En admettant que soient résolus d’une manière satisfaisante certains problèmes comme celui du « bang“ supersonique et que l’on dispose à temps de systèmes de navigation garantissant une exploitation sûre et économique, l’avion de ligne supersonique pourra être mis en service au début des années 70.
La signature, à la date du 23 novembre 1962, de l’accord franco-britannique relatif au financement en commun de Concorde a ouvert la voie au transport supersonique en Europe. Cette décision prise par la France et la Grande-Bretagne eu sa première répercussion aux Etats-Unis où le gouvernement à dû débloquer une aide financière afin d’accélérer la mise au point d’un avion de ligne à Mach 3 susceptible de concurrencer l’appareil européen. En Union Soviétique, les travaux d’études pour un avion civil supersonique ont également atteint un stade très avancé et l’industrie aurait déjà pris ses dispositions en vue de la construction en série. Etant donné l’allure que prend cette course à son début, il ne serait pas du tout étonnant que l’avion de ligne supersonique fasse son apparition un peu plus tôt que prévus.
Quelle sera l’influence de ce facteur nouveau sur le développement du transport aérien pendant les dernières années de cette décennie ? Bien entendu, la future mise en service de l’avion supersonique oblige les compagnies aériennes à prendre dès à présent des dispositions en matière de gestion du matériel et elle peut même inciter à une certaine prudence dans le domaine de l’organisation de service sur étapes courtes et moyennes. Pour le moment, les compagnies aériennes s’efforcent en premier lieu, afin de pouvoir faire face à la concurrence, de remplacer les derniers appareils à moteurs à pistons et à turbopropulseurs par des avions à réaction. Les avions à réaction subsoniques pour étapes courtes et moyennes récemment achetés pourront donc être utilisés encore pendant de nombreuses années et ne seront d’ailleurs pas entièrement amortis lorsque commencera l’ère du transport supersonique.
Ci-dessus : Graphique montrant la différence entre la capacité offerte et la demande (selon des estimations de l’IATA et des constructeurs d’avions). A – coefficient de chargement depuis 1957 et prévisions pour les années à venir. B – capacité offerte sur les lignes régulières. C – capacité excédentaire (y compris la capacité des avions retirés des lignes régulières). 1 – mise en service des avions de ligne à réaction. 2 – mise en service des avions de ligne supersoniques.
Pour ce qui concerne le nombre d’avions supersoniques à mettre sur le marché, les points de vue diffèrent considérablement. En avançant pour le Concorde un prix unitaire de 8 à 9 millions de dollars, les responsables du projet se basent sur des estimations selon lesquelles il sera possible de vendre environ 130 appareils jusqu’en 1975 et que la demande totale portera sur 400 à 800 appareils. D’après une étude effectuée par un constructeur américain, l’exploitation de toutes les lignes intérieures et internationales d’une longueur supérieure à 2900 km nécessiterait vers 1973 environ 200 avions à Mach 3 et 300 avions à Mach 2. Pour les lignes de 1300 à 2900 km, il faudrait 300 avions à Mach 2 supplémentaires, ce qui pourrait se traduire par une demande totale de 430 à 500 appareils vers 1970 et de 500 à 600 appareils vers 1973. Admettons donc, pour être un peu moins optimiste, que le besoin en 1970 soit de l’ordre de 400 appareils.
En supposant maintenant que l’avion à Mach 3 ait une capacité de 160 sièges, que la longueur moyenne d’une étape soit de 4500 km et que la durée d’utilisation journalière soit de 8 heures, la production annuelle d’un tel appareil serait quatre fois supérieure à celle d’un quadriréacteur subsonique actuel. Dans le cas de l’avion de ligne à Mach 2, cette production serait deux fois et demie à trois fois supérieure, compte tenu du fait que l’appareil soit également utilisé sur les étapes moyennes. Dans ces conditions, la mise en service d’un nombre identique d’avions de chaque catégorie se traduirait vraisemblablement par une production annuelle triple. En d’autres termes, tout avion supersonique pourrait remplacer trois appareils subsoniques actuels. Dans l’hypothèse précédemment admise de la mise en service de 400 avions supersoniques vers 1970, la capacité de 1300 avions à réaction subsoniques deviendrait disponible et devrait être utilisés à d’autres fins que celles initialement prévues. Evidemment cela suppose que les constructeurs n’aient pas surestimé les débouchés sur le marché international.
