William A. MASLAND ! Ce pilote américain expérimenté, qui compte bien voler un jour sur le Concorde livre ses réflexions sur les problèmes que les supersoniques vont poser au contrôle aérien.
Bien entendu, nous avions demandé à W. M. Masland le nombre de ses heures de vol, pour le présenter aux lecteurs d’Icare. Il nous a répondu :
– Je n’ai pas tenu mon carnet très rigoureusement, surtout pendant la guerre. Mais on peut essayer de faire le total approximatif.
La lettre où il résume sa carrière est malheureusement trop longue, beaucoup trop longue pour être publiée ici, et c’est dommage. Masland y explique qu’il a été lâché en 1928 après trois heures et demie de double commande.
– Ensuite, j’ai renoncé à l’aviation, parce que l’heure de vol coûtait 30 dollars, beaucoup trop cher !
Un an d’école de pilotage dans la marine, un an de service comme pilote de porte-avions (il faisait si froid pendant les manœuvres que la mer fumait !), et il est démobilisé avec 500 heures : c’est la crise, et la marine manque de crédits.
Il attend une place à la Pan Am, et il continue de voler, pendant les week-ends, dans la réserve de l’aéronavale. Quand il entre à la Pan Am, il a fait 500 heures de plus. Avec ses 1000 heures, on le colle dans un hangar pendant six pour passer ses brevets de radio et de mécanicien. Puis on l’expédie à Port-of-Spain, dans l’Ile de la Trinité, où il fait du cabotage sur de vieux amphibies : du sport, avec du vent, des atterrissages et des amerrissages mouvementés.
Il fait là-bas 1150 heures de plus, et se retrouve en août 1936 affecté au Secteur Pacifique, que vient de créer la Pan Am. Masland fait alors partie de l’équipage du premier hydravion qui relie la Californie à la Chine, le ”Chine Clipper » Martin M 130. En mai 1937, il est transféré sur le Secteur Atlantique, qui vient aussi d’être créé. En fait, bien qu’il ne s’en vante pas, il est de toutes les grandes premières.
A cette époque, il est navigateur. Il est même, à lui tout seul, tout le service navigation du secteur, ce qui l’oblige à tout créer, tout inventer, tout organiser dans ce domaine encore presque vierge.
A la fin de l’été 1937, il a 4500 heures de vol. On l’envoie à Rio pour le compte de la Pan Air do Brasil, et il devient Commandant de bord sur amphibies
– Le S 43 était un bon appareil, explique-t-il, mais un peu sujet au cheval de bois à l’amerrissage, parce que les deux moteurs étaient trop rapprochés. Il fallait aller vite pour le tenir sur l’eau. Alors nous avions pris l’habitude, une fois posés, de foncer presque pleine gomme vers l’embarcadère, et, au moment de rentrer dedans, de faire un cheval de bois de 180°, pour nous arrêter. Au début, ça étonnait bien un peu …
En août 1939, il est rappelé à Miami, d’où il vole sur différents types d’appareils. Au printemps 1941, il est affecté au Secteur Atlantique, sur Boeing « Clipper”. Au moment de Pearl Harbor, quand le Japon attaque les Etats-Unis en novembre 1941, Masland est à Léopoldville : un vol d’essai pour préparer une future ligne régulière.
– Pendant toute la guerre, j’ai fait beaucoup de travail de bureau et de hangar. Mais j’ai aussi beaucoup volé. A la fin de la guerre, j’avais 10.000 heures en tout, sur des quantités d’appareils différents, mais surtout sur hydravion. C’est sur un hydravion, du reste, qu’il a été le premier à faire le tour du monde pour la Pan Am. Ensuite, on abandonne les hydravions.
– Depuis j’ai volé sur Constellation, un peu sur DC-4, puis sur Boeing ”Stratocruiser », enfin sur 707. En vingt ans de paix, j’ai fait 16.000 heures de vol. Au total j’ai donc volé 26.000 heures, certaines sur des « tapins” qui se trainaient à 87 nœuds, d’autres à 480 nœuds. J’ai fait un vol de 8000 milles à 200 pieds d’altitude, mais la plupart de mes heures récentes ont été faites dans la stratosphère. Bref, je ne me suis pas ennuyé… Toutes mes heures ont été passionnantes, au-dessus de toutes les mers et de tous les continents sauf l’Antarctique. 26.000 heures, c’est-à-dire que si Masland ne s’était jamais posé, il aurait tenu l’air exactement pendant trois ans !
Quand il parle du trafic aérien il sait donc de quoi il parle. Le problème qu’il pose est de ceux auxquels les profanes ne pensent guère. Trop de véhicule et pas assez de place, c’est une notion familière… en matière automobiles. Mais dans l’espace ? Des encombrements dans l’Espace ? Impossible, est-on tenté de dire.
Mais la notion d’encombrement est familière aux pilotes professionnels, qui sentent, pour ainsi dire physiquement, l’affluence des autres avions massé autour des grands aéroports à l’heure de l’atterrissage.
Quand le ”Concorde » entrera en service, sa vitesse, son poids, ses exigences techniques sembleraient en apparence, ne laisser d’autre choix qu’entre deux mauvaises, deux détestables solutions.
Ou bien accepter de limiter le trafic aérien pour garantir à chaque avion la sécurité nécessaire. Ou bien accroître le trafic en suivant les besoins, mais en sacrifiant la sécurité.
Masland, lui, propose une troisième solution. Sa façon de poser le problème surprendra peut-être le lecteur français, moins familier que les anglo-saxons avec « Alice au Pays des Merveilles” et les ”pigeons londoniens« . Mais Masland et un excellent journaliste amateur, et son texte, destiné en principe à ses confrères pilotes, est tout aussi passionnant pour quiconque s’intéresse à l’aviation, ne serait-ce que comme passagers…
Article de William M. MASLAND
Le contrôle aérien des jets subsoniques actuellement en service c’est un peu comme le « thé des fous dans Alice au pays des Merveilles” : une grande table où trois personnes crient ensemble : pas de place !
