LES PROBLÈMES POSES  PAR LA MISE EN SERVICE DE L’AVIATION DE TRANSPORT SUPERSONIQUE

  Exposé de Monsieur le Général PUGET

A L’INTERNATIONAL UNION OF AVIATION INSURERS

Le 26 Septembre 1963 à Juan les Pins

 

LE SUPERSONIQUE ET SES PROBLEMES

                1 – PERSPECTIVES

  • Sens de l’histoire

                2 – LE SUPERSONIQUE A L’ORDRE DU JOUR

  • Désirs des passagers
  • Vitesse facteur d’économie
  • Progression des vitesses
  • Heure de la décision
  • Impératifs
  • Sécurité

                3 – CHOIX ESSENTIELS

  • Saut obligatoire au-delà de Mach 1,8
  • Limitation à Mach 2,2
  • Créneau bien choisi

                4 – PROBLEMES TECHNIQUES

  • Aérodynamique
  • Bruit au sol
  • Bang sonique
  • Vol en altitude
  • Certificats de Navigabilité

                5 – PROBLEMES INDUSTRIELS ET FINANCIERS

  • Dimensions du projet
  • Collaboration franco-britannique
  • Programme
  • Compagnies Aériennes
  • Premières commandes

                6 – CONCLUSION

  • Supersonique à portée
  • Œuvre d’ensemble
  • Optimisme

Général Puget : “Je suis flatté de l’honneur qui m’est fait d’avoir à vous entretenir aujourd’hui du Transport Supersonique et de ses problèmes« .

1 – PERSPECTIVES

Sens de l’histoire

Responsables des destinées des plus grandes compagnies d’assurances mondiales, vous êtes naturellement enclins à scruter le sens de l’histoire et les tendances de la transformation irréversible du monde économique. Vous demeurez attentifs à tous les indices qui peuvent présager les orientations nouvelles ou l’imminence de nouveaux accomplissements.

Parmi ceux-ci, les progrès de la technique se classent en premier plan, tout particulièrement lorsqu’ils intéressent le développement des transports dont on sait qu’il a été, dans les siècles passés, le facteur le plus actif de l’évolution de la civilisation.

Après la période d’exploitation du monde, l’introduction de l’énergie mécanique a multiplié les capacités de transport de masse, condition nécessaire de l’industrialisation.

Mais les distances, et surtout le temps qu’il fallait pour les parcourir, constituaient toujours une entrave dont seule l’aviation commerciale a entrepris plus récemment de s’affranchir, pour assurer aux hommes une iniquité sur laquelle se fondent déjà de nouvelles structures économiques.

2 – LE SUPERSONIQUE A L’ORDRE DU JOUR

C’est dans l’histoire de cette nouvelle conquête que doit s’inscrire le transport supersonique destiné à parfaire les résultats déjà acquis et à niveler les durées des liaisons les plus lointaines.

Ainsi une dizaine d’années après la révolution des “jets”, qui a déjà réduit de moitié les temps de vols pratiqués durant la période précédente, l’avion supersonique “Concorde » se propose, avec des vitesses de l’ordre de 2400 km/h, de mettre New York, par exemple, à près de 3 heures de Paris.

On s’accoutume au merveilleux. Mais, même après les exploits récents des astronautes, comment ne pas s’extasier de trouver, à portée de la main, si j’ose dire, la possibilité de faire traverser l’Atlantique en si peu de temps par des centaines de passagers, qui trouveront bientôt cela tout naturel.

Compte tenu d’un arrêt d’une heure à chaque escale, il faudra théoriquement 8 heures à l’avion pour se retrouver prêt au départ après un aller et retour, et l’on imagine déjà l’homme d’affaires pressé effectuant ce voyage dans sa journée, en l’espace de 15 heures avec un séjour de 9 heures utilement employées à destination.

Désirs des passagers

On a pu railler cet homme pressé et mettre en doute l’utilité réelle de ses déplacements éclairs, dire aussi que les progrès des télécommunications permettraient aisément d’en faire l’économie. C’est faire fi de la valeur transcendante du contact humain.

L’expérience personnelle, je puis vous dire qu’on ne négocie pas par téléphone, pas plus qu’on ne résout un malentendu, et que les rapports les plus détaillés ne suppléent pas aux inspections. De sorte que le rôle des télécommunications se borne à des préparations et à l’exploitation des visites personnelles, à leurs prolongements de routine enfin, ce qui n’est pas, loin de là, en diminuer l’importance et l’efficacité.

En un mot, derrière ces visites éclairs, ce profile la possibilité d’une extension considérable des relations économiques et la création des structures nouvelles auxquelles je faisais tout à l’heure allusion.

A la faveur de celles-ci, on peut ajouter que de véritables migrations s’organisent. Je ne pense pas ici qu’aux déplacements touristiques, mais par exemple aux échanges de personnels spécialistes permanents ou temporaires, aux étudiants, aux congressistes qui, venus de toutes les parties du monde, éprouvent, comme vous-même, la nécessité de confronter leurs réflexions, à toutes ces relations culturelles, administratives, commerciales et industrielles, destinées à faciliter le brassage qui sera vraisemblablement la caractéristique du monde de demain.

