Article de Jacques MORISSET

Le mois d’août a été très encourageant en ce qui concerne le développement du programme Concorde. Le mois de juillet avait déjà vu se dérouler, entre autres, les essais préliminaires de fonctionnement du train principal dans le hangar de Saint Martin du Touch, et la mise en place des quatre moteurs de vol Olympus 593 B au standard C.S 1 de 13,8 tonnes de poussée statique, réchauffe en fonctionnement

Essais préliminaires de fonctionnement du train principal, construit par Hispano-Suiza prise le 10 juillet

Mise en place (12 juillet) du premier moteur Olympus B « bon de vol”.

L’appareil se rend sur l’aire de point fixe : on remarque (sur la dérive) les bandes de protection contre l’ambiance sonore.

L’appareil se rend sur l’aire de point fixe : on remarque (sur la dérive) les bandes de protection contre l’ambiance sonore.
Du 2 au 5 août, l’appareil sortait d’atelier pour une série de points fixes, au cours desquels un contrôle successif des quatre moteurs était effectué, réchauffe incluse. Ces essais, satisfaisants, permettaient une vérification générale du fonctionnement des moteurs, et des nacelles motrices (caractérisées, rappelons-le, par un système complexe de circulation de l’air additionnel, d’inversion de poussée et de réduction du niveau sonore).

La barrière d’arrêt, dont le filet en nylon, étudié par Aérazur, a 65 mètres de long et 9 mètres de hauteur ; elle se relève, par télécommande, en moins de 3 secondes.

Essais de freinage avec parachute ; ce dernier permet de soulager les freins de roues dont les essais ont été particulièrement sévères.

Le train avant Messier ; l’échelle d’accès donne une idée de la hauteur record à laquelle se trouve le poste de pilotage.

Le 20 août, André Turcat commençait officiellement les essais de roulage sur la nouvelle piste (longue de 3500 mètres) de Toulouse-Blagnac. La veille, en début de soirée, l’appareil avait déjà parcouru quelque 250 mètres à très faible vitesse, sous la seule poussée de ses turboréacteurs, mais il s’agissait simplement pour le Directeur des Essais en Vol de Sud Aviation de ramener l’appareil au hangar tout en contrôlant le réglage des freins.
Le 20 août donc, à 10h35, en présence de nombreux journalistes et personnalités du monde aéronautique, le prototype 001 de Concorde effectuait un premier essai de roulement jusqu’à 60 km, avec à bord André Turcat, Jacques Guignard (copilote), Henri Perrier (ingénieur navigant), Brian Trubshaw, chef des Essais en Vol de la British Aircraft Corporation, qui fera voler le prototype 002, était également à bord.
Après avoir fait manoeuvrer l’appareil, André Turcat déclara que tout se déroulait dans les meilleures conditions, que les moteurs fonctionnaient correctement, et que la manoeuvre de l’appareil au sol (freinage et orientation du train avant) était tout à fait normale. Après une présentation à la barrière d’arrêts, Concorde 001 parcourait ensuite toute la piste atteignant 100 km/h environ.

110 tonnes à 220 km/h

Pour ces essais préliminaires, l’appareil transportait 21 tonnes de carburant et son poids total atteignait 110 tonnes : il était donc déjà à son poids de décollage, tout au moins celui qu’il atteindra lors des premiers vols (1)
On notait également la déclaration de Brian Trubshaw, selon laquelle ”il n’y avait pas eu le moindre problème », et celle du Général Calmel, Directeur des Relations Extérieures de Sud Aviation, qui rappelait qu’il n’y avait pas un prototype français (001) et un prototype britannique (002), mais deux prototypes franco-britannique réalisés dans un esprit de parfaite coopération. De toute évidence, la légère tension qui était apparue il y a trois mois, lorsque la presse britannique laissait entendre que le prototype 002 pourrait bien voler à Filton avant le prototype 001, semble avoir disparu : les retards issus des évènements de mai à juin derniers ont été en partie résorbés ; Brian Trubshaw a d’ailleurs précisé à Toulouse que le prototype 002 sortirait ce mois-ci de l’usine de Filton afin de commencer ses premiers essais au point fixe.
Le 28 août, comme prévu, prenait fin la campagne d’essais de roulage annoncée le 20 août. Dix-huit essais avaient eu lieu, donc neuf à 100 noeuds, soit 222 km/h. Ces essais ont comporté diverses expériences sur les moyens de freinage (freins sur roues, parachute de queue, reverse des moteurs) ainsi que des vérifications de tenue avec des pannes simulées sur sol sec et mouillé.
« Ces essais ont fourni de très utiles enseignements pour la mise au point de l’appareil”, précisait le communiqué des constructeurs de l’avion ”ils ont montré une bonne tenue au sol et une manoeuvrabilité satisfaisante qui permet de bien augurer de l’insertion de l’avion dans les zones encombrées des grands aéroports modernes. L’avion rentre maintenant en atelier pour subir un certain nombre de travaux figurant au programme, et préalables aux essais en vol. La Presse aura connaissance dans la dernière quinzaine de septembre des dernières informations concernant la date du premier vol”.
Bien entendu, cette phase d’expérimentation, s’est déroulée en complète coopération entre les représentants des industries françaises et britanniques : équipages, techniciens de la BAC et de Sud Aviation, spécialistes des équipements, moteurs, train d’atterrissage et freins. A noter Sir George Edwards, Président de la BAC et Henri Ziegler, Président de Sud Aviation, avaient assisté personnellement à certains des essais.

