Le numéro de juin 1964 « d’Interavia” contenait un bref article intitulé le ”Concorde » redessiné et dans lequel figuraient les récentes modifications apportées à la structure de l’appareil, annoncées par les représentants de la British Aircraft Corporation, de Sud Aviation, de Bristol Siddeley Engines et de la SNECMA lors du Comité Technique de l’IATA réuni à Beyrouth le 6 mai dernier.

Nous donnons ci-après le texte des communiqués qu’ont fait paraître respectivement les constructeurs de la cellule et des moteurs pour annoncer les modifications apportées au projet initial.
Au moment d’entrer dans la phase active de construction des prototypes de l’avion supersonique Concorde, Sud-Aviation et British Aircraft Corporation communiquent :

La mise au point de Concorde vient de marquer une étape importante qui a permis d’enregistrer des progrès substantiels portant essentiellement sur la charge marchande et le rayon d’action. Les conclusions des études effectuées jusqu’à ce jour ont montré qu’il était dès maintenant possible d’améliorer le moteur et d’obtenir de lui, pour un même maître-couple de nacelles, une poussée supérieure aussi bien en croisière qu’au décollage. Dès lors, pour profiter pleinement de ces nouvelles performances, les avionneurs ont décidé d’augmenter de 15,5% la surface de la voilure initiale, ce qui améliore en même temps les principales caractéristiques de l’avion et ses qualités au décollage et à l’atterrissage et augmente la capacité de ses réservoirs de carburant.

Les principales modifications apportées à l’avion peuvent se résumer ainsi (entre parenthèses les chiffres correspondant à la configuration d’origine) :

L’envergure et la profondeur de la voilure ont été augmentées de 7,5% de même que la surface de l’empennage vertical.

La poussée développée par le moteur Bristol Siddeley-SNECMA Olympus passera de 14.500 kilos environ pour les premiers moteurs livrés, à 16.000 kilos environ très peu de temps après la mise en service.
Ces développements ne modifient pas les dates qui avaient été déjà communiquées au public, à savoir : premier vol du prototype en 1967 et mise en service en 1971.

L’augmentation de la surface de voilure du Concorde entraîne une plus grande capacité des réservoirs d’ailes, qui permet de libérer le fuselage de la majorité des réservoirs qui y avaient été précédemment logés, et par conséquent de dégager un certain volume utilisable pour le transport du fret. L’ensemble des dispositions prises et une modification de l’aménagement permettent d’augmenter sensiblement le nombre des sièges offerts et de porter ce nombre à 118.

La quantité accrue de carburant transportable permet en premier lieu d’augmenter les réserves possibles sur les parcours transatlantiques de Londres et Paris à New York, ou sur des routes similaires. Ces réserves étaient déjà, au premier stade de définition de l’avion, très supérieures à celles que demandait la Federal Aviation Agency des Etats-Unis dans sa définition d’un avion supersonique américain mais, pour répondre au souci constant des compagnies, celles qui sont offertes aujourd’hui sont calculées comme pour les jets classiques.

Cependant, on peut raisonnablement espérer que, en 1971, les conditions opérationnelles et les procédures de croisière, d’attente, etc… auront bénéficié de nouveaux équipements plus modernes, ce qui se traduira par des économies de carburant et par conséquent par un accroissement du rayon d’action.
Enfin, en adoptant la nouvelle version, les constructeurs s’assurent contre d’éventuelles variations mineures de certains paramètres fondamentaux : traînée, consommation spécifique, etc, qui pourraient apparaître ultérieurement.

Les masses et charges payantes indiquées concernent l’utilisation de Concorde en long-courrier. Les améliorations indiquées se traduisent aussi par des avantages considérables dans une exploitation de type moyen-courrier, grâce à l’augmentation de la longueur du fuselage. De ce fait, les charges payantes pourront être notablement augmentées en raison de la réduction de la masse du carburant nécessaire sur ces longueurs d’étape.

L’intensité du bang sonique, qui aurait pu risquer de devenir un peu plus forte avec l’augmentation du poids, sera atténuée par l’effet favorable d’une charge alaire moins élevée et ne créera pas de problème nouveau. Ce phénomène résulte d’un effet de portance d’une part, d’un effet de volume d’autre part et l’accroissement du second sera compensé par la diminution du premier.