Par contre, les autres frais de mise en œuvre de l’avion, frais d’équipages, frais d’amortissement et d’entretien, assurances, sont à peu près proportionnels aux temps de vol, de sorte que plus on parcourt de kilomètres dans l’unité de temps et plus le prix du kilomètres est bas.

Pour les avions à réaction pure, comme la Caravelle ou le Boeing 707, les consommations par kilomètre-passagers, qui sont en relation avec un rendement de propulsion variable avec la vitesse, se trouvent en nette augmentation par rapport à celles de la génération précédente. Je m’empresse de préciser toutefois que ces consommations ne sont pas exorbitantes : la Caravelle en vol de croisière consomme environ 1 kg de carburant pour parcourir 300 mètres, ce qui, rapporté au siège en équipement touriste, donne environ 40 grammes par kilomètre. Sur une voiture de tourisme moyenne, la consommation est de l’ordre de 80 grammes par kilomètre, ca qui, rapporté au siège, donne 20 grammes, soit la moitié du chiffre de la Caravelle, avec cette précision supplémentaire qu’il s’agit, dans ce dernier cas, de pétrole dont le prix est environ moitié de celui de l’essence.

Quoi qu’il en soit, le bilan des frais, dans lesquels les consommations représentent environ 30% du total, est encore favorable, puisque ces avions à réaction ont permis de réduire d’environ 20% les prix de revient d’exploitation.

Tout ceci explique qu’au total, tandis que les vitesses de vol passaient de 200 km à l’heure à 900 km à l’heure entre 1930 et 1960, les dépenses directes d’exploitation rapportées au kilomètre-passager se soient réduites de moitié. Elles étaient en fait de l’ordre de 4 à 5% en 1960 contre 7 à 9 Francs en 1930.

La recherche des grandes vitesses n’est donc pas une fantaisie des ingénieurs tentés par l’attrait technique d’un problème, mais bien un impératif pour l’économiste désireux d’abaisser ses prix de revient.

Progressions des vitesses

Il n’est donc pas surprenant que, dans le passé, la vitesse des avions de transport civil ait toujours suivi d’aussi près que possible la courbe des progrès réalisés par les avions expérimentaux et les avions militaires.

Aujourd’hui, le vol à Mach 2,2 est devenu chose courante en Angleterre comme en France, et le moment est venu de transposer cette expérience dans le domaine civil pour obtenir une nouvelle progression de la productivité. En réalisant cette vitesse en 1970, notre Concorde s’inscrira à sa place sur la courbe qui marque, parallèlement à celle des records mondiaux de vitesse pure, la tendance de l’accroissement continu des vitesses de croisière des avions de transport civil.

En fait, si nous remontons à quelques années en arrière, dès que les avions expérimentaux et les avions militaires ont pu, après une longue bataille, franchir nettement la barrière du son et aborder des nombres de Mach voisins de 2, l’idée de réaliser un avion de transport civil supersonique a cessé de faire partie des anticipations lointaines, pour donner lieu à un examen et à des recherches plus précises.

Tandis que débutait, avec le Durandal et le Trident, l’expérience du vol supersonique, qui devait se poursuivre en France avec le Griffon de Nord Aviation et les Mirage III et Mirage IV de Marcel Dassault, les Services Officiels Français, songeant aux possibilités de progrès que ces vitesses pourraient apporter dans le domaine civil, ce sont orientés vers l’étude des problèmes correspondants.

A la même époque, 1956, le Gouvernement Britannique créait un Comité d’Etudes, chargé d’importantes recherches aérodynamiques et structurales, en vue d’évaluer l’étendue du projet.

De son côté, l’industrie américaine s’engageait dans la même voie, à la faveur de programmes militaires importants.

L’heure de la décision

C’est ainsi que, très rapidement, s’établissait, dans le monde de la construction aéronautique, la conviction que la réalisation d’un TSS spécialisée commençait à publier de nombreuses communications sur le sujet.

Celui-ci prenait donc un caractère d’actualité, au moment où, précisément, l’utilisation des avions de transport à réaction se généralisait sur les lignes aériennes avec un succès incontestable, mais qui avait néanmoins demandé aux Compagnies Aériennes et aux Directions des Aéroports un effort considérable d’adaptation, et cela particulièrement sur le plan financier.

Face à l’imminence d’un nouvel effort à fournir, encore plus important que le précédent, ces utilisateurs entendaient s’y préparer avec méthode, et ménager les y=transitions afin d’éviter d’être pris au dépourvu devant des problèmes nouveaux insuffisamment résolus.

Pour éclaircir la situation, l’OACI entreprenait donc, dès 1959, une enquête très complète sur les répercussions techniques, économiques et sociales de la mise en service d’avions commerciaux supersoniques et concluait, en 1960, qu’il était effectivement possible de construire un avion Mach 2 vers 1967, ou un avion Mach 3 vers 1970, mais que, en pratique, la mise en service de ces avions ne saurait être envisagée avant 1970.Impératifs

En même temps qu’elle donnait un aperçu des principales conceptions techniques en présence, l’étude de l’OACI dressait en effet l’inventaire des questions nouvelles auxquelles des solutions devraient être trouvées, et dégageaient, à leur sujet, un certain nombre d’impératifs d’ordre économique et social.