Cette note est divisée en cinq parties :
1 – L’influence du contrôle aérien sur les ”jets » subsoniques actuellement en service sur l’Atlantique Nord.
2 – Quelques aspects du transport supersonique qui, sauf modifications, vont influer sur le contrôle aérien.
3 – Quelques aspects des couches supérieures de l’atmosphère qui influeront sur le contrôle aérien.
4 – Estimation du nombre de « jets” supersoniques à prévoir sur l’Atlantique Nord.
5 – Proposition d’une méthode de contrôle du trafic aérien supersonique sur l’Atlantique Nord, découlant des considérations précédentes.
Le titre que j’ai donné à la première partie est donc :
Influence du contrôle aérien sur les ”jets » subsoniques actuellement en service sur l’Atlantique Nord.
C’est le genre de titre destiné à provoquer, chez les organisateurs de cette conférence, un simplement bâillement poli- Le titre qui s’imposerait vraiment pour la première partie de cette note serait : Le « Thé des Fous”. Ce titre-là n’est pas de moi. Je l’ai volé dans l’œuvre la plus fameuse du célèbre mathématicien de Balliol (1). Vous allez vous rappeler la scène à laquelle je fais allusion. L’héroïne, Alice, erre visiblement sans but. Elle s’approche d’une table à thé, dans le jardin du Lièvre de Mars. Une très grande table à thé. Bien qu’elle soit très grande, trois personnes seulement y sont assises : le Chapelier fou, le Loir endormi et le Lièvre de Mars. Quand ils s’aperçoivent qu’Alice veut se joindre à eux, ils se mettent à crier tous ensembles : ”Pas de place, pas de place » ! A quoi Alice indignée, répond : « Il y a largement de la place”. Et elle prend une chaise.
Ce fut sa plus grosse gaffe de la journée, bien entendu, et, avant la fin de la réunion (qui ne tarda guère), un des quatre personnages au moins allait se trouver très ennuyé.
(1) Levis CARROL, auteur de ”Alice au Pays des Merveilles » est le mathématicien auquel Masland fait allusion. La vie de cet écrivain (et le Collège Balliol à Oxford) est évidemment très familière aux lecteurs anglo-saxons.
Mais laissons là Lewis Carrol et Son Pays des Merveilles, et revenons à nos moutons. Comme celle du Lièvre de Mars, notre table est grande, et dressée pour de nombreux convives. La surface qui nous intéresse en gros 1800 milles nautiques de l’Est à l’Ouest, et 500 milles du Nord au Sud, et un peu moins de 2 milles d’épaisseur. Disons qu’il s’agit d’un volume de l’ordre d’un million et demi de milles cubiques. Un million et de milles cubiques peuvent paraître un vaste volume et pourtant quand plus de vingt « jets” par heure demandent à y entrer, nous crions tous en chœur : ”Pas de place ! Pas de Place ! »
En fait, la place ne manque pas. Le tout, c’est de la trouver. Essayons un peu.
Habituellement, on accorde à un « Jet” 120 milles (220 kilomètres) de séparation latérale entre lui et ses voisins de droite et de gauche. On lui donne vingt minutes de battement avec l’appareil qui le précède, et autant avec celui qui le suit, ce qui fait environ 160 milles (300 kilomètres) à une vitesse de croisière de Mach 0,82. De plus, il vole 2000 pieds (60 mètres) plus bas que son voisin du dessus, et 2000 pieds plus haut que celui du dessous.
(2) Les calculs de l’auteur ne sont pas effectués en mesures métriques, bien entendu. Nous avons jugé plus simples de les laisser tels, le résultat final n’étant naturellement modifié.
Tout cela constitue un volume libre approximatif de 6400 milles cubiques pour chaque avion. Disions, maintenant l’espace total disponible par ce dernier chiffre, et nous trouvons une capacité théorique maximale de 234 appareils, soit 58 par heure.
On arrive à peu près au même résultat en prenant pour point de départ raisonnement quatre routes et cinq niveaux, à raison de trois appareils par heure pour chacun.
L’ennui, avec ce système, c’est que personne ne veut des niveaux les plus élevés au début du vol, ni des niveaux inférieurs à la fin du vol, et que chacun voudrait toujours obtenir l’une des meilleures routes. La raison de ces choix n’est pas du tout futile. Elle tient à la façon traditionnelle d’organise les vols. En général, on aime toujours mieux finir son voyage par un atterrissage au moteur, plutôt que par un vol plané, qui nécessitera l’intervention d’un tracteur pour sortir de la piste. On n’a pas assez de pétrole pour se promener, voilà tout.
La seconde raison qui nous maintient très en deçà de la capacité théorique, c’est qu’en fait les appareils n’arrivent pas dans la zone océanique à des intervalles réguliers de vingt minutes. Le débit est irrégulier, ce qui réduit la capacité. Examinons maintenant de plus près la notion d’intervalle. Comme nous l’avons dit, chaque ”Jet » s’entoure d’un cocon protecteur de 6400 milles cubiques d’espace, environ. J’ai beaucoup de mal à imaginer au juste un volume de cette dimension. En fait, la première fois que j’ai fait le calcul je me suis trompé d’une décimale sans même m’en apercevoir. Peut-être d’autres ont-ils les mêmes difficultés que moi.
Pour y voir plus clair appliquons les règlements de l’aviation aux pigeons.
Pour y voir plus clair, réduisons l’échelle : appliquons les intervalles en marge sur l’Atlantique Nord aux pigeons, à des pigeons tout à fait ordinaires comme ceux qu’on trouve à Hyde Park.
Un « jet” actuel a une envergure de 140 pieds (environ 42 mètres) et il est séparé du voisin par 120 milles. L’envergure d’un pigeon actuel est plus difficile à déterminer, parce qu’il a une flèche variable. En configuration de croisière, il semble avoir une envergure d’environ 14 pouces (35 centimètres), soit le 1/120ème de celle d’un ”Jet ». Si on lui accorde le 1/120ème de la séparation latérale des appareils, on le place à un mille (1,6 kilomètres) de son voisin le plus proche. Et si nous voulons suivre les pratiques en vigueur sur l’Atlantique Nord, nous devons lui accorder vingt minutes d’espacement longitudinal.
