Une journée de convoyage sur Caracas

Pour les vols à destination de Caracas, il était nécessaire de se poser aux Açores pour un ravitaillement en carburant. Il fallait donc un mécano à bord de l’avion afin d’assurer la visite transit et l’avitaillement en carburant à l’escale de Santa Maria. Il y avait sur place un mécanicien expérimenté des lignes portugaises, qui assurait l’assistance lors de l’escale. Il connaissait son affaire en ce qui concerne les pleins, et nous étions là pour apporter le petit plus de spécificité Concorde au cas où…. Parti de Paris où j’avais pris place à bord en début d’après-midi, j’ai eu le plaisir d’assister du poste de pilotage à l’impressionnante approche, où tout va si vite, face aux falaises de Santa Maria. Puis, le soleil déclinant très vite pendant l’escale technique, nous fûmes pressés de repartir.  Le soleil avait disparu à l’horizon et la nuit s’installait sur l’ile ; la visite et les pleins s’étaient déroulés sans problème ; invité à nouveau par l’équipage à prendre place dans le poste de pilotage, assis sur le siège « Observateur » derrière le Commandant de Bord ; alors, par l’effet combiné de la prise d’altitude et de la vitesse de Concorde à Mach2, j’ai pu assister à un second lever de soleil dans la même journée, mais cette fois-là, à l’Ouest ! C’était magique ! Plus vite que le soleil, ce n’était pas qu’une légende… La nuit nous a rattrapés peu après notre arrivée à Caracas et la visite technique de l’appareil, alors que je quittais l’aéroport. Je ne suis pas près d’oublier cette journée exceptionnelle où pour mon premier convoyage j’avais assisté à ces scènes extraordinaires :

  • Une approche et un décollage depuis le poste de pilotage de Concorde
  • Une escale technique et une visite journalière sans problème
  • Et enfin deux levers de soleil, un à l’est, un à l’ouest observés au cours d’une même journée! et deux couchers de soleil à l’ouest bien sûr, comme d’habitude… si je puis dire.

Je voudrais enfin remercier nos aînés, parce qu’ils ont permis à toute une génération de rêver ; nos aînés qui ont construit cette fabuleuse «  machine volante » : toute l’Intelligence de l’Homme est là, avec ses lignes si belles qu’un dieu, dit-on, en fut jaloux…

Qu’il me soit permis aussi de mettre à l’honneur pour une fois, l’ensemble de mes compagnons de la Maintenance Concorde, ainsi qu’à tous ceux qui, en France ou à l’étranger, ont permis par leur compétence et leur savoir-faire, que se tourne une des plus belles pages de notre histoire aéronautique. Car j’ai la fierté de croire que sans eux, cette page n’aurait pas pu s’écrire de si belle manière, ni se fonder cette belle famille Concorde.

Si j’ai eu l’honneur de servir cet avion, j’ai eu le plaisir de le côtoyer pendant plus de 27 ans. Il m’a tout appris : l’humilité, la patience, la ténacité, le partage, l’esprit d’équipe car il fallait une équipe soudée pour assurer une maintenance à la hauteur de son exigence ; et surtout il m’a apporté le Bonheur d’exercer un métier avec passion ; car se rendre au travail avec plaisir, j’appelle ça de la chance et du bonheur.

Concorde a eu le don de fédérer des hommes avec des métiers si divers, toujours avec ferveur et compétence, souvent avec talent.  Je garderai aussi le souvenir ébloui d’hommes et de femmes nourris d’une même passion : l’Amour porté à un avion ! L’esprit rationnel ne peut s’expliquer pourquoi nous le considérons comme un être vivant à part entière, avec une âme.

Après plus de 27 ans de vie commune, le rêve soudain s’est arrêté ! Alors, j’ai vieilli d’un coup !

A tous mes compagnons de labeur et de bonheur : MERCI !

Jean-Michel Rougier, Mécanicien de maintenance  sur Concorde