le vol sous forme de tableaux imprimés et de courbes d’évolution en fonction du temps pour permettre de vérifier les conditions générales du vol, de détecter d’éventuelles anomalies dans le comportement de l’avion ou dans le fonctionnement des systèmes, et
d’exploiter les principaux résultats du vol. Les installations sol de Toulouse et de Filton étant identiques, ceci assure l’homogénéité des résultats obtenus dans les deux centres.
A bord, par suite des limitations de poids et d’encombrement, il n’a pas été possible d’utiliser des procédés standards pour l’enregistrement de tous les paramètres prévus ; aussi a-t-il fallu employer une bande magnétique spéciale avec les enregistrements et lecteurs appropriés.

Les ordinateurs passent à l’action.

La calculatrice GEC/CII 90/40, utilisée à Toulouse pour le dépouillement, est complétée par deux unités de liaison chargées, l’une du dépouillement immédiat des résultats d’essais, l’autre du stockage sur bande magnétique des informations recueillies sous forme normalisée. A Filton, une calculatrice GEC 90/30 joue le même rôle.
La première de ces unités de liaison convertit en données analogiques les données numériques relatives aux paramètres choisis, et commande quatre enregistreurs oscillographiques à 25 voies, du même type que ceux utilisés sur avion, munis de dispositifs de développement instantané. Comme le temps de lecture est dix fois plus rapide que le temps d’enregistrement, il suffit de 18 minutes pour obtenir l’évolution de 100 paramètres durant un vol de trois heures.
La seconde de ces unités de liaison fournit des bandes magnétiques standard de ½ pouce qui peuvent ensuite être utilisées pour les divers programmes de calcul envisagés.
Etant donné l’afflux d’informations qu’il sera nécessaire de traiter dans un temps très court, tous les moyens de calcul installés à Toulouse ont été mobilisés.

Ci-dessus : L’une des salles du centre de calcul analogique
Le calculateur GEC 90/40 et les enregistreurs du centre de calcul numérique de Toulouse.
En plus de ces importantes installations, un peu partout dans les diverses sociétés associées au programme

Ce qui précède s’applique au traitement des bandes magnétiques numériques ; voyons maintenant ce qu’il advient des bandes magnétiques analogiques. Les enregistrements magnétiques analogiques FM 50 – 5 Hz et 0 – 6000 Hz) se font sur une bande magnétique standard de 1 pouce.

Les bandes 0 – 50 Hz sont d’abord visualisées sur un oscilloscope multitrace et éventuellement recopiées sur un enregistreur graphique ou photographique. On procède ensuite à une analyse en fréquence pour les phases du vol jugées intéressantes.
Pour les vols avec excitations forcées, les modes propres ayant été excités à bord de l’avion par les pots électrodynamiques, on étudie au sol la fonction de transfert à partir de signaux de référence issus du générateur d’excitations embarqué et de la réponse d’un certain nombre d’accéléromètres répartis sur la structure. Compte tenu de la chaîne utilisée, cette fonction des transferts se présente sous la forme d’un diagramme de ”Nyquist » qui est automatiquement tracé par un “plotter” spécial.
Dans le cas d’enregistrements des contraintes, il existe également la possibilité d’un comptage de niveaux permettant de s’assurer que l’avion n’a pas atteint ni dépassé les limites structurales imposées, et d’évaluer la tenue en fatigue de l’avion.
Les bandes 0 – 6000 Hz sont uniquement visualisées sur oscilloscope puis analysées en fréquence à l’aide de deux analyseurs l’un par 1/3 d’octave et l’autre par 1/10 d’octave.

Entraînement des équipages d’essais.

