Dans certaines sphères gouvernementales, et les équipes de direction de certaines compagnies aériennes, règne un assez fort courant de pessimisme au sujet de la rentabilité de l’exploitation commerciale d’appareils supersoniques. De la part de pays non engagés dans la production de courriers supersoniques, on peut sans doute le comprendre : ils n’ont pas nécessairement étudié de manière approfondie l’exploitation de tels appareils et n’ont pas eu connaissance de tous les résultats des études effectuées dans d’autres pays. Mais en France, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, un certain manque de confiance dans le succès des programmes TSS peut compromettre les possibilités de vente d’un modèle particulier bien plus largement que la concurrence acharnée.

M. John A.Schaffer, administrateur de la FAA dans une récente allocution prononcée aux Etats-Unis, se montrait confiant et annonçait comme excellentes les prévisions chiffrées des ventes et de la rentabilité d’exploitation du courrier supersonique américain. Les vues qu’il a exprimées méritent, à notre avis, une large diffusion ; nous reproduisons donc ci-dessous les arguments principaux de cette allocution


Lorsque nous mentionnons le courrier supersonique – le modèle américain – nous évoquons essentiellement l’exploitation des lignes aériennes dans les années 1980. Par les changements qu’elle provoque dans les transports aériens, une période de dix ans constitue véritablement une génération : il y a un peu plus de dix ans, nous avons assisté à l’avènement du transport aérien à réaction. Le développement des liaisons aériennes assurées par des quadrimoteurs a caractérisé la décennie précédente, celle des années 50, et revenir encore de dix ans en arrière nous ferait revoir des appareils légers bimoteurs comme le Douglas DC-3. Maintenant, un peu plus de dix ans après la mise en service des premiers courriers à réactions, nous sommes à la veille de présenter une nouvelle génération d’appareils, le Boeing 747 qui sera bientôt suivi par le Douglas DC-10 et le Lockheed L-1011. Leurs larges fuselages donneront aux flottes aériennes un nouvel aspect et, je l’espère bien, rempliront les coffres de l’industrie du transport aérien.

Les perspectives de croissance du transport aérien et leurs profils dans dix, quinze ou vingt ans nous sont, à tous, familiers. Le volume d’affaires en jeu non seulement favorisera l’utilisation des appareils les plus rapides et les plus modernes mais encore l’exigera

C’est une tendance naturelle que de sous-estimer les applications nouvelles. Cela s’est produit pour le navire à vapeur, la locomotive, l’automobile et l’avion ; chacun de ces moyens de locomotion a finalement conduit à des développements considérables et a inauguré une ère nouvelle pour les transports. Mais on persiste à douter. Vous pouvez vous rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, l’opinion était très largement répandue que l’avion à réaction ne pouvait pas se mesurer avec les appareils à moteurs à pistons ou à turbopropulseurs. Mais comme on a pu le constater, l’évolution a été très différente. Aujourd’hui le courrier supersonique Boeing 2707-300 se heurte dans des circonstances semblables à des thèses presque identiques.

Parlons un peu du bang sonique : il y a de nombreux malentendus sur ce point et franchement, je n’en suis pas tellement surpris. La campagne contre le bang sonique s’est déchaînée récemment. On a prédit toutes sortes d’effets désastreux. Je crois personnellement que ces histoires se dissiperont avec le temps, d’abord, à mesure que nous apprendrons ce qu’est le bang en réalité plutôt que ce que l’on dit, ensuite, à mesure que nous ferons la preuve que nous avons réellement l’intention de respecter les voeux de nos concitoyens et de tenir compte de leur méfiance en ce domaine.

L’utilisation du Boeing 2707-300 en vol supersonique n’est prévue que sur des trajets maritimes ou au-dessus de zones désertes telles que les régions arctiques. Ceci ne signifie pas qu’il ne puisse pas être utilisé en vol subsonique au-dessus de la terre ferme, ni qu’il ne puisse pas desservir certaines villes importantes du pays. L’appareil est conçu pour voler dans de bonnes conditions de rentabilité à des vitesses subsoniques sur des distances considérables. Il volera en régime subsonique à l’approche et au départ des aérodromes et aussi longtemps que sa route nécessitera le survol de zones habitées.

Le bang provoqué par notre courrier supersonique volant à haute altitude ne représente que 3 ou 4% de la puissance de ceux qui pourraient détériorer des bâtiments. On en a beaucoup exagéré et généralement mal compris les effets. Des bangs soniques de 250 à 500 kg/m2 peuvent être destructeurs ; mais le bang du courrier supersonique américain est seulement de 10 kg/m2 en montée supersonique : ses effets ne sont donc pas destructifs.

La FAA estime que les demandes de crédit déposées devant le Congrès représentent un enjeu important pour les compagnies aériennes et l’industrie aérospatiale. Les grandes compagnies aériennes qui assurant des liaisons transocéaniques voient leur chiffre d’affaires futur directement concerné ; il en est de même pour les compagnies qui exploitent des lignes intérieures dans la mesure où elles alimentent les lignes affectées aux courriers supersoniques.