J’ai dépensé 3 livres, 7 shillings et 6 pence l’été dernier à suivre des pigeons en taxi, et j’ai trouvé que la vitesse de croisière moyenne d’un pigeon du type Hyde Park est de 24 nœuds (44 km/heure). Vingt minutes de vol à cette vitesse font 8 milles marin (15 km/heure). Nous donnons donc à notre pigeon 8 milles marins de séparation longitudinale, qui, multipliés par le mille de séparation latérale, donnent une surface de 20 km2 par pigeon et par niveau de vol. Si nous leur accordons cinq niveaux comme sur l’Atlantique Nord, cela nous donne cinq pigeons pour 8 milles. Or le grand Londres couvre une surface de 832 milles. De sorte qu’en appliquant les critères de séparation de l’Atlantique Nord, nous arrivons à une capacité maximale théorique, un jour de pointe, d’environ 450 pigeons pour le grand Londres tout entier, ce qui est parfaitement ridicule ; j’en ai vu bien plus que ça rien qu’auteur de la statue de Nelson à Trafalgar Square. Et nous n’avons pas tenu compte de tout le reste de l’aviation ; les moineaux, les grives, les rouges-gorges et les corbeaux. Ce qui démontre que, malgré notre progrès technique, si nous volons plus vite et plus que les pigeons, nous ne volons pas aussi bien qu’eux.
Car ce n’est pas tout que de construire un beau véhicule. Il faut aussi construire une route de qualité égale. C’était vrai pour les bateaux, c’était vrai pour les trains, c’était vrai pour les voitures, c’est vrai pour l’aviation. Nous avons été trompés jusqu’à présent, parce que le ciel nous paraissait vaste, et les engins volants si rares. Mais aujourd’hui ils sont nombreux, et le ciel a une limite. Il serait monstrueux de penser que les gouvernements, qui dépensent des milliards pour sortir des appareils de plus en plus perfectionnés, ne vont rien faire pour leur fournir les routes nécessaires.
L’excédent de consommation représente 10 à 80% de la charge marchande.
Mais que faisons-nous justement à l’heure actuelle sur l’Atlantique Nord ? Voici quelques statistiques (3). Elles sont de mon cru, et je ne m’en excuse pas, au contraire : j’ai plus confiance elles qu’en celles qu’on peut trouver ailleurs. Sans doute, comme elles ne portent que sur une centaine de traversées, on put penser qu’elles n’ont pas grande valeur quantitative, et elles ne sont pas tellement éloignées de celles qui sont fondées sur des observations plus nombreuses.
(3) Statistiques personnelles de l’auteur. En 1961-1962. A cause des exigences du contrôle aérien, les vols transatlantiques ont été effectués à une altitude supérieure de 769 pieds en moyenne au-dessus de l’altitude optimum demandée au plan de vol. La consommation a été en moyenne supérieure de 2500 kg à celle prévue au temps de vol. En 1963-1964. Pour les vols transatlantiques, l’altitude demandée au plan de vol par le Commandant MASLAND, lui a été refusée dans 48% des cas en hiver et dans 88% des vols en été.
Il a été obligé de suivre une route différente de la route choisie dans 19% des cas en hiver et 54% des cas en été. La consommation de carburant a été supérieure à celle prévue au plan de vol : de 1150 kg en hiver 63 ; de 1250 kg en été 63 ; de 2120 kg en été 64.
Avec des cas extrêmes donnant une consommation supérieure à celle du plan de vol de : 5600 kg en hiver 63 ; 7900 kg en été 63 ; 3700 kg en été 64.
Pendant la descente, la consommation théorique prévue au plan de vol est de 680 kg, elle a été en moyenne de : 2140 kg en hiver, 1840 kg en été, avec des maxima de : 3970kg en hiver ; 2720 kg en été.
NOTE : Les différences été-hiver s’expliquent par l’accroissement saisonnier du trafic transatlantique en été.
Je dois reconnaître que les responsabilités du contrôle aérien, dans les déroutements ou les surconsommations par rapport au plan de vol, ne sont pas prouvées. Au contraire, avec la précision actuelle des prévisions de vent et de température, il est évident qu’on peut le croire ou pas. Mais il est un point où le contrôle Aérien est le principal responsable de la consommation excessive de carburant, c’est quand il exige qu’on s’écarte des conditions de vol optimales, règle de montée, altitude de croisière et surtout règle de descente.
Du point de vue économique, cet excédent de consommation représente de 10 à 50% de la charge marchande. Du point de vue de la sécurité, cette surconsommation absorbe de 12 à 70% des réserves de carburant. Le plus ennuyeux, c’est qu’à aucun moment de son vol le pilote ne peut prévoir comment sa consommation va évoluer. C’est un pari très excitant, auquel les passagers sont intéressés aussi bien que les actionnaires, même s’ils n’en ont pas conscience.
Un plus grand degré de liberté dans le plan vertical suffirait à résoudre pour les subsoniques.
L’homme se déplace trente fois plus vite qu’au début du siècle
Mais en voilà assez de ces tortues. Tout de même, avant de franchir le mur du son, ce chemin qui fut défriché par des hommes courageux comme Geoffrey de Havilland, jetons un regard en arrière en prêtant une attention particulière aux relations entre transports et communications.