Tant à Sud Aviation qu’à la British Aircraft Corporation, rien n’a été négligé pour donner aux équipages de Concorde une préparation aussi complète que possible.
Pour cela, on a utilisé certains avions expérimentaux en Grande-Bretagne, comme le HP 115 et le BAC 221, et en France un Mirage III B à stabilité variable dont le système de commandes de vol modifié permettait d’afficher les coefficients aérodynamiques et les lots d’efforts de Concorde pour un cas de vol déterminé et, pour le pilote, tout se passait comme s’il s’était réellement trouvé à bord de Concorde. Un Mirage IV a aussi été utilisé, en particulier pour la mesure de performances suivant la méthode accélérométrique choisie. Les pilotes se sont également entraînés sur avion lourd (Boeing 707).
Il faut encore dire que les travaux approfondis qui se poursuivent sur les simulateurs sol de Toulouse et de Filton sont destinés à parfaire autant qu’il est possible les expérimentations et les mises au point indispensables avant les vols. De même, ils seront constamment tenus à jour d’après les résultats obtenus en vol réel, serviront à contrôler ou à interpréter ces résultats et à les exploiter en vue des vols futurs afin d’alléger au maximum le programme des vols.
Les zones de travail de l’avion en vol sont beaucoup plus étendues que dans le cas des avions subsoniques, avec des bases en ligne droite atteignant 1000 kilomètres. On distingue des trajets méditerranéens et des trajets atlantiques pour les vols supersoniques.
Les essais en supersonique soutenu, à Mach 2 ou au-dessus, se feront sur un axe situé au-dessus de l’Atlantique, depuis Dakar jusqu’au voisinage de l’île de Man. Ces essais se dérouleront sous le contrôle radar du Centre d’Essais en Vol qui est aussi chargé des mesures du bang au moyen d’une chaîne de microphones transmission des mesures de télésurveillance que les avionneurs ont été conduits à créer le système de stations-relais déjà mentionné. Un réseau téléphonique de haute qualité ramène alors le message à la station principale de Toulouse.

Les vols 3, 4 et 5.

Concorde poursuit ses essais en vol. Petit à petit, le domaine de vol est étendu et les enseignements accumulés.
Le troisième vol eut lieu le jeudi 13 mars. Il dura une heure et douze minutes et fut entamé par un décollage avec simulation d’arrêt d’un réacteur extérieur. L’atterrissage se fit avec le système autostabilisateur de tangage en fonctionnement.
Le quatrième vol dura une heure vingt et se tint le 17 mars 1969. L’augmentation du domaine de vol permit d’atteindre Mach 06 soit 330 noeuds indiqué (610 km/h). A 15.000 pieds et 250 noeuds, soit 4500 mètres et 463 km/h, Turcat procéda à l’extinction puis réallumage du réacteur extérieur gauche. Tout se passe très bien, ainsi que lors des études de qualités de vol sur les trois axes, avec et sans système d’autostabilisation.
La suite des essais s’annonce bien, et l’on comprend maintenant pourquoi André Turcat a demandé quelques essais de roulage avec vents traversiers importants. Cela faisait partie des précautions avant le premier vol, précautions qui font que maintenant, les premiers enseignements sont très encourageants.
Le cinquième vol est intervenu le 21 mars et dura 1h15. Tout d’abord, ce fut une mission cinéma puis le programme d’essais consista en une montée à 4500 mètres, l’extinction et le réallumage des réacteurs 2, 3 et 4, successivement. L’équipage effectua encore une manoeuvre de descente d’urgence de la pointe avant (secours). Quant au domaine de vol, il fut étendu jusqu’à la vitesse indiquée de 650 km/h en palier stabilisé.
Après ses premières sorties, le prototype 001 de Concorde entrera en chantier. Cela sera sans doute chose faite lorsque ces lignes paraîtront, le chantier devant durer une dizaine de jours au maximum. Il d’agira simplement de procéder aux contrôles habituels et d’apporter quelques modifications mineures. Ensuite, le domaine de vol sera augmenté et les performances iront en accroissement progressif devant conduire au premier vol supersonique.

L’avenir.

L’avion Concorde ne compte pas que des partisans. Comme toute grande vedette, qu’elle soit publique ou technique, elle a ses détracteurs. Ainsi, convient-il pour justifier les chances que possède Concorde, de réaliser une belle et longue carrière, de préciser quelques aspects de l’opération.
Une chose est certaine dès maintenant : Concorde est un avion réussi sur le plan technique. Sera-t-il tout aussi réussi sur le plan commercial ? Sa mise en service ne sera-t-elle pas contrariée par des règlements sévères ou encore par les jeux subtils des intérêts financiers et politiques ?
Concorde ! Un avion réussi sur le plan technique.

