Quand l’Olympus décide…. Concorde : pourquoi avons-nous besoin des Anglais.
Article de Jacques MORISSET
En passionnant l’opinion, l’affaire Concorde a brusquement révélé au public français l’importance et les dimensions du programme franco-britannique de réalisation d’un avion de transport supersonique : son importance, d’abord, par les polémiques sur le coût des investissements nécessaires ; ses dimensions ensuite, puisque son éventuelle remise en cause a soulevé une vague d’indignation dans les milieux aéronautiques des deux pays.
Mais, de ce côté de la Manche, le réflexe le plus courant fut de s’étonner de notre carence en matière de turboréacteurs ; nombreux furent ceux, en effet (et même, dit-on, à l’échelon le plus élevé), qui se posèrent la question : “Pourquoi ne pouvons-nous faire seuls des réacteurs de grande puissance, comme ceux nécessaires à Concorde ? Ce n’est vraiment pas la peine d’avoir une industrie aéronautique puissante si nous devons acheter les moteurs à l’étranger… »
Dans sa brutalité, cette question a, au moins, le mérite de poser le problème ; il est en effet inquiétant de constater que la sortie d’un avion qui, après tout, aurait pu n’être que français, dépendait finalement de la bonne volonté d’un pays tiers. Faisons même abstraction du réflexe nationaliste : une industrie aéronautique de plusieurs dizaines de milliers de personnes (l’industrie aérospatiale française emploie 90.000 personnes dont 18.000 pour les moteurs ; l’industrie britannique 160.000 et l’industrie U.S plus d’un million) peut-elle oui ou non fabriquer ses propres moteurs ? Avant de répondre, examinons le problème tel qu’il se pose actuellement aux industriels et aux techniciens.
5 ans, 500 millions F, 5000 personnes.
Avant même que ne soit envisagée la construction d’un avion de transport supersonique, l’étude, la construction et la mise au point d’une turbine à gaz aéronautique de moyenne importance, c’est-à-dire de 4 à 7 tonnes de poussée (c’est le cas des réacteurs équipant : Caravelle, les Boeing 707, les Douglas DC-8) était déjà considérée comme une « grosse affaire“ : selon les experts, il fallait compter cinq ans, et dépenser 50 milliards de francs (légers) en faisant travailler 5000 techniciens, dont une bonne partie très spécialisés. Ensuite, il faut passer au stade de la fabrication de série, tout en continuant à travailler pour améliorer le moteur d’origine. Si, comme cela est souhaitable pour l’amortissement des investissements et de l’outillage, cette fabrication en série s’étale ensuite sur une bonne dizaine d’années, le cycle complet de vie d’une turbine à gaz d’aviation est donc de quinze ans, et donne effectivement du travail à 5000 personnes pendant ces quinze ans. Encore faut-il disposer aussi des installations d’essais nécessaires, et qui entraînent d’énormes investissements.
Voyons maintenant ce qui se passe chez le plus gros motoriste mondial, la division Pratt and Whitney du groupe américain United Aircraft. Sur les 45.000 employés de cette division, les deux tiers environ consacrent leur activité aux turbines à gaz. En tenant compte des chiffres précédents, Pratt and Whitney pourrait donc sortir une nouvelle turbine tous les 2 ou 3 ans. Compte tenu aussi des inévitables imperfections (moteurs n’atteignant jamais le stade de la série, tâtonnements dans le choix d’une formule, erreurs techniques), une périodicité de 3 ou 4 ans serait même normale : c’est effectivement ce qui se passe ; le plus grand fabricant au monde de turbines à gaz offre à la clientèle six types différents de machines et n’en prévoit qu’un seul autre pour les années à venir : le turboréacteur destiné spécialement à l’intention du futur avion de transport U.S. Mach 3.
Mais la puissance industrielle s’appuie obligatoirement sur un marché le plus vaste possible. Sur ce point, les motoristes U.S. disposent de l’atout formidable que représente la clientèle de l’U.S. Navy : lorsqu’un turboréacteur est proposé à un client civil, il est déjà au point depuis plusieurs années, et des centaines ou des milliers de machines sont en service. C’est ainsi que le turboréacteur JT-3 qui équipe, sous diverses formes, une bonne partie des quadriréacteurs civils, avait d’abord été mis au point et construit en grande série pour l’équipement des bombardiers stratégiques B-52 et des ravitailleurs KC-135. A l’heure actuelle, plus de 15.000 turbines de ce type ont été construites par Pratt and Whitney et l’expérience acquise sur ces machines a permis de porter récemment leur durée de vie (entre révision) à plus de 5000 heures, soit plusieurs années d’utilisation…..