Des origines jusqu’à nos jours, transports et communications sont allés la main dans la main. L’homme et son message voyageaient ensemble ou, pour dire les choses plus simplement, le pied et la bouche se déplaçaient à la même vitesse. Le Grec qui apporta à Athènes angoissée, à 40 kilomètres de là, la nouvelle de la victoire de Marathon, était un coureur à pied. Les Incas utilisaient des coureurs pour transmettre les nouvelles, sous la forme de nœuds sur des ficelles. La chaise de poste qui allait de Bruxelles à Paris en trois jours ; la diligence qui couvrait les 2800 milles jusqu’en Californie en vingt-cinq jours, tous ces moyens de déplacement des hommes transportaient aussi le courrier, et rien n’allait plus vite qu’eux. A la fin du XVIIIème siècle, tout commence au contraire à bouger, aussi bien du côté transport que du côté communications. Les frères Montgolfier prennent l’air en ballon, et un réseau de sémaphores espacés de 5 kilomètres relie entre elles les principales villes de France. La vapeur fait son apparition, et déclasse les canaux tout neufs et le coûteux système de diligences. En 1844, un réseau télégraphique pratique est mis en service. Pendant une très brève période, la nouvelle qu’un homme arrive se propage beaucoup plus vite que l’homme lui-même. Et c’est une chance pour les chemins de fer, car, sans un moyen de communications beaucoup plu rapide que les trains, le chemin de fer n’aurait jamais pu fonctionner comme il l’a fait. Il avait besoin du télégraphe, car sur les voies uniques (très nombreuses) pour assure la séparation du trafic dans un sens, et pour détourner le trafic dans le sens inverse. On utilisait les voies de garage – que nous appelons « circuits d’attentes”, et, comme les chemins de fer, nous avons fini par dépendre entièrement de notre système de communication. Nous l’utilisons pour espacer le trafic dans un sens et pour déterminer ou faire attendre le trafic en sens inverse sur les voies uniques, car notre réseau, comme celui des chemins de fer à leurs débuts, est en général à voie unique, et la sécurité de son fonctionnement exige des communications beaucoup plus rapides que le véhicule.
Mais l’homme rattrape sa voix à une vitesse étonnante. Il se déplace maintenant trente fois plus vite qu’au début du siècle, et le taux d’accélération augmente lui-même sans qu’on en voie la fin. Il est vrai que la vitesse moyenne de nos communications a aussi augmenté. Il fut naguère d’usage courant que les messages soient portés de la cabane-radio à la salle d’opérations par un cycliste. Le cycliste et son vélo ne sont plus dans la course. Très souvent, il existe une ligne directe du pilote au contrôleur. Et ensuite ? C’est fini, parce que nous en sommes au plus rapide des circuits faisant usage de la voix humaine. Et pourtant, nous ne sommes pas près de la fin en ce qui concerne la vitesse du transport !
Un contrôleur habile, qui parle à raison de 150 mots à la minute, arrive tout juste à se débrouiller avec les subsoniques. Croyez-vous qu’il apprendra à parler à 600 mots-minutes pour garder le contact avec les supersoniques ? Et les appareils eux-mêmes ?
Regardez les trois derniers modèles que j’ai piloté : le B 314, le B 377, et le B 707, nous avons gagné 3 mètres d’envergure tous les dix ans, mais d’ici dix ans…
Regardez en arrière, voyez un peu ce qui est arrivé, pour essayer de deviner ce qui va se passer. Regardez par exemple les trois derniers modèles que j’ai pilotés, et celui que je voudrais avoir la chance de piloter un jour.. Le B 314 de 1938, le B 377 de 1948, le B 707 de 1958 et le « Concorde” de 1968, peut-être.
A première vue, pour le profane, ils ne sont pas tellement différents. Même nombre d’ailes, de roues, de moteurs, à peu près la même taille, bien qu’un peu plus ”fins » aujourd’hui. On peut pardonner au public de ne pas voir la différence, mais je n’arrive pas à comprendre que tant de professionnels aient pu s’y tromper. En fait, ces engins n’ont pratiquement rien de commun.
Voyons d’abord leur envergure : 152, 142, 131 et 90 pieds (50, 47, 43 et 30 mètres). Nous avons gagné 10 pieds (environ 3 mètres), tous les dix ans. En même temps, les poids maxima au décollage ont varié, 84.000, 124.000, 247.000, 300.000 livres (38 à 56, 100 et 140 tonnes) ou davantage. Chaque fois que nous rognons les ailes, nous ajoutons 50% au poids maximum. Nous nous en tirons en augmentant la puissance : nous voilà à 50 tonnes de poussée. La puissance disponible a augmenté plus vite que tous les autres paramètres, et, tout naturellement, la quantité de carburant consommé a suivi une courbe parallèle. Elle est passée de 25 à 50% en pourcentage du poids total. En ce qui concerne la vitesse, elle a doublé tous les dix ans, et elle doublera sans doute encorde d’ici dix ans.
Or, qui est-ce qui perd ses ailes, en accroissant sa puissance, font presque toute la charge est convertie en carburant tandis que sa vitesse augmente de façon vertigineuse ? Vous y êtes : c’est une fusée ; évidemment ! L’avion est en voie de disparition. Vous avez d’ailleurs remarqué sans doute que je n’ai jamais employé jusqu’ici le mot « avion”. Je ne le ferai pas davantage par la suite. Sauf une fois.
En résumé, on peut dire que, depuis la naissance du transport à moteur, nous avons été limités par l’écart important existant enfin la vitesse des communications et celle du transport proprement dit. Or, cet écart diminue, et avec une vitesse inquiétante ! Combien de temps encore les communications seront-elles plus rapides ? Combien de temps pourrons-nous passer par l’intermédiaire d’une tierce personne et de la voix humaine pour éviter les collisions ?
Le deuxième point à retenir de cette brève rétrospective, c’est que nous devons être prêts à employer des véhicules dont les caractéristiques seront celles des fusées. Sinon, nous nous conduirons comme nos ancêtres d’il y a cinquante ans, qui plantaient des écriteaux avec ”10 kilomètres à l’heure » à l’entrée des villages, pour que les nouveaux véhicules sans chevaux s’adaptent au trafic existant.
… nous devons être prêts à employer des véhicules proches de la fusée.
Quelques aspects du transport supersonique qui, sauf modifications, vont influer sur le contrôle aérien.