Selon une estimation de l’OACI, le transport aérien pourrait avoir besoin vers 1967 de 125 long-courriers à Mach 3 d’une capacité de 100 sièges. En admettant qu’à partir de ce moment le volume du trafic augmente de 5% par an et que le trafic international représente 55% du trafic total sur les lignes de 2900 km, le besoin en avions de ligne supersoniques se présenterait théoriquement de la façon suivante :
1967 | 1970 | 1973 | |
Avions à Mach 2 (100 sièges) | 188 | 283 | 303 |
Avions à Mach 3 (100 sièges) | 125 | 159 | 202 |
Comme il est à prévoir que la demande sera à peu près la même pour les deux catégories d’appareil, on peut supposer que vers 1973, il y aura environ 250 avions supersoniques qui prendront la relève de 750 quadriréacteurs actuellement en service. Certes, les nouveaux appareils supersoniques ne serviront pas exclusivement à moderniser le parc aérien actuel, un certain nombre étant nécessaire pour faire face à l’augmentation du volume de trafic. Mais les compagnies aériennes disposeront malgré tout d’une flotte dont la capacité sera supérieure à celle qu’exigent les lignes actuelles. En outre, ces compagnies auront dépensé beaucoup d’argent pour former les équipages d’avions subsoniques pour lesquels la transformation sur avion supersonique peut, dans certains cas, s’avérer impossible.
Dans le passé, les grandes compagnies exploitant des lignes régulières vendaient généralement leurs appareils devenues excédentaires à des compagnies aériennes moins importantes et à des compagnies de transport à la demande, ou alors elles les utilisaient soit pour le transport de fret, soit sur les étapes courtes et moyennes en remplacement d’avions plus anciens. Or, les compagnies de transport à la demande font aujourd’hui l’acquisition d’avions neufs tandis que pour le transport sur étapes courtes et moyennes, on se sert de plus en plus d’appareils spécialement conçus à cet effet. Cette tendance s’est d’ailleurs déjà dessinée au moment où sont devenus disponibles les derniers quadrimoteurs commerciaux.
Dans ces conditions, il s’agit d’augmenter d’une façon ou d’une autre le volume de trafic. Certaines mesures avaient déjà été prises dans ce sens en vue de pouvoir utiliser les avions à moteurs à pistons. Par exemple, la compagnie Eastern Airlines à assuré des services d’aérobus dispensant les passagers de toute formalité d’embarquement et de réservation, les billets étant délivrés à bord de l’avion. A cet effet, cette compagnie a utilisé des Lockheed 1049 et 1049G entièrement amortis pour lesquels elle n’avait pas trouvé d’acheteurs. Ces services assurés tout d’abord sur les trajets New York-Washington et New York-Boston à raison d’un avion par heure et dans chaque sens entre 8 heures et 20 heures, avec un appareil en réserve pour les heures de pointe. Depuis lors, les fréquences ont été augmentée et on à compléter ces services par la desserte de Miami. Par ailleurs, la compagnie utilise depuis le mois de mars de cette année des avions à réaction pour assurer des services identiques entre la Nouvelle-Orléans et Houston.
Pour les voyages de jour, les tarifs aérobus ne différent pas beaucoup de ceux en vigueur sur les lignes régulières en clase touriste. Cependant, la demande a été supérieure aux prévisions et ces services n’ont porté aucun préjudice au trafic régulier en première classe et en classe touriste sur les mêmes trajets. Cela prouve que les services aérobus constituent vraiment, grâce à leur régularité et leur commodité, une nouvelle source de revenu rentable.
Des services similaires sont assurés en Grande-Bretagne par la compagnie BEA ainsi qu’en Allemagne Fédérale où la Lufthansa a inauguré au début de ce mois un service aérobus entre Francfort et Hambourg. Si cette liaison Francfort-Hambourg donne des résultats satisfaisants, d’autres services aérobus seront créés en Allemagne Fédérale. Les appareils sont des Lockheed Super Constellation qui étaient utilisés sur les lignes intercontinentales avant la mise en service d’avions à réaction. Pour ce qui concerne la BEA et la Lufthansa, il convient de préciser qu’il s’agit de compagnies nationales bénéficiant de subventions gouvernementales qui font concurrence aux sociétés nationales des chemins de fer. Par ailleurs, les services aérobus sont devenus courants sur la côte occidentale des Etats-Unis ainsi qu’au Japon où les compagnies Japan Airlines et All Nippon Airways assurent en commun des liaisons Tokyo-Osaka.