Plus récemment, l’IATA d’une part et l’IFALPA d’autre part étaient amenés à prendre publiquement position, et à faire connaître leurs préoccupations et leur avis sur les conditions indispensables à remplir pour tout avion supersonique destiné au transport commercial.

Ainsi se précisait, par la contribution positive de chacun, la perspective suivant laquelle devrait se développer un avion supersonique viable et offrant, au regard des difficultés signalées, toutes les garanties de sécurité et d’efficacité, avec la possibilité de s’intégrer normalement dans le système existant.

Sécurité

Nous nous arrêtons un instant, si vous le voulez bien, sur le sujet de la sécurité du transport dont le niveau doit, de l’avis unanime, être au moins égal à celui qui est actuellement obtenu sur les lignes aériennes.

Mais qu’entend-on par là ? En d’autres termes, comment apprécie-t-on le niveau de sécurité ?

Depuis sa fondation, l’OACI s’est imposé la tâche de réunir, pour les lignes régulières soumises à sa juridiction, les éléments d’une statistique annuelle du taux de la mortalité des passagers par unité de trafic, celle-ci étant choisie égale à cent millions de passagers-kilomètres.

De 1945 à 1953, ce taux s’est rapidement abaissé de 3 à moins de 1. Il continue depuis à décroître régulièrement pour s’établir au voisinage de 0,60 en 1962. Progrès remarquable si l’on s’en tient à ce seul critère ! Mais, si l’on se rapporte aux chiffres absolus, il y a eu 27 accidents et 551 victimes en 1950, 28 accidents et 765 victimes en 1962.

Ainsi le nombre d’accident est resté pratiquement le même, les victimes sont plus nombreuses parce que les avions sont plus grands, mais le taux de mortalité a été divisé par 3, de 1,8 à 0,6, parce que, entre temps, le trafic s’est multiplié par 4.

Ceci montre à l’évidence que le trafic étant encore appelé à croître dans les prochaines années, on ne peut se contenter d’une stabilisation aux valeurs actuelles du taux de mortalité qu’il faudra donc encore s’attacher à réduire.

Sans épiloguer davantage sur ces considérations que je laisse à vos réflexions, je voudrais signaler une autre objection des techniciens à l’égard du critère fourni par le taux de mortalité rapporté au trafic.

Si l’on classe les accidents graves suivant la phase de vol au cours duquel ils se sont produits, on trouve, pour la période 1959-1962, que 55% d’entre eux sont intervenus pendant l’approche ou l’atterrissage, 30% au décollage et 15% seulement en croisière.

Les périodes critiques du vol se réduisent ainsi presque uniquement au décollage et à l’atterrissage, et la longueur ou la durée de la croisière qui les sépare ne joue plus qu’un rôle minime au point de vue du risque.

On ajouter à cela que l’étude des phénomènes de fatigue mécanique ou thermique des structures nous a accoutumés à chiffrer cette fatigue au nombre des cycles de changement ou de mise en température, qui se produisent en principe une fois par vol, et que cette notion s’étend également à la sécurité de fonctionnement de bon nombre des équipements.

Il serait donc plus judicieux de rapporter le nombre des catastrophes et celui des victimes au nombre des vols effectués, c’est-à-dire au nombre des décollages et des atterrissages en exploitation, plutôt qu’au trafic produit ou aux heures de vol cumulées. Faute d’éléments statistiques adéquates, il est très difficile, à l’heure actuelle, d’obtenir des bases suffisamment larges et prolongées pour effectuer des analyses significatives à partir de cette nouvelle conception de l’unité de risque. On peut simplement souhaiter que son emploi se généralise dans les statistiques mondiales pour fournir dans quelques années un ensemble suffisamment vaste de données incontestables.

Tout au plus, peut-on dire aujourd’hui que les tentatives d’analyse effectuées sur la période de 1959 à 1962 semblent confirmer la position favorable des avions à réaction vis à vid des avions à hélices, dus notamment à la régularité de fonctionnement des réacteurs, et à la diminution du risque due à la navigation à plus haute altitude.

En fait, le facteur le plus efficace de l’accroissement de la sécurité aérienne au cours de ces dernières années est le sérieux avec lequel ont été conduites par la profession, les études de tous les risques encourus, grâce auxquelles nos connaissances ne cessent de s‘élargir et de se traduire en progrès techniques, et la rigueur avec laquelle les règles de l’art ainsi dégagées ont été introduites dans les règlements de navigabilité.

Il va sans dire que les responsables du projet TSS Concorde sont les premiers convaincus de l’importance de ces questions qui, nettement posées à l’origine, ont été déterminantes dans le choix des principales dispositions adoptées pour la définition de l’avion, et dans la détermination des programmes d’essais au sol et en vol de la structure et des équipements.

3 – CHOIX INDUSTRIELS

C’est ainsi que je suis amené à vous entretenir maintenant de la nature des problèmes posés par le vol supersonique et des solutions qui peuvent leur être données.

