Article de Jean-Marie RICHE

Monsieur Jean Chamant, Ministre des Transports, qui porte une grande attention aux problèmes de l’Aviation Civile, a déclaré mardi dernier aux journalistes, sa conviction que, pour Concorde, le point de non-retour est atteint.

Après la publication – une fois de plus – par certains de nos confrères britanniques, d’informations pour le moins fantaisistes sur la récente conférence de Londres au cours de laquelle, il a été décidé de lancer de nouvelles fabrications de Concorde, il était intéressant d’entendre de la bouche du Ministre une relation toute différente des travaux et du climat de cette conférence.

Celle-ci a montré la détermination des deux Gouvernements d’aller de l’avant avec ce programme. Déjà, la nouvelle de cette résolution parait avoir influé sur certains points de vue, outre-Atlantique. On comprend aux USA que Concorde sera inéluctablement, en service régulier au plus tard en 1975 et que le Tupolev Tu-144 imposera de toute manière le transport supersonique sur les lignes drapeau du transport aérien mondial. Et déjà, l’abandon du programme SST apparait comme une tragédie.

M. Chamant a l’impression que cet abandon n’est que temporaire. Mais il est également possible que le projet SST, lorsqu’il sera repris, fasse l’objet d’un effort international, ainsi que l’a suggéré récemment M. Marcel Dassault.

Dans l’immédiat, Concorde a le champ libre, face à un Tupolev Tu-144 dont la concurrence est difficile à jauger. Tandis que vont se poursuivre les essais en vol des prototypes 001 et 002 auxquels viendra se joindre dans quelques semaines, le 01, l’attention va se concentrer de plus en plus sur les problèmes économiques dont la solution déterminera dans une large mesure l’attitude des compagnies aériennes.

Il est souhaitable que le prix global de Concorde soit fixé à un niveau raisonnable afin de faciliter la percée initiale de l’appareil sur le marché. Ce point n’a pu être résolu par la conférence de Londres, les composantes du prix de Concorde n’étant pas encore connues et l’initiative devant, sur le plan commercial, revenir, en dernière analyse, aux constructeurs.

La mise au point des aides financières qui seront apportées aux compagnies aériennes revêt également une grande importance. Elle est fonction des dossiers économiques préparés par les constructeurs. Ceux-ci montrent qu’une flotte mixte, composée de subsoniques et de supersoniques, est plus rentable en exploitation qu’une flotte exclusivement composée de subsoniques.

Ces opérations vont encore prendre un certain temps. Ce n’est qu’à la fin ou au début de 1972 que les compagnies aériennes pourront transformer leurs inscriptions de déclarations d’intentions puis en commandes.

Lorsque Air France et la B.O.A.C auront pris de telles décisions, un nouveau point de non-retour sera atteint du côté de la clientèle.

On verra alors se décanter le marché de Concorde. Une vraie série pourra être lancée. Il sera possible d’abandonner la méthode actuelle inévitable, mais coûteuse, des petites tranches successives de fabrication. Mail il faut aussi prévoir que la production des Concorde n’atteindra pas les rythmes américains, le marché n’étant disposé à accueillir les supersoniques que graduellement.

Un étalement raisonnable des fabrications du Concorde ne devrait d’ailleurs pas déplaire aux constructeurs.


Tour d’horizon de M. Chamant sur les problèmes de l’Aviation Civile.

M. Jean Chamant, Ministre des Transports, accompagné de ses collaborateurs au premier rang desquels M. René Lapautre, directeur du Cabinet, et de MM. Maurice Grimaud, Secrétaire Général à l’Aviation Civile et Bernard Lathière, Directeur des Transports Aériens, était mardi dernier l’hôte de l’association des journalistes professionnels de l’Aéronautique et de l’Astronautique à l’occasion d’un déjeuner-débat présidé par Georges Merchier, président de l’AJPAA. A cette occasion, le Ministre a répondu aux nombreuses questions posées par les journalistes sur des problèmes d’actualité.