Les performances du transport supersonique sont très sensibles aux variations de température. Il est prouvé que tout écart avec la température prévue au départ exige un changement immédiat du profil de vol. Le transport supersonique exigera une certaine souplesse d’emploi dans le plan vertical pendant la montée. En croisière, les gens compétents semblent d’accord pour lui accorder des écarts d’altitude. La vitesse de croisière aura des écarts pouvant atteindre 200 nœuds (380 km/h) rien qu’en fonction des changements de température probables.
Par contre, le transport supersonique fait preuve d’une certaine souplesse dans le choix de la vitesse de croisière : 0,2 Mach (environ 220 km/h) pour un avion du type « Concorde”, sans que soit affecté le rayon d’action, selon les sources britanniques autorisées. Aux Etats-Unis, le Major Polhemus montre des courbes de surconsommation en fonction du nombre de Mach pour un engin à Mach 3, d’après lesquelles, entre 2,7 et 3,25, la variation de consommation est inférieure à 2%. Comme Polhemus le fait remarquer, on pourra pallier les erreurs de prévision du plan de vol en affichant un nombre de Mach différent de celui prévu.
D’autres corrections de l’heure d’arrivée pourront être obtenues en modifiant l’angle de descente, pourvu que le contrôle aérien soit en mesure de lui laisser une certaine liberté dans le plan vertical. Des modifications plus importantes pourront être obtenues par le retour en subsonique à quelque distance de l’arrivée. Il est admis que même un appareil à aile fixe pourra passer de Mach 3 à Mach 0,88 sans consommer davantage.
Si c’est à 600 milles de l’arrivée, cela se traduira par vingt minutes d’écart pour l’heure d’arrivée. On pourra trouver encore vingt-minutes de plus en modifiant le profil de descente, pourvu, encore une fois, que le contrôle aérien consente une certaine latitude dans le plan vertical.
L’énorme consommation de carburant est une autre caractéristique du transport supersonique. Nous avons déjà appris, avec les subsoniques, qu’avec une quantité de carburant donnée, on peut parcourir une bonne distance, mais non pas tenir l’air longtemps. Le contrôle aérien devra donc être conçu de façon à ne rien demander qui se traduise par de précieuses minutes de carburant. Au pire, il faudra que toute demande en ce sens soit faite avant l’entrée dans la zone terminale. Au mieux, cette demande devrait se situer avant le décollage.
Le squelette dans le placard
La question du ”bang » sonique nous obsède comme le squelette dans le placard. Les expériences qui ont soumis Oklahoma-City au début de l’année à des « bangs” répétés ont conduit les ingénieurs à réviser leur opinion. C.-L. Johnson, de chez Lockheed, demande que la suppression de 2 livres par pied carré actuellement tolérée soit réduite à une livre, et qu’on élimine totalement le ”bang » pendant la croisière. Ce qui exigerait des moteurs d’une puissance supérieure, et des altitudes de croisière plus élevées.
Le Major Polhemus nous a montré sur ses courbes l’effet capital du vent. L’effet maximum se produit part vent trois-quarts arrière ; l’effet minimum par vent debout, l’effet moyen tolérable par vent complètement arrière. Aux altitudes prévues pour l’accélération, il n’y aura pas de problèmes avec des vents inférieurs à 100 nœuds. Mais si les vents sont plus forts, le cap d’accélération devra tenir compte de leur direction. Il faudra donc de la souplesse dans le choix des routes de départ.
Avec le transport supersonique, on doit prévoir trois sortes de dangers subits, dont deux sont d’ailleurs communs avec les subsoniques : la perte de puissance et la panne de pressurisation, qui exigent une descente immédiate.
Les éruptions solaires
Le troisième danger est encore imparfaitement connu : les éruptions solaires. On nous affirme bien qu’elles seront prévues plusieurs jours à l’avance d’ici sa mise en service des transports supersoniques. Mais on semble plutôt penser, en général, pour l’instant, que le préavis sera plutôt de l’ordre d’une vingtaine de minutes. Pendant ce laps de temps, les avions volant entre 60 et 80.000 pieds devront descendre se mettre sous la protection des couches les plus denses de l’atmosphère, vers 50 ou 40.000 pieds. Ce qui pourrait bien être le plus sérieux des trois problèmes pour le contrôle, car, dans ce cas, ce ne sera pas un seul appareil, mais des flottes entières, qui voudront descendre sans le moindre délai.
Quelques aspects des couches supérieures de l’atmosphère qui influeront sur le Contrôle Aérien.
Des études effectuées par l’Université McGill et par la Météorologie américaine (US Weather Bureau) et des sondages récents par fusées confirment qu’en général et dans une certaine mesure les vents, dans les couches supérieure de l’atmosphère, se conforment au schéma classique. Leur vitesse augmente avec l’altitude jusqu’à environ 40.000 pieds, puis elle diminue pour retrouver la même valeur qu’au sol aux altitudes du transport supersonique. Mais plus haut, leur vitesse recommence à augmenter. Les chiffres récents, encore incomplets, confirment qu’au niveau de 30 millibars on peut rencontrer des vents deux fois plus rapides que les « jet-streams” actuellement connus.
Deux ans et demi de sondages effectués à partir des bases de White Sands et de Churchill indiquent qu’on trouve, à 80.000 pieds, des vents de 200 nœuds. Il semble que ces vents soufflent de l’Ouest sept mois par an, de l’Est les cinq mois restants, avec de curieuses variations en janvier. Si pour éliminer le bang sonique le Transport supersonique doit voler à ces altitudes, il conviendra d’en tenir compte.
Mais les hautes températures posent un problème plus grave. On a constaté que des écarts de température de 20°C pouvaient se conduire en quelques minutes. Ce fait exigera d’abord une réaction rapide sur les gaz, mais il modifiera la vitesse propre de l’appareil dans une mesure pouvant atteindre jusqu’à 200 nœuds !