Saut obligatoire au-delà de Mach 1,8

A l’origine, se rencontrent plusieurs phénomènes relatifs à la résistance de l’air. On sait en effet qu’au voisinage de la vitesse du son, la résistance de frottement que l’air oppose au mouvement de l’avion se double d’une résistance de compression en même temps que se forme un sillage conique, l’onde de choc par ailleurs responsable du bang sonique.

Même réduite par l’adoption de forme très effilée et d’ailes en delta, cette traînée supplémentaire réduit d’un peu plus de la moitié la finesse aérodynamique, et exige par conséquent des réacteurs une poussée plus que doublée. On conçoit facilement que ce phénomène ait longtemps constitué une barrière infranchissable que l’on a appelée le mur du son.

Par bonheur, l’efficacité propulsive des réacteurs augmente continûment avec la vitesse, et l’on conçoit également qu’à condition de voler suffisamment vite le gain que l’on peut obtenir de ce fait arrive à compenser la perte brutale qui affecte la finesse aérodynamique, et permette de retrouver des conditions économiques acceptables.

En pratique, les calculs montrent que la zone allant de 1 fois à 1,8 fois la vitesse du son n’est pas intéressante, mais que l’on trouve au-delà des possibilités d’autant plus favorables que la vitesse est plus grande.

C’est ce qui explique que, pour la première fois dans l’histoire de l’aviation commerciale, on se trouve contraint d’effectuer un véritable saut, au lieu d’augmenter progressivement les vitesses comme cela a été le cas jusqu’ici.

Limitation à Mach 2,2

Ce point étant éclairci, les constructeurs européens ont arrêté leur décision sur la réalisation d’un avion capable de croiser à Mach 2,2 alors que la tendance des constructeurs américains serait d’effectuer d’un seul coup le saut jusqu’à Mach 3.

Il est facile, soit dit en passant, de se rendre compte de l’ordre de grandeur de ces vitesses, car aux altitudes où évoluera le supersonique, le nombre de Mach 1 correspond sensiblement à 1000 km/h.

Tout le monde a entendu dire qu’un mur de la chaleur succéderait, dans l’accroissement des vitesses, un mur du son, et la multiplication des expériences de récupération des capsules spatiales a rendu assez familière la notion de l’échauffement cinétique ou chaleur développée par le frottement des molécules d’air à grande vitesse.

Mais ce phénomène n’apparaît pas brusquement, bien au contraire, il s’accentue progressivement et inexorablement avec la vitesse, de sorte que, si à Mach 2,2 la température de revêtement de l’avion reste comprise, selon les endroits, entre 100 et 120°C, elle arrive à 275°C lorsque la vitesse atteint Mach 3.

Or, au-delà d’une certaine température, les caractéristiques mécaniques des matériaux s’abaissent progressivement, et l’on conçoit qu’une température de 120°C, qui correspond à Mach 2,2 soit une limite pour l’emploi des alliages légers dans la construction de l’avion.

On comprend ainsi que le choix des européens se soit arrêté au chiffre de Mach 2,2 considéré comme la plus grande vitesse compatible avec l’emploi des matériaux et des procédés de construction classiques0

Créneau bien choisi

Ceci permet une réalisation plus rapide, réduit le programme des recherches à des dimensions abordables, et doit aboutir à un prix de construction moins élevé, pour un avion qui, bien adapté à son domaine d’utilisation, sera capable de se ménager une large place sur le marché.

C’est ici qu’intervient en effet la considération des distances d’étapes, et je m’appuierai d’abord sur un exemple simple. Tout le monde s’extasie sur les vitesses actuellement réalisées par la Caravelle, mais on a très justement fait remarquer que, compte tenu des délais de transport jusqu’aux aéroports et de l’encombrement croissant des villes, le temps total du trajet du centre de Paris au centre de Londres est resté pratiquement constant depuis le début du transport aérien. Sur cette étape, les temps au sol sont très supérieurs aux temps de vol, de sorte qu’il devient moins intéressant de gagner quelques minutes sur ces derniers. Utiliserait-on d’ailleurs un avion supersonique, qu’il serait obligé, sur cette distance de 350 km, de commencer sa descente bien avant d’avoir fini sa montée, et comme il ne va pas plus vite dans ces deux parties du vol qu’un avion subsonique, l’avantage du temps serait strictement nul. On peut ajouter que ceci est actuellement le cas de toutes les étapes inférieures à 1000 km, et que les progrès apportés par les avions supersoniques ne seront spectaculaires que pour des distances d’étapes beaucoup plus longues.

D’une façon plus générale, on peut dire qu’au fur et à mesure de l’augmentation des vitesses de croisière à des altitudes de plus en plus élevées, les temps morts de montée et de descentes, qui, ne serait-ce que pour éviter les dégâts du bang sonique, s’effectuent en grande partie à des vitesses inférieures à celles du son, prennent une importance relative plus grande. De plus, ce qui est grave au point de vue économique, ces phases sont beaucoup plus chères que celles de la croisière, puisque l’avion va moins vite et que, pendant la montée au moins, les consommations sont plus importantes.