Concorde : le point de non-retour est atteint

En ce qui concerne Concorde, le Ministre a affirmé qu’après la conférence du 22 avril à Londres, le point de non-retour est atteint. L’identité de vues entre les deux gouvernements est très supérieure à tout ce qu’ont indiqué les comptes rendus. Les deux pays sont tout à fait décidés à faire aboutir le programme de l’avion de transport supersonique. Si les essais de Concorde sont généralement satisfaisants et justifient cette position, tous les problèmes ne sont pas résolus.

M. Chamant a reconnu que doivent encore être tranchées les questions de délais dans lesquels les options des compagnies devront être transformées en déclarations d’intentions et celles relatives à la consistance des marchés, dictant le rythme et l’importance de la série. Le problème du bruit n’a pas non plus reçu sa solution définitive.

Le Ministre a exprimé la conviction qu’avec un niveau de bruit comparable à celui des quadriréacteurs subsoniques actuellement en service, Concorde ne ferait pas l’objet de mesures discriminatoires de la part des autorités fédérales des USA. Les moteurs actuels sont d’ailleurs différents de ceux qui équiperont les appareils de série. Et les recherches en vue de l’amélioration du niveau de bruit de Concorde. Le prix de Concorde est un autre élément d’incertitude, les composantes de ce prix n’étant pas encore connues. Mais le Ministre espère qu’on parviendra à une plus grande précision sur ce sujet vers l’automne.

Ce n’est donc pas avant la fin de l’année ou le début de 1972 qu’on peut espérer voir transformer les options d’Air France et de la B.O.A.C, en commandes fermes. En ce qui concerne le prix des moteurs, le Ministre a précisé qu’il serait connu vers le mois de juillet. M. Chamant a reçu des assurances du gouvernement britannique sur l’attention que la firme Rolls-Royce réorganisée apportera en développement du moteur Olympus, quelle que soit la suite donnée au programme R-B-211.

M. Chamant a encore précisé, en ce qui concerne Concorde, que les sommes dépensées pour le développement de l’appareil atteindront à la fin de l’année, un total de 4,7 milliards de F. sur les 5,5 milliards de F que la France doit investir pour le développement de Concorde.

Sur les programmes Airbus A300B et Mercure, M. Chamant a simplement observé que l’agenda prévu est respecté. Sur le turboréacteur de 10 tonnes (M. 56) il a été décidé de pousser les études et de rechercher une coopération à la fois sur le plan européen (notamment avec l’Allemagne – MTU – et la Grande-Bretagne) et sur le plan américain. Dans le budget 1972, des crédits beaucoup plus substantiels seront prévus pour ce programme.

Bonnes nouvelles pour Concorde

La semaine dernière a été positive pour le programme Concorde.

Décisions prises à Londres sur la poursuite des fabrications.

Le jeudi 22 avril, au terme d’une réunion préparé la veille en France par le Conseil des Ministres et en Grande-Bretagne par le Cabinet, on a appris que MM. Chamant, Ministre des Transports, et J. Davies, Ministre du Commerce et de l’Industrie britannique, avaient au cours d’une longue réunion, à Londres, décidé le lancement de la fabrication effective de quatre Concorde de série (7 à 10) déjà en approvisionnement et de compléter cette mesure par le lancement d’approvisionnements pour six appareils supplémentaires (11 à 16).

Cette mesure permet de poursuivre les fabrications dans les usines dont les activités sont liées au programme Concorde. La décision des ministres était attendue. Mais elle peut néanmoins être interprétée comme une nouvelle manifestation de la confiance officielle vis-à-vis du programme Concorde.

Au cours de la réunion à Londres, les problèmes que soulève la fixation du prix de Concorde ont été abordés mais non résolus. Les prix des composantes de l’appareil n’étant pas encore disponibles, on voit mal comment un chiffre définitif pourrait être arrêté. On sait cependant que les constructeurs ont engagé leurs discussions avec les compagnies aériennes sur une base voisine de 150 millions de francs.

Les problèmes de financement des commandes de Concorde viendront au cours des prochains mois une importance croissante appelant l’intervention de groupes bancaires qui accorderont des prêts à long terme aux compagnies.