Il y a cinq ans, un tel résultat eût été impensable. Une fois encore se confirme la règle qui veut que les plus hautes qualités soient obtenues dans les plus grandes séries de fabrication.
Exclusivement militaire….
Face aux géants américains (Pratt and Whitney, General Electric) et même aux motoristes britanniques (Rolls Royce, Bristol Siddeley), quel rôle a joué, et peut jouer dans l’avenir, la plus grande société française de constructions de moteurs, la SNECMA (12.000 personnes) qui, depuis quinze ans, est progressivement devenue le fournisseur exclusif de nos forces aériennes en turboréacteurs de moyenne poussée.
A l’échelle de la SNECMA, il est en principe possible de réaliser une turbine à gaz entièrement nouvelle, de grosse puissance ; c’est un problème technique, que nos ingénieurs et techniciens sont capables de résoudre : ils l’ont même prouvé en mettant au point la longue lignée des “ATAR » turboréacteurs simples, de faible surface frontale (on appelle surface frontale d’un réacteur la surface du cercle dans lequel s’inscrit le moteur vu de face), et qui équipent les Vautour, le Super-Mystère, les Etendard, les Mirage III et les Mirage IV. En 10 ans, on est passé de 3500 à 6800 kg de poussée au décollage, et de 2700 “ATAR“ ont été ainsi réalisés à ce jour.
Des séries trop faibles.
2700 machines… c’est là que le bât blesse déjà : car ces turbines ayant appartenu à plusieurs modèles différents, il n’y a en fait pour chacun de ceux-ci que quelques prototypes réalisés et essayés, puis une petite présérie, enfin une série de quelques centaines de moteurs. Quant à la durée de vie, elle ne dépasse pas quelques centaines d’heures, ce qui n’a pas d’importance sur des avions militaires, qui ne volent quand même pas 8 heures par jour comme les Caravelle. Il est à noter qu’il existe une différence fondamentale entre l’utilisation d’un moteur d’aviation chez les civils et chez les militaires, car un avion militaire de combat ne vole en général que quelques dizaines d’heures par mois durant lesquelles il peut d’ailleurs être poussé à plein régime. Un avion civil, par contre, vole plus de 200 heures par mois, mais on ne pousse ses moteurs qu’au décollage. Au bout d’une année, l’avion militaire aura quelques centaines d’heures de vol, et l’avion civil quelques milliers. Si l’on tient compte des améliorations qui auraient pu être apportées entre temps sur ces deux machines, il parait évident qu’à longueur de vie totalement différente et pour des conditions d’emploi très diverses, elles devront être remplacées à peu près en même temps par des modèles derniers cris.
Là où nous fabriquons, en France, quelques dizaines de réacteurs de présérie, les Américains parlent plutôt de réacteurs prototypes. Quant à notre série, ce serait pour eux une présérie. Ce décalage des ordres de grandeur explique bien des choses, en particulier les raisons pour lesquelles les services officiels n’ont pas demandé à la SNECMA de réaliser un réacteur pour la Caravelle : l’ATAR ne convenant pas, pour diverses raisons, il fallait créer une nouvelle turbine avec pour seul marché 200 avions, soit 600 turbines (on compte, en général, une turbine de rechange pour chaque avion, la turne étant l’organe qui travaille dans les conditions mécaniques et thermiques les plus difficiles). De plus, les compagnies de transport aiment mieux avoir affaire à des moteurs connus d’elles, et dont elles on pu apprécier les services d’après vente dans le domaine civil.
Le problème de Concorde.
L’absence de grosses turbines à gaz civiles en France ne constitue donc pas un aveu d’impuissance technique, mais découle naturellement de la faiblesse de notre marché civil. Quant à la réalisation, par nos seuls moyens, d’un turboréacteur de très grande puissance pour Concorde, c’eût été une pure folie économique. Personne n’y a d’ailleurs sérieusement pensé : il était infiniment plus sage de rechercher une coopération fructueuse avec l’industrie motoriste britannique dont la réputation mondiale est sérieusement établie. Le succès de cette industrie s’explique en partie par le fait que c’est en Grande-Bretagne que naquit la turbine à gaz, grâce à Whittle.