Sud Aviation et BAC ont entrepris de réaliser des maquettes en vraie grandeur des sections du Concorde dont ils doivent assurer, chacun de leur côté, la construction, en conformité avec le programme de répartition des travaux. Ces maquettes commencent à prendre forme. Sur cette photographie prise à Toulouse-Blagnac, des techniciens préparent le nouveau tracé en vraie grandeur de la voilure du Concorde.

Des différents circuits à l’intérieur de la voilure du Concorde est étudié sur la maquette en bois réalisée dans les usines Sud-Aviation à Toulouse-Blagnac. Sud-Aviation est responsable de la réalisation de la section centrale du fuselage, de la voilure, des élevons et des puits du train d’atterrissage. BAC est chargé de la construction du nez du fuselage, des nacelles réacteurs, de la partie arrière du fuselage et de l’empennage vertical.

De leur côté, la SNECMA et Bristol Siddeley ont donné les précisions suivantes au sujet de l’Olympus 593 :
Les deux sociétés SNECMA et Bristol Siddeley ont été amenées à apporter quelques modifications au projet initial du turboréacteur Olympus 593 pour que celui-ci puisse fournir l’augmentation de poussée qu’imposaient les spécifications nouvelles édictées par Sud Aviation et British Aircraft Corporation pour leur long-courrier Concorde.

Dans sa nouvelle version, l’Olympus mesurera 351,60 centimètres de longueur totale et le diamètre de l’entrée d’air sera de 121,50 centimètres. Les premières unités livrées fourniront une poussée statique de 14.500 kilos au niveau de la mer et cette poussée sera portée après les deux premières années de production à 16.000 kilos. Des poussées sensiblement plus élevées pourront être obtenues dans un stade ultérieur.

La principale différence entre le nouvel Olympus 593 et le projet initial étudié pour le Concorde est une question de dimensions. Sa nouvelle version a un débit d’air sensiblement plus élevé que les précédents types dont elle bénéficie toutefois de l’expérience sur les plans aérodynamique et mécanique. C’est ainsi qu’il a été possible de diminuer les températures de turbine et les vitesses de rotation de l’arbre, afin de diminuer les charges exercées sur les différents éléments du turboréacteur.

Certains éléments de l’Olympus 593 sont actuellement essayés au banc, tant à Melun-Villaroche (SNECMA) qu’à Patchway (Bristol Siddeley). Ces essais portent également sur certains ensembles tels que les compresseurs en vraie grandeur, la tuyère d’éjection et l’inverseur de poussée.

L’une des particularités de l’Olympus 593 est d’être le premier turboréacteur civil conçu pour des vitesses supérieures à Mach 2,2. Il sera ainsi le premier turboréacteur civil conçu pour pouvoir fonctionner à des températures d’entrée de turbine et de chambre de combustion généralement supérieures à celles qui ont été expérimentées sur des turboréacteurs utilisés à des vitesses supersoniques ou pendant de courtes périodes au-dessus de Mach 1.

La température à l’entrée d’air étant supérieure à 150°C en régime de croisière, il a fallu porter une attention particulière au choix des matériaux requis pour les compresseurs à haute et basse pression.
Comme sur les précédentes versions de l’Olympus, le système de combustion du 593 se compose de huit tubes à flamme disposés dans une chambre annulaire. L’ensemble de la turbine comprend des aubes de stator et de rotor refroidies, ce qui permet de maintenir la température du matériau composant les aubes à une valeur inférieure à la température de fonctionnement de la plupart des turboréacteurs non refroidis en service aujourd’hui, tandis que, grâce au refroidissement des aubes, la température des gaz est considérablement plus élevée.

Deux autres facteurs importants dans la nouvelle version de l’Olympus 593 sont la sélection des carburants et des lubrifiants. Tous les problèmes concernant les carburants ont été résolus ; la stabilité thermique du carburéacteur classique JP1 a été réalisée à des températures de stockage, convenables et des brûleurs pouvant supporter de très fortes températures, ont été expérimentés et mis au point.
Des lubrifiants pouvant être utilisés à des températures extrêmes ont été mis au point mais ils doivent être renouvelés fréquemment et des études très poussées sont poursuivies en liaison avec les grandes compagnies pétrolières pour parvenir à mettre au point des lubrifiants capables de supporter pendant longtemps des très hautes températures.