La traversée des ”jet-streams »
Dans l’état actuel de nos connaissances, il semble qu’on puisse intégrer toutes ces variables en jouant sur le régime de croisière, comme nous l’avons dit plus haut. A condition que le pilote soit tenu informé en permanence de l’évolution des paramètres. Mais la descente p peut-être un autre problème. De nos jours, quand un « jet” subsonique commence sa descente, il quitte une altitude où les vents sont maxima, et trouve rarement des vents assez forts pour fausser complètement ses calculs de descente. Avec le transport supersonique ce sera peut-être différent. Il devra s’attendre à traverser la zone des ”jet-streams » à vitesse subsonique. Une fois de plus, il faudra savoir exactement ce qui se passe.
Estimation du nombre des supersoniques à prévoir sur l’Atlantique Nord
Ces estimations sont aussi variées que les hommes qui qui les font. On admet en général qu’il n’y aura aucun passager à certaines heures de la journée, d’où il résultera des pointes de trafic analogues à celles d’aujourd’hui. A l’heure actuelle, la pointe maximum pour les vols vers l’Est se situe aux heures du matin. Un spécialiste prévoit une pointe de 18 appareils à l’heure à ce moment-là : c’est le maximum qu’il envisage. De nombreux spécialistes pensent que les transports supersoniques n’opéreront que sur l’Atlantique Nord, et passeront leur existence à faire la navette au-dessus de l’océan ; ce qui n’est pas forcément exact. De nombreux vols vers l’Ouest dépasseront New York vers la Californie et même au-delà, et les vols vers l’Est continueront jusqu’au Moyen-Orient et au-delà. On atteindra donc ainsi des rotations de plus de dix heures par jour, à condition que la fiabilité mécanique de ces appareils soit égale à celle des « jets” actuels.
Les tarifs qui seront appliqués constituent une variable essentielle. Lockheed affirme que les tarifs pourront être maintenus aux taux, et même abaissés. Si cette prévision est juste, le supersonique pourrait bien absorber la totalité du trafic. La réduction de tarif de cet été a prouvé à quel point le passager est sensible à cet argument. La baisse constante des tarifs transatlantiques a ouvert un nouveau marché jusqu’alors inexistant. On peut espérer que l’augmentation de la vitesse ouvrira des marchés analogues. Il serait donc illogique de prévoir un contrôle aérien incapable de traiter 18 supersoniques à l’heure, ou de se développer au rythme des aéroports qu’il alimente.
Proposition d’une méthode de contrôle du trafic aérien supersonique sur l’Atlantique Nord, découlant des considérations précédentes.
Je ne peux pas trouver de meilleur moyen de commencer la dernière partie de cette note qu’en citant M. David D. Thomas, de la Federal Aviation Administration des Etats-Unis. M. Thomas s’occupe de contrôle aérien depuis fort longtemps. Il est actuellement directeur adjoint des Programmes. Dans le numéro de janvier de, Aeronautics and Astronautics, il écrit :
”C’est maintenant, au moment même où le VORTAC est utilisé partout, que nous devons commencer à préparer les prochains types d’équipement de navigation, qui devront être à la hauteur des progrès accomplis pour les cellules et les moteurs. De tous les éléments qui constituent l’ensemble du système, la navigation est non seulement le plus important, mais aussi celui qui pose le problème le plus ardu. On peut concevoir un système de navigation sans contrôle aérien, mais aucun contrôle aérien n’est concevable sans un système de navigation« .
Je ne pense pas qu’on doive conclure de ce texte qu’il faut continuer à rafistoler le système actuel, qui est bien fatigué. Il signifie, à mon avis, que tout en gardant à l’esprit les investissements en hommes et en argent de notre système actuel, nous devons tendre à en préparer un nouveau qui satisfera aux exigences des engins à venir.
En somme il s’agit d’un problème de trafic à deux dimensions.
Nous avons vu tout à l’heure que les subsoniques actuels tireraient le plus grand bénéfice d’une liberté plus grande dans le plan vertical. Ce que nous savons du transport supersonique prouve qu’il aura besoin, lui, d’une très grande liberté dans ce plan vertical. La section de l’OACI qui s’occupe de l’Atlantique Nord nous apprend que, dans cette région, le trafic est essentiellement est-ouest, avec très peu de trafic convergent vers cet axe ou le traversant. En partant de ces deux hypothèses – le courant du trafic est orienté est-ouest, et on doit garantir une certaine liberté aux avions dans le plan vertical – nous constatons que le problème posé au contrôle aérien (à savoir éviter les collisions) se ramène à un problème à deux dimensions. Dès lors il nous devient familier : c’est le problème des transports de surface. Il vaut donc la peine de voir un peu ce qui a été fait dans ce domaine.
Si nous en croyons la rubrique maritime du New York Times, les navires de surface n’ont pas grand-chose à nous apprendre ; d’après ce journal, les navires de commerce ont en moyenne mille collisions par an. « La liberté des mers”, de toute évidence, est une formule qui ne s’applique pas seulement au domaine politique. Elle semble signifier aussi le droit de percuter qui vous voulez quand vous voulez. Des efforts ont été tentés pour ordonner le trafic sur l’Atlantique Nord, mais les routes ne sont pas obligatoires. Elles sont laissées à la discrétion des utilisateurs.
Les règles de base de l’écoulement des voitures sur les autoroutes.
Nous avons beaucoup plus à apprendre des ingénieurs qui s’occupent des autoroutes et de leurs efforts pour écouler le trafic automobile.
Il y eut d’abord une période pendant laquelle on essaya d’imposer aux véhicules à moteur la même vitesse que les carrioles pour leur permettre de circuler ensemble au même rythme. Mais bientôt l’automobile fut acceptée pour ce qu’elle est : un moyen de transport plus rapide et plus pratique. Comme les rues furent très vite embouteillées, les ingénieurs s’attaquèrent à un problème de” régulation ». Il fut résolu d’abord par l’installation d’un agent de police en gants blancs à chaque carrefour principal. Comme le nombre de carrefours critiques augmentait de jour en jour, le prix de ce système de régulation devint excessif. On remplaça alors le « flic” par un feu tricolore, ou, pour les carrefours de moindre importante, par un signal ”stop » qui oblige les véhicules à s’arrêter complètement avant de traverser. Le service est ainsi « régulé”, mais il n’est pas rapide, et il est courant de voir une longue file de voitures du Nord au Sud, arrêtée à un feu rouge pour laisser passer un trafic est-ouest inexistant. Toutes ces voitures attendent e fonctionnement d’un système automatique qui a été créé pour leur rendre service. Ce n’est pas suffisant de réguler le trafic : pour que le système soit efficace, il faut qu’on puisse également l’accélérer. A ce stade du problème les ingénieurs sont retournés à leur planche à dessins. Ils y sont encore aujourd’hui.