Au total, on comprend bien ainsi que les avions les plus rapides ne puissent donner la pleine mesure de leurs avantages, gains de temps et économie de prix de revient, qu’au-delà d’une certaine distance d’étape d’autant plus longue que la vitesse de croisière est elle-même plus élevée.

Dans ces conditions, la position prise par les européens en faveur de l’avion à vitesse supersonique modérée, n’est pas sans analogie avec celle qui a été prise à l’origine de la conception de la Caravelle qui, évitant la compétition avec les long-courriers américains Boeing 707 et Douglas DC-8, a trouvé, sur les lignes moyen-courrier, un domaine dans lequel, la suite des évènements l’a abondamment prouvé, elle s’est trouvée longtemps sans rivale.

De la même façon, le supersonique européen Concorde se destine à un secteur d’exploitation intermédiaire entre celui des étapes courtes – jusqu’à environ 2000 km – qui restera l’apanage des moyen-courriers subsoniques, et celui des étapes très longues – au-delà de 6000 km – pour lequel une autre conception du supersonique élevé pourrait trouver un jour ses avantages.

4 – PROBLEMES TECHNIQUES

Il n’en reste pas moins que, pour réaliser Mach 2,2 en croisière, c’est-à-dire plus que le double de la vitesse des avions de transport en service sur les lignes aériennes, la technique doit accomplir un bond en avant qui ne trouve pas son équivalent dans le passé. Ce choix engendre donc de nombreux problèmes, pour les formes aérodynamiques, la structure et la propulsion, encore compliqués par les phénomènes thermiques dont j’ai déjà parlé, par le bang sonique, et par le séjour en haute altitude. Bien entendu, ces problèmes doivent être résolus en assurant aux passagers et aux équipages un niveau de sécurité au moins égal à celui qui est actuellement obtenu sur les lignes aériennes.

Il est bien évident par exemple que les vitesses de décollage et d’atterrissage des avions ne peuvent pas croître en proportion des vitesses de vol. Les plus gros avions à réactions actuels se posent déjà à des vitesses supérieures à 250 km/h, ce qui explique les longueurs de pistes importantes, de l’ordre de 3 km, dont ils ont besoin, et qui paraissent être le maximum de ce que l’on peut raisonnablement demander aux aéroports.

Une des recommandations les plus insistantes de l’OACI, des compagnies aériennes et des pilotes, concerne d’ailleurs la nécessité de faire en sorte que les avions supersoniques à construire s’accommodent, en toute sécurité, des infrastructures actuelles, c’est-à-dire des pistes existantes, et des règles actuelles de la circulation aérienne au voisinage des aéroports.

Le dessin des avions résulte donc d’un compromis entre les qualités nécessaires pour les grandes vitesses de croisière, et celles qui permettent un atterrissage facile, exigences opposées qui ne vont pas sans certaines contradictions.

Aérodynamique

Pour donner ici une idée des dimensions de ces problèmes, qui ne sont pas directement accessibles   au calcul, qu’il suffise de rappeler qu’en Grande-Bretagne seule plus de 300 formes d’ailes différentes on été essayées dans les tunnels aérodynamiques du Ministère de l’Aviation avant l’adoption de l’aile delta évolutive finalement retenue, et que, de son côté, le programme des recherches françaises n’a pas demandé moins de 3000 heures d’essais en soufflerie pour aboutir au choix des mêmes formes, que les maquettes de Concorde exposée au Salon de l’Aéronautique ont rendues familières.

Il n’est pas moins remarquable de constater que ces études, menées séparément pendant deux ans, aient donné des résultats si voisins que les deux pays puissent revendiquer à égalité de paternité d’un projet qu’il devenait ainsi tout naturel de poursuivre en commun.

Ainsi défini pour réaliser le meilleur compromis outre une traînée acceptable aux grandes vitesses à l’altitude de croisière, et une portance suffisante aux basses vitesses d’atterrissage, l’avion satisfera aux recommandations qui ont été émises par les utilisateurs et par les pilotes, éminemment soucieux de rester en mesure d’assumer leurs responsabilités à l’égard de la sécurité des vols.

Dans tout le domaine de vol, on est assuré de trouver une bonne réponse de l’avion aux gouvernes et une maniabilité correcte. Les vitesses et les procédures d’attente et de déroutement seront conformes à celles qui sont actuellement en vigueur, de sorte que le Concorde pourra s’intégrer au trafic aérien sans apporter aucune perturbation aux règles courantes de contrôle de la circulation aérienne.

De plus, le nouvel avion ne demandera pas de pistes plus longues ni plus résistantes que les quadriréacteurs actuels. La charge alaire étant faible, les vitesses d’approche et d’atterrissage seront en effet du même ordre que pour ces avions, et la traînée de l’aile delta facilitera le freinage.

C’est ainsi que la longueur de piste nécessaire pour l’atterrissage du Concorde, dans les conditions de poids maximum admissible, sera inférieur à 2 kilomètres. De même, les longueurs de décollage au poids maximum seront de l’ordre de 2600 mètres.

