La nécessité d’une simulation de plus en plus complète des conditions de vol des avions est apparue indispensable à mesure que croissaient leur tonnage et leurs performances, la complexité de leur construction et de leur mise en œuvre, le prix de plus en plus élevé des heures de vol d’essais ou d’entrainement.

Répondant à l’origine au seul souci d’entraînement des équipages, par la reconstitution au sol des postes de pilotage des appareils qu’ils étaient appelés à mettre en œuvre et par simulation plus ou moins approchée des conditions de vol, les simulateurs deviennent à l’heure actuelle, grâce à l’emploi des techniques de traitement de l’information, de précieux instruments de recherche au stade de la définition des appareils en cours d’étude, et même de véritables bancs d’essais des commandes de vol et des systèmes associés, économisant ainsi de nombreuses et coûteuses heures de vol des prototypes.

C’est ainsi que tous les avions modernes ont bénéficié de cette technique pour leur mise au point : Boeing 707, DC-8, Trident, Caravelle, VC-10, etc… On peut citer par exemple le banc des commandes de vol de Caravelle utilisé pour la simulation et la mise au point de l’atterrissage automatique.

L’analyse des qualités de vol de Concorde, ainsi que la définition et la mise au point des systèmes de pilotage d’un tel avion ont conduit à un développement considérable de l’emploi de simulateurs sans cesse perfectionnées.

Constitués à l’origine par un poste de pilotage sommairement aménagé et associé à des éléments de calcul analogique fournissant une représentation acceptable de la mécanique du vol dans des cas de vols typiques, les premiers simulateurs utilisés par la BAC à Filton et par Sud-Aviation à Courbevoie ont permis de dégrossir l’étude des qualités de vol et des moyens de pilotage en fonction de la formule de l’avion et des mesures aérodynamiques effectuées en soufflerie dans tout le domaine des vitesses.

Ces simulateurs ne pouvaient plus donner de renseignements assez précis pour la définition détaillée des systèmes de pilotage. Ils furent perfectionnés par l’incorporation d’éléments de commandes de vol représentatifs de l’avion bien que sommairement réalisés. D’autre part, pour obtenir une meilleure représentation des caractéristiques aérodynamiques et des qualités de contrôle automatique, le vol fut divisé en ses différentes phases : décollage, montée, croisière, descente et atterrissage, ce qui permit leur étude détaillée. De plus, un poste moniteur permit de contrôler et de diriger le vol en cours de simulation, d’introduire des pannes de réacteur et du système automatique de contrôle de vol, ainsi que les vents traversiers et les turbulences atmosphériques.

Ainsi perfectionnés, ces simulateurs ont permis d’étudier, entre autres, les déplacements et les charges, les organes de pilotage, les limites de déplacement du centre de gravité, les caractéristiques du système de stabilisation et de l’automanette.

On voit à quel point le rôle de ces simulateurs diffère de celui des simulateurs utilisés par les compagnies aériennes pour l’entraînement des équipages. En effet, au lieu de cristalliser les caractéristiques d’un avion connu, il s’agit ici de disposer d’un outil de travail susceptible de s’adapter à toutes les variantes du projet au cours des différentes phases de la définition, de la réalisation et de la mise au point de l’appareil.

Il n’est donc pas surprenant que soit apparue, à mesure de l’avancement du projet Concorde, la nécessité d’une simulation encore plus complète pour permettre l’étude détaillée et l’optimisation des systèmes de l’avion et tout spécialement des commandes de vol et des équipements associés, systèmes d’efforts artificiels, autopilote, stabilisateurs, autotrim, automanette, centrales anémométriques, etc… Cette orientation dans le détail s’était d’ailleurs manifestée dès le stade initial à cause du haut degré d’intégration de ces équipements dont les fonctions ne peuvent pas être étudiées isolément.

C’es pourquoi le laboratoire de Toulouse vient d’être équipé d’un nouveau simulateur de vol dont la réalisation a été confiée à la Société « Le Matériel Téléphonique* associée à la Société *Redifon“ et qui est entré en service au cours du mois de juin 1966. Ce simulateur permet d’aborder les essais en vol des prototypes avec le maximum de sécurité et de trouver la définition du poste de pilotage des avions de série dans un délai compatible avec le démarrage de la production. De plus, il doit alléger sensiblement le programme des essais en vol des prototypes.

La réalisation de ce simulateur a été possible grâce à l’utilisation des techniques de pointe dans tous les secteurs intéressés : calculateurs, télévision, optique, asservissement électrohydrauliques.

Le simulateur comporte un poste de pilotage entièrement équipé, monté sur une plate forme mobile à trois degrés de liberté, (pouvant se mouvoir dans toutes les directions (AV, AR, Droite, Gauche, Haut ? Bas) et muni d’un système de restitution visuelle, de façon à obtenir une représentation intérieures exacte du cockpit et de ses installations dans des conditions mécaniques, fonctionnelles, climatiques, sonores et visuelles les plus représentatives de la réalité.