L’utilisation par la compagnie British United Air Ferries de Carvair pour le transport de voitures automobiles avec leurs occupants constitue un autre exemple intéressant en matière d’exploitation de matériel aéronautique en surplus. Ces Douglas DC-4 modifiés relient Southend, Bournemouth et Lydd à différents aéroports du continent européen. La compagnie Aer Lingus a commandé de son côté deux Aviation Trader Carvair en vue d’assurer cet été des services identiques entre l’Irlande, la Grande-Bretagne et l’Europe Continentale
Ces fery services relativement récents prendront sans aucun doute de plus en plus d’importance à mesure qu’augmenteront les difficultés du trafic routier. On comprend d’ailleurs aisément le désir des automobilistes de se rapprocher rapidement et le plus près possible du lieu qu’ils ont choisi pour passer leurs vacances.
Les voyages organisés constituent une autre catégorie de services aériens ayant connu un développement très rapide au cours de ces dernières années. Le surpeuplement des centres touristiques relativement proches et les possibilités offertes par les gros avions rapides incitent en effet les gens à se rendre dans les régions de plus en plus éloignées. C’est ainsi que les compagnies aériennes peuvent profiter pleinement du plus grand avantage qu’offre l’avion par rapport aux autres moyens de transport : la rapidité.
L’expérience prouve que pour l’ensemble des moyens de transport – chemin de fer, autobus et avion – le nombre de passagers-kilomètres diminue à mesure qu’augmente la longueur des trajets. Toutefois, pour ce qui concerne uniquement le transport aérien, les grandes lignes ont été jusqu’à présent nettement plus rentable que les étapes courtes pour lesquelles le temps d’immobilisation au sol est relativement important. Or, la perte de temps devient moins préjudiciable à mesure qu’augmente la vitesse des avions et le désavantage qui en résulte pour les passagers peut être compensé par des mesures augmentant la commodité et la régularité des services.
Les services d’aérobus des Eastern Airlines sur les lignes New York-Boston (300 km) et New York-Washington (350 km) fournissent un bon exemple de temps d’immobilisation réduit par rapport à la longueur des étapes.
Différentes mesures pourraient encore être prises afin de faciliter et d’accélérer l’embarquement et le débarquement des passagers ainsi que la manutention des bagages. En premier lieu, on devrait trouver une nouvelle méthode d’encaissement des taxes d’embarquement ou, mieux encore, supprimer ces taxes complètement. Il faudrait en outre des liaisons centre ville-aérodrome plus rapides et plus régulières dont les horaires devraient mieux correspondre avec ceux des avions ; les billets pourraient être délivrés aux passagers au moment où ceux-ci montent à bord de l’avion ou après le décollage ; les parkings pour automobiles devant les aérogares, devraient être plus grands et moins chers. Les formalités au départ et à l’arrivée pourraient également être simplifiées au moyen de distributeurs automatiques de billets d’autres systèmes similaires. En effet, les passagers sont en général des personnes sachant assurer leurs responsabilité sur le plan professionnel et qui n’ont donc pas besoin de l’assistance du personnel des compagnies aériennes pour effectuer certaines formalités.
L’essor que prend le transport du fret offre aux compagnies aériennes d’autres possibilités de tirer profit du facteur rapidité de l’avion. Aux Etats-Unis on a coordonné récemment avec succès les transports de marchandises par les voies terrestres et aériennes ; les compagnies aériennes assurent uniquement le transport sur grandes distances entre les grands centres urbains, tandis sue des sociétés de transport terrestre se chargent des services d’apport et de distribution. Une telle coopération fondée sur l’expérience de chacun permet d’offrir à la clientèle des services de tout premier ordre.
