Concorde : ”La machine vole, et elle vole bien », Article de Jacques MORISSET

Extrait : Le premier vol de Concorde aura été un évènement international : plus de 400 journalistes, les chaînes de radio et de télévision, avaient suivi heure par heure un compte à rebours qui s’éternisait. Lorsque ce dimanche 2 mars, à 15h38, André Turcat lâcha les freins de l’avion, des millions de français et de britanniques attendaient avec impatiente un décollage qui les surprit quand même un peu : sur les écrans de télévision, en effet, et la déformation due aux téléobjectifs aidant, Concorde sembla se cabrer de plusieurs dizaines de degrés, puis amorcer une montée impressionnante, tandis que des dizaines de milliers de Toulousains, massé aux alentours, voyaient enfin leur avion voler.
Vingt-sept minutes plus tard l’appareil se reposait sur cette même piste de Toulouse-Blagnac qui l’avait vu décoller. Là encore, les téléspectateurs eurent de quoi être impressionnés (les passionnés de l’aviation aussi d’ailleurs) : l’approche, puis l’atterrissage de Concorde furent en effet très spectaculaires, la formule aérodynamique de l’avion (aile delta) conduisant à une descente de l’appareil en position cabrée.

Tout s’était bien passé, tandis qu’à Bristol, à 1000 kilomètres de là, les ouvriers britanniques qui travaillaient sur le prototype 002 clamaient leur enthousiasme, André Turcat immobilisait Concorde 001 devant l’aérogare de Toulouse ; l’équipage de l’avion était alors félicité par M. Henri Ziegler, Président-Directeur Général de Sud Aviation et Sir George Edwards, Président de la British Aircraft Corporation. Quelques minutes après, André Turcat, Jacques Guignard (copilote), Henri Perrier (ingénieur navigant), Michel Rétif (mécanicien navigant) commentaient le vol, écourté par suite d’une météo pessimiste, mais qui s’était déroulé exactement comme l’espéraient les responsables de l’opération.
Une page était tournée dans l’histoire de l’aviation ; Concorde avait volé, et bien volé, malgré les prévisions, parfois fort sombres de ses détracteurs.
Avant de commenter ce vol, rappelons d’abord les exigences qui entraînèrent, deux jours durant des reports successifs : la nouvelle piste de Toulouse-Blagnac étant orientée Sud-Est/Nord-Ouest, et le survol de Toulouse étant exclu pour un vol d’essai, l’appareil devait décoller vers le Nord-Ouest ; mais le vent d’Autan soufflait, venant du Sud, c’est-à-dire fans le dos de l’appareil : position inconfortable pout tout avion, et à fortiori pour un prototype, même s’il ne décollait pas, à son poids maximal. On attendait donc une baisse de ce fameux vent d’Autan, la valeur maximale admissible étant d’une dizaine de noeuds (18 km/h).

Le 2 mars au matin, le brouillard régnait en maître : c’était plutôt bon signe. Mais le vent d’Autan, en le chassant, s’établissait à un niveau trop élevé. Vers le milieu de la journée, il faiblissait, mais les nuages apparaissaient. Son Président en tête, l’état-major de Sud Aviation suivait avec attention l’évolution de la situation météorologique, à partir d’indications fournies en bonne partie par la station météo de la Montagne Noire. A tout hasard, l’appareil était cependant préparé, un créneau s’annonçant possible.
A 14h40, un des moteurs est mis en route : le vent est tombé à 4 noeuds, la visibilité horizontale atteint 15 km, la nébulosité est de 3/8. Puis le vent se lève et la décision est reportée.

Décollage vent dans le dos.

A 15h35, nouveau feu vert : les quatre turboréacteurs sont démarrés successivement et l’équipage commence la lecture de la dernière check list. A 15h35, Concorde est aligné en bout de piste et un ultime contrôle est effectué, freins et moteurs en particulier. Dernier point fixe : l’appareil commence à rouler à 15h39 ; il pèse alors 110 tonnes environ (plus de trois tonnes de kérosène ont été consommées au sol) et accélère rapidement sous la poussée de ses quatre moteurs, post combustion en marche. Le vent arrière (à 220°) atteint 4 noeuds, la nébulosité est toujours de 3/8, et les couches nuageuses sont à 750 et 12.000 mètres : un temps très acceptable pour ce premier décollage. Après 22 secondes de roulage, 1500 mètres ayant été parcourus, Turcat déclenche la rotation en incidence : celle-ci atteint les 10° nécessaire et l’appareil décolle franchement, à la vitesse de 175 noeuds (323 km/h), puis amorce une montée rapide, à plus de 3000 pieds/minutes. L’angle de montée, impressionnant, s’élève à 22° et le nouvel avion atteint les 500 mètres en 25 secondes.

Le vol se déroule alors selon un schéma très simple : quatre minutes après son départ, Concorde vole à 220 noeuds (407 km/h) à 2800 mètres d’altitude en direction d’Agen. A 15h45, l’appareil est en pallier, à poussée réduite, à 3000 mètres d’altitude et vole à 250 noeuds (462 km/h). Il est alors près de Castelsarrasin, à 45 kilomètres au nord-ouest de Toulouse et amorce un très large virage sur sa gauche.
A 15h48, il se dirige vers Toulouse, tandis qu’André Turcat modifie la vitesse, l’assiette et l’altitude de l’avion en jouant sur la poussée. La vitesse maximale atteinte sera de 540 km/h, l’altitude de 12.000 pieds (4000 mètres). Vers 16 heures, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Toulouse, Concorde effectue un deuxième virage à 180° et se trouve ainsi à nouveau dans l’axe de la piste.
L’appareil survole Toulouse pendant l’approche, la fin de celle-ci s’effectuant à 170 noeuds (314 km/h) : Concorde va-t-il, comme prévu, effectuer une approche simulée, puis après un deuxième tour, plus court, se poser enfin après 35 à 40 minutes de vol. C’était sans compter sur la météo : pendant le vol, les conditions se sont légèrement dégradées et André Turcat a décidé de se poser : l’atterrissage s’effectue donc, impeccablement, à 16h07, avec l’utilisation du parachute de freinage.

L’avion, qui ne pèse plus que 99 tonnes (Concorde emportait au décollage assez de carburant (40 tonnes) pour voler une heure et quart et disposer ensuite des réserves réglementaires), roule moins de 2000 mètres et rejoint le parking devant l’aérogare au milieu des applaudissements. Sur les routes alentour la circulation reprend, car les automobilistes prévenus par la radio, avaient arrêté leur voiture pour contempler ce spectacle unique : le premier vol de Concorde.