Le Président Kennedy – Lettre au Congrès du 14 juin 1963.
Notre objectif est de construire un appareil qui soit rentable du point de vue commercial tout en possédant des performances supérieures. Il faudra pour cela déterminer rapidement si le prix de revient et les caractéristiques de l’avion prévu lui permettent de trouver un marché Et si, à un stade quelconque des travaux, il apparaît que l’avion n’est pas valable du point de vue économique, ou si la participation financière de l’industrie au projet n’est pas suffisante, nous devrons être prêts à arrêter le programme de l’avion supersonique, à en différer l’application ou à le modifier fortement.
Déjà en décembre 1960, l’administration Eisenhower qui n’était plus que pour quelques jours en fonction avait pris la décision de lancer les recherches en vue de la construction d’un avion de transport supersonique. Mais c’est à M. Halaby, nommé administrateur de la Federal Aviation Agency par le Président Kennedy, que revenait le soin d’annoncer publiquement en mars 1961 que l’étude d’un avion de transport supersonique civil et militaire faisait partie des projets à long terme de la FAA.
Si la FAA a été et reste l’autorité responsable du projet, le Département de la Défense américain et la NASA ont été étroitement mêlés à celui-ci dès le départ. Avec l’industrie, ils ont coopéré au programme de recherches dirigé par la FAA qui avait été lancé en 1961 et dont les résultats on été examinés par un comité inter-ministériel présidé par M. Lyndon B. Johnson, alors vice-président des Etats-Unis. Parallèlement à cet effort de recherches, le Groupe consultatif du transport supersonique instituée par la FAA et placé sous la présidence d’un général de l’USAF en retraite, le général Orval R. Cook, effectuait une vaste étude des aspects techniques et économiques de l’aviation de transport supersonique. Le rapport fourni par ce Groupe en décembre 1962 disait que la réalisation rapide d’un avion de transport supersonique par les Etats-Unis était d’un intérêt vital pour la nation. Le groupe complétait par un second rapport publié en mai 1963. Un mois plus tard, le Président Kennedy annonçait la décision du gouvernement américain d’établir un programme d’aide à l’industrie pour la réalisation d’un courrier supersonique. M. Gordon M. Bain. Administrateur-adjoint de la FAA, était alors placé à la tête d’un département spécialement créé au sein de la FAA pour assurer l’application de la décision présidentielle.
Comme le préconisait le comité consultatif dans son rapport pour la phase I du programme, la FAA lançait à la mi-août 1963 un appel d’offres à l’industrie américaine. Le 15 janvier était donné comme date limite pour la soumission de projets détaillés de cellules et de moteurs.
Trois avionneurs et trois motoristes décidèrent de participer à ce concours. L’appréciation de ces projets d’un point de vue organisation de la production, valeur technique et économie et facilité d’exploitation est en cours actuellement. Elle est effectuée, sur la base du système de points résumé dans le tableau ci-contre, par un groupe constitué de 210 membres dont 79 représentants de la FAA, 67 de l’USAF, 40 de la NASA, 15 de l’US Navy, 6 du CAB et 3 du département du Commerce et placé sous la direction générale de la FAA. Dix compagnies aériennes effectuent en parallèle des études de projets soumis et doivent donner leurs appréciations à la FAA avant le 18 mars. Des discussions entre représentants des compagnies et des représentants du gouvernement se dérouleront les 25 et 26 mars. Le groupe chargé de juger de la valeur des projets présentés aura alors terminé son travail.
Le 1er mai, l’administrateur de la FAA, M. Halaby, annoncera soit, 1), l’avionneur et le motoriste choisis pour réaliser le courrier supersonique américain jusqu’au stade prototype (phase III du programme), soit 2), dans le cas où aucune combinaison cellule/moteur ne se sera révélée nettement supérieure aux autres, l’attribution d’un nouveau délai de 12 mois pour la présentation par les deux avionneurs et les deux motoristes les mieux placés d’études détaillées permettant de les départager (phase II), soit 3), si aucune des propositions soumises ne répond aux conditions, une refonte complète du programme.
En traçant en juin 1963 les lignes générales du programme commun industrie/gouvernement pour la mise au point avant la fin de 1970 du plus rapide des avions de transport supersoniques ayant une maniabilité aussi bonne que possible, M. Halaby évaluait à une somme comprise entre 700 millions et un milliard de dollars les frais d’étude et de mise au point de l’appareil, chiffres tenus comme englobant les frais de construction et d’essais en vol de deux prototypes. Jusqu’ici le gouvernement est resté ferme dans sa résolution de faire supporter par les adjudicataires principaux des marchés cellule et moteurs 25% de cette somme. Il s’est également fixé un plafond de 750 millions de dollars pour sa participation à l’entreprise sauf dans le cas de dépassements des prix prévus par les clauses contractuelles. Dans ce cas, le dépassement sera supporté dans la proportion inverse par le gouvernement (25%) et l’industrie (75%) pour les premiers cent millions de dollars. Au-dessus de ce chiffre les dépassements de prix retomberont entièrement sur l’industrie.
