Air & Cosmos – 19 Juin 1965 : La réplique soviétique de Concorde volera en 1968

Article de Jacques MORISSET

 La mise en place lundi dernier, à côté du Vostok, de la maquette du Tupolev 144, déclencha immédiatement la visite des ingénieurs des plus grandes firmes : car le mystérieux Tu-144, comme cela était envisagé, il y a quelques semaines, est bien, ou plutôt sera, l’avion de transport supersonique soviétique des années 70.

Les trois photographies montrent l’allure générale de l’appareil : la ressemblance avec ”Concorde » est frappante, sauf en ce qui concerne l’emplacement des quatre réacteurs et la disposition des entrées d’air. Celles-ci sont en effet groupées côte à côte sous le fuselage, très en avant, et alimentent donc les réacteurs par paire. Leur géométrie bidimensionnelle est maintenant classique, on notera cependant avec quelque surprise que les soviétiques n’hésitent pas à grouper les deux entrées ; cette solution présente l’avantage de dégager la voilure de toute inter-réaction, mais complique par contre, en principe, le problème de la régulation des entrées d’air ; en cas d’arrêt d’une turbine, c’est finalement (si la perturbation créée remonte la manche d’arrivée d’air), la totalité du système de propulsion qui risque d’être mis en cause. (Pour cette raison, après avoir lancé le B-70, les techniciens américains, comme ceux de la France et de la Grande-Bretagne, ont opté pour la séparation au moins partielle des réacteurs et de leurs entrées d’air).

Quant à l’appareil lui-même, ses caractéristiques lui-même, ses caractéristiques exactes ne sont pas encore connues, seules ont été publiées officiellement les cinq chiffres suivants : vitesse, 2500 km/h ; distance franchissable : 6500 km ; poids au décollage : 130 tonnes ; nombre de place : 121 ; décollage sur 1900 m. De source officieuse, on a appris par ailleurs que les réacteurs à double flux étaient d’un type nouveau, essayé en vol sur un avion laboratoire, et devaient être dotés d’une postcombustion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La maquette est intéressante à examiner ; on note en effet :

– La taille de guêpe et la longueur importante de la double manche de captation de l’air.

– La forme en plan de la voilure, qui ressemble fortement à celle de ”Concorde » sauf à l’endroit du raccordement du bord d’attaque avec le fuselage.

– Le diamètre important du fuselage, qui autorise un aménagement avec 5 sièges de front (contre 4 pour Concorde).

– La place très importante réservée, à l’arrière, au droit des réacteurs, pour une soute à bagages et à fret.

Malgré le poids annoncé, inférieur de 22 tonnes à celui de « Concorde”, notre impression est qu’il s’agit d’une machine au moins aussi grosse que l’appareil franco-britannique, d’autant plus que les 121 passagers annoncés, correspond probablement à 25 rangées, la plupart à 5 sièges.

Or le fuselage du Tu-144 peut certainement accepter un nombre de rangées nettement plus élevé, étant donné la longueur très importante des compartiments avant (électronique et penderie), de l’office (au milieu) et de la soute à bagages (à l’arrière). Sur la maquette exposée, la cabine avant était dotée de 6 rangées de 4 sièges, et la cabine arrière de 17 rangées de 5 sièges, soit au total 108 places (un siège en moins pour la dernière rangée).

Bien entendu, il ne s’agissait que d’une maquette d’exposition, et les commentaires qu’il est possible de faire à partir d’elle, doivent être tempérés par un coefficient de probabilité du degré d’exactitude de la dite maquette. Deux précisions formelles, cependant, nous ont été fournies par les exposants soviétiques : le Tu-144 volera en 1968, et son équipage technique ne comprendra que trois navigants : deux pilotes et un mécanicien.