Premier vol avant le 10 novembre ?

Bien entendu, le premier sujet des conversations ayant trait à Concorde reste celui du premier vol. On peut cependant raisonnablement estimer que huit à neuf semaines peuvent être nécessaires non seulement à la préparation finale et à vérification complète de l’appareil (en particulier les commandes de vol, dont les essais sur le grand banc de simulation de Toulouse se sont déroulés avec un décalage appréciable par rapport au programme initial), mais aussi au dépouillement des enregistrements effectués lors des essais de roulement : Concorde 001, rappelons-le, emporte en effet quelque treize tonnes de matériel électronique d’enregistrement, et le dépouillement des mesures déjà faites constitue à lui seul un travail important, malgré l’utilisation de l’ensemble électronique de dépouillement automatique déjà maintenant opérationnel.
Bien que la fourchette prévue pour ce premier vol soit assez large (elle engloberait la dernière quinzaine d’octobre et la première quinzaine de novembre) il semble maintenant probable que le premier vol se déroule entre le 1er et le 10 novembre. Cette estimation, non officielle, date de la mi-août : sans doute disposera-t-on d’informations plus certaines lors de la prochaine conférence de presse du Président de Sud Aviation.
(1) Rappelons que le premier vol durera environ 45 minutes et s’effectuera à basse vitesse ‘250 noeuds, soit 460 km/h) trains et volets sortis, nez basculant en position basse. La vitesse de décollage, à 10 tonnes sera inférieure à 300 km/h.

Combien de Concorde seront-ils vendus ?

La rentabilité du programme Concorde reste le souci de tous ceux qui, à des titres divers, sont responsables du développement de l’opération, et de la commercialisation de l’appareil. Il est évident que le nombre d’appareils vendus sera un facteur décisif : pour le moment, les compagnies qui ne sont pas encore décidées vont attendre les résultats des essais en vol supersonique prolongé à Mach 2, résultats qui ne seront guère disponibles que 8 à 10 mois après le premier vol. Il risque alors d’y avoir une flambée de décisions car, compte tenu du retard américain (le SST ne sera pas mis en service avant 1977/1978, c’est-à-dire six ans après Concorde), les compagnies n’ont plus le choix entre Concorde et le SST, mais entre Concorde et rien, (le Tupolev Tu-144 mis à part).
En se basant sur les options actuellement enregistrées (74), et sur un premier vol avant la fin de l’année, le calendrier suivant est prévu : sept appareils disponibles au moment de la certification (troisième trimestre 1971) ; cadence de production atteignant progressivement trois avions par mois vers la mi-1973 ; 50 avions livrés à la fin de 1973. Possibilité de doubler la cadence de production, soit trois avions par mois chez SUD et trois à la BAC.
Le prix affiché de Concorde est actuellement de 19,4 millions de dollars (97 millions de Francs). Le « Direct Operation Cost » (DOC) au passager-kilomètre sera nettement plus élevé (40%) que celui des quadriréacteurs actuels, genre DC-8-60. Mais les frais fixes seront par contre beaucoup plus proches ; aussi le coût final au km/passager sera-t-il simplement plus élevé de 25% : valeurs très acceptable, surtout si, comme c’est très probable, le coefficient de remplissage, tout au moins dans les premières années, se révèle plus important que celui des avions géants, plus difficile à remplir.

Aussi le nombre total d’appareils dont la vente est raisonnablement espérée sera-t-il probablement supérieur à 200, peut-être même à 250. A ce niveau, estime-t-on, Outre-Manche. Il sera possible pour les gouvernements britannique et français de récupérer une part appréciable des investissements consentis.