Le résultat de leurs derniers efforts est excellent, en fait. Mais il a une faiblesse. Une seule, mais capitale.
Voyons l’essentiel de leurs idées.
1 – Les trafics ne doivent jamais se couper : les croisements à angle droit se font par-dessus ou par-dessous. Résultat : suppression des feux tricolores.
2 –Les trafics en directions opposés sont séparés. Sur les meilleures autoroutes, cette séparation est totale. On ne voit même pas le trafic opposé, on ne peut pas être distrait ou gêné par ses phares.
3 – Le trafic dans une même direction est réparti en voies bien distinctes.
4 – Des emplacements sont prévus pour les véhicules incapables de se maintenir à la vitesse du trafic. Sur certaines autoroutes, ces emplacements consistent en une bande de gazon. Sur d’autres, comme sur la route de Rome à Ostie, la voie de droite, pavée, est bordée d’une ligne matérialisée jaune, et réservée aux véhicules en détresse.
Un des défauts de ce système est qu’aux heures de pointe cette voie de secours n’est accessible qu’à la file de droite. Si à ces moments-là, une voiture d’une autre file tombe en panne, il n’y a rien d’autre à faire que l’abandonner sur place, où elle constitue une gêne et un danger.
Le problème des variations de trafic.
Mais le défaut majeur de ces autoroutes est qu’elles doivent absorber toutes les variations du trafic. Tant que la capacité dépasse la demande, le trafic s’écoule rapidement et en bon ordre. Mais dès que la demande excède la capacité, tout se bloque dans la fumée des gaz d’échappement. On a fait des efforts pour arranger les choses. On a placé des caméras aux ponts et aux tunnels d’entrée, pour réguler le trafic entrant. Des hélicoptères survolent les autoroutes et transmettent par radio leur analyse du trafic. Mais personne n’a encore trouvé le moyen de faire rentrer deux litres dans une bouteille d’un litre, ce qui constitue le problème posé par les variations du trafic, aussi bien en l’air que sur terre.
Essayons de tracer notre réseau de routes aériennes : espace central neutralisé large de 60 miles, voies normales et de secours dans chaque sens, espacées de 30 miles les appareils suivant à 10 minutes d’intervalle.
Essayons de tracer notre réseau de routes aériennes à deux dimensions entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Il semble improbable que les vents et la température puissent amener les supersoniques à s’écarter beaucoup de la route la plus directe. Notre réseau sera donc centré sur l’arc de grand cercle. Une voie centrale sera neutralisée pour servir de séparation entre les trafics de sens opposés. Elle sera flanquée de voies latérales parallèles, réservées au trafic allant dans la même direction. Ces voies seront assez étroites, et seront alternativement ”voie normale » et « voie de secours”, de sorte que chaque voie destinée à être utilisée normalement soit bordée de chaque côté d’une voie de secours, sur laquelle pourra se placer tout appareil incapable de respecter son plan de vol dans certaines limites. Les appareils ne pénètreront sur chaque voie qu’avec une autorisation préalable s’étendant jusqu’à un point déterminé au voisinage de l’aéroport de destination. L’entrée dans le réseau se fera à un instant déterminé. La voie attribuée, sera choisie en fonction de la vitesse de croisière prévue au plan de vol. L’appareil devra respecter son plan de vol non seulement en cours de trajet, mais en ce qui concerne l’heure d’arrivée et l’altitude au point fixe mentionné plus haut, qui constitue la sortie de la voie pour l’aéroport de destination. Excepté à l’intersection d’autres routes aériennes, il aura une liberté totale dans le plan vertical.
Les voies parallèles pour le trafic allant dans une même direction seront aussi rapprochées que les moyens de navigation le permettront. Les voies de secours entre chacune des voies de trafic fourniront une sécurité supplémentaire. L’espacement longitudinal sera considérablement réduit dans chaque voie, puisque les vitesses sur chaque voie seront presque identiques. Les plans de vols seront comparés au départ, et respectés en cours de vol. Un instrument supplémentaire donnant la distance de l’appareil précédent assurera une sécurité définitive dans ce domaine. On remarquera que la mise au point d’un instrument de ce genre est beaucoup plus simple que celle de tous les dispositifs anti-collisions actuellement à l’étude.
Le nombre d’appareils pouvant employer un tel réseau dépendra de l’exactitude et de la fiabilité des équipements employés. Voici comment l’ensemble pourrait se présenter. Un système de navigation à représentation imagée située dans le cockpit serait la base de l’ensemble. Un système ”doppler » ou à inertie fournirait les renseignements instantanés permettant de garder la route. Cela est en accord avec les exigences récemment encore répétées par la FAA, selon laquelle « la responsabilité de la navigation doit rester dans l’appareil”. En fait, la phase aurait dû être écrite autrement : ”La responsabilité de la navigation doit REVENIR dans l’appareil« . Mais l’idée fondamentale resta la même. La voie centrale séparant les trafics en sens inverse aurait une largeur de 60 milles. Elle serait flanquée de trois voies de chaque côté, chacune à 30 milles de l’autre. Ces 30 milles donneraient une marge de sécurité supplémentaire en opérations normales et laisseraient la place pour une voie de secours. La largeur totale du réseau serait alors de 180 milles, beaucoup moins que les 500 et plus du réseau actuel. L’espacement longitudinale serait de 10 minutes et contrôlé par un appareil évaluateur de distance, comme précisé plus haut. La capacité d’un tel réseau serait de 18 appareils à l’heure dans les deux sens, et pourrait être accrue à la demande en ajoutant des voies, à moins que les progrès des dispositifs de navigation ne permettent de réduire l’espacement longitudinal. En éliminant les pointes et les creux du trafic, on s’approcherait de la capacité théorique, qui serait d’environ 500 vols par jour, répartis sur les 18 heures rentables. Bien entendu, en faisant voler des appareils pendant les heures creuses, la capacité en serait accrue d’autant.