A ce poste de pilotage il est possible de connecter une représentation fonctionnelle complète des circuits de commande de vol et des équipements associés, fournie par le banc d’essais en cours de téalisation au laboratoire de Toulouse pour la mise au point technologique de ces systèmes.

Complétant ces deux ensembles, une simulation aussi réaliste que possible du comportement de l’avion en vol est obtenue par un ensemble d’organes de calcul fonctionnant en temps réel, qui détermine la réponse interne et externe de l’avion aux actions de l’équipage et élabore les données nécessaires aux deux azuytres ensembles.

Les organes de calcul comprennent essentiellement un calculateur analogique qui analyse les actions de l’équipage sur les commandes de vol et transmet ses informations à un système qui élabore et distribue ls données nécessaires au fonctionnement des différents systèmes de restitution au poste de pilotage où l’équipage reçoit ainsi les réponses à ses manœuvres. Un poste moniteur peut envoyer directement ses calculatrices des éléments de simulation d’incidents qui sont ainsi répercutés au poste de pilotage en fonction des conditions du vol en cours. Enfin, il est prévu une entrée directe d’une signalisation extérieure, celle de l’ATEC d’Orly  (*) par exemple pour l’étude en vraie grandeur des missions telles que l’approche et l’atterrissage.

(*) ATC : Air Trafic Control. Organisme qui coordonne les mouvements des avions dans la zone contrôlée par Orly.

Ainsi le simulateur de Toulouse va permettre d’approcher au plus près la configuration de l’avion avant le premier vol, et de procéder à des études poussées de ses caractéristiques de stabilité d’amortissement et de réponse. Il permettra ensuite une préparation et un contrôle très réalistes de chaque vol d’essai, et l’exploitation continue des enseignements recueillis, assurant par là aux vols d’essais des prototypes le maximum d’efficacité dans une meilleure économie.

Il permettra également la vérification du fonctionnement réel de tous les organes dans des conditions se rapprochant des conditions opérationnelles, l’étude et la définition des procédures de vol et de manœuvre au sol.

D’autre part, le simulateur servira à la familiarisation des équipages d’essais en vol avec l’appareil et à la mise au point des nouveaux équipements et instruments. En particulier, et pour répondre à un souci des compagnies aériennes, il permettra de vérifier que la conduite de l’appareil est compatible avec l’habileté des équipages de ligne des avions modernes actuels, et d’évaluer la contribution demandée à chacun des membres de l’équipage en vue de la maintenir dans des limites raisonnables compte tenu de tous les facteurs d’environnement auxquels il sera soumis. Il ne faut pas oublier en effet que la complexité d’un tel appareil exige une certaine automatisation pour alléger la tâche de l’équipage ; l’automatisation elle-même implique une complexité supplémentaire dont il faut tenir compte dans la recherche du compromis indispensable

Enfin, il faut savoir que, parallèlement à la réalisation du simulateur au sol du Laboratoire de Toulouse, un simulateur volant constitué par un Mirage III B équipé spécialement à cet effet a été mis récemment à la disposition des pilots d’essais du Concorde. Cet appareil, dit à stabilité variable est un appareil de série dont les commandes de vol ont reçu certaines modifications qui permettent, à travers des dispositifs électroniques appropriés – en particulier un système de restitution d’efforts artificiels électrohydraulique et une calculatrice d’ordres de gouvernes – de simuler un grand nombre de configuration de vol et de manœuvre. On peu dire, en somme, que pour un cas de vol déterminé, tout se passe pour le pilote comme s’il pilotait réellement Concorde.

Ce simulateur volant, qui est mis en œuvre par le CEV à Istres et à bord duquel les pilotes de Sud-Aviation ont déjà effectué plusieurs campagnes d’essais, servira en premier lieu à vérifier les résultats de la simulation au sol et à la compléter dans les cas ou les mouvements et l’environnement de l’avion sont des paramètres importants de la simulation ; il permettra d’autre part de compléter la mise au point des méthodes d’essais, notamment de la mesure des coefficients aérodynamiques de Concorde.

Ainsi pour la première fois dans le domaine de la construction aéronautique une part aussi importante des études et des essais d’un avion nouveau est traitée par l’emploi de la simulation la plus poussée, au sol comme en vol. Les avantages que l’on peut attendre de cette technique innovée par Sud-Aviation et BAC sont tels qu’ils justifient l’effort important consacré à sa mise au point ; on peut citer en particulier : l’accroissement des possibilités d’études et d’optimisation grâce à l’examen préalable d’un plus grand nombre de solutions aux divers problèmes à résoudre, une sécurité accrue pour aborder les essais en vol, la diminution notable du nombre des vols d’essais qui auraient été nécessaires sans simulateur et l’augmentation de leur efficacité en vue de la mise au point des prototypes et, en définitive, une meilleure économie générale dans la réalisation du projet « Concorde”.