Bruit au sol

Le bruit de l’avion supersonique ne doit poser aucun problème nouveau dans les zones terminales. On devrait au contraire enregistrer une légère amélioration par rapport à la situation actuelle.

Sur la piste même en effet, la puissance accrue des réacteurs produira plus de bruit. Mais, l’excédent de puissance permettra une montée très rapide, après laquelle le pilote pourra réduire les gaz plus tôt, de sorte qu’en définitive, le bruit perçu au sol dans les zones limitrophes habitées sera plus faible, et c’est bien là ce qui compte.

Bang sonique

Mais, en dehors du bruit au décollage et à l’atterrissage, un phénomène nouveau va intervenir : c’est celui du fameux bang sonique auquel j’ai déjà fait allusion. Contrairement à une opinion répandus, il ne s’agit pas d’un phénomène instantané qui se produit au moment où l’avion franchit la vitesse du son, mais d’un phénomène continu accompagnant l’avion à partir du moment où il a franchi cette vitesse.

En fait, toute vitesse supérieure à celle du son est caractérisée d’un sillage conique, et l’on peut dire grosso modo que le bang sonique est dû au passage à travers l’observateur de l’onde de choc qui limite le cône en question. Ainsi donc, on ne peut éviter que l’avion supersonique traîne derrière lui une onde de choc et que tous ceux qui se trouveront en-dessous de sa trajectoire s’aperçoivent ainsi de son passage. Si l’effet produit se limite à une explosion sourde, tout ira pour le mieux, mais si cette explosion devait en arriver à casser les vitres, il va de soi qu’elle deviendrait inacceptable. Or, on conçoit que la violence de l’effet soit fonction de la distance de l’avion, c’est-à-dire en fin de compte de son altitude de vol. On conçoit également qu’elle soit fonction de sa forme et de sa masse.

Des recherches très poussée ont été faites à ce sujet en Grande-Bretagne et en France, ainsi qu’aux Etats-Unis, et leurs conclusions ont eu une grande influence sur la conception du projet franco-britannique, et sur le choix de ses caractéristiques principales.

Dans les conditions ainsi réalisées, on estime que les effets de l’onde de choc produite par le Concorde seront réduits à des limites acceptables, pourvu que l’on s’abstienne du vol supersonique à des altitudes trop basses.

Il faudra donc que l’avion monte à vitesse subsonique jusqu’à une altitude minime de l’ordre de 12.000 mètres – et inversement à la descente. L’inconvénient qui en résulte n’est d’ailleurs pas aussi grand qu’il pourrait le paraître au premier abord, car des raisons tenant à la résistance de structure imposent elles aussi une altitude minime pour atteindre la vitesse du son et, par ailleurs, l’économie de carburant exige une montée rapide en altitude avant le début de l’accélération.

Vol en altitude

Du fait de l’altitude de croisière qui s’effectue aux environs de 18.000 mètres, on a craint d’autre part que la formation d’ozone sous l’action des radiations ultra-violettes, et l’exposition aux rayons cosmiques ne soient préjudiciables à la santé des passagers et des équipages.

Mais une étude plus attentive a montré que la contamination de la cabine par l’ozone est évitée grâce aux dispositions adoptées pour le système de pressurisation et de conditionnement et que, par ailleurs, les effets cumulatifs des radiations cosmiques ne sont pas encore dangereux, même pour les équipages, aux altitudes des croisières prévues.

D’une façon générale d’ailleurs, aucun des facteurs de sécurité n’a été négligé. Les éléments de structure et les structures complètes seront soumis à une grande variété d’essais statiques, thermiques et dynamiques dont le programme dépasse de loin tout ce qui a été réalisé pour la Caravelle et les appareils semblables.

Programme d’essais

D »autre part, deux prototypes et deux avions de présérie seront construits avant le lancement de la série. De plus, les deux premiers avions de série seront utilisés pour les essais de certification. Le total des heures de vol à accomplir avant sa mise en service commercial sera d’au moins 4000 heures.

Ce programme très important est destiné non seulement à la vérification des performances de l’appareil et aux essais de certifications, mais également à la mise au point et au contrôle de la régularité de fonctionnement et de la facilité d’entretien de tous les systèmes, régularité qui, avec la qualité du comportement de l’avion dans tout son domaine de vol, est en définitive la meilleure garantie de la sécurité.

Certification de Navigabilité

La définition des règlements de navigabilité, en vertu desquels s’effectuera la certification, fait dès à présent l’objet de contacts permanents entre les services officiels franco-britanniques dont la haute compétence et l’expérience permettent d’affirmer qu’aucun des facteurs de cette sécurité ne sera négligé.

5 – PROBLEMES INDUSTRIELS ET FINANCIERS

Dimension du projet

Ce simple aperçu de la diversité des problèmes liés à la réalisation d’un avion de transport supersonique, même limité à Mach 2,2 laisse entendre qu’il faut disposer pour les résoudre d’une expérience considérable du vol supersonique, sans préjudice d’un programme complet d’essais à effectuer dans des laboratoires équipés de l’outillage le plus moderne, ni des épreuves de contrôle et d’assurance auxquels devront satisfaire les prototypes avent de devenir opérationnels, et de réunir toutes les garanties de sécurité complète exigées pour la délivrance des Certificats de Navigabilité.

