L’immense pari du supersonique
Bigger And Better
La logique du poids lourd
Qui va payer ?
USA mène par 63 à 37
En vérité, disent les constructeurs de Concorde, ce chassé-croisé de commandes n’a rien d’inquiétant. Le score du match ne signifie rien. Car l’option prise sur l’appareil américain n’engage pratiquement pas le client ; simple formalité qui ne vise qu’à retenir un numéro de livraison éventuel. Il peut à tout moment retirer le montant, très faible, de sa caution, avec pour seul inconvénient de perdre l’intérêt du capital versé. Les contrats signés avec les constructeurs européens sont autrement sérieux. Prendre une option sur Concorde, c’est passer une commande ferme : elle ne peut être résiliée qu’en cas de défaillance de la marchandise.
Un crime économique
En réalité, quand on y regarde de près, dans les deux cas l’engagement financier est négligeable comparé au prix de l’appareil. Que ce soit pour Concorde ou pour le SST, les compagnies, en versant leurs arrhes, achètent une assurance sur l’avenir plutôt qu’un avion. Mais l’avenir est aussi changeant que le temps. Pan Am, il y a quelques années, a bien passé des commandes fermes pour le ”Comet », ce qui ne l’a pas empêché de tirer son épingle du jeu avant la livraison.
Profits en peau de chagrin
Une course contre la montre
Le lièvre et la tortue
Les Américains ont d’ailleurs décidé de ne pas se laisser obséder par le temps. ”Débarrassons-nous du complexe de la course supersonique avec l’Europe, dit un rapport spécial au Président Johnson. ”Chi va piano va santo“. De toute façons, une fois sorti, notre SST sera imbattable et notre capacité de production en série fera le reste : nous répondrons aux compagnies beaucoup plus vite que Sud-Aviation et British Aviation ne le pourront pour Concorde. Prenons notre temps, intensifions notre programme de recherches, commençons par créer des prototypes, autant qu’il en faut et par les éprouver sérieusement avant d’équiper nos chaînes de fabrication ». On pense au lièvre et à la tortue. Les Américains sont des gens prudents. Ils démarrent lentement, mais il faut quand même penser qu’une fois partis, ils font vite et bien. Pour les jets, ils s’étaient laissés ”brûler“ par les Anglais. Ils ont pourtant gagné cette bataille. Une fois lancé, l’énorme potentiel de leur industrie aéronautique marche à fond. Pensons aussi que Concorde, pour être d’une technique de construction plus facile, risque encore de subir de nombreuses modifications en chemin. Des retards sont d’ailleurs annoncés dans son programme de production.
Concorde sur la sellette
Les menaces supersoniques
Selon lui, les constructeurs se sont lancés dans le supersonique sans vraiment calculer ses dangers. Ils affirment, foi d’ingénieurs, que les futurs appareils seront au moins aussi sûrs, sinon plus, que les jets actuels. Mais on peut garantir un avion seulement contre les dangers qu’on prévoit, ceux que l’expérience a révélés. Or le SST inaugure en aviation une foule de techniques inédites qui recouvrent autant de risques inconnus et imprévisibles.
Rayons cosmiques et protons
Enfin, le bruit. Celui des moteurs au décollage ne sera probablement pas plus gênant (c’est déjà beaucoup dire) qu’avec les quadri-réacteurs actuels. Son intensité sera plus forte, à cause de l’énorme poussée au départ, mais il durera moins longtemps, à cause de la très grande vitesse ascensionnelle de l’avion. La surpuissance des réacteurs permettra au pilote de monter en régime relativement réduit, donc moins bruyant. On ne sera pas aussi gâté à l’atterrissage. Le plan de voilure des appareils supersoniques leur confère de très mauvaises caractéristiques de sustentation aux faibles vitesses. L’avion arrivant très cabré, avec une forte traînée induite, il lui faudra une grosse poussée des moteurs pendant toute la phase d’approche. Les réacteurs, poussant à fond, se trouveront braqués vers le sol et aspergeront de décibels les heureux voisins de l’aérodrome.
La hantise du bang
Le droit au silence
Mach 2… et les temps morts
Le mur économique
Le mur de la chaleur
Alors pourquoi Concorde se limite-t-il à Mach 2,2 ? Parce qu’une fois le mur du son dépassé, un nouvel obstacle surgit un peu plus loin : le mur de la chaleur. Or, pour ce mur-là, il n’y a pas d’au-delà. Il ne se laisse pas franchir comme la bosse transsonique, qui n’est qu’un mauvais moment à passer ; il devient de plus en plus impénétrable à mesure qu’on augmente la vitesse. L’échauffement cinétique est dû surtout aux frottements qui se manifestent dans la couche limite ; les molécules d’air situées près de l’avion deviennent brûlantes, et cette gaine d’air transmet sa formidable température au revêtement. Celle des avions actuels ne dépasse pas 40° C. Mais à Mach 2,2 dans la stratosphère (où l’air est à 56°C), la température d’équilibre des parois atteint 120° C, au-delà desquels les caractéristiques des alliages légers à base d’aluminium, couramment employés en construction aéronautique, commencent à s’altérer. Pour aller plus vite, il faut revenir à des matériaux hautement réfractaires, aux techniques nouvelles, coûteuses et effroyablement compliquées de l’acier inox et du titane et de la construction à sandwich en nid d’abeille.