Une partie importante de ce programme d’essais sera entreprise en France par le Centre d’essais des propulseurs (Saclay) et en Grande-Bretagne par le National Gas Turbine Establishment (Pyestock).
Les premiers prototypes du nouvel Olympus 593 doivent être prêts vers la fin de cette année.
Il résulte de toutes ces modifications apportées au programme original d’une part que le démarrage de la production se fera avec un certain retard et d’autre part que les frais de réalisation dépasseront les estimations. A l’heure actuelle aucune date précise ne peut-être avancée, bien que la BAC et Sud Aviation aient officiellement exprimé leur certitude de faire voler le premier prototype en 1967 et de livrer le premier appareil de série en 1971 (initialement, 1970 devait être l’année de la mise en service commercial). Quant aux frais de construction, il a été admis officiellement que les premières estimations devaient être réévaluées et on parle aujourd’hui de 3,4 milliards de franc français (250 millions de Livres Sterling).

Au sujet des dépenses d’exploitation de Concorde, le directeur général de la BAC, Sir George Edwards, a déclaré récemment : “il est exact que les frais horaires d’exploitation de Concorde seront supérieurs à ceux
des avions subsoniques actuels, mais il faut ajouter que la distance parcourue en une heure sera plus grande et que le coefficient d’utilisation annuelle sera plus élevé. Il faudra moins d’avions qu’il ne faut aujourd’hui à une compagnie aérienne et les investissements seront donc proportionnellement moins élevés.Un terme de comparaison valable est donné par les frais d’exploitation au kilomètre et, à cet égard, le Concorde présente un avantage. Certes, il ne peut transporter que 100 passagers mais, avec un coefficient de chargement de 100%, le prix du siège-km sera comparable à celui que les compagnies obtiennent avec les appareils subsoniques actuels. Le gros avantage du Concorde, pour celui qui l’exploitera, est que même si toutes les places ne sont pas occupées – ce qui arrive de temps en temps comme les compagnies peuvent s’en rendre compte – le prix du kilomètre de vol reviendra moins cher qu’avec les avions actuels”.

Telle est l’opinion du constructeur sur les différences, du point de vue économie d’exploitation, entre les transports subsonique et supersonique.

Réalisée dans les usines de Sud-Aviation à Toulouse-Blagnac, cette première éprouvette complète d’un tronçon de fuselage central du Concorde sera soumise à des essais à haute et basse température portant sur la pressurisation et les effets des contraintes thermiques, ainsi qu’à d’autres recherches sur la structure.

Pose de matériaux isolants. Cette section du fuselage du Concorde qui a 6 mètres de longueur et qui a été réalisée par BAC dans ses usines de Filton sera utilisée pour les essais de conditionnement d’air dans un caisson pour hautes altitudes.

Cette fraiseuse Forest utilisée dans les usines de Sud Aviation à Toulouse-St Eloi spécialement affectée au programme Concorde. Elle est capable d’usiner des panneaux de 15 mètres de longueur.

Russel K. Rourke, vice-président du bureau des programmes de TWA, a récemment commenté le prix de 25 millions de dollars, chiffre que l’on avance généralement pour le SST américain. Il a déclaré que les frais fixes d’exploitation – dépréciation, assurance, intérêts sur les prêts consentis – sont estimés à 1,51 dollar par mille au cours de la première année d’exploitation du SST, soit 78 cents de plus que ce que l’on compte aujourd’hui pour la première année d’exploitation d’un avion subsonique.

Dans le cas du Concorde qui est un projet essentiellement civil, l’augmentation des frais de construction se retrouvera dans le prix d’achat et c’est la compagnie aérienne qui devra donc la supporter. Il faut espérer que l’augmentation n’entraînera pas une modification profonde des estimations de dépenses d’exploitation faites par Sir George Edwards.
Il est clair que le gouvernement des Etats-Unis est très préoccupé tant par les sommes considérables qu’exige la réalisation du TSS national que par les incidences du prix d’achat élevé sur les frais d’exploitation de l’appareil. Bien que le Secrétaire à la Défense, Robert McNamara, ait toujours soutenu que ce type d’appareil n’avait aucune application militaire, il est peut-être significatif que ce soit lui qui ait nommé à la tête du comité spécial institué par le président Johnson pour étudier le programme SST. Il n’est pas impensable que ce comité puisse finalement découvrir dans le SST une possibilité d’application militaire et qu’en conséquence la plus grosse partie des frais de construction soit imputée sur le budget de la Défense. Si tel était le cas, pourquoi ne trouverait-on pas en Europe une possibilité d’application militaire du projet franco-anglais ?
Sur ses concurrents possibles américains, le Concorde possède deux avantages : il sera mis en service plus tôt et il coûtera moins cher à l’achat. Mais si les frais de construction sont trop élevés, ce second avantage disparaîtra, totalement ou en partie. Il faut absolument conserver le premier avantage, pour qu’il en résulte un nombre important de commandes et qu’en conséquence la série soit plus facilement amortie.
Les constructeurs du Concorde en semblent parfaitement conscients, si l’on en juge par ce qu’ont dit à Beyrouth leurs représentants.