C’est donc sans arrière-pensée que s’ouvrirent à l’échelon des constructeurs, puis des gouvernements, les négociations qui aboutirent il y a plus de deux ans à la signature de l’accord franco-britannique sur le futur Concorde. Bristol-Siddeley fut choisi parce que depuis dix ans, ce motoriste développait une turbine à gaz militaire dont les caractéristiques de base permettaient d’en extrapoler un dérivé civil de poussée suffisante : Concorde, au poids de 1110/120 tonnes, exigeait en effet déjà des réacteurs de 11 à 12 tonnes de poussée – et aucune machine de cette catégorie n’existait encore dans le monde occidental.
Aux USA les plus puissants réacteurs connus étaient le J-58 de Pratt and Whitney, d’une poussée à sec de 9,6 t, et le J-93 de General Electric, qui donne 8,8 t de poussée. Le J-58, on le sait, est le réacteur qui équipe le fameux Lockheed A-11 (premier avion au monde à avoir volé en croisière rapide à Mach 3), tandis que le J-93 est monté à six exemplaires sur le North American B-70, un autre avion trisonique, mais dont les essais viennent tout juste de commencer. Nous venons de préciser poussée à sec : en effet, comme tous les réacteurs modernes, le J-58 et le J-93 sont dotés d’un dispositif de postcombustion ; par injection de carburant dans le jet de gaz chaud (après son passage sur la dernière turbine) on provoque une deuxième combustion, car les gaz chauds sont encore riches en oxygène. Cette deuxième combustion, baptisée réchauffe ou postcombustion, entraîne en général un accroissement de poussée de l’ordre de 50%, mais au prix d’une augmentation de consommation très élevée. Cependant, cette solution est fréquemment utilisée car elle permet d’obtenir un niveau de poussée élevé (14,5 tonnes pour le J-58 ; 13,3 tonnes pour le J-83) sans augmenter le diamètre du moteur. Bien entendu, ce raisonnement ne vaut que si l’utilisation de la réchauffe est limitée à quelques minutes.
Dans le cas d’un avion de transport supersonique, le problème est très différent, puisqu’il s’agit de voler en permanence à Mach 2 ou Mach 3, donc avec une poussée élevée. Obtenir celle-ci avec un dispositif de réchauffe serait, dans l’état de la technique, anti-économique. De plus, l’utilisation de la réchauffe sur un aérodrome civil au décollage est impensable, étant donné le fonctionnement très bruyant de ce système. Finalement, sur de tels avions, la réchauffe étant donc exclue, les dimensions du moteur devaient donc dépendre directement du niveau de poussée nécessaire soit au décollage soit en croisière.
Mais un examen détaillé des conditions de vol a montré que la poussée maximale nécessaire n’apparaissait dans aucun de ces deux cas, mais à un moment bien précis : celui du passage du mur du son, vers 12 ou 13 km d’altitude. Le franchissement de Mach 1 correspond en effet à un accroissement de traînée d’autant plus notable que le passage transsonique s’effectue à une altitude élevée : la densité de l’air diminuant avec l’altitude, l’appareil vole alors à un coefficient de portance relativement élevé (générateur d’une traînée induite importante), tandis que la poussée des réacteurs tend à décroître puisqu’ils absorbent moins d’air (la traînée induite d’une aile est la part de la traînée totale due à la création même de la portance. Les autres traînées partielles sont la traînée de frottement, la traînée de forme (qui dépend) et, en vol supersonique, la traînée d’onde due à l’apparition des ondes de choc).
Or pour éviter les effets fâcheux du bruit au sol, on sait que le passage du mur du son doit s’effectuer à l’altitude la plus élevée possible. La poussée exigée des réacteurs dépend donc en dernier ressort de l’altitude minimale à laquelle on peut passer le mur du son.