Construire mais aussi vendre.

Dans le domaine de la construction des avions commerciaux plus que dans tout autre, la notion des ventes justifie la définition même de l’avion. C’est pourquoi les études techniques sont bien souvent précédées d’études du marché potentiel.
Ces études, Sud-Aviation et la British Aircraft Corporation les ont bien sûr conduites. D’innombrables discussions et conférences ont eu lieu et se poursuivent encore entre les constructeurs et les compagnies aériennes. La prospective entre également dans le jeu. Concorde étant un avion représentant une nouvelle ère du transport aérien et étant le premier véhicule de cette ère, il fallait voir loin en avant.
Une étude générale a montré que, compte tenu de l’augmentation de trafic attendu raisonnablement entre 1972 et 1980, il faudrait 1250 Concorde pour satisfaire la demande sur les seuls réseaux pour lesquels il est étudié et en supposant que l’avion franco-britannique soit seul sur le marché.
Cette constatation justifie l’optimisme des promoteurs de Concorde en ce qui touche son avenir commercial. Et l’on peut qualifier de très prudentes les premières estimations visant la vente de 250 exemplaires pendant les premières années d’exploitation de l’appareil. Rappelons que cette exploitation est axée, principalement, sur l’emploi de Concorde sur l’Atlantique nord, ligne qui représente plus de 40% du trafic aérien mondial. Bien sûr, l’appareil pourra et sera utilisé sur d’autres lignes dont il faut attendre une sensible augmentation du trafic en raison de l’expansion des pays touchés.
C’est le cas des routes du Pacifique allant notamment, vers la côte ouest des Etats-Unis vers le Japon et l’Australie. Ces routes ne représentent que 10% du trafic aérien mondial actuellement, mais il faut s’attendre à ce que ce taux augmente au fil des années.
Une réflexion habituelle et fréquente affirme que Concorde sera l’avion des vedettes de cinéma et qu’il présente, de ce fait, un intérêt limité au regard du grand public. Rien n’est plus faux et il convient de se souvenir que la même réflexion fut émise, en son temps, lors de la mise en service des premiers avions à réaction long-courrier. On sait de quelle façon les faits eurent bientôt raisons des prévisions de quelques détracteurs.

Le fauteuil plus cher ?

Les deux choses que l’homme moderne paie le plus cher sont le confort et la vitesse. Ce phénomène est bien connu, comme il est tout aussi connu que l’homme accepte de payer. Dans le cas de Concorde, et du moins pour les premières années de son exploitation commerciale, il faut s’attendre à une surtaxe sur le prix du billet. A cela deux raisons.
La première est que les compagnies souhaiteront continuer offrir les passages sur transport subsoniques à un prix inférieur, de façon à conserver une clientèle pour ses appareils dont l’amortissement n’est pas encore accompli et ne le sera pas lorsque Concorde arrivera en ligne.
La seconde est que les compagnies veilleront à éponger les coûts d’exploitation de Concorde, plus élevés que ceux des avions à réaction actuels.
Et, même si une surtaxe venait réduire de 50 à 60% le coefficient de remplissage de Concorde, son exploitation resterait bénéficiaire, en raison de l’augmentation des tarifs. De toute façon, il est prouvé qu’aux tarifs actuels, l’exploitation serait toujours bénéficiaire mais le remplissage certain de l’avion supersonique viendrait porter un préjudice à celui des transports subsoniques qui n’ont pas fini leur temps. Cette constatation vient renforcer la première mentionnée plus haut.
« Time is Money”. Cette vérité prend toute sa valeur pour les hommes d’affaires et il est certain que ceux-ci côtoieront les vedettes de cinéma à bord de Concorde.

La signature sonique. Le spectre du « bang maudit”.