L’ampleur de ce programme et des investissements qu’il comporte est de nature à faire hésiter une société aussi importante soit-elle.

Le fait nouveau est en l’occurrence que l’on ne peut plus compter sue le soutien des budgets militaires pour financer des études générales et lancer la construction de prototypes dont le tonnage et la mission soient voisins de ceux de l’avion de transport envisagé.

L’aviation civile peut ainsi se trouver déconcertée de ne plus hériter d’une mise au point achevée et d’avoir à se saisir des problèmes de plus loin et de plus haut avec l’obligation de penser – et de dépenser – à plus de dix ans à l’avance, et avec tous les risques que comportent les spéculations à longue échéance.

Il lui faut aussi trouver les ressources nécessaires pour assumer les nouvelles charges qui lui incombent.

N’est-il pas alors préférable de s’unir à plusieurs, animés du même désir d’aboutir, afin de mettre en commun les expériences acquises et les ressources, de répartir les tâches enfin, afin de pouvoir les mener de front et d’en venir à bout plus rapidement ?

Autre raison de s’unir, l’étroitesse du marché, la productivité offerte par les TSS est telle en effet que chacun d’eux sera capable de remplacer deux des avions de transport actuels. Les flottes aériennes seront moins nombreuses et, s’il y a plusieurs types d’appareils en compétition, les séries seront trop limitées pour être rentables.

Du point de vue commercial comme du point de vue technique, l’entreprise de la réalisation du TSS ne se conçoit donc que dans le cadre d’une vaste coopération, épaulée financièrement par des crédits que seuls les Etats peuvent fournir.

Face à cette situation, les dimensions de l’industrie aérospatiale américaine sont de taille à permettre, sans appel à des concours extérieurs, une planification dirigée et subventionnée pour les dépenses générales par les organismes officiels. Les Etats-Unis disposent ainsi d’une suprématie qui les autorise à définir à leur gré l’orientation à donner aux recherches et aux réalisations.

Mais l’Europe possède également un potentiel industriel qui, s’il est moins unifié, n’en représente pas moins, par sa haute valeur technique et à l’étendue de ses ressources, une puissance capable de tenir dans le monde aéronautique une position de premier plan. L’Europe prend actuellement conscience de ses possibilités, elle doit passer aux réalisations.

Collaboration franco-britannique

L’association de la Grande-Bretagne et de la France pour mener à bien l’opération “Concorde » s’inscrit dans la ligne de cette politique, dont elle constitue la première application de grande envergure.

Traditionnellement unies par les liens créés dans le passé par des échanges de fournitures et de licences, il était tout naturel que, renonçant à des rivalités stériles, les industries aéronautiques britanniques et françaises s’engagent ainsi vers une coopération qui permette de tirer le meilleur parti de leurs ressources communes.

Elles l’ont fait d’autant plus volontiers, en ce qui concerne le TSS, que leurs conceptions techniques à son propos s’étaient révélées, comme j’ai eu l’occasion de vous le montrer, absolument concordantes.

Il n’était donc pas possible de trouver un terrain psychologique plus favorable, et l’occasion était unique d’affirmer la présence des constructeurs européens à l’avant-garde du développement du transport aérien civil.

C’est donc avec ses réalisations que, de part de d’autre, on s’est employé à réunir toutes les conditions souhaitables pour que cette coopération soit fructueuse.

La principe de la collaboration adopté est en effet le partage égal entre les deux pays sur la base d’une égale responsabilité pour le projet pris dans son ensemble, cellules – moteurs – systèmes et équipements, du travail, des dépenses engagées par les deux Gouvernements et du produit des ventes.

Programme

Le but est de permettre la mise en ligne du Concorde dans les compagnies à partir de 1970.

Il est prévu que le premier vol du premier avion supersonique aura lieu fin 66, début 67, le premier vol, du premier avion de série consacré aux essais de certification aura lieu de telle façon de la délivrance du Certificat de Navigabilité intervienne en temps utile.

Pour la première fois, deux sociétés de première importance s’associent de part et d’autre de la Manche en vue d’une œuvre grandiose, et cela en pleine égalité et en pleine unité de vues à l’égard de l’ensemble des problèmes concernant les études, la production, les ventes et l’après-vente.

Pour impératives qu’aient pu être les raisons techniques, commerciales et financières qui faisaient de cette coopération une nécessité absolue, il n’en faut pas moins admirer l’imagination, la bonne volonté et le courage de ceux qui ont su en jeter les bases.

Au-delà de l’aide apportée pour les fournitures de matériaux ou d’équipements, de l’appui technique des cessions de licences et du soutien industriel mutuel qui en résultent de l’organisation des sous-traitances, une nouvelle voie s’est ouverte à la coopération internationale. Ainsi l’industrie aéronautique, qui se targue d’être, dans le domaine scientifique et technique, à la pointe du progrès, se place également à la tête d’un mouvement dont on peut augure, dans l’avenir, une extension qui, de proche en proche, pour conduire, indépendamment des fluctuations politiques, à l’établissement de bases économiques rénovées dans le sens d’une efficacité accrue.