Cette considération conduit même à surdimensionner les réacteurs par rapport à ce qu’ils devraient être pour assurer le décollage de l’avion sur des pistes de longueur normale. Or ce surdimensionnement est coûteux en poids, en traînée (surface frontale accrue : en vol supersonique la traînée dépend encore plus étroitement de cette surface), et surtout en consommation de carburant, car les turboréacteurs voient leur consommation spécifique (rapport entre la consommation horaire et la poussée fournie, exprimée en kg/kg.p-h ou kg de carburant par kg de poussée-heure) s’accroître lorsque le niveau de poussée demandé à un moteur donné diminue : la turbine à gaz s’adapte très mal aux charges partielles, pour des raisons thermodynamiques. En résumé, le passage du mur du son et la croisière demanderaient idéalement des moteurs d’échelle différente.
Les constructeurs de Concorde ont donc prévu, avec l’accord des motoristes, l’adjonction d’une réchauffe légère, soit 10% environ de la poussée nominale. Ces 10% de poussée supplémentaire, utilisée seulement lors du passage transsonique, permettent d’ajuster au mieux les dimensions du réacteur. Mais comme entre temps Concorde avait engraissé de plusieurs dizaines de tonnes (en long-courrier, l’appareil pèsera 147 tonnes), il a fallu réviser la conception initiale du moteur, qui s’éloigne de plus en plus de l’Olympus d’origine : la version actuellement retenue, l’Olympus 593-B, délivrera une poussée de 14,5 tonnes au décollage, et 15,7 tonnes avec la réchauffe légère lors du passage en transsonique. Plus que jamais, il s’agissait donc de réaliser un turboréacteur dont les dimensions et les performances dépassent nettement celles des turbines existantes, étant cependant entendu que l’Olympus 593-B ne faisait appel qu’à des connaissances techniques raisonnables. C’est une des conséquences de la limitation à Mach 2,2 de la vitesse de croisière de Concorde, alors que le vol à Mach 3 du futur avion de transport américain reste basé sur une impasse technique assez osée, en particulier pour les réacteurs.
Partage des compétences.
Pour la première fois dans l’histoire de l’aviation, on assiste donc à une collaboration poussée de deux grandes firmes pour réaliser un moteur. Bristol-Siddeley (60% du programme) fournit le réacteur sec proprement dit, la SNECMA (40% du programme) étudie et réalise la tuyère d’éjection avec le dispositif de réchauffe, les inverseurs de jet, et la tuyère de sortie (à géométrie variable) proprement dite. En fait, la collaboration entre les deux sociétés va plus loin qu’une simple répartition des tâches : la SNECMA, par exemple, apporte des connaissances nouvelles en matière de compresseur (l’ATAR 9 K des Mirage IV est le seul réacteur de série au monde à utiliser un compresseur avec plusieurs étages transsoniques), tandis que Bristol-Siddeley, de son côté, a réalisé aussi, sur l’Olympus précisément, des dispositifs de réchauffe à grande puissance.
De plus, les essais et la mise au point de l’Olympus 593-B s’effectueront dans les deux pays, car les installations au sol indispensables sont gigantesques : il s’agit de reproduire les conditions d’alimentations du réacteur à toutes les altitudes de vol, ce qui revient à lui fournir une énorme masse d’air (jusqu’à 185 kg/s) à une vitesse, une pression, une température et un degré hygrométrique corrects. Le Centre d’Essais des Propulseurs de Saclay en France, et ses homologues britanniques de Patchway et Pyestock doivent pour cela développer considérablement les installations existantes, d’où des investissements supplémentaires qui ne sont cependant pas perdus pour l’avenir.
On n’arrête pas le progrès.
Comme nous l’avons vu, le turboréacteur à grande puissance conditionne donc l’avenir de l’avion de transport supersonique. Aucun réacteur de la capacité nécessaire n’existe actuellement, même aux USA, et, en se lançant dans sa réalisation, la France et la Grande-Bretagne étaient non seulement obligées de s’associer, mais encore, pour réduire le coût et les risques et gagner du temps, de partir, dans toute la mesure du possible, d’une machine existante, même si, en fin de compte, on finit par en créer une entièrement nouvelle.
Mais deux autres aspects du problème méritent être abordés : celui du progrès technologique et celui de l’intérêt que peut présenter, dans d’autres domaines, la turbine à gaz de grande puissance.