Déclarations de Monsieur Shaffer sur l’accès de Concorde aux USA

Les réactions de ces dernières paraissent plus positives depuis que les constructeurs, capables de garantir certaines performances, ont amélioré le dossier économique de Concorde et affirment la rentabilité de l’exploitation de flottes mixtes des comprenant des matériels de grande capacité et des supersoniques. En outre, M. John Shaffer, administrateur de la FAA, a fait au terme d’une visite qu’il a effectué la semaine dernière en Grande-Bretagne, une déclaration encourageante en ce qui concerne l’accès de Concorde aux USA. M. Shaffer a exprimé l’espoir que Concorde resterait en deçà des limites fixées par l’administration fédérale en ce qui concerne le bruit. Envisageant l’interdit de certains Etats pourraient prononcer vis-à-vis de l’appareil franco-britannique, M. Shaffer a déclaré que ”si l’Etat de New York parvenait à interdire les supersoniques, il est certain que ceux-ci seraient les bienvenus à Boston ou à Washington ».

M. Shaffer a dit encore que Concorde « n’est pas un jouet de riche mais une nécessité vitale de notre époque. Les appareils supersoniques font, en réalité, moins de bruit que de nombreux avions subsoniques actuels. Les avantages que les avions de transport supersonique apportent dépassent considérablement leurs désavantages. Nous devons nous débarrasser dès maintenant du fatras d’idées préconçues qui circulent à ce sujet et ne pas oublier que dans vingt ans la circulation aérienne sera vraisemblablement deux fois plus importante que ce qu’elle est aujourd’hui”.

M. Shaffer a prédit que si Concorde est un succès, les Etats-Unis relèveront le défi car ils voudront rivaliser avec les constructeurs européens.

L’Olympus 593 commence une nouvelle série d’essais sur l’Avro ”Vulcan ».

Rolls-Royce s’apprête à effectuer une nouvelle série d’essais du moteur de Concorde sur le banc volant Avro « Vulcan” : il s’agit de dégivrage destinés à permettre à l’appareil d’obtenir le certificat de navigabilité ARB/FAA. Pour ce faire, une grille de vaporisation d’eau a été montée sous l’avant du fuselage de l’appareil ; 2000 litres d’eau seront vaporisés par 150 éjecteurs, à la cadence de 3,5 tonnes d’eau/heure. Ces essais s’effectueront à des altitudes comprises entre 1500 et 9000 mètres ; quatre caméras permettront à l’équipage de suivre la formation de la glace dans l’entrée d’air du moteur


Essais en laboratoire du Tu-144

L’agence soviétique TASS vient de publier une nouvelle série de photographies relative aux essais aérodynamiques et de structures du Tupolev Tu-144.

Les deux premières photographies représentent une maquette du Tu-144 en essais dans une soufflerie subsonique du TSAGI ; l’Institut Aérohydrodynamique Central implanté à Moscou et qui fut créé en 1918 sur Soutouski.

La troisième illustration, plus originale, montre les essais statiques effectués dans le même institut sur une maquette structurale à l’échelle 1 du Tu-144.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     La dernière photographie a trait à un essai statique avec échauffement d’un tronçon de fuselage de l’avion supersonique soviétique ; on distingue les centaines de tubes à quartz chargés d’échauffer la « peau” de ce tronçon, et le dispositif permettant d’appliquer à ces derniers un effort de torsion.
Ces photographies ne montrent pas, cependant, les modifications d’ordres aérodynamique dont il est maintenant certain que le Tu-144 bénéficiera : léger changement de la forme en plan de l’aile, et surtout optimisation du squelette de la voilure (évolution de la torsion et de la cambrure le long de l’envergure, comme sur ”Concorde »).

Le point sur le Tupolev Tu-144, appareil qui à bien des égards reste encore très mal connu.

Selon l’hebdomadaire ”News Week », de transporter 160 passagers au lieu de 120, nous en laissons la responsabilité à notre confrère américain. Notons cependant que la cabine du Tu-144, plus large que celle de Concorde (elle peut accueillir cinq passagers de front, contre quatre), permet d’envisager effectivement un tel accroissement du nombre de sièges ; mais de même que le « Super Concorde” n’est pas pour demain, on voit mal les Soviétiques préparer déjà un ”Super Tu-144 » sensiblement plus long que le modèle actuel : l’opération est quand même un peu plus compliquée que celle qui a, par exemple, permis à Douglas de passer du DC-8 au DC-8-60.