Compagnies aériennes

C’est à partir de 1970 que les TSS Concorde pourront faire leur apparition sur les lignes aériennes et la sortie des appareils de série pourra ensuite atteindre progressivement la cadence de l’avion par mois pour satisfaire les besoins qui seront exprimés par les compagnies aériennes.

Dès l’origine, le contact est établi avec celles-ci, et notamment avec la BOAC et avec Air France, non seulement pour connaître leurs préoccupations essentielles concernant la sécurité et l’efficacité du nouvel appareil, ainsi que sa compatibilité avec l’infrastructure actuelle de l’exploitation, ou pour accueillir l’expression de leurs exigences à l’égard des caractéristiques techniques à obtenir, mais aussi pour pouvoir profiter de la longue expérience dont elles bénéficient en matière d’exploitation des lignes commerciales.

Pour sa part, Sud Aviation est intimement convaincue de la nécessité de liaisons très suivies avec les services d’Air France, et compte sur la grande compagnie nationale pour l’aider et l’éclairer de sa compétence dans les différents domaines techniques, opérationnel et commercial, comme elle l’a fait naguère pour contribuer aux succès de la Caravelle.

Premiers contrats

Les contrats directs avec les utilisateurs se sont d’ailleurs très rapidement étendus au dehors des frontières franco-britanniques, et plusieurs parmi les plus grandes compagnies américaines se sont vivement et directement intéressées à notre projet. Vous n’ignorez pas que la Pan American World Airways a, la première, concrétisé, par un contrat rendu officiel le 6 juin dernier, ses intentions en vue de l’achat de six appareils. Depuis, la compagnie Continental a également annoncé la signature d’un contrat concernant trois appareils, et d’autres compagnies se préparent à suivre cet exemple.

6 – CONCLUSION

Supersonique à portée

Cette prise de position positive de deux importantes compagnies dont l’autorité est considérable dans le monde du transport aérien, marque une nouvelle étape vers la réalisation du transport civil supersonique.

La conjonction s’est faite en cette occasion sur le projet franco-britannique entre le point de vue de constructeurs liés par les possibilités techniques et d’utilisateurs liés par les exigences opérationnelles.

De part et d’autre, on s’accorde ainsi à penser que les solutions adoptées pour le Concorde sont entièrement capable de satisfaire aux exigences de l’exploitation, qu’il s’agisse de la sécurité, de l’efficacité économique, ou de la mise en œuvre.

Ainsi se confirme l’orientation donnée au transport aérien futur et, tandis que se poursuivent la construction, les essais et la certification de l’avion, les organismes responsables des aéroports, de la navigation aérienne, de la météorologie et des autres activités connexes, seront en mesure d’envisager, sur des bases plus fermes, les adaptations qu’ils ont la charge de promouvoir suivant le rythme du progrès.

Œuvre d’ensemble

Pour sa part, le Ministère Français des Travaux Publics et des Transports vient de constituer une commission permanente chargée de ces questions, afin d’éviter que l’introduction de l’avion supersonique sur les lignes aériennes n’entraînent des perturbations dans un environnement mal préparé à le recevoir.

D’une façon plus lointaine vont se dessiner les incidences économiques et sociologiques intéressant des sphères de plus en plus vastes de l’activité humaine, dans le climat de coopération internationale qui préside déjà à la réalisation de l’appareil.

Optimisme

Est-ce à dire que ces perspectives reçoivent partout un accueil enthousiaste ? Ce serait trop exiger. Il est d’ailleurs inévitable que certains se sentent bousculés par une évolution aussi rapide.

Parmi eux, des hommes de science, effrayée par l’ampleur du bond effectué dans le domaine des vitesses et des altitudes s’interrogent sans fin sur les inconnues qui pourraient encore             subsister, ce qui les conduit à renchérir sur les précautions de sécurité exigées par les responsables, Services Officiels et Compagnies Aériennes, et à mettre en doute la possibilité d’aboutir dans les délais prévus.

On rencontre le même pessimisme, au point de vue économique cette fois, chez certains dirigeants de compagnies aériennes, et l’un d’eux (M. J.F. Dempsey, Directeur Général d’Aer Lingus et Président de l’IATA) a été jusqu’à déclarer que “l’introduction prématurée d’avions de transport civil supersonique sur les lignes aériennes serait un suicide économique et une démence sociale”.

Mais ne disait-on pas en 1910 que les experts autorisés déniaient aux machines volantes toute possibilité d’avenir commercial (W.J. Jackson et Thomas M. Russel) tandis qu’Edison ne leur accordait aucune valeur pratique sinon peut-être pour satisfaire les fantaisies de quelques sportsmen milliardaires.

Pour en revenir à Mr Dempsey, il s’agit de savoir ce qui est prématuré ou non. En ce qui nous concerne, nous craindrions plutôt le danger de prendre du retard sur les évènements, et nous sommes bien résolus à poursuivre notre tâche en donnant rendez-vous aux sceptiques et aux timorés pour 1970.