La mise au point de l’Olympus 593-B (un modèle moins puissant, 593 D tourne déjà au banc d’essai depuis juillet dernier) oblige en effet les ingénieurs français et britanniques à perfectionner leur technique dans plusieurs domaines : tenues aux vibrations des aubes de grand diamètre (premiers étages du compresseur basse pression) ; étude de matériaux résistant aux très hautes températures (aubes de turbine) afin d’améliorer le rendement thermodynamique de la machine ; études d’aubes refroidies par circulation d’air, toujours pour la même raison : admettre la température de fonctionnement la plus élevée possible sur ces mêmes aubes ; mise au point de tuyère à géométrie variable plus perfectionnées que celles actuellement utilisées (amélioration du rendement de propulsion) ; mise au point de pompes et de circuits de carburant capables de véhiculer du kérosène fortement échauffé par la vitesse de vol, etc ; en temps que thème de travail, l’étude de l’Olympus 593 B permet donc à nos motoristes d’améliorer leurs connaissances et d’en faire profiter d’autres types de turbines à gaz. C’est ce qu’oublient un peu trop vite les anti-Concorde : si nous ne réalisons ni Concorde, ni ses moteurs, la technique américaine nous écrasera dans dix ans car les retombées des études avancées sont toujours payantes. Et nous serions obligés d’acheter aux USA les turbines à gaz même destinées aux avions subsoniques.
Deuxième aspect du problème : par ses progrès incessants, la turbine à gaz conquiert peu à peu certains marchés (propulsion des navires, stations de pompage, unités de production d’électricité aux heures de pointe) qui n’ont plus rien à voir avec l’aéronautique mais dont le développement permettra aux industriels d’asseoir leur production sur des bases élargies. Or, dans certains cas, les très grosses unités (20.000 à 100.000 ch) seront plus intéressantes, soit parce qu’elles évitent de coûteuses transmissions, soit parce qu’elles réduisent les frais d’utilisation et de maintenance. Toutes les turbines à gaz industrielles maintenant en service sont dérivées de turbines aéronautiques et il y a gros à parier que les turbines du Concorde donneront naissance, elles aussi, à des turbines industrielles.
Un prolongement imprévu.
Enfin, en travaillant côte à côte, les ingénieurs et les dirigeants des deux firmes ont appris à se connaître et à s’estimer. Et Concorde aura ainsi des prolongements imprévus : depuis plusieurs années en effet, les ingénieurs de la SNECMA travaillent à la mise au point d’un compresseur transsonique, autrement dit admettant des vitesses locales de gaz supérieures à la vitesse du son (elles peuvent même atteindre Mach 1,2 à Mach 1,3). Un tel compresseur permet, à diamètre égal, d’accroître par exemple de 10% le débit d’air admissible, donc la poussée par unité de surface frontale. Le premier bénéficiaire de cette technique fut, nous l’avons déjà dit, l’ATAR 9 K. Mais il était tentant de dessiner un nouveau moteur utilisant dès l’origine cette technique : aussi la SNECMA annonçait-elle l’an dernier à l’occasion de la foire aéronautique de Hanovre qu’elle avait lancé les premières études d’un tel réacteur, désigné “Mars 45″ et qui donnerait de 2 à 4,5 tonnes de poussée, selon qu’il serait doté ou non d’un ventilateur périphérique (version double flux) et d’une réchauffe..
Or la Grande-Bretagne aura besoin, elle aussi, d’un réacteur de cette classe, utilisable sur plusieurs types d’avion dont le développement est inscrit dans les programmes à moyen terme : avion d’école et d’appui tactique (ECAT), bi-réacteur de transport pour étapes courtes (Mystère 30 ou similaires), futur chasseur-bombardier de pénétration à basse altitude et à géométrie variable. En comparant leurs travaux respectifs, la SNECMA et Bristol-Siddeley s’aperçurent qu’une réalisation commune était non seulement possible, mais souhaitable.
Voilà pourquoi, sous réserve de l’approbation officielle, les deux motoristes sont décidés à lancer une deuxième réalisation commune, cette fois sous la maîtrise d’œuvre française. Une association avec un motoriste allemand serait envisagée : en attendant l’Europe des Patries, l’Europe des Moteurs pourrait bien se faire très vite.