Une fois terminée la mise au point de l’appareil (phase III) sous le marché de la FAA, les adjudicataires des marchés moteur et cellule devront, suivant le programme actuel, se débrouiller seuls et conduire la construction du courrier supersonique comme une opération commerciale ordinaire.
Le courrier supersonique américain : bases de détermination de la valeur des projets (entre parenthèses le nombre de points attribués à chaque rubrique).
Organisation de l’étude et de la production (25%) |
Organisation générale et main-d’œuvre (20) |
Compétence et expérience de la firme (qualité des produits, délais de livraisons, etc…) (25) |
Installations de recherche et de production (15) |
Choix et contrôle des sous-traitants (10) |
Plans de recherches et de fabrication (15) |
Normalisation, contrôle de la fabrication, etc… (15) |
Caractéristiques techniques (40%) |
Conception de l’avion (15) |
Bang sonique et bruit (15) |
Construction de la cellule (15) |
Propulsion (15) |
Circuits et équipements de bord (15) |
Programmes d’essais et d’homologation (10) |
Caractéristiques d’exploitation et rentabilité (35%) |
Rentabilité (prix de revient, frais d’exploitation, etc…) (40) |
Opérations au sol (10) |
Programme d’instruction (5) |
La réaction de l’industrie aux propositions financières de l’administration est rien moins que favorable. Comme la déclaré le président de la North American, M. Atwood, devant le sous-comité du Sénat pour l’aviation : “si à la fin du programme d’études et de mise au point on s’aperçoit qu’un programme commercial ne peut être entrepris, le constructeur se retrouvera avec une perte d’environ 950 millions de dollars même si une partie de ses frais lui ont été remboursés par le gouvernement dans la mesure permise par le plafond de 750 millions” et M. Aller, président de Boeing, a dit au même sous-comité : “Le prix de revient de la construction de 200 avions, sans tenir compte d’aucune marge bénéficiaire ni des frais de mise au point des moteurs approcherait probablement les six milliards de dollars….. Le gouvernement doit être prêt à fournir une aide financière plus grande que celle prévue actuellement”. L’énormité des sommes impliquées a empêché d’autre part beaucoup de constructeurs traditionnels d’avions de transport de prendre part au concours et de soumissionner pour le marché principal.
L’aide financière du gouvernement est sujette évidemment à l’approbation du Congrès. Etant sonné l’ampleur exceptionnelle de l’aide envisagée et la façon dont le Congrès a récemment traité d’autres demandes de crédits du gouvernement, les conditions financières portées au programme de l’avion supersonique ne peuvent pas être considérées comme acceptées d’avance. Le gouvernement a eu la difficulté à faire voter par le Congrès des sommes relativement petites et les 60 millions de dollars accordés à la FAA comme acompte sur le programme de mise au point du transport supersonique se sont accompagnés de coupes sombres dans les crédits demandés pour d’autres postes du budget de la FAA.
D’après le programme général qu’elle a elle-même établi, la FAA est chargée d’attribuer l’ordre de livraison des appareils. Son principe est de mettre autant de compagnies que possible dans les soixante premières places, la priorité étant donnée d’abord aux principales compagnies américaines desservant les lignes de l’Atlantique, puis aux compagnies nationales étrangères desservant les lignes de l’Atlantique, aux principales compagnies américaines desservant les lignes du Pacifique, aux compagnies nationales étrangères desservant les lignes du Pacifique et, en dernier lieu, aux compagnies desservant le réseau intérieur américain. Après le 1er mai 1964 la formule deviendra : « premier à se présenter, premier servi”. Les clients retiennent leur place en versant à la FAA un dépôt de 100.000 dollars par avion. Ce dépôt est remboursable au cas où la compagnie se retire de la liste d’attente avant le 1er novembre 1965, moment où un deuxième dépôt de 100.000 dollars sera exigible. Les commandes passées après le 1er novembre 1965 devront être accompagnées d’un acompte de 500.000 dollars. Le courrier supersonique américain sera vendu aux compagnies aériennes par le constructeur sur une base commerciale, une clause du contrat de vente prévoyant le versement au gouvernement par les compagnies aériennes de droits se montant à environ 1,5% des recettes réalisées par l’appareil sur une période de 12 ans.