Bien entendu, on ne peut affirmer que le quadriréacteur subsonique soit l’avion idéal pour le transport sur étapes courtes mais après tout, le Super Constellation n’était pas conçu non plus pour assurer de telles liaisons. Cependant, les gros avions à réaction se sont avérés souvent plus rentable sur les étapes courtes que les avions de tonnage inférieur et les avantages augmenteront avec l’utilisation des avions à réaction de la deuxième génération aux performances de décollage et d’atterrissage supérieures. Le poids du carburant qui représentait jusqu’alors une partie importante du poids total diminuera par suite de l’utilisation des appareils sur des étapes courtes et moyennes, ce qui se traduira par des décollages plus courts et des frais d’exploitation moins élevés.
Après la mise en service des avions de ligne supersonique, les compagnies aériennes se trouveront en possession d’un grand nombre d’appareils excédentaires beaucoup plus perfectionnés que ceux dont elles disposaient dans le passé. L’utilisation à bon escient de ce matériel dépendra alors en grande partie de l’ingéniosité et de la détermination des responsables de ces compagnies. Il est certain qu’en cas d’échec de leur part, la crise de rééquipement deviendrait beaucoup plus sérieuse que celle qu’a connue le transport aérien en 1961.
De leur côté, les organisations telles que l’OACI, l’IATA, l’ATA et l’IFALPA devront se pencher sur ce problème. L’IFALPA a tout intérêt à se préoccuper de l’utilisation des appareils disponibles afin d’assurer à ses adhérents le plein emploi. L’OACI devra réviser une nouvelle fois sa politique relative aux systèmes de navigation dans le but d’améliorer les conditions d’utilisation de l’espace aérien. Quant à l’IATA, elle ferait bien d’éviter de nouvelles augmentations des tarifs et de chercher, au contraire, des solutions permettant de diminuer les frais d’exploitation.
En automne 1962, à l’occasion de la 18ème Assemblée générale de l’IATA à Dublin, Lord Brabazon a fait certaines déclarations dont il convient de rappeler les points essentiels. En premier lieu, Lord Brabazan à cité l’article III des statuts de l’IATA dans lequel sont définis les objectifs de l’organisation : « Mettre tout en œuvre dans l’intérêt de toutes les nations pour que le transport devienne sûr, régulier et économique, lui assurer un plein développement et étudier tous les problèmes corrélatifs”. Puis, au sujet des tarifs, l’orateur a déclaré : « Il faut reconnaître que les constructeurs d’avions ont contribué largement à la réduction des frais d’exploitation par siège-mile….. En procédant à des perfectionnements sur le plan technologique, les constructeurs ont donc donné aux compagnies aériennes un atout leur permettant de réduire les tarifs. Mais quelles on été les mesures prises par ces compagnies ? Certains pourraient penser que leur principale préoccupation était de diminuer de plus en plus l’espacement et la largeur des sièges afin de pouvoir accroître la capacité des cabines initialement conçues pour contenir un nombre déterminé de passagers“. Enfin, Lord Brabazan a critiqué les tarifs de l’IATA, de la façon suivante : “Il est quelquefois difficile, pour l’homme de la rue, de se rendre compte de la différence qui existe entre les tarifs sur les lignes intérieures (qui ne sont pas du ressort de l’IATA) et les tarifs en vigueur sur les lignes internationales. Par exemple un voyage Londres-Glasgow en classe touriste (distance 550 km) coûte 5 livres et 9 shillings, tandis qu’un voyage Londres-Dusseldorf (distance 550 km), également en classe touriste, coûte 13 livres sterling”.
On peut constater que malgré les efforts déployés, l’IATA n’a enregistré jusqu’à présent aucun succès spectaculaire. Toutefois, dans quelques années, la capacité excédentaire donnera aux compagnies aériennes la possibilité d’organiser le trafic à une plus grande échelle et leur permettra de s’assurer une nouvelle catégorie de clientèle susceptible de contribuer à la résorption du déficit.
Il s’agit maintenant de prendre des mesures nouvelles incitant la population à utiliser en grand nombre la voie aérienne. Ce but ne peut être atteint uniquement à l’aide de la publicité. C’est donc sans tarder que les responsables des compagnies aériennes devraient élaborer des plans nouveaux et les mettre en application car lorsque la mise en service des avions supersoniques sera imminente, ils auront plus de temps à consacrer aux possibilités d’utilisation de leur ancien matériel.