ECHOS Sud Aviation – Août & Septembre 1969

En réponse à l’invitation qui avait été faite aux Autorités et aux Industriels soviétiques de visiter Concorde lors du Salon, M. Dementiev, Ministre de la production Aéronautique, et Tupolev ont invité M. Henri Ziegler Président Directeur Général de Sud Aviation, qui s’est rendu à Moscou avec plusieurs de ses collaborateurs, dont M. Turcat, Directeur des Essais en Vol.

Les responsables de Sud Aviation ont pu visiter de façon approfondie le Tu-144, guidés par leurs collègues de la Société Tupolev, et assister à une présentation en vol sur le terrain de Cheremetievo. Des conversations très ouvertes ont eu lieu entre les deux constructeurs responsables de l’ouverture des transports supersoniques dans la décennie 70.

Le 23 juillet, Une mission du Conseil Economique et Social présidée par M. Mayolle, s’est rendue à Toulouse où elle a été reçue par MM. Coupain et Dufour. Les visiteurs désiraient se rendre compte de l’importance prise ces dernières années par l’emploi de l’ordinateur dans les techniques de pointe nécessaires à l’industrie aéronautique. Sud Aviation leur a donc montré comment la productivité est améliorée par l’emploi de machines à commande numérique. Il bon de rappeler qu’il y a douze ans que Sud Aviation s’est préoccupé de cette question et que la première fraiseuse a été commandée en 1960 et mise en service en 1962, 86 machines sont actuellement en utilisation ou en commande et elles couvrent les besoins en fraisage, (même de grande dimension), perçage, alésage, pointage et tournage. Il faut souligner que ces procédés ont joué un rôle dans a réalisation de Concorde, dont la structure est en grande partie usinée.

Dans le même ordre d’idée cette mission s’est intéressée à l’ATEC, au simulateur CONCORDE, au centre de calcul scientifique et le système d’acquisition et de dépouillement automatique des essais en vol. Le Président Myolle en remerciant par lettre Sud Aviation a indiqué qu’il comptait tirer de cette visite d’importants enseignements pour le rapport que cette mission prépare actuellement.

Le 30 août, notre Président, M. Ziegler et le Docteur Bernard Weinhardt, Président de DEUTSCHE AIRBUS ont accueilli une délégation de la Compagnie British European Airways conduite par Sir Anthony Milward, Président du Conseil d’Administration de BEA et M. Henry Marking, Directeur Général.

Sir Arnold Hall, Président du Groupe Hawker Siddeley et Sir Harry Broadhurst, Directeur Général Adjoint de Hawker Siddeley Aviation participaient à cette visite.

Enfin le 8 septembre, M. Guista, notre Directeur Général a reçu à Toulouse Sir Ronald Melville, (Permanent Secretary for Air) au Ministère de la Technologie Britannique, accompagné de l’Air Marshal Sir Christopher Hartley, de M. l’Ingénieur Général Arnaud ainsi que d’autres personnalités. Après avoir visité le CEAT dans la matinée, nos hôtes ont été accueillis par MM. Giusta et Dufour qui leur ont présenté les usines de Toulouse, notamment les installations de Blagnac (Airbus, Simulateur Concorde et Labo TSS) et leur ont fait visiter CONCORDE.

En vue des essais statiques qui seront effectués prochainement, une cellule complète de Concorde destinée à ces essais a été transférée, après assemblage, dans le hall du Centre d’Essais Aéronautiques de Toulouse.
Les résultats obtenus à ce jour des essais de Concorde en domaine subsonique font l’objet d’une partie des Informations de ce numéro
Concorde entre dans la phase des essais supersoniques.

Après l’achèvement de la première série d’évaluations les prototypes sont préparés en vue de la phase suivante d’essais en vol dont l’objectif est d’atteindre, au printemps prochain, des vitesses de l’ordre de Mach 2.

Le premier bilan des essais en vol s’établit comme suit :

Comptés de cale à cale, les 39 vols du prototype français ont totalisé 59 heures et 45 minutes, et les 24 vols du 002 ont totalisé 42 heures et 7 minutes.
Le domaine de vol exploré est présenté sur le tableau suivant :

Les pilotes d’essais André Turcat et Brian Trubshaw n’ont, en fait, eu à signaler aucun problème majeur dans le domaine exploré. Trubshaw a notamment déclaré : “Aucun de nous n’avait vraiment pensé que le programme aurait si bien marché. Nous étions sûrs que nous allions avoir de sérieuses difficultés pour une raison ou pour une autre, mais cela ne s’est simplement pas produit”. Il a ajouté, en parlant du programme d’essais : “Nous accomplissons ce que nous avions dit que nous ferions, et ceci a surpris beaucoup de gens, y compris les organismes officiels concernés”.

Le dernier vol du 002 s’est effectué avec Turcat au poste pilote, Trubshaw à celui de copilote et Sir George Edwards, Directeur Général de BAC, à celui de navigateur.

Parmi les principaux résultats acquis il faut dire que dans le domaine de vol exploré l’avion se comporte très bien et que le pilotage en est aisé et précis. En effet, les variations de trim sont très faibles même lors de la manoeuvre du nez. La précision de la profondeur est très grande : l’angle de 10 ° 1/2 par exemple veut dire 10° 1/2 et non pas environ 10° ou environ 11. Cette précision est à peine affectée par la mise hors services des systèmes d’autostabilisation et d’automanette.