La réalisation du projet TSS américain a suscité évidemment, au sein des compagnies aériennes, quelques inquiétudes, dues notamment aux progrès accomplis dans le cadre des programmes de construction du Sud-Aviation/BAC Concorde et du Tupolev Tu-144. La compétition étant ce qu’elle est, les compagnies aériennes devront nécessairement se tourner vers le transport supersonique.

La rentabilité de l’exploitation du courrier supersonique américain a été une autre source d’inquiétude, et dans ce domaine, seules la foi et l’espérance nous ont permis, quelque temps, de progresser .Nous savions que l’appareil, grâce à sa vitesse attirerait une certaine clientèle et avions bon espoir que ses coûts d’exploitation approcheraient de ceux du Boeing 707 et du Douglas DC 8, voire même du Boeing 747 Nous savions qu’il y aurait beaucoup à faire, mais, dans le cas d’un prototype, on peut s’attendre à des améliorations à mesure qu’avancent les travaux de mise au point.

Nous avons procédé ensuite à une analyse détaillée des coûts d’exploitation, question qui revêt pour Boeing et General Electric une grande importance, ces deux firmes ayant engagé environ 285 millions de dollars pour le seul programme de construction des prototypes.
L’an dernier a été effectuée une étude complète d’exploitation simulée de lignes TSS dans les années 1980. Cette étude conduisit à une décomposition très complexe des coûts d’exploitation et de l’effet de leur progression dans le temps. Les conclusions de cette étude sont instructives et très encourageantes.

A l’origine, la comparaison entre le courrier supersonique américain et les appareils à réaction subsoniques se faisaient en termes de coûts directs d’exploitation et à des taux actuels. Sur cette base, en grande partie à cause de sa consommation de carburant plus élevée, le courrier supersonique américain arrivait à peine au niveau du Boeing 707-320B et assez loin derrière le Boeing 747.

Mais, toujours en gardant les taux de 1969, si l’on fait la comparaison plutôt sur la base des coûts totaux d’exploitation que sur celle des coûts directs, alors le courrier supersonique américain devance nettement le Boeing 707 et arrive presque à se hisser au niveau du Boeing 747. Ceci provient du fait que certains éléments des coûts relatifs aux services au sol et des frais généraux, qui interviennent dans le total, tire avantage du meilleur rendement du courrier supersonique américain exprimé en sièges-kilomètres à l’heure. Le Boeing 2707-300 a une taille représentant les deux tiers de celle du Boeing 747 et vole trois fois plus vite. Son rendement est donc deux fois plus élevé que celui du Boeing 747 et quatre fois et demie plus élevé que celui du Boeing 707 ou Douglas DC-8.

En extrapolant un peu, nous trouvons que l’avantage du meilleur rendement du courrier supersonique américain devient chaque année plus important, à mesure que la rémunération du travail augmente. Pour un avion rapide l’effet des fluctuations de salaire est moindre que pour un avion lent. Par exemple, même en cas de versement d’une prime, la productivité des membres de l’équipage d’un avion rapide est meilleure. En contrepartie, les avions rapides consomment plus de carburant : on pourrait donc dire qu’ils en subissent
davantage les variations de prix. Mais l’orientation de l’inflation est telle que le prix du kérosène – qui est fondamentalement une matière première – n’a pas augmenté aussi vite que les salaires.
Dans cette étude, l’extrapolation a été faite séparément pour chaque élément du coût total à son taux moyen d’accroissement des dix années écoulées. Aussi, les frais d’équipage ont été augmentés à un taux de 7,5% ce qui correspond à la moyenne des dix dernières années, et les autres salaires, à 4,5%. Le taux d’accroissement choisi pour le carburant, 0,5% par an, est conforme à l’augmentation générale des matières premières, bien que le prix du carburant d’aviation ait diminué dans les dix dernières années.

Il en résulte que, en 1978, qui est la date prévue de mise en service du courrier supersonique américain, son coût d’exploitation total par mille parcouru et par siège disponible arrive à peu près à égalité avec celui du Boeing 747 dans sa version économique à 440 places – à moins d’un dixième de cent US près. Dans les années 80, un plus grand nombre de courriers supersoniques devraient être en service et leurs coûts totaux d’exploitation devraient, selon les estimations, correspondre pratiquement à ceux du Boeing 747. Au-delà des dernières années de la décennie considérée, le Boeing 2707-300 pourrait s’avérer plus rentable que le Boeing 747. Une fois de plus, comme nous l’avons déjà vu dans l’histoire du transport, une amélioration de productivité s’insère dans le développement général au moment même où elle devient nécessaire.

En outre, pendant les premières années de leur exploitation, les courriers supersoniques américains devraient connaître des coefficients de remplissage très intéressants, par suite d’une offre faible face à une demande élevée, comme ce fut le cas au début du transport commercial à réaction. Si l’on met l’accent sur cette meilleure chance de profit pendant les premières années, le courrier supersonique américain se présente, sur le plan de la rentabilité, comme devant être compétitif avec le Boeing 747 pendant toute la durée de son exploitation.
Notons que cette étude est fondée sur les mêmes tarifs que ceux qui sont pratiqués pour le transport de passagers à bord des appareils subsoniques sans aucun supplément.