Le rôle du contrôle aérien serait alors simple : indiquer si la voie est libre ; placer les avions qui ont du retard sur les voies de secours ; régler les embouteillages à l’arrivée s’il s’en produit.
Ce plan de vol pourrait se présenter en carte perforée.
Le contrôle aérien, au sens général du mot, aurait alors deux fonctions principales : premièrement il aurait à répondre à une question du sol : « La voie est-elle libre” ? Cette question pourrait prendre la forme d’un plan de vol ou d’une carte perforée, la même carte qui serait utilisée ensuite dans l’appareil pour fournir un ”howgozit » (5). Une fois l’autorisation donnée, la seconde fonction du contrôle aérien serait la surveillance de la voie pour garantir qu’elle restera libre. En temps normal, cela ne devrait nécessiter aucun échange de communications supplémentaires.
(5) Courbe de consommation/distance.
Les deux cas principaux dans lesquels le système pourrait se désorganiser seraient d’une part l’impossibilité pour un appareil de respecter son plan de vol ; d’autre part, l’incapacité de l’aéroport de destination d’absorber le trafic à l’arrivée.
Dans le premier cas, l’appareil se placerait sur une voie de secours et aviserait le contrôle, qui pourrait soit lui indiquer une nouvelle heure et une nouvelle altitude d’arrivée au point final, soit le diriger vers un aérodrome de dégagement. Dans le second cas, l’embouteillage d’un terrain à l’arrivée, le contrôle préviendrait les appareils intéressés au moins une demi-heure avant l’heure d’arrivée estimée, pour leur permettre d’absorber l’attente en modifiant les conditions de leur descente. Un retard plus important conduirait à la solution du dégagement.
Ce projet soulève de nombreuses objections. La première est de trouver le moyen d’éliminer toute irrégularité des vols. Jusqu’ici, le trafic aérien a toujours été irrégulier, sauf exceptions. Et les experts, presque sans exceptions, affirme qu’il en sera de même dans l’avenir.
En principe les horaires donnés sont précis.
Je trouve cela consternant. Dans le domaine de l’aéronautique qui m’est propre, il n’y a rien d’irrégulier dans ce que nous vendons au public. Les horaires sont tout à fait précis. Ils ne disent pas : Le vol N° X doit quitter Londres à tel heure, ils ne disent pas non plus qu’il devrait quitter Londres, et qu’il se .pourrait qu’il quitte Londres à telle heure. Non, ils disent catégoriquement quittera Londres. Il en est de même pour les heures d’arrivée. Parler de l’irrégularité d’un tel système, admettre qu’il sera toujours irrégulier, c’est fuir ses responsabilités.
Une autre façon de fuir ses responsabilités consiste à souligner que les vols partent souvent en retard. Ils peuvent parfaitement partir à l’heure. Il suffirait que les appareils soient rassemblés sur des emplacements proches de la piste, qu’ils rejoindraient par une bretelle utilisable à grande vitesse. Les passagers seraient ramassés en ville par un moyen de transport rapide et sûr, qui les amènerait directement à l’appareil. Leur nombre serait connu à bord avant leur arrivée. Une autorisation de mettre les moteurs en route précèderait de trois minutes celle de décoller. Les vérifications mécaniques, responsables actuellement de 4% des retards, devraient se faire plus efficacement.
Une autre objection à ce système est la difficulté de faire entrer dans un réseau de ce type de trafic venant de plus loin, de Francfort ou de Rome, par exemple. Ce n’est pourtant pas difficile du moment qu’on connaît ce trafic à l’avance (et on le connaîtrait dans ce système), c’est le trafic de Londres ou de Shannon que vous glissez dans les intervalles. Si les intervalles sont trop rares, on ajoute des voies à la route aérienne transatlantique.
On devrait pouvoir envoyer un véhicule aérien de Londres à New York à la demi-seconde près.
Il est évident qu’un problème aussi complexe que le trafic aérien ne peut pas être résolu par une simple et unique panacée. Mon projet n’est pas une panacée. Il laisse de nombreux problèmes en suspens. Mais il offre la possibilité d’organiser le trafic sur l’Atlantique Nord de nombreux avions supersoniques, et de leur faire traverser l’océan régulièrement ET rapidement.
L’auteur de ce projet est « dans la lune” dira-t-on peut-être. Entre parenthèses, aller dans la lune n’est pas notre ressort. Mais pourquoi ne pas jeter un coup d’œil de ce côté, pour voir comment procèdent ces gens-là ? Ils ont, eux aussi, leurs problèmes. D’abord, ils visent un but qui n’est pas immobile. Et jusqu’à présent, ils n’ont personne à bord pour corriger les erreurs, si bien que, la plupart du temps, leur tir est raté. Mais quand il est réussi, il l’est bien. S’’ils employaient nos méthodes à nous, ils pourraient envoyer un véhicule de Londres à New York et le faire atterrir entre la piste 13 droite et la piste 13 gauche de l’aéroport J. F. Kennedy en donnant seulement une information unique aux alentours du 30ème méridien ouest, avec une précision de l’ordre de la demi-seconde pour l’heure d’arrivée.
J’avais l’intention, en préparant cette conférence, de fournir des références annotées. Cela s’est révélé impossible, mes sources sont tellement nombreuses ! Si vous voulez comment je suis arrivé aux conclusions que je viens d’exprimer, reportez-vous à la bibliographie ci-jointe, et passez vingt-sept ans sur l’Atlantique Nord dans le cockpit de ce qu’on appelait jadis ”UN AVION ».