L’estimation des ventes portant sur 250 exemplaires de Concorde a été établie compte tenu de l’hypothèse d’une interdiction, à l’échelon mondial, de propagation du bang sonique sur les terres habitées.
Soulignons que 73% des vols long-courrier s’effectuent au-dessus des mers et que, moyennant une légère modification de certains itinéraires, cette proportion pourrait être portée à 80%.
Si bien que le spectre du bang maudit que craignent certains détracteurs – lesquels ne peuvent pratiquement rien dans l’affaire, tant il est vrai qu’on n’arrête pas le progrès – s’éloigne au large des côtes populeuses et ne pourrait, à la rigueur, atteindre que quelques navires qui seraient d’ailleurs, heureux ainsi le passage d’un avion qu’ils ne verraient pas.
Dans un autre domaine, il convient de préciser que Concorde est sensiblement mieux placé que le SST américain du futur. En effet, ce dernier sera plus lourd, plus grand et plus rapide, et les effets de son bang seront plus sensibles. En effet, la perception au sol du bang est fonction, quant à son importance de l’altitude de vol, de l’assiette de l’avion et de son poids. Ajoutons à cela la configuration générale aérodynamique de chaque appareil qui risque bien d’apporter à chaque type d’avion sa signature sonique.
Pour Concorde, signalons que l’appareil doit atteindre, en exploitation commerciale, la vitesse du son à une altitude de 12.200 mètres et à environ 240 kilomètres de sa base de départ, soit en vue du grand large, tant au départ de Paris qu’au départ de New York. D’ailleurs, si la situation géographique du point de départ l’exige, cette distance peut être portée à 320 kilomètres, avec pénalisation de temps de parcours global de quelques minutes seulement. Le retard à passer en régime supersonique n’entraîne aucune sujétion quant à l’autonomie de l’avion qui présente une valeur comparable en supersonique et en subsonique.
De même, l’arrivée à destination, les problèmes d’approche se présentent avec moins d’acuité en raison du fait que l’avion aura maigri de quelques dizaines de tonnes depuis son départ. Là non plus, il ne semble pas que le bang soit aussi maudit qu’on ne le pense.
Reste le bruit provoqué par l’appareil et ses réacteurs au décollage, en montée et, enfin, à l’approche. Mais ceci est une tout autre histoire et aucun avion affichant une puissance donnée ne peut y échapper.

Réduire la traînée.

On connaît les opérations ”Clean Up » effectués sur certains avions subsoniques. Dans le domaine des supersoniques, le problème est différent et revêt des aspects particuliers.
La réduction de traînée en vol supersonique peut être obtenue par divers moyens. Notons les principales modifications envisagées. Tout d’abord, un changement dans la cambrure du bord d’attaque et des bouts d’ailes, ces derniers pouvant mieux exploiter l’effet de compression en aval de l’onde de choc attachée à l’avant de l’avion.
Par ailleurs, on étudie un nouveau dessin des entrées d’air, afin de retirer une traînée meilleure en soignant les interactions entrées d’air-intrados de voilure.
Nouveau dessin également pour la pointe arrière du fuselage, sans qu’aucune modification ne soit apportée à la dérive même.
On pense encore à une légère augmentation de la capacité des réservoirs avant de fuselage, ce qui permettrait non seulement d’augmenter l’autonomie, ou la charge payante, mais aussi de gagner en poids par suppression de pompes à combustible. Des réservoirs de voilure doivent être connectés directement dans le même but et pour simplifier le système de transfert de combustible en vol.
Enfin, on étudie une nouvelle solution concernant le dessin des nacelles moteurs afin d’en réduire la traînée aérodynamique.
Dans un autre domaine, et toujours dans le cadre de l’évolution normale de l’appareil, il est possible que des modifications interviennent dans les systèmes de commandes de vol, à l’échelon des gouvernes, mais ce sont les essais en vol supersonique qui diront si ces modifications s’imposent.
Bien entendu, toutes ces modifications sont liées à la décision commune de la France et de la Grande-Bretagne d’engager les frais supplémentaires à ces travaux additionnels.