Le simulateur de vol du Concorde qu’a réalisé BAC à Filton est avant tout un outil de travail et il doit servir initialement à établir les caractéristiques de maniabilité et de contrôle de l’appareil dans toutes les phases de vol. Sud-Aviation procède à des études de même nature et les programmes d’essais des deux firmes sont menés en étroite coordination. Depuis plusieurs années, Français et Anglais ont entrepris un programme d’étude de matériaux portant notamment sur les propriétés des alliages d’aluminium sélectionnés.

L’avion expérimental BAC 221.
Le premier vol du BAC 221, le 1er mai dernier, a représenté un pas important dans le programme de réalisation du long-courrier supersonique Concorde. Le BAC 221 est un appareil expérimental à flèche évolutive construit par la division Filton de la BAC pour le compte du ministère britannique de l’aviation. Il dérive du Fairey Delta 2, dont il ne conserve toutefois que le groupe propulseur et certains éléments de structure essentiels car, dans sa conception, on peut dire qu’il s’agit d’un nouvel appareil. Le BAC 221 sera utilisé par la Royal Aircraft Establishment de Bedford pour étudier en vol les propriétés aérodynamiques des voilures en delta gothique, ainsi que les caractéristiques – aux points de vue, contrôle, stabilité et maniabilité des avions qui en sont équipés. Ce programme d’essais servira pour tous les appareils supersoniques en général mais il est particulièrement lié bien entendu au programme de construction du Concorde. C’est le seul appareil au monde dont la forme de la voilure et les performances permettent l’étude en vol des principes d’aérodynamique à partir desquels a été définie la voilure du long-courrier supersonique franco-anglais.
Le BAC 221 est un monoplace de construction métallique (aluminium) équipé d’un turboréacteur Rolls-Royce RA 28. Comparé au Fairey Delta 2, la différence essentielle réside dans la voilure et dans les gouvernes qui ont été redessinées ; l’aile est devenue gothique et la flèche au bord d’attaque et de 65°. L’appareil mesure 17,56 mètres de longueur, 3,48 mètres de hauteur et son envergure est de 7,62 mètres. L’allongement est de 1,22 et l’épaisseur relative est de 4,5%. Il est doté d’un système d’autostabilisation qui comporte une commande moteur automatique et qui permet de simuler les modifications de certaines caractéristiques de l’appareil du point de vue stabilité. Un allongement du fuselage de 1,83 mètre a permis d’augmenter la capacité des réservoirs. De nouvelles entrées d’air ont été étudiées et le train d’atterrissage est plus haut que celui qui équipait le Fairey Delta 2. Le nez du fuselage peut pivoter et l’angle d’inclinaison est variable pour étudier le comportement de l’appareil suivant les différentes positions respectives du nez et de la voilure lors des phases de décollage et d’atterrissage.
Tout le domaine des vitesses subsoniques, transsoniques et supersoniques (jusqu’à 1700 km/h) sera étudié ; le programme des essais envisagés complètera le programme de recherche déjà entrepris avec le HP 115 plus particulièrement destiné à l’étude des qualités de vol à très basse vitesse. La différence entre la vitesse du BAC 221 et celle du Concorde, respectivement Mach 1,6 (1700 km/h) et Mach 2,2 (2300 km/h), ne diminue en rien l’intérêt du programme entrepris avec le premier, les essais en soufflerie ayant démontré que, dans cette gamme de vitesse, les caractéristiques de maniabilité restent sensiblement les mêmes.
L’avion expérimental BAC 221 a fait ses premiers essais en vol le 1er mai dernier. L’appareil est représenté ici tandis qu’il se prépare à atterrir après un vol de 23 minutes. On voit que son nez pivotant est en position basse. C’est Godfrey Auty, chef-pilote d’essais de la division Filton de BAC, qui est aux commandes. C’est avion construit pour me compte du Ministère de l’Aviation sera utilisé pour étudier les propriétés aérodynamiques et les caractéristiques de maniabilité des appareils à voilure et fuselage fins aux vitesses subsoniques, transsoniques et supersoniques.