Concorde : 134 passagers et 152 tonnes

Sud Aviation et la British Aircraft Corporation ont publié de nouvelles informations sur « Concorde”, en particulier sur les dimensions de l’appareil : si l’envergure reste fixée à 25,6 m, le poids de l’appareil passe par contre de 148.000 kg à 152.000 kg (336.000 lb), et la longueur du fuselage, sonde non comprise, passe de 56,2 à 57,7 m. Cet allongement de 1,5 m s’obtient par adjonction d’une travée supplémentaire à l’avant (1 hublot en plus) et par une modification de l’arrière du fuselage : en  fait, la cabine est allongée de 3 m, grâce à un certain recul de la cloison arrière, et c’est grâce à cet prolongement que le nombre maximal  de passagers passe de 118 à 134, par adjonction de quatre rangées de sièges supplémentaires. Enfin, le poids total maximum pourrait passer à 154.000 kg, si la tolérance prévue (4000 lb) était absorbée. Rappelons que cette limite de 154 tonnes est aussi celle des plus gros jets actuels admis sur les pistes.

Bien entendu, ces modifications ne concernent pas les deux prototypes, dont les premiers vols restent fixés à 1968, à Toulouse et à Filton. Les améliorations proposées seront réalisées au stade de la présérie, et ne retarderont pas l’homologation et la mise en service de l’avion, prévues pour 1971. Quant aux prototypes, l’usinage de leurs pièces est en cours.

L’Olympus

En ce qui concerne les réacteurs, la SNECMA et Bristol-Siddeley ont publié un communiqué conjoint précisant que l’allongement de Concorde n’entraînait pas de modifications de la définition du moteur Olympus 593-B. La voilure reste en effet celle de l’avion standard, et le vol en croisière s’effectue dans des conditions aérodynamiques semblables, donc avec une traînée égale (seule la distance de roulement au décollage sera légèrement accrue, mais la marge de performance est suffisante pour que cela ne pose pas de problème).

A l’heure actuelle, les deux exemplaires construits de l’Olympus 593-D tournent au banc. Rappelons que le ”593-D », moteur de développement, correspond à la version d’origine du moteur, lorsque l’Olympus devait fournir une poussée de 13.250 kg sans réchauffe. Le changement des caractéristiques de Concorde intervenu l’an dernier a conduit finalement les motoristes à prévoir un nouveau moteur, l’Olympus 593-B, qui sera mis en service avec une poussée de 14.500 kg et qui donnera deux ans plus tard à une poussée de 15.900 kg (plus la réchauffe). Le premier des dix-sept Olympus 593-B actuellement commandés tournera au banc à la fin de cette année.

En attendant, une poussée de 12.750 kg a déjà été obtenue sur le deuxième 593-D, il s’agit là de la poussée la plus élevée obtenue jusqu’ici par un turboréacteur sans réchauffe. Le débit-masse d’air atteignait le chiffre prévu, et la turbine, avec aubages refroidis par air, a fonctionné de façon satisfaisante sous une température d’entrée de 1140°K. L’état des organes des moteurs après fonctionnement s’est avéré en tous points satisfaisant, et les caractéristiques obtenues ont été conformes aux prévisions. L’un des Olympus 593-D est actuellement soumis à un programme d’essais au CEP de Saclay, qui permet de simuler les conditionnements de fonctionnement à haute altitude en régime supersonique. D’autres essais portant sur les entrées d’air effectués à Patchway ont montré que les moteurs peuvent accepter les hétérogénéités de l’écoulement occasionnés par une entrée d’air supersonique à lèvres minces, et ce sans effet défavorable sur les performances et sans inconvénient mécanique.

D’autres essais ont permis d’étudier l’effet exercé sur les performances par l’arrêt simulé d’un des moteurs logés dans la double nacelle de Concorde, ainsi que l’influence d’une défaillance du réglage d’entrée d’air occasionnant une insuffisance d’admission au cours du décollage. Ce programme d’essai s’est révélé très satisfaisant. Enfin, la réchauffe (postcombustion)a déjà été l’objet de 800 heures d’essais à échelle grandeur, effectués principalement par la SNECMA à Melun-Villaroche. Des taux d’augmentation de poussée de 5 à 15% et même plus ont été réalisés, alors qu’un taux de 9% seulement est exigé pour « Concorde”.