Aux basses vitesses où Concorde vole au deuxième régime, son comportement est franc ; il est bon de remarquer que l’avion ne décroche pas et que les atterrissages se sont avérés relativement conventionnels. Toutefois, il n’a pas encore été essayé à l’angle maximal d’incidence.
Les essais effectués ont montré qu’en configuration nez et visière relevés le cockpit était fort peu bruyant.
Il est à noter que les pilotes ont, la plupart du temps, utilisé les manettes automatiques des gaz en approche finale. Les essais d’atterrissage ont été exécutés jusqu’à un poids de 104 tonnes dont une fois sur piste mouillée. De plus des essais d’atterrissage sur 2 et 3 moteurs et des décollages et montées sur 3 moteurs ont été effectués : M. Turcat a notamment réalisé un décollage en réduisant un réacteur à la vitesse V 1.
On doit noter aussi des essais de maniabilité au centrage arrière, des mesures de bruit au sol ainsi que des essais de délestage de carburant (en fait on a délesté de l’eau et observé les effets sur la pointe arrière), et une simulation de fuite de carburant dans un fuseau réacteur.
Les réacteurs ont été réallumés en vol et dans le domaine exploré les réallumages ont été très rapides. L’inversion de poussée a également été essayée à l’atterrissage jusqu’à 85 % du régime maximum.

Ainsi les essais exécutés jusqu’à présent montrent que les caractéristiques générales et la maniabilité en subsonique sont bonnes. Il est à noter que ces essais ont comporté l’étude du “flutter“. (phénomène de résonnance qui peut apparaître au niveau des gouvernes notamment au passage des rafales) en excitations forcées.

Les réacteurs Olympus 593-1 et 593-2A, équipant les prototypes, fournissent une poussée de 12 700 kg. Ils sont utilisables jusqu’à des températures d’entrée de 50° correspondant à Mach 1,6.

Les résultats actuels indiquent que le programme d’essais en vol peut être poursuivi jusqu’au régime supersonique conformément au calendrier prévu. Des réacteurs de 14.925 kg de poussée seront d’abord montés, puis les réacteurs 593 3B de 15.740 kg de poussée dont l’utilisation sera entièrement autorisée à Mach 2. Ces derniers seront livrés vers la fin de l’année pour les essais de début 1970.
Quelques mots sur les procédures actuelles de décollage et d’atterrissage. Pour décoller on accélère jusqu’à 320 km/h, puis on effectue une rotation jusqu’à 10° 1/2 et le décollage intervient à 355 km/h ; ceci pour des masses au décollage se situant aux environs de 130 tonnes. Le train d’atterrissage est rentré à 425/465 km/h et la montée s’effectue à 555 km/h. Par la suite la vitesse de montée sera portée à 740 km/h.
Quant à la procédure d’atterrissage, elle est la suivante : Elle s’effectue actuellement à 315 km/h pour éviter un frottement de la queue sur la piste. Il faut noter également qu’au début des vols, et compte tenu de la hauteur du cockpit au-dessus du sol, les équipages ont été un peu surpris par l’atterrissage qui se produisait 2 à 3 secondes avant le moment qu’ils escomptaient. D’ailleurs le train d’atterrissage sera surélevé d’environ 10 cm sur les versions de série et, compte tenu des autres modifications – notamment des puissances de réacteurs – les procédures suivantes s’en trouveront légèrement modifiées, et, en particulier, la vitesse d’atterrissage sera diminuée.

Le 002 subit en ce moment à Fairford les principales modifications suivantes :
– Mise en place des entrées d’air variables sur les 4 réacteurs. Jusqu’à présent les deux avions ont volé avec les rampes variables en position fixe sur les réacteurs gauches seulement. De plus, le taux de postcombustion actuel de 9% sera augmenté dans un proche avenir.
– Mise en place de l’appareillage d’excitation forcée pour essais de “flutter“. Cet appareillage comprendra des “bokers“ (petites charges explosives pour provoquer les vibrations).
– Modification du système de commande de vol qui était apparue nécessaire lors des études sur simulateur. On modifiera notamment le débattement des ailerons internes pour limiter l’amplitude du roulis
– Modification des rails de guidage du nez basculant pour éliminer les vibrations latérales lorsque le nez et la visière sont abaissés.
C’est la seule modification importante qui résulte directement du programme d’essais en vol.
Des modifications importantes du même ordre seront effectuées sur le 01 lorsque le prototype britannique reprendra ses vols d’essais en décembre, époque à laquelle le 002 prendra la relève de l’appareil français pour achever les essais de “flutter“.
Nous rappelons que c’est le 7 août que s’est terminée la deuxième phase des essais en vol qui avait débuté avec le 1er vol du 001 à Toulouse le 2 mars, et du 002 à Filton le 4 avril 1969.

Ces essais ont comporté notamment :
– Les conditions de décollage et d’atterrissage,
– Les qualités de vol dans la gamme des vitesses de montée, de présentation et d’évolution en approche,
– Les essais de rallumage et de réchauffe des moteurs à diverses altitudes jusqu’à 12.500 mètres.
– Des essais de fonctionnement de l’ensemble des systèmes
– Des mesures de bruit au voisinage du sol
– L’étude des qualités de vol en subsonique dans toute la gamme des centrages
– L’exploration du domaine des vitesses jusqu’à Mach 0,95.
– L’ensemble du comportement de l’avion jusqu’à la limite du vol transsonique a donc été étudié.

Cinq pilotes d’essais des Sociétés et deux pilotes d’essais des Services Officiels français et Britanniques ont participé à ces essais en qualité de Commandant de bord.
Les 6 et 7 août, les deux avions sont rentrés en atelier.
Le 001 vient d’entamer les vols transsoniques et le 002 poursuivra vers la fin de l’année l’exploration du domaine supersonique.
Les résultats acquis jusqu’ici par les sociétés Sud aviation et British Aircraft Corporation apportent des éléments les plus favorables pour le déroulement du programme complet.